Éthique et conduite humaine

Éthique et conduite humaine

LE PRAGMATISME

L’étymologie du mot « pragmatisme » renvoie au mot grec « pragma » qui signifie « action ». Le Lalande en fait remonter l’origine jusqu’à Polybe qui l’utilisait dans une expression désignant une « histoire instructive, destinée à diriger la conduite»28. Ainsi, dès ses plus lointaines origines le pragmatisme avait une portée pratique étroitement associée à l’éthique. Pour le Petit Robert, le pragmatisme est une « doctrine selon laquelle l’idée que nous avons d’un phénomène, d’un objet n’est que la somme des idées que nous pouvons avoir au sujet des conséquences pratiques de ce phénomène, des actions possibles sur cet objet. »29 Il imprègne un courant de pensée s’exprimant de façons très diversifiées, en ce sens il n’a rien d’une doctrine rigide et dogmatique. Malgré cela, il repose sur une inspiration commune que l’on peut attribuer aux idées exprimées par Charles Sanders Peirce à la fin du XIXe siècle. Plusieurs noms s’inscriront dans le sillon de ce courant, en illustrant ainsi aussi bien la diversité que la vitalité.

Les plus connus d’entre eux sont William James et John Dewey. L’idée première de ce mouvement s’exprime à travers la formulation qu’en donna Peirce dans Comment rendre nos idées claires : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet. »30 Peirce a développé cette idée entre 1865 et 1872 et l’a exposée aux membres du Metaphysical Club31 de Cambridge dont faisait partie William James. Il s’est inspiré de Kant qui établissait « une distinction célèbre entre les lois de l’Éthique, qui sont a priori, et les lois de la technique et de l’art, fondées sur l’expérience avec un but précis. »32 En privilégiant l’expérience concrète plutôt que des lois a priori, le pragmatisme de Peirce sera «l’approche spécifique que réclame l’être humain du point de vue de son appartenance au monde»33.

C’est William James qui fera vraiment connaître l’approche pragmatiste dans son ouvrage de 1907 intitulé Pragmatism34. Il utilisera cependant des termes qui purent la discréditer au point d’en faire aujourd’hui encore un courant de pensée fort mal connu. En associant directement la vérité à des notions comme le succès, l’intérêt ou la satisfaction, James a contribué à une levée de boucliers chez tous ceux qui défendaient la conception plus classique d’une vérité-adéquation. Pour sa part, insatisfait de l’interprétation qu’en faisait James, Peirce préféra par la suite utiliser le terme de « pragmaticisme ». De son côté, Dewey ne découvrit Peirce qu’en 1904, en lisant un article de James paru dans The Journal of Philosophy. Cependant, dès 1903 dans Studies in Logical Theory, il avait jeté les bases d’un instrumentalisme qui inscrit d’emblée sa pensée dans une perspective pragmatique. C’est seulement plusieurs années plus tard que Dewey acceptera de voir en Peirce un « maître » et un « précurseur »35. Si on considère plus spécifiquement l’éthique, le pragmatisme a ouvert des perspectives extrêmement intéressantes qui permettent de dépasser les querelles théoriques stériles qui opposent depuis des siècles les différents courants de pensée.

À cet égard, Blanchard nous fournit une très bonne description de l’intérêt que représente une approche pragmatiste en éthique. En éthique, la caractéristique du pragmatisme est de mesurer la valeur des concepts moraux d’après leur efficacité à résoudre les conflits moraux. Toute tentative visant à déduire les normes morales à partir de premiers principes immuables est vigoureusement rejetée, tout comme celle, opposée, d’en restreindre la portée à un discours relativiste. Pour dépasser ces tentatives qu’il considère comme autant d’échecs, le pragmatisme cherche à stabiliser l’expérience morale avec le déploiement d’un appareil méthodologique qui distingue d’un côté, les codes familiers de conduite et, de l’autre, la réflexion sur ces normes coutumières. Cette distinction vise à préserver les normes qui ont une certaine efficacité, à réformer celles qui posent problème et surtout, à trouver un terrain d’entente pour la réflexion morale qui évite les théories controversées.

Les grands courants éthiques (déontologie, conséquentialisme et éthique de la vertu) subissent de ce fait une critique en règle et sont ensuite mis au service d’une approche dite de résolution « intelligente » des problèmes éthiques.36 Nous verrons comment cette approche de résolution intelligente des problèmes s’inscrit directement dans la conception instrumentaliste du pragmatisme de Dewey. Chez lui, la pensée est un instrument au service de notre adaptation au monde naturel dont nous sommes organiquement partie prenante. Elle doit d’abord et avant tout servir à résoudre les problèmes pratiques auxquels sont confrontés les humains et non les problèmes théoriques du passé dans lesquels se sont trop souvent enfermés les philosophes. À ce propos, Dewey a d’ailleurs affirmé que « [c]hez les philosophes d’aujourd’hui, on ne croit pas vraiment que la philosophie ait quelque chose de pertinent à dire sur les problèmes contemporains : on préfère s’intéresser à l’amélioration des techniques philosophiques, à la critique des systèmes du passé. »

L’EXPÉRIENCE

La notion d’expérience est au coeur de la philosophie de John Dewey. Elle est d’ailleurs présente dans le titre de quelques-uns de ses ouvrages : Experience and Nature, Experience and Education, Art as Experience. Dans la thèse de doctorat qu’il a consacrée à ce thème54, Gérard Deledalle a pu montrer que chaque période de l’oeuvre de Dewey incarne une dimension particulière de l’expérience : l’expérience unitaire, organique, dynamique, instrumentale, transactionnelle. Le passage qui suit d’Expérience et nature nous présente une description montrant clairement l’intention de Dewey d’ancrer sa pensée dans le cours naturel de nos vies.

