Étude de l’empowerment du patient en oncogériatrie

Au cours de ma formation d’oncologue médical, je me suis souvent interrogée sur la relation entre le médecin et le malade, la qualité de l’information échangée, ainsi que sur les conséquences sur la vie des patients des traitements proposés. La haute technicité de cette spécialité fait que la formation théorique et pratique sont principalement centrées sur les aspects biomédicaux, et l’apprentissage de l’humanité dans le soin est trop souvent délaissé.

A l’hôpital et en tant que soignante, j’ai été frappée par la diversité des pratiques et des degrés de réflexion des médecins sur nos paroles et nos actions. J’ai été déconcertée du désintérêt de certains médecins à l’égard des personnes âgées, alors même que cette population représente plus de 50% de leur patientèle. J’ai observé que les médecins non sensibilisés à l’oncogériatrie ont tendance à traiter ces patients comme les patients plus jeunes (parfois à tort, parfois à raison) ou au contraire, de préconiser d’emblée des traitements de supports seuls, constituant une probable perte de chance pour ces malades. Les raisons invoquées pour justifier de ne pas proposer de traitement contre le cancer ne sont souvent pas scientifiques, mais plutôt sociales. La discrimination basée sur l’âge est présente même dans le milieu médical et cette problématique doit être explorée. Comment prendre en charge au mieux les personnes âgées atteintes d’un cancer ? La prise en charge est-elle si spécifique à cette population ? Existe-t-il une prise en charge personnalisée pour ces malades ? Quels sont besoins des personnes âgées pour faire face au cancer ? Leur posons-nous la question ? Les écoutons-nous vraiment ?

l’empowerment

L’empowerment est un concept travaillé dans l’urbanisme, l’intervention sociale, l’éducation, la politique, le management… ce qui explique sa polysémie. De manière générale, il s’agit de la capacité des personnes à exercer un contrôle sur ce qui est important pour elles dans la vie. Il existe autant de définitions de l’empowerment que de domaines dans lesquels il est étudié, et une multitude de méthodes d’évaluation. En santé, l’empowerment du patient s’inscrit dans le cadre de la démocratie sanitaire (2) et de la littératie en santé, et a été notamment étudié dans le domaine de la promotion de la santé. Nous verrons dans la première partie de ce mémoire les définitions et les origines du concept d’empowerment, en l’étudiant sous trois de ses aspects fondamentaux : la psychologie, la pédagogie et la politique.

Emergence de l’empowerment 

Le concept n’empowerment apparait dans les années 1960 aux Etats-Unis d’Amérique, dans le contexte de grands mouvements sociaux et politiques de revendication des droits civiques par la communauté afro-américaine (3) et de militantisme féministe (4). L’écrivain américain James Baldwin nous permet d’illustrer le processus d’empowerment au travers de la lutte pour les droits civiques des noirs américains (5). Il grandit à Harlem dans une société ségrégationniste, et réalise très tôt les nœuds du racisme dans la société américaine. A vingt ans, inquiet pour sa vie, il fuit en France pour, dit-il « pouvoir respirer ». Il raconte « il m’a fallu beaucoup d’années pour vomir toutes les saletés qu’on m’avait enseignées sur moimême » c’est-à-dire rejeter le poison idéologique qui le rendait malade. Il base son propos sur l’analyse des rapports de pouvoir au sein de la société : « « La société tient par le besoin que nous avons d’elle ; nous la maintenons par la légende, le mythe, la coercition, sans elle nous avons peur d’être projetés dans le vide, ce vide où sont cachées, comme la Terre avant le Verbe, les fondations de la société. […] N’oublions pas que l’opprimé et l’oppresseur sont liés au sein de la même société ; ils acceptent les mêmes critères, ils partagent les mêmes croyances, ils dépendent tous deux de la même réalité. » (6) Il critique les idéologies cachées dans les discours communs, et défend que le racisme ne soit pas une question de couleur de peau, mais de rapports sociaux, des pressions sociales, exercées par les hommes blancs sur les autres : les personnes noires, les femmes, les homosexuels. Mais cet enfermement n’est pas que psychologique, il est aussi politique. Militant engagé et pacifiste, ami de Malcolm X et Martin Luther King, James Baldwin explique qu’il faut comprendre les rapports de domination intégrés, nous oppressant, imposés par la classe dominante, et se libérer de cette emprise, c’est là notre devoir et la condition de notre liberté.

