Ethnographie du proche : « Les Français en vacances » (1977)

De la performance au reportage

Pour comprendre la singularité de la position de François Hers dans le milieu photographique français, il est nécessaire de montrer que, contrairement à la plupart des photographes qui, à partir de la fin des années 1970, revendiquent le statut d’auteur, de manière à affirmer leur place dans la hiérarchie culturelle, la photographie ne constitue pas initialement son champ d’action privilégié. Après des études d’architecture avortées, François Hers s’est surtout illustré par des performances, dans lesquelles la photographie entre en jeu, mais où ce qui importe n’est pas tant l’image photographique résultante, mais plutôt la forme que prend la relation entre le photographe-performer et son sujet. En soulignant cet aspect, on relève du même coup l’importance que revêt pour Hers le concept d’avant-garde et la nécessité de situer son oeuvre non seulement par rapport à une histoire de la photographie, mais par rapport à une histoire de l’art élargie, prenant en compte les révolutions introduites par Dada, Fluxus et le happening.
Après avoir pratiqué pendant plusieurs années le métier de photographe en Belgique, répondant à des commandes diverses, François Hers déménage à Paris en 1968 avec pour projet de vivre du reportage. Ce passage de la performance artistique, pratiquée en parallèle à son métier de photographe, vers l’économie du photojournalisme découle de la structure même du champ photographique de l’époque. À quelques rares exceptions, la photographie n’est en effet pas encore reconnue comme un art à part entière en Europe. En l’absence de galeries et de collections publiques consacrées à la photographie artistique, le principal modèle économique viable pour les photographes est celui de la presse. La Belgique offre peu de perspectives dans ce domaine, tandis que Paris est alors le principal centre européen du photojournalisme : on y trouve les sièges des agences les plus importantes comme Gamma, Sipa ou Sygma. L’agence Magnum constitue l’un des autres grands modèles. Elle dispose d’un bureau à Paris et l’on trouve en son sein beaucoup de photographes français. Bien qu’elle constitue une sorte d’élite du reportage d’auteur, accessible uniquement par cooptation, le prestige dont elle jouit peut expliquer le choix de François Hers de venir à Paris pour s’établir comme photoreporter.
En 1972, Hers intègre l’agence Viva. Conçue comme une coopérative d’auteurs, mais fonctionnant sur le modèle économique de l’agence (puisqu’en effet le marché des tirages et des livres de photographes restait balbutiant), elle constitue un jalon majeur dans l’histoire du photojournalisme en France. Viva représente en quelque sorte une alternative à la fois aux agences qui dominent le marché français (Gamma, Sygma) et au modèle de Magnum, dans la mesure où elle propose une photographie indépendante des impératifs d’actualité et plutôt orientée vers des thèmes de société.
Enfin, une analyse du rôle que joue la vue d’architecture chez Hers permettra de mettre en lumière la manière dont s’articule pour lui commande et création, photographie appliquée et photographie artistique.

Vocation d’artiste, métier de photographe

Le choix d’une profession artistique fait figure chez François Hers de véritable vocation. D’une certaine manière, pour lui, le statut d’artiste préexiste au choix de la forme ou mode d’expression artistique. Issu d’un milieu aisé et cultivé, il eut l’occasion de développer très jeune une riche culture artistique, qui constitue la base à la fois de sa pratique ultérieure et de ses élaborations théoriques. Cette culture artistique cohabite chez lui avec le choix, manifeste dès le début des années 1960, de vivre de la photographie. Il interrompt ses études d’architecture en 1961 pour devenir photographe professionnel, répondant à des commandes dans de multiples domaines. Certains aspects de ces travaux de commande ne seront pas sans influence sur son évolution artistique ultérieure.

