Etat de l’historiographie actuelle sur la Sicile arabe 1. Les communautés socioreligieuses du IX ème au XII ème siècle

Les sources numismatiques

Les pièces de monnaie datant du IX-XI ème siècle permettent de confirmer la présence d’une population arabe sur l’île et surtout d’attester la présence d’un pouvoir islamique en Sicile. En effet, en sciences politiques, un des droits régaliens conférés à un Etat souverain et celui d’émettre de la monnaie. Ainsi, le fait de retrouver des pièces de monnaies datant du IX-XI ème siècle fabriquées en Sicile affirme donc la présence d’un pouvoir politique islamique sur l’île à cette période.
Un grand nombre de pièces de monnaie de cette époque est arrivé jusqu’à nous. Elles sont conservées dans des collections privées ou publiques, majoritairement en Sicile.
Leur étude permet d’observer de manière politique, économique et financière, la présence du pouvoir arabo-musulman en Sicile. Cet argument est avancé par Maria Amalia De Luca dans Storia di Palermo en ces termes : « Da quanto detto si fa presto ad evincere l’importanza, spesso sottovalutata, della testimonianza numismatica che, a parte quella storica, a buon diritto può essere considerata l’unica in grado di documentarci, con estrema precisione cronologica, la presenza politica e finanziaria degli Arabi nella nostra Isola e di farcene misurare la portata effettiva ». Les pièces documentent aussi les rapports entre l’émirat aghlabide en Sicile et celui fatimide en Egypte dont la Sicile est normalement indépendante. Toutefois, les pièces de monnaies frappées sur l’île sont proches de celles fatimides. Cela peut venir du fait que les arabes installés en Sicile ont importé le système monétaire islamique avec le dinar et le dirham et par conséquent ces pièces possèdent les mêmes caractéristiques. En effet, elles n’ont pas d’icônes gravées dessus car l’iconographie est interdite dans l’islam. Les pièces sont généralement gravées de versets du Coran : « La moneta islamica si presentava, dunque, sostanzialmente aniconica e puntava tutto sull’eleganza etica delle formule, in gran parte tratte dal repertorio coranico e religioso in genere ».
Les sceaux sont un autre témoignage numismatique. Maria Amalia De Luca en a étudié une vingtaine provenant de collections privées. Ces sceaux sont tout d’abord un témoignage historique et nous aident à reconstruire la chronologie de la présence islamique en Sicile. En effet, dessus sont gravés les noms des émirs (« mimma amara bihi al-amir » / « par ordre de l’émir ») et la date, basée sur le calendrier de l’Hégire (« fi sanna » / « en l’an »). Ils nous servent aussi à étudier la situation des populations conquises et dominées en Sicile. Effectivement il est fait l’hypothèse que ces sceaux avaient un rôle fiscal puisqu’ils servaient à prouver le paiement de la jizya, l’impôt que devaient payer les dhimmis pour bénéficier de la protection de l’émir et du pouvoir islamique. Cette pratique n’est pas exclusive à la Sicile car on la retrouve ailleurs dans l’empire islamique. Maria Amalia De Luca ajoute dans son étude qu’ils devaient être portés autour du cou des dhimmis avec une cordelette : « Essi sono infatti dotati di un canale interno o di un foro nel quale far passare il laccio per la sospensione al collo, riportano incisa l’indicazione dell’anno […] e, a seconda dei casi, riportano anche l’indicazione dell’importo dovuto (12, 24 o 48 dirham), o l’indicazione della località da cui proviene il tributo, o qualche riferimento al gruppo sociale che lo ha versato ».
Pour appuyer son argument Maria Amalia De Luca se sert des travaux de Paul Balog qui indique que le fait d’avoir gravé le nom de l’émir en place et la date rend le sceau officiel et que chaque famille a son sceau, gardé par l’homme (Balog, 1979). Chase F. Robinson dit que l’usage de ces sceaux sert à humilier/dénigrer les populations non-musulmanes conquises car ceux-ci peuvent être portés autour du cou : c’est la pratique du « necksealing » utilisée dans d’autres territoires comme la Syrie ou l’Egypte au VIII ème siècle. Ainsi,
la jizya devient « a potent symbol of degraded status … the sign of vanquished enemies » (Robinson, 2005). Toutefois, l’auteur affirme que cette pratique n’est pas avérée en Sicile, seul l’usage de sceau pour le paiement de la jizya l’est. De plus, Robinson note que c’est un objet qui ne s’abime pas dans le temps, contrairement au papyrus, et difficile à imiter d’où son recours par les autorités arabes. Il base son explication sur des sources syriaques, chrétiennes et arméniennes du VIII ème -XI ème siècle. Enfin, le chapitre écrit par Sophie Gilotte et Annliese Nef dans l’ouvrage collectif Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval nous permet d’aller dans le sens des travaux de Maria Amalia De Luca.
En effet, S. Gilotte et A. Nef ne contredisent pas l’existence des sceaux pour la jizya et donc le maintien « des religions du Livre sous la domination islamique ». Elles ajoutent que la découverte des sceaux en milieu rural donne une idée de la pénétration et des instruments d’intervention de l’administration islamique dans l’île.

