Être parti sans être arrivé : une lecture psychomotrice des parcours migratoires

DU PARCOURS MIGRATOIRE À L’EXIL 

« Comment part une personne ?
Pourquoi part-elle ? Vers où ?
Avec un désir que rien ne peut vaincre ni l’exil, ni l’enfermement, ni la mort. » (Des spectres hantent l’Europe : Lettre de Idomeni) .

Ces vers illustrent précisément le sujet que j’ai envie d’aborder dans cette partie : celui des parcours migratoires. Qu’est-ce qu’un parcours migratoire ? Dans quelles conditions devient-il une souffrance ? Qu’est-ce qui va être ébranlé dans le corps ? De cette manière, je vais poser le contexte de ce mémoire afin d’apporter un éclairage sur la situation des personnes que j’ai rencontrées lors de mon stage.

La migration

Un phénomène exposé 

Selon M.R. Moro, la migration est un « évènement sociologique qui s’inscrit dans un contexte politique et historique » (2010, p.23). En Europe, les principaux flux migratoires proviennent du Moyen-Orient, de la corne d’Afrique et d’Afrique occidentale. Aujourd’hui, le phénomène de migration est bien connu du grand public, notamment à travers les médias qui relayent sans cesse des images choquantes qui poussent à l’indignation. Elles représentent pour la plupart des traversées dramatiques de la Méditerranée, des camps d’accueil bondés, des enfants abandonnés : le chaos. En effet, ce qui importe n’est pas tant de montrer l’arrivée des migrants « en règle », qui arrivent avec un peu d’argent et de quoi prendre un nouveau départ, bien qu’ils soient confrontés de toutes évidence à d’autres problématiques tout aussi compliquées. Ceux qui nous intéressent arrivent clandestinement, souvent après avoir risqué leur vie dans des conditions très éloignées de notre réalité. (E. Dubuis, 2018). Ce sont eux qui font la une de l’actualité et que les organisations spécialisées mettent en avant. Ceci pour tenter d’accélérer les procédures d’acceptation des réfugiés et de débloquer des fonds pour proposer un meilleur accueil et une meilleure orientation .

Le début de la souffrance 

Depuis les années 2000 les acceptations des demandes d’asile ont drastiquement diminuées. L’Europe est passée de 85% d’acceptation dans les années 1990 à 15% aujourd’hui (M. Agier, 2011). Mais le problème reste le même. Les migrants ne peuvent pas retourner chez eux, c’est bien la raison pour laquelle ils ont entrepris le périple qui les a menés jusqu’aux portes européennes.

« La fin de l’asile est le mur brutal auquel se heurtent maintenant tous ceux qui, ayant connu des persécutions, menaces, guerres larvées, violences diffuses ou ciblées (régionales, sexuées, ethniques, politiques, etc.) auraient, aux yeux de la convention de Genève de 1951 , toute légitimité à demander et obtenir l’asile » (M.  Agier, 2011, p.41). La non-reconnaissance des droits, du moins les difficultés à faire valoir ces droits sont une première atteinte à la dignité des demandeurs d’asile.

L’attente 

Au sein du CHUM d’Ivry, j’ai beaucoup ressenti de la part des hébergés l’incompréhension de la lenteur des procédures, surtout de la part de ceux qui sont venus pour des motifs de soins. Je me rappelle de la mère de la famille Ahmed, venue seule avec ses six enfants depuis le Soudan dans l’espoir de pouvoir guérir ceux qui étaient malades. Trois d’entre eux sont vraisemblablement atteints d’une maladie dégénérative rare. Pour des raisons administratives, la famille est présente depuis deux ans dans le Centre, alors que la durée moyenne de passage s’élève à trois mois. Je ne peux que comprendre cette maman qui se plaint régulièrement de manière très vive et très désagréable au pôle Santé que les suivis médicaux n’avancent pas. Effectivement, le temps est long avant d’obtenir la Couverture Maladie Universelle et des consultations avec des médecins spécialisés dont les  prises de rendez-vous sont saturées. Pour moi, c’est justement parce que ce n’est du ressort de personne que le sentiment d’impuissance qui envahit cette maman se transforme en colère. La colère reste une émotion qui lui est propre et qui la place un tant soit peu dans une position d’acteur, autrement dit dans l’illusion de pouvoir orienter la situation, à défaut de la maîtriser. De la même manière, j’ai assisté à la lassitude des parents de Mimi, famille Bidoune arrivant du Koweit. Mimi est une  jeune femme de 30 ans, probablement atteinte d’une maladie dégénérative non diagnostiquée qui semble toucher les muscles. Arrivés dans le Centre depuis plusieurs mois, ils réclament des rendez-vous avec des médecins spécialistes qui pourront aider leur fille. Prendre le temps d’expliquer les parcours de soins et les différents processus administratifs qui permettent d’accéder à des suivis et des accompagnements est primordial.

Être immobilisé 

Mais d’une certaine manière, c’est une confrontation impossible entre des intérêts personnels et l’organisation logique d’une administration qui doit gérer des centaines d’autres demandes, toutes aussi légitimes. Pourtant, quand on a tout quitté et tout risqué dans le seul but de venir guérir quelqu’un qui nous est cher, devoir patienter suscite des incompréhensions. « Patienter, donc souffrir », commentaient G. Didi-Huberman et N. Giannari (2017, p.65). Le jour où Mimi s’est évanouie dans leur rue, ses parents ont débarqué au pôle Santé dans une colère sans nom, expliquant qu’ils voyaient mourir leur fille sous leurs yeux sans avoir la moindre possibilité de réagir. Se sentir incapable et devoir se résigner sont des émotions fortes, et « l’image du corps est la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles » (P. Scialom, 2015, p.226). Pour ce père de famille, membre de la résistance au Koweit, individu engagé donc, c’est presque devoir renier sa propre personnalité, ce qui viendrait alors s’inscrire profondément dans le corps et dans son image. À cela vient s’ajouter de devoir s’adapter à un espace et une temporalité inscrits dans une culture qui n’est pas la sienne.