Culture artistique, culture photographique

Né en 1943 dans une famille de diplomates belges, François Hers bénéficia d’une éducation privilégiée qui le mit d’emblée en contact avec l’art moderne. Il passe son enfance et son adolescence dans l’une des réalisations majeures du modernisme architectural belge : la « Nouvelle Maison » (1927- 1928), résidence privée de l’architecte Henry Van de Velde à Tervuren, près de Bruxelles. La maison comprenait, en outre, du mobilier moderne, notamment des meubles d’Alvar Aalto, acquis par son père dans les années 1930. Cette situation privilégiée explique le fait que, selon Hers lui -même28, la modernité n’ait jamais été pour lui quelque chose à conquérir : elle s’est présentée d’emblée comme le fond culturel sur lequel son oeuvre restait à bâtir.
De plus, Henry Van de Velde avait laissé sur place toutes ses archives, constituées de revues d’avant-garde internationales du début du XXe siècle.
C’est ainsi que François Hers put se familiariser à toute l’histoire de l’art moderne depuis le XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les textes d’Henry Van de Velde lui-même exercèrent aussi une influence non négligeable sur Hers. Socialiste et partisan du fonctionnalisme, Henry Van de Velde défend l’idée d’un art social, fondé sur la « corrélation absolue entre l’évolution de l’art
et celle de la société »30. En Belgique, il se fit l’écho des thèses de John Ruskin et William Morris, notamment à travers une conférence qu’il donne en 1898 à la Maison du Peuple de Bruxelles intitulée « William Morris, artisan et socialiste. »
Outre cet héritage moderniste, socialiste et fonctionnaliste, l’intérêt pour l’art moderne chez François Hers émerge à un moment où la redécouverte de l’héritage dadaïste vient répondre à aux derniers développements de la peinture abstraite. Hers s’essaye à la peinture, sous l’influence de Jackson Pollock 32, mais c’est plus fondamentalement la découverte de John Cage et la redécouverte de Duchamp et Dada qui vont alors jouer un rôle central pour pouvoir penser l’oeuvre d’art comme processus et comme performance.
De plus, la Belgique est alors plutôt tournée vers les États-Unis que vers la France, d’un point de vue à la fois économique et culturel. C’est à la bibliothèque du centre culturel américain de Bruxelles que François Hers découvre l’oeuvre de John Cage, qui fournira le modèle intellectuel permettant de penser l’oeuvre d’art comme processus et comme performance. Du point de vue artistique, Bruxelles se trouve au centre du mouvement d’échanges qui contribue à fonder une nouvelle géographie de l’art européen : un artiste belge comme Marcel Broodthaers dialogue avec la scène de Düsseldorf, où s’épanouit au même moment le mouvement Fluxus, tandis qu’à Amsterdam, le Stedelijk Museum fait figure de pionnier en introduisant au musée les formes les plus actuelles de l’art contemporain. Hers, cependant, distinguait assez nettement cul ture artistique et culture artistique, conçues comme appartenant à deux histoires distinctes : « Je faisais deux parts : ma culture artistique et la photographie. La culture, c’était un mélange de rationalisme et de mysticisme : en vrac, la peinture abstraite, l’architecture moderne, le Bauhaus, saint François d’Assise, Mondrian, Kandinsky, John Cage, Mingus, Diderot… Toutes ces connaissances, je les ai mises de côté, plutôt que rejetées car, en fait, je crois que l’absence de culture des photographes les empêche de savoir ce qu’ils font, de le situer dans un contexte plus large. Je ne nie pas du tout l’apprentissage que j’ai pu avoir de l’art moderne, mais c’est un fait que j’ai écarté tout cet apprentissage, quand j’ai eu dix – huit ans… »
