ÉTAT ET INSTITUTIONS POLITIQUES CHEZ WEBER

INTRODUCTION

   Les analyses des « théoriciens du contrat social» ont démontré que les hommes ont vécu longtemps à « l’état de nature» avant de se retrouver dans une forme d’organisation que nous connaissons aujourd’hui. « L’état de nature » fut, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, un sujet de réflexion des philosophes politiques. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau s’inscrit dans cette perspective mais ne le décrit pas comme un état qui avait réellement existé. Il le limite plutôt à une hypothèse de recherche. C’est dans ce sens qu’il affirme que « ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’ordinaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais». Rousseau est convaincu qu’il n’y a jamais eu d’« état de nature ». Il ne pose son existence que pour justifier l’origine de la société. À « “l’état primitif4“, défend-il, les hommes vivaient en paix et en sécurité, mais sans liens sociaux ni normes». Par contre, Hobbes le qualifie d’état de « guerre perpétuelle de chacun contre chacun et d’insécurité» alors que John Locke considère que c’est le désir de conservation et de satisfaction qui anime les hommes à l’état de nature. Il précise en substance que « tous les hommes étaient Rois, la propriété privée non garantie et il manquait des lois établies, connues, reçues et approuvées d’un commun consentement, un juge reconnu et impartial, un pouvoir capable d’appuyer et de soutenir une sentence donnée et de l’exécuter». Cela revient à dire que dans cet état chacun avait une soif de posséder plus que les autres ou se croyait au-dessus de tous ; il n’y avait pas une autorité centrale à laquelle tous obéissent. Cela constituait un risque permanent d’insécurité auquel les hommes étaient exposés et qui les détermina à changer de cadre. En réalité, chacun de ces penseurs soulève la nécessité ressentie, à un moment donné par les hommes, de quitter « l’état primitif » pour « l’état civil » afin d’échapper à cette situation devenue insupportable. C’est ainsi que pour réussir leur vie en société les hommes posent un « contrat», c’est-àdire établissent des « conventions ». Mais, qu’est-ce qu’un contrat ? Par contrat, on entend un pacte, un accord, un compromis, une convention, la transmission mutuelle de droit ou, comme le soutient Hannah Arendt, « une “alliance“ conclue entre tous les membres individuels qui, après être convenus entre eux de l’existence d’un lien mutuel, se sont accordés sur le choix d’un gouvernement ». Par le contrat chaque individu renonce à la totalité ou à une partie de ses droits naturels au profit de l’intérêt général. D’après Arendt, ce « contrat suppose au moins deux contractants, et toute association fondée sur le principe du consentement, agissant selon lui et reposant sur des engagements réciproques, comporte un élément de pluralité stable qui prend la forme d’une union ». C’est ce qu’elle appelle « la version horizontale du contrat social ». Cependant, toute violation à la convention acceptée par toute la communauté entraine à des sanctions contre le contrevenant. C’est dans ce sens que Max Weber soutient que « la “ convention “, [c’est-à-dire] la “ coutume “ dont la “ validité “ est approuvée au sein d’un groupe humain est garantie par la réprobation de tout écart». Ces conventions renvoient inévitablement à l’existence d’un pouvoir. De ce point de vue, nous pouvons dire que la relation de pouvoir est consubstantielle à la société. Autrement dit, le pouvoir a toujours été au cœur des sociétés humaines. Par contre, ce qui n’a pas toujours existé c’est le pouvoir étatique, le pouvoir politique des sociétés modernes où l’autorité est institutionnalisée, c’est-à-dire un pouvoir qui cesse d’être incorporé dans la personne du chef pour s’inscrire dans la permanence. Donc, le terme d’État, comme l’a dit Simone Goyard-Fabre, « connote essentiellement la forme moderne du pouvoir politique» même si beaucoup de chercheurs ont pu établir, dans les organisations précoloniales, l’existence de véritables institutions politiques dignes d’un Etat moderne. C’est le cas de l’empire Mandé de Soundjata Keita dont la charte constitue un instrument institutionnel exemplaire. En fait, le pouvoir politique est différent des autres pouvoirs sociaux que l’on retrouve dans toutes les associations connues (« pouvoir » religieux, « pouvoir » économique, « pouvoir » parental, par exemple) jusqu’à la naissance des États. Il est supérieur à eux et organise l’ensemble de la vie sociale. Autrement dit, le phénomène politique relève de l’organisation globale des sociétés. On peut donc dire que c’est l’existence d’un processus de prise de décisions, destiné à la collectivité, qui est à la base de toute organisation sociale. Mais, quelle que soit sa nécessité, les membres de la communauté sur lesquels le pouvoir est exercé sont toujours préoccupés par le besoin de l’endiguer, de l’affaiblir, de le contrôler, d’empêcher qu’il devienne arbitraire. Alors, la question qu’il faut se poser n’est plus celle de savoir si le pouvoir a existé ou pas dans une société donnée, mais il s’agit de s’interroger sur l’existence de son caractère coercitif ou non. À ce sujet, Pierre Clastres nous fait découvrir qu’il y a eu au cours de l’évolution des sociétés humaines deux formes d’organisation: une société où l’usage de la « coercition » (contrainte physique et symbolique) par le détenteur du pouvoir est absent et une autre où la violence est un des moyens d’obtention de l’obéissance des gouvernés. C’est ce qu’il exprime dans les termes suivants: L’histoire ne nous offre, en fait, que deux types de société absolument irréductibles l’un à l’autre, deux macro-classes dont chacune rassemble en soi des sociétés qui, au-delà de leurs différences, ont en commun quelque chose de fondamental. Il y a d’une part les sociétés primitives, ou sociétés sans État, il y a d’autre part les sociétés à État […] Un seul bouleversement structurel, abyssal, peut transformer, en la détruisant comme telle, la société primitive: celui qui fait surgir en son sein ou de l’extérieur, ce dont l’absence même définit cette société, l’autorité de la hiérarchie, la relation de pouvoir, l’assujettissement des hommes, l’État. Clastres nous montre par là que la relation commandement/obéissance est caractéristique de l’État. Dans les sociétés modernes à pouvoir coercitif, c’est le pouvoir d’État qui est investi de la puissance publique et est seule habilité à faire usage de la force légitime. Cela se comprend si l’on sait que dans les sociétés amérindiennes dites « primitives » ou « archaïques » que Clastres décrit, le pouvoir était diffus, pas du tout ressenti et l’on ne pouvait distinguer le chef des autres membres du groupe. Ces sociétés étaient essentiellement marquées par l’absence de violence dans les rapports entre le « détenteur de l’autorité » et les membres de la communauté. C’était des sociétés par essence égalitaires.

