Étude des représentations sociales du paysage

Apparu en Europe aux XVème et XVIème siècles, apanage d’une élite lettrée artistique puis scientifique jusqu’au XIXème siècle, le concept de paysage a émergé depuis la fin du XXème siècle, dans divers discours scientifiques et politiques, sous l’angle d’un enjeu sociétal plus englobant de gestion démocratique de l’environnement et de l’aménagement du territoire. L’évolution de la législation paysagère en Europe invite à la mise en place de politiques davantage ouvertes aux considérations des populations et à la prise en compte de la valeur des paysages sur les plans culturel, environnemental, économique et social. Le concept est notamment rapproché des notions de cadre et de qualité de vie et fait écho à une demande sociale qui se ferait de plus en plus ressentir dans les sociétés occidentales contemporaines en faveur d’une plus grande qualité esthétique et environnementale du cadre de vie (Luginbühl, 2001; Dérioz, 2008; Blanc, 2010; Sgard et al., 2010, 2018).

Or, c’est précisément la teneur sociale et politique du concept qui a éveillé notre intérêt pour la question paysagère, lors d’une expérience de recherche à Mayotte. Il s’agissait, à la suite de la lecture des travaux d’Evelyne Gauché (2015) sur les processus d’institutionnalisation du paysage dans les pays dits du Sud, c’est-à-dire de prise en compte du paysage dans les politiques publiques, d’interroger l’appropriation du concept par les acteurs locaux, sur un territoire d’outre-mer aux problématiques de développement proches de ces pays. Les recherches menées ont montré l’intérêt de questionner la pertinence d’un transfert d’un modèle occidental du paysage au-delà des cultures européennes dans les processus d’aménagement.

Le paysage dans l’action publique en France : les enjeux de l’élargissement de l’action paysagère à de nouvelles échelles territoriales

Cette thèse s’inscrit dans le contexte de l’évolution de l’action paysagère en France, c’est-àdire de l’action politique intentionnellement destinée au paysage, impulsée par les politiques publiques (Gauché, 2015). Nous analysons ainsi la place qu’a tenu et tient aujourd’hui le paysage dans la gouvernance territoriale, à savoir dans les processus de décision, les stratégies et les actions menées sur le territoire, et interrogeons le rôle des acteurs qui sont concernés et prennent part à la définition de ces démarches, en particulier dans le contexte d’un élargissement des échelles d’action. En effet, nous montrons tout d’abord à travers l’analyse de l’évolution du droit du paysage comment l’action paysagère est passée d’une action patrimoniale et protectionniste des paysages « remarquables » à une action politique plus globale de gestion et d’aménagement du cadre de vie quotidien. Cette évolution est liée aux changements de paradigme du concept de paysage dans les sphères scientifiques et sociales ainsi qu’aux prises de conscience et aux injonctions internationales et nationales en matière de protection de l’environnement et de gestion intégrée du territoire.

L’évolution du cadre réglementaire induit un élargissement des périmètres d’action des politiques publiques du paysage, des acteurs impliqués dans les processus décisionnels, des stratégies d’action et d’intervention menées sur le territoire, et par là, de « la gouvernance du paysage » (Gauché et al., 2019a). Nous indiquons ainsi comment les collectivités territoriales, les professionnels du paysage dont les métiers évoluent avec la commande publique, et la population, sont appelés à être les acteurs d’une gestion en commun des paysages. Non plus seulement considéré comme un objet matériel sur lequel nos actions peuvent en infléchir la trajectoire, le paysage apparaît dans la Convention européenne du paysage (CEP) comme un principe d’action, « un outil de médiation », qui permet de questionner les manières de concevoir le territoire et de débattre collectivement des enjeux, des objectifs et des valeurs qu’on veut y mettre.

On peut aujourd’hui considérer que les politiques publiques du paysage ont fait avancer : la connaissance des paysages et de leurs évolutions ; la prise en compte de la qualité de vie des habitants à travers l’intégration des objectifs de qualité paysagère dans les programmes d’aménagement ; la reconnaissance des compétences et de l’expertise paysagère de certains professionnels. En revanche, l’élargissement de la gouvernance du paysage à de nouvelles échelles d’action et à de nouveaux acteurs n’est pas sans poser des difficultés dans le pilotage des projets, dévoilant un décalage entre les discours et les objectifs véhiculés dans la législation et la réalité opérationnelle.