Son intérêt pour la photographie se développe donc de manière parallèle à cet horizon de références artistiques, au contact de magazines illustrés américains et de revues destinées aux photographes amateurs. Son père était en effet abonné à la plupart des grands magazines illustrés internationaux, parmi lesquels Life, Time, Look, Newsweek et Fortune. Par ce biais, François Hers put découvrir le travail de photographes américains comme William Eugene Smith et surtout Walker Evans, qui collabore au magazine Fortune.
D’un point de vue technique, Hers se forma grâce à des manuels34, mais aussi à des revues comme Popular Photography, une revue américaine destinée aux amateurs qui était alors, en Belgique, la principale publication disponible pour apprendre la photographie35. C’est donc dans ce contact avec la grande presse illustrée qu’il faut chercher l’origine de la vocation de Hers pour le photojournalisme. Outre William Eugene Smith et Walker Evans, c’est la figure de Robert Frank qui constitue pour lui l’un des grands modèles à suivre.
Photographe de l’errance, pratiquant une photographie qui s’inscrit à la fois dans la lignée d’un certain reportage et dans une recherche plus subjective, il restera l’un des références majeures pour Hers à la fois pour son oeuvre majeure, Les Américains (1958), mais aussi pour une publication au ton plus autobiographique, The Lines of my Hand (1972)37, qui inspirera la conception de Récit.
La prose qui accompagne le livre de Frank, autobiographique et très littéraire dans le ton, nous i ncite à souligner du même coup l’importance de la culture littéraire pour François Hers : « ’ q m’ v f
comprendre les images que je devais faire.38 ». De plus, la compagne de François Hers, Sophie Ristelhueber, a étudié la lit térature à la Sorbonne, en particulier l’oeuvre d’Alain Robbe-Grillet. C’est avec le projet de réaliser un livre associant texte littéraire et photographies que Hers invite Ristelhueber à collaborer avec lui pour Intérieurs. Elle n’écrira finalement pas le texte prévu, mais cela marque le début de sa pratique photographique.
La référence littéraire joue sur plusieurs niveaux chez Hers. Dans Récit, elle participe de la dimension épique et mythique que Hers et Chevrier cherchent à donner à l’ensemble. Le livre s’ouvre et se termine sur des citations de Moby Dick d’Herman Melville39 et le texte est parsemé de références à La Quête du Graal de Chrétien de Troyes40. Récits initiatiques dans les deux cas, ces oeuvres participent d’une mythologie de la dérive, présen tant le photographe comme le
héros de sa propre histoire. Dans Intérieurs au contraire, aucune référence littéraire explicite, mais une éthique de la description qui rejoint tient à la fois de la relecture de Flaubert par Walker Evans et James Agee41, et de la poésie « objective » du Nouveau Roman.