Un concept de psychologie communautaire 

L’étude de la santé mentale dans une optique communautaire a pour idées fondatrices d’une part d’intégrer les facteurs environnementaux dans la compréhension et la prise en charge des problèmes de santé mentale, et d’autre part la remise en question de la relation dominant/dominé entre le psychologue et le patient (7). Cette discipline est donc la rencontre de la psychologie et du social : il s’agit d’étudier les conséquences de l’intériorisation par les individus et les communautés des normes et règles sociales. La psychologie communautaire s’intéresse préférentiellement aux populations marginalisées, évoluant dans un environnement incapacitant c’est-à-dire ayant peu d’accès et de ressources de santé, d’éducation, de logements. Le champ d’intérêt principal de la psychologie communautaire est l’empowerment. L’empowerment peut donc être vu au niveau individuel, comme une prise de contrôle sur sa propre destinée, ou au niveau collectif, comme une revendication de pouvoir politique. L’empowerment communautaire associe les deux approches. Julian Rappaport, professeur américain en psychologie sociale travaille la question de l’empowerment et en dégage deux caractéristiques essentielles : l’empowerment est universel car bénéfique à tous, particulièrement aux minorités, et ne peut s’exercer que dans des conditions de pouvoir partagé, c’est-à-dire si les individus ont un réel pouvoir d’action sur leur environnement (8). Pour l’auteur, la narration créée du sens, une histoire et une identité. Les histoires contées ont des influences réciproques entre les individus, les communautés et les organisations et ont un réel impact sur la construction de nos identités ainsi que sur nos comportements (9). Rappaport et Zimmerman (1988) décrivent l’empowerment comme la capacité des individus à acquérir du pouvoir socialement, politiquement, économiquement et psychologiquement, au travers de l’accès à l’information, à la connaissance et aux compétences, la prise de décision, l’efficacité personnelle, la participation communautaire et le contrôle perçu (10). L’empowerment est aussi étudié comme un marqueur de bien-être des individus, car il permet d’étudier à la fois les aspects subjectifs individuels et les conditions objectives collectives, nous y reviendrons plus tard dans notre exposé (11).

L’empowerment est repris au Québec, sous le terme d’appropriation du pouvoir (12). Il s’agit de la capacité pour une personne ou une communauté d’exercer un pouvoir c’est-à dire de choisir librement (donc en présence d’alternatives), de transformer son choix en une décision (donc avoir les moyens d’analyser les différentes options) et d’agir en fonction de sa décision (donc se responsabiliser et être prêt à assumer les conséquences de ses choix). Yann Le Bossé et Francine Dufort définissent l’empowerment comme « un processus caractérisé par l’exercice d’un plus grand contrôle sur l’atteinte d’objectifs importants pour une personne, une organisation ou une communauté » (13). Après une analyse approfondie de la littérature ils dégagent quatre composantes du concept d’empowerment (7) : tout d’abord l’empowerment recouvre des caractéristiques individuelles telles que le sentiment de compétence personnelle, la prise de conscience, la motivation à l’action, l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle. L’empowerment nait le plus souvent d’une crise individuelle ou collective vécue comme une menace. Ensuite l’empowerment nécessite la mise en action : le va-et-vient permanent entre la conscience critique et l’action est au cœur de ce concept, elles s’enrichissent mutuellement. L’empowerment ne se développe qu’en relation avec l’environnement, c’est en travaillant le contexte social que l’on peut réaliser une étude pertinente de l’empowerment. Enfin, l’empowerment est un processus c’est-à-dire un mouvement dynamique « par un jeu d’interaction continue, la pratique entraîne de nouveaux apprentissages qui eux-mêmes entraînent une prise de conscience et de nouvelles opportunités d’action, etc » (12). Le processus contient trois dimensions fondamentales : la conscience critique, l’action et la tension conflictuelle créatrice. La conscience critique se développe sous trois aspects : la conscience collective, par exemple je ne suis pas le seul malade avec ces difficultés, la conscience sociale, par exemple mes difficultés sont en partie liées à l’organisation du système de santé et la conscience politique, par exemple la solution passe par une refonte plus globale du système de soin.