De la préservation de sites « exceptionnels » à la gestion des territoires du quotidien

Faisant d’abord l’objet d’une vision pittoresque et conservatrice dans les pays occidentaux, le paysage est associé dans la législation de plusieurs nations européennes et nord-américaines à des impératifs de préservation des espaces de nature sauvage, des paysages de campagne soumis à la pression urbaine, ou encore, des monuments culturels, témoins des vestiges du passé (Rousso, 1995; Fairclough, 1999 Cosgrove, 2006). A l’instar de ces nations, la prise en compte du paysage dans les politiques publiques en France s’est constituée dans la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle à travers une approche protectionniste de certains sites « dûment identifiés et réglementairement délimités » (Rousso, 1995). A partir des années 1970, l’évolution du concept dans les sphères scientifiques, sociales et juridiques en fait un enjeu de réflexion plus englobant de la gestion et de l’aménagement du territoire, qui depuis ces dernières décennies pose davantage la question du paysage comme un bien commun, soulevant des interrogations sur les modes d’habiter, le cadre et la qualité de vie des populations, dans un contexte d’injonctions internationales en faveur du développement durable et de la préservation de la biodiversité.

Du paysage comme enjeu de conservation du patrimoine national français

De la Renaissance jusqu’au XIXème siècle en Occident, les écoles de peinture, la littérature, l’art du jardin, ou encore le développement de la photographie du paysage, popularisent dans les imaginaires des scènes de paysage pittoresques, pastorales et bucoliques (Donadieu et Périgord, 2007; Luginbühl, 2012). Le paysage est appréhendé comme un genre pictural mais aussi comme une manière de regarder, de sentir et de ressentir la nature, en particulier à l’époque romantique (XVIIIème siècle), pour une élite bourgeoise qui s’était éloignée progressivement de celle-ci et qui cherche à travers le paysage et ses différentes formes de représentations à renouer avec elle (Briffaud, 2014).

L’avènement du romantisme ainsi que le développement de techniques picturales donnant naissance à cette époque au pittoresque vont également servir, tout au long des XIXème et XXème siècles, à nourrir et véhiculer des images archétypales au service de la valorisation d’une identité nationale en Europe (Walter, 2004; Cosgrove, 2006). François Walter (2004) montre notamment que la célébration du monde rural et des milieux naturels dans les œuvres artistiques, en particulier de la montagne et de la forêt, alimente les représentations de paysages emblématiques de certaines régions, à l’origine d’une muséification de la nature et de politiques de patrimonialisation de ces espaces. L’image de la belle campagne influence notamment les politiques publiques anglaises dont les efforts se portent essentiellement, jusque dans les années 1990, autour de la protection des paysages ruraux et des espaces naturels (Fairclough, 1999).