Le métier de photographe

Avant de s’illustrer par des « actions » ou « performances » photographiques à la fin des années 1960, François Hers a exercé le métier de photographe professionnel, mettant ses aptitudes techniques au profit de différents champs de la photographie dite appliquée : photographie de mariage, photographie de publicité. De cette période subsistent peu d’images, mais il peut être pertinent de relier les différents aspects du métier de photographe, pratiqué par Hers, à ses propositions artistiques ultérieures.
Au début des années 1960, François Hers devient l’assistant d’un photographe dénommé Otton, qui fonda un studio itinérant sous le nom de « Consortium photographique ». Ils répondaient alors à des commandes locales, réalisant des photographies de mariage et des albums. Au début, Hers s’occupait principalement des tirages. Il insiste à plusieurs reprises, lorsqu’il commente son parcours, sur l’importance qu’a eue pour lui la pratique du tirage grand format :
« Un jour, le propriétaire du « Juan », un dancing gigantesque pour les sorties du week -end, nous a passé commande pour des tirages eux aussi gigantesques. […] En tout cas, c’est l’origine de mon intérêt pour les grands tirages. Pour moi, c’est en somme tout à fait naturel d’agrandir une photo pour la mettre au mur, et je n’ai pas peur du mauvais goût. […] Enfin, vers vingt-et-un-ans, par les relations de mon père, j’ai reçu une commande fabuleuse de l’office du Commerce extérieur. Là encore, il fallut des grandes photos : six mètres de haut. »43 Si Hers évoque volontiers, de manière rétrospective, l’utilisation du grand tirage dans un cadre strictement utilitaire, c’est que la question du format d’exposition pour la photographie t rouvera une nouvelle actualité à partir de la fin des années 1970, lorsque Hers est invité pour la première fois à exposer dans un musée. Cette prédilection pour le grand format, y compris avec ses connotations vulgaires (« je n’ai pas peur du mauvais goût »), oppose très clairement la démarche de Hers à ce que l’on peut identifier comme la « photographie créative »44, défendue par Jean-Claude Lemagny à la Bibliothèque nationale de France dans les années 1980, fondant la légitimité artistique de la photographie sur le modèle de l’estampe.
Par la suite, François Hers pratiqua également pendant quatre ans la photographie publicitaire, ce qui donne lieu chez lui à une véritable torsion idéologique. Ce passage par la publicité s’explique notamment par l’absence d’autres débouchés notables pour les photographes, dans un contexte belge peu favorable au reportage d’auteur46. Rétrospectivement, cependant, le fait d’oeuvrer dans le champ de la photographie publicitaire offre à François Hers l’opportunité d’une réflexion sur la commande, en même temps que se dessine chez lui un positionnement qui l’inscrit dans la tradition de la critique des médias. En effet, le mode opératoire de la photographie publicitaire, qui suppose que le photographe réponde à un cahier des charges bien déterminé en fonction du message que l’on souhaite transmettre, rejoint a posteriori le credo de Hers pour une économie de la demande :
« Ce que j’aimais c’est la démarche : qu’est -ce qu’on veut dire ? […] Comment le dire de la manière la plus pertinente possible ? Ça c’est un exercice que j’ai trouvé vraiment bien, qui n’était pas du tout naïf. On était à mille lieux des discours sur l’art, sur la beauté du geste, la spontanéité, l’authenticité… Qu’est -ce qu’on n’a pas utilisé ce mot « authenticité » à l’époque ! Il fallait être « authentique ». Je détestais, tout autant que la publicité, la naïveté des artistes. […] Et ce que j’aimais bien dans la publicité, même si je détestais la finalité, c’était la manière de procéder : tu es vraiment obligé de te dire « est-ce que ce que j’ai fait est juste ou pas ? » par rapport à ce que je veux dire. »
Fonctionnelle, utilitaire et considérée comme vulgaire – y compris par Hers lui-même – la photographie publicitaire constitue surtout pour le photographe un moyen de subvenir à ses besoins, tout en développant en parallèle un questionnement plus critique. Ce passage par la publicité est d’autant plus remarquable que tout au long de sa carrière, François Hers n’aura de cesse de 45 « … ce travail me révoltait. Ce n’était pas ce que je voyais ; mais ce que je voyais, je ne savais comment le montrer. Je faisais de la publicité pour gagner ma vie, mais je ne faisais pas de photos pour moi le dimanche : ç’aurait été à mes yeux une mutilation insupportable… » Récit, p.18. s’opposer aux représentations dominantes, qu’elles soient issues de la presse ou de la publicité, considérées comme idéalisées ou naïves. Ainsi le reportage collectif qu’il conçoit pour le groupe Viva en 1973, « Familles en France » se veut une réponse à l’image idéalisée de la famil le transmise par les magazines de l’époque. De même, les ambitions de la Mission photographique de la DATAR (1983-1989) se fondent sur une opposition à l’imaginaire touristique et traditionaliste du paysage.

