Malgré des progrès et des améliorations sensibles depuis Loosanoff et Davis (1963), l’élevage larvaire de mollusques bivalves en écloserie ne constitue pas encore un procédé totalement fiable et reproductible. De nombreuses variations en terme de survie, de croissance, de taux de métamorphose attestent la difficulté à contrôler les différents paramètres d’élevage. Sans prétendre à la production de larves homogènes, tel un produit industriel, avec le risque de perdre les qualités nécessaires pour affronter les conditions naturelles de l’environnement, il semble toutefois possible de réduire les risques de production et d’en améliorer les performances. Si les méthodes zootechniques sont essentielles dans la maîtrise de ce type d’élevage, de même que le suivi de la qualité des gamètes, de l’eau ou des algues utilisées pour la nourriture, le contrôle des pathologies reste un élément primordial. En effet, des maladies infectieuses peuvent fortement perturber les productions et porter atteinte à la fiabilité des écloseries. Souvent, l’importance des pontes, en terme de quantité et de fréquence, supplée aux aléas de production. C’est d’ailleurs pour cette raison que la connaissance des épisodes de mortalité qui ont cours dans les écloseries commerciales est très limitée. Il suffit en effet de quelques élevages réussis pour assurer la production annuelle et les professionnels ne souhaitent pas, pour des raisons commerciales et de crédibilité, que l’on s’attarde sur les accidents d’élevage.
Le genre Vibrio: historique
Le genre Vibrio est un genre typiquement aquatique et surtout marin. Si Vibrio cholerae, première espèce du genre décrite par Pacini en 1854, peut parfois être retrouvée en milieu marin (Munro et Colwell, 1996), il fait généralement exception à cette règle. Les vibrios sont des bacilles, de forme incurvée, Gram-négatif, mobiles, anaérobies facultatifs. Leur croissance requiert la présence d’ions sodium. Depuis 1854 le genre Vibrio s’est enrichi et sa position taxonomique a évolué: en 1965 il se sépare de la famille des Enterobacteriaceae dans lequel il était rangé jusqu’alors. A cette date en effet, Véron (1965) propose de créer la famille des Vibrionaceae dans laquelle entrent les genres Vibrio, Plesiomonas, Photobacterium, Aeromonas et Enhydrobacter. Aujourd’hui le Bergey’s 9ème édition (Holt et al., 1994) recense 36 espèces de Vibrio (cf. Tableau 1. Les espèces du genre Vibrio, p 6) et 8 nouvelles espèces ont été décrites entre 1993 et 1997:
V. penaeicida (Ishimaru et al., 1995).
V. mytili (Pujalte et al., 1993)
V. ichthyoenteri (Ishimaru et al., 1996)
V. tapetis (Borrego et al., 1996b)
V. trachuri (Iwamoto et al., 1995)
V. qinghaiensis (Zhu et al., 1994)
V. scophthalmi (Cerda-Cuellar et al., 1997)
V. diabolicus (Raguenes et al., 1997).
La position taxonomique du genre Vibrio a également récemment évolué. Notamment, Ruimy et al. (1994) proposaient de limiter aux genres Vibrio et Photobacterium la famille des Vibrionaceae, en excluant V. marinus. Cette proposition est faite sur la base de l’analyse phylogénique des séquences de la petite sous-unité (16S) de l’ARN ribosomique bactérien. Une des raisons de l’intérêt porté au genre Vibrio vient du fait qu’une grande partie des espèces marines décrites présente un caractère pathogène pour de nombreux organismes. Avec le développement des élevages de poissons (Egidius, 1987) et de mollusques en milieu marin, de même qu’avec la recherche plus systématique des microflores associées aux coquillages consommés crus, le genre Vibrio est susceptible de prendre de l’importance, ce qui devrait affiner la position phylogénique de ses espèces.
Les espèces pathogènes du genre Vibrio
Parmi les vibrios, West et Colwell (1984) recensent 6 espèces potentiellement pathogènes pour l’homme: V. cholerae, V. parahaemolyticus, V. alginolyticus, V. vulnificus, V. fluvialis, et V. metschnikovii. Lee et Donovan (1985) distinguent les vibrios entéropathogènes, entraînant des diarrhées, tels V. cholerae, V. mimicus, V. fluvialis, V. hollisae, des vibrios provoquant des infections non-entériques et notamment V. vulnificus. Dans leur revue des bactéries entériques toxinogènes et pathogènes pour l’homme, Sears et Kaper (1996) incluent V. cholerae, V. parahaemolyticus, V. fluvialis, V. metschnikovii, V. hollisae et V. mimicus.
Egidius (1987) décrit 5 espèces dont la pathogénicité a été démontrée chez les poissons. Le principal représentant de ces pathogènes est V. anguillarum, les autres espèces étant V. ordalii, V. damsela, V. carchariae et V. salmonicida. Une sixième espèce a été récemment ajoutée à cette liste V. ichthyoenteri (Ishimaru et al., 1996). Colwell et Grimes (1984) citent également 4 espèces, associées à la pathologie humaine, et qui ont un lien avec des maladies observées chez les poissons. Il s’agit de V. alginolyticus, V. parahaemolyticus, un serovar de V. cholerae et V. vulnificus biogroup 2. Gatesoupe (1991) décrit une souche bactérienne pathogène pour les larves de turbot (Scophthalmus maximus). Cette souche, préalablement identifiée comme Aeromonas hydrophila, s’est avérée être un Vibrio splendidus (Gatesoupe, communication personnelle).