Un concept de pédagogie active 

Paolo Freire nait au Brésil dans une famille de classe moyenne (14). En parallèle de ses études en droit, il lit de nombreux ouvrages de sciences humaines : de pédagogie, de philosophie, de sociologie. Il est marqué par la pensée marxiste (15). Son premier emploi dans l’aide sociale le met en contact avec des travailleurs pauvres et analphabètes ce qui fera germer dans son esprit sa dialectique sur la pédagogie des opprimés. Il développe par la suite un programme d’alphabétisation des paysans dans le nord-est du pays.(16) Son ouvrage « Pédagogie des opprimés» a été écrit au temps de la décolonisation, ce qui a largement influencé son écriture, et décrit les volontés de développement humain individuels (17). Pour l’auteur, la libération commence par un processus d’analyse de l’intériorisation de la colonisation. Ainsi il insiste sur la conscientisation, c’est-à-dire la prise de conscience par les individus des relations de pouvoirs dans lesquelles ils sont intriqués. Lors de la levée des rapports de domination, par exemple durant la décolonisation, ceux-ci restent présents au travers des institutions rigides et identiques, et le peuple reste sous influence, malgré l’abrogation officielle de la colonisation. Ces processus intériorisés de domination font que l’individu ne connait pas son potentiel, et ne croit pas à sa possibilité de changement, d’évolution, de progrès. La pédagogie des opprimés offre une littératie critique (18) qui permet de libérer l’individu des pressions subies. Freire développe deux mouvements constituant la pédagogie critique : le premier est de reconnaitre que l’oppression existe et analyser ses déterminants, le second est de reconnaitre que les individus peuvent s’en libérer par l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’action. Ainsi nous devons apprendre à identifier les mécanismes d’oppression qui nous gouvernent, qu’ils soient sociologiques, financiers, psychologiques ou autres, et lutter contre eux, car l’oppression nous déshumanise. Pour Freire « être humain c’est avoir le contrôle total sur ce que nous faisons, ce que nous pensons, ce que nous voulons devenir », c’est une question d’auto-détermination. On voit ici l’influence du marxisme, sur la lutte contre l’aliénation qui réduit l’humain. Freire créé par la suite un mouvement d’éducation populaire, basé sur l’ouvrage « conscientisation et révolution »(19). L’ouvrage se base sur une critique de la ‘banquing education’, forme de pédagogie consistant à délivrer une information aux élèves, alors bloqués dans une attitude passive, méthode qu’il considère comme non démocratique. Pour lui, « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. ». Le but des processus de conscientisation et de pédagogie est de transformer la réalité, au niveau individuel et collectif par la réflexion critique et la praxis, au sens aristotélicien du terme. La pédagogie selon Freire n’est pas une incitation à l’activisme et à la révolution, c’est une incitation au dialogue, et l’enseignant doit se montrer non directif. En effet, instaurer un dialogue directif ne serait qu’un dévoiement du concept, et nuirait à la libération de la conscience individuelle et collective. Ainsi « l’étude de la pensée du peuple ne doit pas être faite sans le peuple, mais avec lui, en tant que créateur de sa propre pensée » (15). Son œuvre aura une influence considérable sur les mouvements féministes sud-américains (22).

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CONTEXTE
CHAPITRE 1 : L’EMPOWERMENT
EMERGENCE DE L’EMPOWERMENT
UN CONCEPT DE PSYCHOLOGIE COMMUNAUTAIRE
UN CONCEPT DE PEDAGOGIE ACTIVE
UN CONCEPT ECONOMIQUE DE MESURE DE LA QUALITE DE VIE
EXISTE-T-IL UNE TRADUCTION EN FRANÇAIS DU TERME EMPOWERMENT ?
CHAPITRE 2 : LA VIEILLESSE
REPRESENTATIONS DE LA VIEILLESSE : L’APPROCHE SOCIALE NECESSAIRE A L’APPROCHE BIOMEDICALE
Représentations de la vieillesse
La retraite
THEORIES DE GERONTOLOGIE SOCIALE : DEPRISE, ACTIVITE ET DESENGAGEMENT
CONCLUSION
CHAPITRE 3 : L’EMPOWERMENT DU PATIENT
QU’EST-CE QUE L’EMPOWERMENT DU PATIENT ?
Patient expert
Promotion de la santé
Education thérapeutique
LES LIMITES DU CONCEPT D’EMPOWERMENT DU PATIENT
L’ONCOGERIATRIE
Une prise en charge globale et multidisciplinaire
L’empowerment en oncogériatrie ?
CREATION D’UN QUESTIONNAIRE D’EMPOWERMENT : L’EXEMPLE DU MIPPA (MESURE D’INDICES
PSYCHOSOCIOLOGIQUES DU POUVOIR D’AGIR)
DEUXIEME PARTIE : ETUDE EXPLORATOIRE DE L’EMPOWERMENT EN ONCOGERIATRIE
CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 2 : HYPOTHESES
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
OBJECTIF
MATERIEL
METHODOLOGIE
LIEU D’EXPERIMENTATION
MODALITE DE RECRUTEMENT DES PARTICIPANTS
INFORMATION ET CONSENTEMENT
MODALITES DE TRAITEMENT DE L’INFORMATION ET RESPECT DES DISPOSITIONS REGLEMENTAIRES
CHAPITRE 3 : RESULTATS
DESCRIPTION DE LA COHORTE
ANALYSE CATEGORIELLE
Les besoins des personnes âgées
Représentation de la maladie et des soins
Représentations de la vieillesse
ANALYSE THEMATIQUE
La relation médecin-malade
Représentation de la maladie
Représentations de la vieillesse
Les rapports de pouvoir
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
CHAPITRE 1 : DISCUSSION SUR L’EMPOWERMENT DU PATIENT
CHAPITRE 2 : DISCUSSION DE LA METHODOLOGIE
CHAPITRE 3 : DISCUSSION DES RESULTATS
Rapport à la maladie
Rapport à la vieillesse
CHAPITRE 4 : DISCUSSION SUR LE MIPPA ADAPTE AUX PERSONNES AGEES ATTEINTES D’UN CANCER
CONCLUSION

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