La photographie comme modèle d’action

À partir de 1966, parallèlement à son activité de photographe professionnel, François Hers met en oeuvre une série de performances destinées à interroger la nature de l’acte photographique et la relation entre le photographe et le modèle. Le statut de ces happenings reste cependant quelque peu ambigu : prenant la forme d’ateliers (workshops) dans des écoles d’art, d’interventions dans le monde de l’entreprise ou encore à l’usine, ces « actions » sont volontiers relues par François Hers, rétrospectivement, comme la mise en oeuvre d’un questionnement sur la relation entre l’artiste et la société.
Dans la lignée d’un certain art politique, certaines de ces interventions peuvent aujourd’hui être vues comme une forme d’agit-prop, d’autant plus que Hers récusait à l’époque le qualificatif d’artistique pour ces travaux : « À l’époque on disait  »happening », maintenant on dirait  »action »,  »performance ». En réalité, je ne situais pas ce travail dans l’art, sinon pour obtenir un certain effet. Dans mon esprit, il n’y avait pas de référence à l’art. Je suivais seulement une éthique de la photographie, sans y avoir vraiment réfléchi comme je le fais maintenant, rétrospectivement.»53
Ce mode d’intervention a pu être inspiré à François Hers non seulement par John Cage et le mouvement Fluxus, qui inventent un modèle de l’oeuvre comme « partition » destinée à être activée54, mais aussi par certains mouvements plus politisés qui annoncent, par bien des aspects, les revendications de Mai 1968 en France. Aux Pays-Bas, Hers a assisté à certaines actions du groupe Provo.
Entre 1965 et 1967, ce mouvement de tendance anarchiste et libertaire se fait remarquer par ses happenings d’agit -prop écologistes et anti -militaristes. Dans la lignée des Situationnistes, le groupe témoigne d’une prise de distance par rapport à l’orthodoxie marxiste55. Leurs axes de contestation (guerre du Vietnam, écologie, liberté sexuelle) les rapprochent plus nettement du mouvement hippie et de la contestation estudiantine américaine.
Le ton des performances de Hers est certes moins libertaire et moins manifestement politique, mais il est clair que le questionnement qu’elles mettent en jeu touche aux relations de pouvoir, en particulier dans sa manière de mettre à bas l’autorité surplombante du photographe. En 1967, Hers est invité par le patron d’une usine à réaliser une fresque photographique pour la cantine des ouvriers57. Mal à l’aise par rapport aux attentes du commanditaire, qui conçoit l’ensemble comme une fresque à la gloire de la modernité industrielle, Hers retourne la situation et décide de ne réaliser lui -même aucune photographie. Il organise un concours, en demandant aux ouvriers d’apporter leurs propres photographies, tirées de leurs albums de familles. L’ensemble doit illustrer tout le parcours d’une vie, de la naissanc e jusqu’à la mort. Le concours donna donc lieu à une sélection, faite par les ouvriers eux-mêmes, à partir de laquelle Hers réalisa des agrandissements pour composer sa fresque. Le tout s’organisait en dix sections, correspondant à autant d’étapes de la vie : la naissance, la communion, l’enfance, le service militaire, le mariage, le travail, les loisirs, la vie de famille, la retraite, la mort 58. Malheureusement il ne reste aucune trace de cette installation et l’usine en question est aujourd’hui détruite. Il s’agit là de la première intervention artistique de François Hers et il remarquable que, tout en ayant été engagé pour son travail de photographe, il décide ne pas réaliser lui – même les photographies pour, au contraire, faire oeuvre en quelque sorte par délégation. S’il y a donc bien une « éthique de la photographie » manifeste dans ses performances, elle consiste à affirmer que le sujet est lui -même partie prenante de l’acte de représentation, l’oeuvre étant alors le produit de cette collaboration, plutôt que de la vision unificatrice d’un artiste -photographe.
En 1970, Hers est invité pour un atelier de photographie dans une école d’art à Bruxelles. Le parti qu’il adopte va ici aussi à l’encontre de ce que l’on pouvait attendre d’un cours de photographie :
« Quand j’ai vu les professeurs, j’ai compris ce qu’ils voulaient que j’enseigne.  »Monsieur Hers, comment photographiez-vous une tasse blanche sur fond noir ? » J’ai entrepris tout autre chose, j’ai proposé que l’on traite du rapport du photographe au photographié. J’ai monopolisé une grande pièce, je l’ai vidée et éclairée, j’ai déposé sur une table mes appareils, préréglés pour qu’il n’y ait justement aucun problème technique, et j’ai dit aux étudiants :  »Mettez-vous devant ou derrière la camera. » Très vite, cela tournait au psychodrame. Il y eut cinq séances, et après chacune les élèves devaient raconter ce qu’ils av aient ressenti ou compris, et moi, je restais auditeur, ce qui a beaucoup gêné. […] De ma part, c’était le refus d’être  »le photographe ». »