L’impact de la situation politique allemande

   Le cheminement de l’Allemagne vers une démocratie libérale et un système parlementaire stable passe par des étapes marquantes de l’histoire. En effet, c’était à la fois la question territoriale et celle constitutionnelle- concernant les rapports entre le peuple et le pouvoir en place- qui préoccupaient les Allemands. Ce sont les représentants élus par le peuple ou les princes qui devaient détenir le pouvoir dans une Allemagne unifiée. L’unité nationale et la liberté furent alors la préoccupation des Allemands lors des guerres de libération contre Napoléon. Cependant, malgré la victoire allemande sur l’occupation étrangère le pays ne connut ni unité ni un régime libéral dans les États composant la Confédération germanique créée en 1815 pour remplacer l’Ancien Empire. Ainsi, bien que le pouvoir traditionnel parvienne à se maintenir en Allemagne, les libéraux et les démocrates ne renoncèrent pas à leur combat. En mars 1848 une révolution éclate en Allemagne à cause des forces qui réclamaient l’unité et la liberté. Le premier Parlement librement élu, l’Assemblée nationale qui se tint à Francfort, considérait qu’un État national allemand devait englober la partie germanophone de la monarchie des Habsbourg. Ce n’est qu’à partir de l’automne 1848 que la majorité des députés admit qu’il n’était pas en leur pouvoir de faire éclater cet empire réunissant des peuples divers. L’Assemblée nationale de Francfort voulait que l’État allemand, qui devait être dirigé par Frédéric Guillaume IV de Prusse, ait été un État constitutionnel libéral, avec un Parlement fort contrôlant le gouvernement. Donc, en tant qu’empereur allemand Frédéric Guillaume IV devait renoncer à être roi de grâce divine. Il doit se considérer désormais comme un exécutant de la volonté générale du peuple souverain. Ce qui sera rejeté le 28 avril 1849 par le descendant des Hohenzollern. Donc, la révolution fut un échec total puisqu’elle n’avait apporté aux Allemands ni l’unité ni la liberté. C’est fort de cette situation que le terme de Realpolitik devint, quelques années après la révolution de 1848, un véritable slogan politique. La première guerre mondiale (1914-1918), la révolution de 1919, ajoutées à ces précédents, plongèrent l’Allemagne et audelà toute l’Europe dans une crise politique.