Dans ce vaste temps de l’attente et des incertitudes, seul le désir reste un repère figé. Ce désir, dont parle N. Giannari dans son poème, n’est autre que celui d’avancer, ce que j’interprète par conséquent comme celui de vivre. Pour avancer, aller de l’avant, il faut être en mesure de se déplacer. Mais une fois arrivé en Europe, le rythme du trajet ralentit. Il faut attendre, et H. Arendt pose les mots justes sur cette situation : « Ce qu’ils perdent, ce n’est pas le droit à la liberté, mais le droit d’agir ». (1951, p.98). C’est cette inaction qui devient insupportable.

L’exil 

Un départ 

Chaque personne a des raisons différentes pour lesquelles elle décide de migrer. Que ce soit pour des motifs politiques, des raisons économiques ou écologiques, une volonté de liberté individuelle ou d’aventure, la migration est un acte humain, complexe, et courageux, qui va changer la vie de l’individu. De la même façon, il existe plusieurs types de voyage. Qu’il se fasse seul ou accompagné, forcé ou plein d’espoir, d’un continent à l’autre ou bien entre deux villages, il reste un acte qui va venir modifier tout le fonctionnement psychique de l’individu en même temps qu’il modifie son environnement. (M.R. Moro, 2010).

Un parcours migratoire 

Les parcours migratoires sont des processus englobant l’avant, le pendant et l’après. L’avant représente les raisons, toutes les réflexions qui ont traversées l’individu, ou alors simplement la pulsion qui l’a mené au départ. C’est aussi le commencement du voyage, les conditions psychologiques et corporelles qui imprègnent le sujet. Le pendant correspond à tout l’entre-deux qui situe le début et la fin du voyage, ce qui pourrait le plus s’apparenter à un parcours, dans le sens où c’est la distance parcourue entre deux points. Enfin, il y a l’après. L’après peut s’entendre de deux façons. La première commence à partir de l’arrivée en tant que telle, d’un point de vue géographique. La deuxième, et c’est celle que je souhaite associer ici à la notion d’ « après », définit ce moment précis où l’individu est libéré de ce poids de l’apatridie. L’état lui donne enfin le droit de rester, de s’installer : il est « régularisé » officiellement. L’après concerne alors « l’atterrissage », la décompression, la baisse de tension après un effort qui nous a demandé beaucoup d’énergie. C’est le moment où le sujet se retrouve face à lui-même, la re-connexion avec ce corps souvent mis en veille. Pour illustrer ce propos, je pense notamment à ce récit de témoignages que j’ai lu, Premiers jours en France, paru en 2005. F. Haroud y interroge ceux de son entourage, proche ou quotidien, qui ont eu un premier jour en France autre que celui de leur naissance. Lui-même immigré, il souhaitait incarner ce moment charnière qu’est un premier jour. En lisant cet ouvrage, j’ai pris conscience de la diversité des parcours migratoires, et cela m’a rappelé qu’il n’existe pas que des tragiques chemins clandestins, autant que « l’exil n’équivaut pas tout le temps à la souffrance » (2011, p.29).

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Table des matières

INTRODUCTION
I. DU PARCOURS MIGRATOIRE À L’EXIL
1. La migration
1a. Un phénomène exposé
1b. Le début de la souffrance
1c. L’attente
1d. Être immobilisé
2. L’exil
2a. Un départ
2b. Un parcours migratoire
2c. La désillusion
2d. Un espace de transition
3. Les difficultés rencontrées
3a. Les traumatismes
3b. La perte des repères
3c. La culture du vide
4. Les enfants du parcours migratoire
4a. Une période particulière
4b.Des difficultés pour être sécure
4c. Hypothèses pour Kingsley
5. Conclusion
II. L’ESPACE ET LE TEMPS : DÉFAILLANCES
1. L’errance
1a. Définitions
1b. Emmanuel
1c. Les facteurs de l’errance
2. L’espace
2a. Définitions
2b. Emmanuel et Samuel
2c.L’importance de l’ancrage spatio-temporel
3. Le temps
3a. Définitions
3b. L’importance du rythme
3c. Kadidia et Assitan
4. L’auto-exclusion
4a. Définitions
4b. La famille Ahmed
4c. L’illusion du choix
4d. Un moyen de se protéger
5. Conclusion
III. LE CORPS ET SES REPRÉSENTATIONS
1. Le corps
1a. Un moyen d’intégration, d’expression et d’action sur le milieu
1b. La pluralité des corps
1c. Ange
2. Les représentations du corps
2a. Définitions et réflexions
2b. La construction des représentations
2c. Ruba
2d. Le Moi-peau
3. L’image du corps et le schéma corporel
3a. Des idées divergentes
3b. Du point de vue de la psychomotricité
3c. L’image composite du corps
4. Le désinvestissement corporel
4a. Une stratégie inconsciente ?
4b. Mimi
5. Conclusion
IV. IDENTITÉ ET PERSPECTIVES D’ACCOMPAGNEMENT
1. L’identité psychocorporelle
1a. L’importance de la sensorialité et de la motricité
1b. L’importance des relations et du dialogue tonico-émotionnel
1c. L’importance de la subjectivité
2. Des facteurs identitaires
2a. La langue
2b. Le sentiment identitaire
3c. Les traumatismes et la résilience
3. Perspectives d’accompagnement
3a. Réflexions
3b. L’éveil psychomoteur
3c. Le groupe de danse et d’expressivité
4. Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE

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