Les céramiques

Parmi les sources archéologiques pour étudier la Sicile arabe on peut compter les céramiques datant de cette époque. Franco D’Angelo, archéologue italien spécialiste de la céramique islamique, explique que l’archéologie sert de témoignage quand les sources écrites sont absentes . L’archéologie et les sources écrites sont donc complémentaires. Les céramiques font partie des rares traces matérielles de l’implantation de la population arabe en Sicile. Elles peuvent être de production locale ou provenir d’Afrique du Nord, sans grande différence entre les deux : « Quanto alle ceramiche, le invetriate policrome di produzione locale o magrebina senza differenze significative tra le due, […] indicano un’ampia circolazione mediterranea » . Les archéologues en ont retrouvé dans le quartier de Castello San Pietro, dans la salle du Duc de Montalto au Palais des Normands, Via Imera ou encore à la Zisa. Les céramiques de l’époque islamique sont recouvertes d’un vernis (« invetriata ») et d’une décoration polychrome. Les couleurs utilisées sont le vert, le jaune-rouge et le marron. On retrouve une grande variété de motifs peints sur ces céramiques : des lettres coufiques, des motifs géométriques comme des cœurs entrelacés, des arabesques ou des damiers, mais également des animaux tels que des paons, des aigles et des autruches. La production de céramique de ce type ne s’arrête pas avec l’arrivée des Normands. Au contraire, elle perdure jusqu’aux XI ème-XII ème siècles, témoin de la présence la population arabe sur l’île à cette époque-là : « Proprio nella seconda metà dell’XI secolo siamo già nel primo periodo della dominazione normanna, anche se le maestranze sono ancora arabe e le tecniche sono sempre le stesse ».
La diffusion des céramiques sur l’île nous en apprend plus des relations entre les différentes régions de la Sicile. En effet, les historiens expliquent qu’il y avait une différence entre la Sicile occidentale, qui se serait islamisée plus rapidement car conquise plus tôt, et la Sicile orientale, celle qui a résisté aux troupes arabes et qui a maintenu des liens avec la péninsule italienne chrétienne. La présence tardive de céramiques islamiques dans la partie orientale de l’île permet de voir qu’une fracture existait entre les régions de l’île durant la domination islamique. Dans leur article « Archeologia della Sicilia islamica », L. Arcifa, A. Bagnera et A. Nef prennent l’exemple de la ville de Taormina, à l’est de la Sicile, pour traiter de ce sujet : « Così l’assenza di ceramica invetriata dai contesti di fin IX- inizio X secolo recuperati a Taormina : oltre ad essere stata conquistata in modo definitivo (965), questa città è collocata in un’area della Sicilia orientale (Val Demonte) il cui orizzonte ceramico attesta sia il prolungato mantenimento di una continuità di relazioni con le aree bizantine al di là dello stretto, che una scarsa permeabilità alle sollecitazioni provenienti dalle altre zone dell’isola già conquistate. La presenza di ceramiche invetriate sembra potersi registrare solo tra la fine dell’XI secolo e gli inizi del XII secolo, dunque in età normanna e ben oltre l’epoca in cui si suole porre l’avvio di queste produzioni nella Sicilia occidentale » . Dans le contexte de la Sicile orientale, les céramiques nous permettent de dater et d’évaluer l’islamisatio n de l’île et la persistance des communautés chrétiennes, toujours en lien avec celles sur la péninsule et sous domination byzantine.