Les fondements philosophiques de sa pensée

   Max Weber a certes été influencé par les tourments de l’Allemagne et de l’Europe du XIXe-XXe siècle, mais d’autres facteurs vont stimuler sa curiosité de même que son intérêt pour le décryptage de la sphère politique: les relations de pouvoir. En effet, les racines de la formation de la pensée de Weber sont à rechercher tout d’abord dans son milieu familial que Dirk Kaesler nous présente dans ce passage : Le père de Weber, Max Weber senior, [homme politique], fut juriste, docteur en droit [devenu député au Reichstag]. Il était né d’une famille d’industriels et de négociants, fabricants de textiles germano-anglais. La mère de Weber s’appelle Helene, née Fallenstein. Lorsque Weber vint au monde, son père était magistrat à Erfurt après avoir occupé un poste dans l’administration de la ville de Berlin. Le grand-père, Karl August Weber, était membre du patriciat commercial de Bielefeld.  allemande cultivée. En plus, Colliot-Thélène nous fait savoir que « le jeune Weber eut l’occasion de rencontrer chez ses parents l’élite politique et intellectuelle nationale-libérale de l’Allemagne wilhelminienne. L’influence de ce milieu a déterminé le cadre général de ses convictions politiques (en gros, celles d’un bourgeois libéral et nationaliste ».Toujours tenté par la politique, Weber y prit part réellement en 1918-1919 : il participa à la fondation du parti démocrate allemand ainsi qu’à la commission chargée d’élaborer une nouvelle Constitution pour l’Allemagne. En dehors de son milieu familial Weber a été inspiré en grande partie par ses prédécesseurs et les positions de ses contemporains. C’est pourquoi d’ailleurs sa conception de l’État moderne comporte quelques reprises thématiques de ceux-là : Machiavel, Karl Marx et les anarchistes, pour ne considérer que ces exemples. Toutefois, il est important de rappeler que le discours sur l’État quant à son origine et ses attributions n’a pas été de la même nature suivant ces auteurs. La différence de conception réside surtout dans la part, plus ou moins grande, laissée aux citoyens mais aussi à l’attitude des gouvernants dans l’exercice du pouvoir. Machiavel, « premier penseur de l’État moderne désacralisé », étudie ce champ en confrontant des « humeurs » présentes dans toute société humaine: celle de ne « pas vouloir être commandé ni opprimé des grands ressentie par le“ peuple“ et celle des “grands“ qui cherchent en retour à commander et opprimer le peuple». Celui-ci fait dépendre le pouvoir de l’habilité du prince par « le jeu des apparences » et l’usage de la force selon qu’elle est nécessaire dans la préservation de l’État. C’est ce qui le pousse à défendre l’exigence de la raison d’État. Par raison d’État if faut entendre l’ensemble des moyens que l’État emploie pour réussir à faire accepter ses décisions dans le seul but de préserver la « vie » d’une nation quitte à violer le droit. Cela veut dire donc que c’est l’intérêt de l’État qui justifie toute l’action des dirigeants. Leur préoccupation réside dans la recherche des stratégies de conservation et d’accroissement du pouvoir et « tous les moyens sont bons pour y parvenir ».

L’institutionnalisation de la puissance publique pour la pérennisation du pouvoir