La naissance du droit du paysage en France se construit à travers la mise en place d’une législation de protection des monuments culturels et des sites, largement imprégnée de tout un courant de pensée hérité du XVIIIème siècle qui donne une valeur pittoresque et romantique au paysage (Rousso, 1995), ainsi que de l’influence des milieux littéraires et artistiques, qui au XIXème siècle manifestent la nécessité de sauvegarder les vestiges du passé, dénonçant les effets de l’industrialisation et des pratiques de la paysannerie sur les paysages (Rousso, 1995; Luginbühl, 2007a). En témoignent ainsi la création des Comités de défense des « beautés pittoresques du plaisant pays de France » de la Société pour la protection des paysages de France (1901), les lois de 1906 puis de 1930 portant sur la protection des monuments naturels et des sites « de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque », ainsi que la loi de 1913 sur la protection des monuments historiques. L’attention portée aux paysages se construit à travers des considérations d’abord esthétiques et patrimoniales, restreintes à certains sites ou monuments remarquables pour leur beauté ou le sens et les symboles qui leur sont attribués par certaines élites pour la mémoire collective (Walter, 2004). Notons que le terme « paysage » n’est pas employé ou très peu dans ces différentes lois5 , au profit de celui de « monument » (naturel ou historique) ou de « site ». Dans la loi du 2 mai 1930, le terme n’apparaît que pour désigner la création d’une commission dite « commission supérieure des sites, perspectives et paysages », sans que le terme soit défini.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE DES LIENS ENTRE REPRESENTATIONS SOCIALES ET ACTION PAYSAGERE : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRAGE CONCEPTUEL DES ENJEUX DU « COMPLEXE-PAYSAGE »
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
Chapitre 1 : Le paysage dans l’action publique en France : les enjeux de l’élargissement de l’action paysagère à de nouvelles échelles territoriales
1. De la préservation de sites « exceptionnels » à la gestion des territoires du quotidien
2. L’élargissement de la gouvernance du et par le paysage à de nouveaux acteurs
3. Le bilan des politiques publiques du paysage
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 : De la perception aux représentations sociales du paysage, le choix d’un modèle théorique
1. Une activité perceptive multisensorielle, socle de l’expérience paysagère
2. De la perception à la sensibilité au paysage (ordinaire)
3. La théorie structurale des représentations sociales : un cadre d’analyse pour questionner l’influence du contexte sociétal dans l’expérience sensible et individuelle du paysage
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 : Le territoire réunionnais : une action paysagère tardive et différenciée en fonction d’une césure spatiale, historique et socio-culturelle séparant les paysages des Hauts et des Bas
1. Des paysages insulaires en profonde mutation
2. L’action paysagère à la Réunion : entre patrimonialisation, mise en tourisme et requalification des paysages
3. Le paysage vernaculaire : comment qualifier le paysage habité à la Réunion ?
Conclusion du chapitre 3
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE LE CHOIX D’UNE DEMARCHE QUALITATIVE POUR ETUDIER LES REPRESENTATIONS SOCIALES DU PAYSAGE AUTOUR DE QUATRE PROJETS URBAINS A LA REUNION
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
Chapitre 4 : La place du paysage dans quatre projets urbains à la Réunion
1. Le processus de sélection des terrains d’étude
2. Le contexte territorial des communes et des quartiers étudiés
3. Des projets d’aménagement ayant une dimension paysagère
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5 : Protocole méthodologique pour l’étude d’une représentation sociale du paysage
1. L’entretien semi-directif : une méthode interrogative adaptée à l’étude des représentations sociales
2. L’association libre de mots : une méthode associative pour déterminer la structure d’une représentation sociale
3. La recherche documentaire : une analyse des professions de foi des élus
4. Le parcours commenté : le choix d’un outil d’enquête in situ pour étudier la part sensible de l’expérience paysagère
Conclusion du chapitre 5
Chapitre 6 : Déroulement de la démarche d’enquête sur le terrain
1. Présentation de l’échantillon d’enquêtés
2. Retour critique sur le protocole méthodologique
3. Retour sur l’expérience de terrain
Conclusion du chapitre 6
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
TROISIEME PARTIE LES DIMENSIONS COGNITIVES, NORMATIVES ET SENSIBLES DES REPRESENTATIONS SOCIALES DU PAYSAGE
INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE
Chapitre 7 : La dimension cognitive : définitions et qualifications du paysage
1. Les résultats de l’association libre de mots : structure et contenu d’une potentielle représentation sociale du paysage
2. Les résultats de l’analyse thématique des définitions du paysage
3. Les résultats de l’analyse des parcours commentés : qu’est-ce qui fait paysage dans les projets et les quartiers ?
Conclusion du chapitre 7
Chapitre 8 : La dimension normative : valeurs et postures vis-à-vis de la question paysagère
1. De l’insignifiance du paysage dans l’aménagement du territoire 238
2. Le paysage, un atout pour le développement du territoire, en particulier dans la conduite de projets urbains
3. La place de l’habitant dans la gestion, la protection et l’aménagement des paysages
Conclusion du chapitre 8
Chapitre 9 : La dimension sensible : entre jugements esthétiques, charge affective et projections identitaires
1. Les préférences paysagères des habitants
2. Un rapport contemplatif aux paysages : émerveillement, apaisement et ressourcement
3. La charge affective et le rapport identitaire au paysage vernaculaire
4. Le lien à la nature dans les modes de vie
Conclusion du chapitre 9
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE

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