Un parallèle intéressant peut être fait entre le développement de l’élevage des poissons et celui des crustacés et notamment des crevettes. Lightner et al. (1992) passent en revue les principales maladies bactériennes des crevettes pénéides. Ils soulignent l’importance du genre Vibrio dans ces maladies et citent, comme agent étiologique, des vibrios luminescents, identifiés comme V. harveyi et V. splendidus. D’autres espèces sont citées, V. parahaemolyticus, V. alginolyticus. En 1995, Ishimaru et al. décrivent une nouvelle espèce de vibrio, pathogène de la crevette Peneaus japonicus, V. penaeicida.
Vibrioses des larves de bivalves
Certaines caractéristiques se retrouvent de façon systématique dans le déroulement de la maladie déclenchée par les vibrios sur les larves de bivalves. Prieur et al. (1990) les résument en quelques points:
* une sédimentation rapide des larves sur le fond par arrêt de la nage.
* un vélum distendu.
* un arrêt de prise de nourriture, invasion de la coquille par les bactéries et la mort.
* des mortalités possibles de 90 à 100% en 48 heures.
Elston et Leibovitz (1980b) décrivent trois types de pathogénies dues aux vibrios à partir d’observations sur des larves de l’huître américaine (C. virginica):
– Type I: les cellules bactériennes se fixent sur le périostracum et à l’intérieur de la coquille. Ceci permet aux bactéries de se multiplier et d’envahir les cellules du manteau qui servent ainsi de porte d’entrée. La rupture progressive du tissu du manteau et l’infestation qui suit de la cavité viscérale par les bactéries entraînent la mort de la larve.
– Type II: le premier signe de la vibriose, et le signe dominant, concerne l’apparition d’anomalies sur le vélum. Ces anomalies entraînent un ralentissement de la mobilité, de la prise de nourriture et diminuent les échanges gazeux. La mort de la larve est alors rapide. Les modifications observées du vélum sont dues en partie aux détachements des cellules ciliées. Brown et Losee (1978) expliquent l’apparition de ces anomalies par l’activité de toxines bactériennes, toxines qui n’agiraient que sur les cellules de surfaces.
– Type III: les larves deviennent rapidement inactives. La nutrition, la respiration et l’équilibre métabolique sont très tôt compromis au cours du processus. Une perte progressive des composants cellulaires est observée au niveau du tractus digestif et du vélum. Les résultats de cette attaque bactérienne suggèrent que les bactéries se fixent sur la couche cellulaire du tractus digestif et doivent être associées au détachement des cellules d’absorption de la glande digestive. Il apparaît que des éléments bactériens sont absorbés en petite quantité et entraînent des altérations intracellulaires conduisant au détachement des cellules. La rapidité des modifications dans le fonctionnement intracellulaire normal (disparition des vacuoles cytoplasmiques, des granulations associées à la formation de glycogène) peut être expliquée par une cause toxique primaire.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
A. LE GENRE VIBRIO: HISTORIQUE
B. LES ESPECES PATHOGENES DU GENRE VIBRIO
C. VIBRIOSES DES LARVES DE BIVALVES
D. TOXINES DE VIBRIOS
E. PLASMIDES
III. PREMIERE PARTIE : DESCRIPTION D’UNE NOUVELLE ESPECE DE VIBRIO
A. INTRODUCTION
B. DESCRIPTION PHENOTYPIQUE
1. Matériel et méthodes
a) Conditions de culture
b) Recherche de flagelles en microscopie électronique
c) Caractères physiologiques principaux
d) Tests d’assimilation
e) Analyses en taxonomie numérique
C. RESULTATS
D. SEQUENÇAGE, PHYLOGENIE ARN16S
1. Matériel et méthodes
a) Séquençage des gènes de la sous-unité 16S de l’ARN ribosomique (ADNr)
b) Analyses phylogénétiques
2. Résultats
E. COMPOSITION EN BASE (GC%) ET HYBRIDATION ADN/ADN: GROUPE A365
1. Matériel et méthodes
a) Protocole d’extraction et purification de l’ADN bactérien
(1) Extraction, purification
(2) Qualité de la purification
b) Composition en base de l’ADN (coefficient GC%)
(1) Principe
(2) Protocole
c) Préparation des sondes par Nick translation
d) Hybridation
2. Résultats
a) Extraction, purification
b) Mesure du GC%
c) Hybridation
F. HYBRIDATION ADN/ADN (SOUCHES DE REFERENCE PROCHES)
G. DISCUSSION ET CONCLUSION
IV. DEUXIEME PARTIE : MODE D’ACTION
A. INTRODUCTION
B. CARACTERES PATHOGENES
1. Infections expérimentales
a) Protocole général
b) Résultats
2. Recherche de plasmides
a) Matériel et méthodes
b) Résultats, discussion
3. Conclusion
C. OBSERVATIONS MICROSCOPIQUES
1. Microscope photonique
2. Microscope électronique à transmission
3. Discussion
D. RECHERCHE DE FACTEURS DE VIRULENCE
1. Infections expérimentales d’élevages axéniques
a) Matériel et méthodes
b) Résultats
c) Discussion
2. Activité sur les hémocytes
a) Introduction
b) Standardisation du test de chimioluminescence (CL)
(1) Principe
(2) Expérimentations préalables
(a) Effet vortex
(b) Réponse des hémocytes en fonction de la température
(c) Corrélation D.O. 540nm, densité bactérienne
(d) Réponse hémocytaire en fonction de la concentration bactérienne
(e) Synthèse de RLO par les bactéries
(f) Choix de l’ordre d’addition bactérie-zymosan
c) Matériel et méthodes
(1) Bivalves
(2) Prélèvement de l’hémolymphe
(3) Bactéries
(4) Réactifs
(5) Test CL
d) Résultats
(1) Activation de la chimioluminescence par les bactéries: calcul de Cm
(2) Inhibition par les bactéries de l’activité CL: calcul de Ar
e) Discussion
V. CONCLUSION
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