   La monopolisation de la « violence légitime » par l’État est rendue possible par le processus d’institutionnalisation de la puissance publique. Mais, qu’est-ce qu’une institution ? « De son origine latine “ institutio“, elle signifie ce qui est institué, c’est-à-dire ce qui est établi (par la société, par opposition à ce qui est naturel)». En ce sens, toute « association » constitue une institution. Selon Max Weber une institution [Anstalt] est « un groupement dont les règlements statuaires sont octroyés avec un succès (relatif) à l’intérieur d’une zone d’action délimitable à tous ceux qui agissent d’une façon indéfinissable selon les critères déterminés». Celui-ci rapproche cette notion de celle d’ « association » [Verein] qu’il considère comme étant « un groupement formé par entente dont les règlements statuaires ne revendiquent de validité que pour ceux qui y entrent librement de leur chef » tout en précisant que « leur opposition est relative». Il cite par la même occasion quelques exemples d’institutions tout en les justifiant : « Forment une institution avant tout l’État, conjointement avec ses groupements hétérocéphales, et aussi l’Église- pour autant que ses règlements sont établis rationnellement». Max Weber place ainsi l’État au sommet de toutes les institutions. Par État il entend « une “entreprise politique de caractère institutionnel“[politischerAnstaltsbetrieb] lorsque et en tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime». Dans cette définition, d’après Philippe Braud, Weber « associe étroitement à la notion d’institution(Anstalt) celle d’ « entreprise » (Betrieb), soulignant ainsi la capacité dynamique du système du pouvoir qu’est l’État». Dans la même logique, il réaffirme que « la structure étatique est un centre d’impulsion en même temps qu’un enjeu décisif dans la compétition pour le pouvoir». En ce sens, l’État est une institution politique, « une construction d’un centre politique », pour reprendre l’expression de Stewart Clegg cité par Braud. Ce centre suppose, selon lui, « la mise en place de “circuits de pouvoir“ qui étendent leurs ramifications sur l’ensemble de la société: les institutions politiques et administratives». C’est ce que Louis Althusser appelle « Appareil d’État » qui selon lui comprend: le Gouvernement, l’Administration, l’Armée, la Police, les Tribunaux, les Prisons, etc. Ces domaines constituent ce qu’ [il appelle] l’Appareil Répressif d’État ». D’après lui, le mot « répressif indique que l’Appareil d’État en question “fonctionne à la violence“ ». Il ajoute que la répression ne se limite pas à son aspect physique. C’est dans cette logique qu’il évoque « l’idéologie» dont l’État se sert à travers des institutions qu’il nomme « Appareils Idéologiques d’État». À l’évidence, Weber a ses raisons d’avoir posé, dans sa définition, sous le même rapport l’État et l’entreprise. Et c’est certainement par rapport à leur mode d’organisation et de fonctionnement qu’il le fait. Par « entreprise [Betrieb] » il entend « une activité continue en finalité et par groupement organisé en entreprise une sociation comportant une direction administrative à caractère continu, agissant en finalité ». Mais, de quelle sorte d’entreprise s’agit-il ? Si c’est d’une entreprise quelconque qu’il s’agit il sera difficile voire inadmissible d’accepter une telle comparaison. C’est ce que semble exprimer Philippe Braud en ces termes: L’État n’est pas assimilable à une entreprise privée pour deux raisons au moins. D’abord, parce qu’il détient un pouvoir juridique d’injonction qui lui permet de se procurer des ressources selon des modalités spécifiques; en outre, il ne se préoccupe pas à titre principal, bien au contraire, de donner satisfaction à des demandes solvables alors qu’il s’agit au contraire de la préoccupation normale des entreprises à caractère industriel ou commercial. Pour soutenir une telle thèse Braud s’appuie sur le fait que les « ressources » dont dispose l’État proviennent essentiellement des « prélèvements obligatoires » même si par ailleurs, selon lui, « l’État possède un patrimoine immobilier (la voirie, les rivières navigables, la zone maritime rattachée au territoire national, etc.) et mobilier (des bâtiments avec leurs mobiliers, des véhicules, des équipements techniques, etc.)». En plus, pour le fonctionnement normal de ses services, l’État a besoin de ressources humaines de qualité, un personnel compétent et qualifié à recruter faisant souvent l’objet de concurrence avec d’autres organisations dont les entreprises privées. La définition wébérienne de l’État-groupement politique- suppose en même temps que les normes s’appliquent à une population sur un territoire bien précis dans la mesure où selon lui « un groupement de domination » est politique « lorsque et en tant que son existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un territoire géographique déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la direction administrative». En réalité tout État bénéficie d’un territoire délimité par des frontières qui constituent les limites géographiques d’application des normes juridiques. L’État dispose donc d’un territoire limité sur lequel ses compétences sont exercées. Il se compose d’un espace terrestre, d’un espace maritime et d’un espace aérien.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER : LES SOURCES DE LA PENSEE DE WEBER
1. L’impact de la situation politique allemande
2. Les fondements philosophiques de sa pensée
3. La méthodologie idéaltypique wébérienne
CHAPITRE II : LES CONDITIONS DE LA GOUVERNANCE DE L’ÉTAT MODERNE
1. La violence légitime comme moyen de garantir la domination politique
2. L’institutionnalisation de la puissance publique pour la pérennisation du pouvoir
3. Le rôle des institutions politiques dans un État de droit
CHAPITRE III : LA REDEFINITION DU LIEN POLITIQUE
1. Les limites de la bureaucratie moderne
2. La démocratie et la souveraineté, deux réalités dans la définition de l’État moderne
3. Le paradigme communicationnel pour la fin de la violence
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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