C’est de la vie elle-même, dans son unité, dans sa totalité et dans ses épreuves concrètes qu’il partira. L’intellectualisme désigne la théorie pour laquelle toute expérience est un mode de connaissance, de telle façon que tout ce qui peut en être l’objet doit être réduit et transformé jusqu’à pouvoir être défini dans les termes mêmes des objets de la science en tant que tels. Cette position intellectualiste va à l’encontre des faits de l’expérience première, car avant d’être des objets de connaissance, les choses sont d’abord appelées à être traitées, utilisées, appréciées ou subies. Bien avant qu’elles ne soient connues, nous les avons expérimentées directement, non cognitivement.

Avant d’être une expérience comportant une possible dimension intellectuelle56, l’expérience est d’abord un processus dynamique dans lequel l’humain interagit avec son environnement. Dans ce processus, il est à la fois actif et passif, il transforme un environnement qui le transforme à son tour. Dans le tout de ce rapport dynamique à la vie expérimentée dans son intégralité, les distinctions sont strictement conceptuelles et intellectuelles. Ces distinctions ne désignent pas des substances séparées qui coexisteraient dans la réalité. Elles sont les différents aspects d’une réalité qui n’existe elle-même que dans sa globalité et dans son unité, dans ce que Dewey qualifiait dans le passage cité précédemment de « totalité non analysée ». Pour désigner ce processus dynamique et global dans lequel s’inscrit notre expérience, Dewey utilisera longtemps la notion d’interaction.

Elle met de l’avant l’idée que les différentes constituantes de la vie « interagissent » de manière continue. Cependant en nous exprimant ainsi et même en insistant sur l’interrelation qui les unit, nous conférons à ces composantes une réalité distincte. C’est pourquoi Dewey optera plus tard57 pour la notion de transaction, tentant ainsi de mieux marquer l’absence de frontières réelles entre les différents aspects de l’expérience vécue et eue dans son unité. Pour bien marquer le caractère de processus associé à la notion de transaction, Dewey refusera même d’attribuer à notre organisme une existence distincte, située dans l’espace et soumise à ce processus. Sur ce point, Deledalle écrivait : L’organisme lui-même ne doit pas être considéré comme le lieu des transactions, il est transaction. Il semble qu’il ne l’est pas parce qu’il est engagé dans un grand nombre de transactions. […]

C’est parce que l’homme d’affaires est aussi père de famille, membres d’un groupe religieux, citoyen d’un État, etc. qu’on imagine qu’en dehors de son existence transactionnelle, c’est-à-dire en continuité avec la nature biologique et avec les divers groupements culturels, il possède une existence en soi, une essence, un esprit, une âme. Il n’en est rien.58 La notion d’interaction ou de transaction met en relief la continuité dans laquelle s’inscrit notre expérience du monde. Notre expérience est temporelle et doit être pensée dans une durée mettant chaque moment en interrelation avec le passé et le futur. C’est ce que défend Dewey dans les termes suivants : « De ce point de vue, le principe de continuité de l’expérience signifie que chaque expérience, d’une part, emprunte quelque chose aux expériences antérieures et d’autre part, modifie de quelque manière la qualité des expériences ultérieures. »59

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Table des matières

Résumé
Abstract
Remerciements
Avant-propos : partir d’un contexte spécifique
Une éthique réflexive et des valeurs sans assise théorique
Introduction
Difficultés rencontrées et questions soulevées
Savoir et savoir-faire
Contexte conceptuel : la philosophie de John Dewey
Questions de recherche, limites et divisions
Chapitre 1 : La philosophie de John Dewey
1.0 Présentation
1.1 Le pragmatisme
1.2 Instrumentalisme et naturalisme
1.3 L’expérience
1.4 L’éducation
1.5 La logique et l’enquête
1.6 Qualité, connaissance et langage
1.7 L’enquête scientifique et l’enquête du sens commun
Chapitre 2 : Éthique et conduite humaine
2.0 Présentation
2.1 Reconstruction en philosophie
2.1.1 Théorisation de l’éthique et pluralité des biens
2.1.2 Égalité et interrelation des biens naturels et moraux
2.1.3 Finalités intrinsèques et instrumentales
2.1.4 Optimisme, pessimisme et méliorisme
2.1.5 Utilitarisme et reconstruction
2.2 Human Nature and Conduct
2.2.1 Psychologie sociale et théorie éthique
2.2.2 La fonction sociale des habitudes
2.2.3 Habitudes, volonté et identité
2.2.4 Impulsions et désirs
2.2.5 Connaissance, intelligence et contrôle
2.3 Ethics
2.3.1 Une théorie de la vie morale
2.3.2 Le soi et la responsabilité morale
2.3.3 Conséquences et motivation : le bien, le devoir et la vertu
Chapitre 3 : La théorie de la valuation
3.0 Présentation
3.1 Les problèmes de la valuation
3.2 L’usage linguistique
3.3 L’émotivisme
3.4 Désir et intérêt
3.5 Proposition d’évaluation et scientificité
3.6 Fin et moyen
3.7 Le désiré et le désirable
3.8 Des valeurs comme fins générales et une théorie inachevée
Chapitre 4 : Éthique appliquée : savoir et savoir-faire
4.0 Présentation
4.1 Un méliorisme théorique
4.2 La pensée réfléchie : nécessité et limite
4.3 Les valeurs et la valuation
4.4 Méthode, proportionnalité et probabilité
Conclusion
Bibliographie

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