Engagement au sein de l’agence Viva (1972 – 1976)

En 1968, après les événements de mai, François Hers déménage à Paris avec pour projet de faire carrière dans le photojournalisme. Paris est alors la capitale européenne dans le domaine. Les principales agences y sont leur siège et des magazines comme Paris Match constituent un débouché important pour les photoreporters. Après quelques années, il va participer à la création du groupe Viva en 1972, fondé par des anciens de l’agence Vu, qui avait été créée par Pierre de Fenoÿl en 1970. Viva s’inspire en partie de Magnum dans son fonctionnement, puisqu’il s’agit d’une coopérative, mais s’en démarque par le choix des sujets et l’engagement politique de ses photographes 67. Les membres de Viva développent sur quelques années un « style » qui fera école : le reportage d’auteur fondé sur une investigation du quotidien, plutôt que sur les grands faits d’actualité. « ça se passe ici, pas au Vietnam », tel sera leur slogan, une manière de d’affirmer que le quotidien constitue un terrain de conflits politiques en soi, dont la photographie peut témoigner tout autant que de l’actualité en tant que telle.
Leur spécificité se fonde aussi sur une certaine méfiance vis-à-vis de la presse, affirmant de leur côté le statut d’auteur pour les photographes, sur le modèle du cinéma. Cette revendication d’autonomie, mêlée à leur ancrage à gauche, conduira finalement à un échec commercial et à la fin de l’agence.
Plusieurs photographes quittent Viva en 1976 et certains rejoignent l’agence Magnum (Richard Kalvar, Guy Le Querrec, Martine Franck).
En tant qu’initiateur de « Familles en France », le reportage collectif faisant office de manifeste pour Viva, François Hers occupe une position centrale dans le groupe. Sa posture intellectuelle le situe en quelque sorte comme théoricien, alors même que d’autres auteurs comme Claude Raymond -Dityvon ou Guy Le Querrec auront sans doute plus d’influence d’un point de vue strictement photographique. De plus, François Hers est celui qui, parmi les anciens de Viva, marquera le plus fermement sa prise de distance avec le reportage. Chez lui, la revendication du statut d’auteur et le choix d’un reportage distancié préfigure le basculement qui s’opère en direction de l’art contemporain, au tournant des années 1970.

Les premiers reportages : documentaire social et expressionnisme gestuel

Avant d’intégrer Viva, François Hers réalise plusieurs reportages à son compte qui témoignent de son engagement pour le documentaire social. Ces reportages n’ont jamais été publiés intégralement, notamment parce que Hers a privilégié leur présentation sous forme de projections en couleur. Certaines images, cependant, sont reprises dans Récit en noir et blanc [fig.4].
Dans ces reportages réalisés en dehors de toute commande spécifique et non-publiés dans la presse, le propos social se double d’une recherche d’ordre plastique, qui s’apparente en quelque sorte à un « expressionnisme des gestes ». Celui-ci s’appuie en effet sur la croyance en une sorte de langage muet, gestuel, dont la photographie pourrait rendre compte mieux que tout autre médium. Nous sommes donc, en définitive, assez loin des principes qui fondent le photojournalisme, dans lequel le sens attribué aux images reste dépendant du contexte éditorial et du propos journalistique (textes, légendes). Pour Hers donc, les gestes parlent, ce dont le reportage est à même de rendre compte. Cette conviction fonde pour lui la nécessité anthropologique du reportage, compris comme une « étude des comportements humains ».

Viva : une coopérative d’auteurs

C’est donc sur la base de ces premiers travaux que François Hers participe à la fondation de l’agence Viva en 1972. Hers vivait alors en colocation avec Harry Gruyaert et Hervé Gloaguen. Ce dernier faisait partie de l’agence Vu, créée en 1969 par Pierre de Fenoÿl, et à laquelle appartenaient également Alain Dagbert, Claude Raymond-Dityvon, Martine Franck, Richard Kalvar et Guy Le Querrec : tous futurs membres de Viva. En effet, c’est au moment de la fermeture de l’agence Vu en 1971 79 que les six photographes décident de fonder leur propre agence sur le modèle de la coopérative. Gloaguen propose alors à ses deux colocataires de rejoindre le groupe : Hers accepte, Gruyaert décline la proposition.
Fondée par des photographes désireux d’affirmer l’autonomie du photoreportage par rapport à l’information journalistique, Viva fait figure d’exception dans le paysage photographique français. Mis à part Hers, tous ses membres vivent déjà du reportage, mais ils sont pour la plupart jeunes et relativement peu connus. Leur regroupement au sein de la coopérative contribue à leur donner plus de visibilité et à affirmer leurs parti s pris collectifs.
Le texte collectif publié par Viva dans Reporter Objectif en 1973, à l’occasion de la publication de « Familles en France », fait figure de manifeste :
« Notre propos consiste à aller au-delà de l’image fabriquée que v eut imposer, à l’aide de notre art, l’idéologie d’un système économique et politique. Nous refusons ici ce rôle de fabricant de preuves, notre démarche est celle de la recherche. La photographie est un de ces moyens importants par lesquels notre société perçoit les autres et se conçoit elle-même, dès lors, notre responsabilité et notre vigilance sont engagées. Reporters photographes, nous souhaitons que notre travail soit un point de départ précis à une réflexion qu’il appartient à chacun de faire. Et notre seule force est la poésie. »

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Table des matières

Avant-propos
Introduction 
I – De la performance au reportage 
1 – Vocation d’artiste, métier de photographe
1.1. Culture artistique, culture photographique
1.2. Le métier de photographe
1.3. La photographie comme modèle d’action
2 – Engagement au sein de l’agence Viva (1972 – 1976)
2.1. Les premiers reportages : documentaire social et expressionnisme gestuel
2.2. Viva : une coopérative d’auteurs
2.3. Investigations du quotidien : Familles en France (1973)
2.4. Le terrain politique
3 – Esthétique architecturale
3.1. Culture architecturale
3.2. Photographier l’oeuvre de Charles Vandenhove
II – Émergence d’un auteur-photographe
1 – Reportage distancié et fiction autobiographique
1.1. La photographie et le livre : Récit (1983)
1.2. « Paris – Une photo par jour » dans Libération (1982)
2 – Photographie-contact
2.1. Au contact du « corps social »
2.2. « Hommage à Gordon Matta-Clark » (1980)
2.3. Mettre en contact l’art et la vie : « Chambre d’amis » (1986)
3 – Critiques du reportage, photographie exposée
3.1. « Le reportage est fini pour la photographie. »
3.2. La photographie exposée
III – Photographie documentaire et art contemporain
1 – Pratiques de l’enquête
1.1. Les lieux du crime : reportages avec la police
1.2. Archives et constat photographique
1.3. Ethnographie du proche : « Les Français en vacances » (1977)
2 – Intérieurs (1981) : sociologie visuelle ou tableaux photographiques ?
2.1. Prise de vue protocolaire, une forme de sociologie visuelle ?
2.2. « Arrangements inconscients » : style documentaire et culture populaire
2.3. Le devenir-pictural des Intérieurs
2.4. Réception et fortune critique : la couleur, le documentaire et le tableau
3 – La Mission photographique de la DATAR : repenser une culture du paysage
3.1. Renouveau du paysage.
3.2. Légitimation artistique et tradition documentaire
3.3. Le vide et le plein : photographies de François Hers pour la Mission photographique de la DATAR
Conclusion 
Bibliographie 

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