Etat de l’historiographie actuelle sur la Sicile arabe

L’historiographie sur la Sicile arabe s’est développée depuis la fin des années 1990 avec notamment les travaux d’Annliese Nef, pour la partie francophone, et Alex Metcalfe, pour celle anglophone. Si Annliese Nef s’intéresse aux nouvelles perspectives de recherche, à la dynamique de l’islamisation et les groupes sociaux tels que les dhimmis, Alex Metcalfe étudie plutôt la constitution des communautés socioreligieuses durant la domination islamique et normande. L’historiographie se concentre aussi sur la structure urbaine de Palerme durant la domination islamique. La plupart des livres font une synthèse de l’organisation hypothétique de la capitale de l’émirat : c’est le cas par exemple des livres de Ferdinando Maurici et de Franco D’Angelo. Par ailleurs, l’étude des autres villes principales de l’île telles que Trapani, Agrigente, Messine ou Catane est rare. Il est fort probable que cela vienne du manque de sources écrites et archéologues sur les autres villes et que celles concernant Palerme sont plus abondantes.

Les communautés socioreligieuses du IX ème au XII ème siècle

La composition des communautés du IX ème au XII ème siècle

En toute logique, les communautés juives et chrétiennes vivant sur le sol sicilien lors de la domination islamique auraient pu bénéficier du statut de dhimmis si elles payaient la jizya. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, cette pratique peut être attestée par les sceaux fiscaux. Annliese Nef a étudié le statut des dhimmis sous la domination aghlabide de 827 à 909 à travers la fiscalité car selon elle le changement le plus rapidement introduit par l’administration aghlabide sur le territoire sicilien lors de la conquête a é té la fiscalité et notamment celle pour les dhimmis . Sur le plan fiscal le statut des dhimmis transparaît à travers la jizya, une taxe de capitation. Toutefois, dans les sources utilisées par Annliese Nef, les termes dhimmis et jizya sont absents et il est donc difficile de dater précisément la mise en place de ce statut, même si cette pratique islamique semble être une continuation de la taxe byzantine kapnikon (taxe pour chaque foyer). Elle rappelle que la seule source matérielle attestant la présence de dhimmis sont les sceaux en plomb servant de reçus au paiement de la jizya. Elle ajoute que ces seaux « ne portent ni le terme de ǧizya ni le nom du bénéficiaire ni celui de son ressort administratif ce qui ne manque pas de surprendre ».
Dans l’historiographie anglophone sur le sujet des communautés religieuses dans la Sicile arabe, les travaux d’Alex Metcalfe sont une référence. Ce qui ressort de ses travaux c’est que les communautés sont difficilement distinguables. En effet il existe des chrétiens grecs, des chrétiens latins, des latins et des grecs musulmans, qui se sont convertis avec la domination islamique de l’île, des arabo-musulmans, des chrétiens arabophones, des berbères, des mozarabes, etc. Il explique que plusieurs termes peuvent décrire un groupe socioreligieux et il prend l’exemple des musulmans qui sont appelés sarrasins, siciliens, africains, arabes ou encore agarènes dans les sources de l’époque normande. Toutefois, ces termes ne sont pas des synonymes et décrivent des groupes socioreligieux. En effet, une personne d’origine arabe peut être musulmane, chrétienne ou juive, tout comme un sicilien peut avoir comme religion le christianisme, le judaïsme ou l’islam. Alex Metcalfe ajoute que ces termes servent à « to identify particular groups by contrast with one another, as opposed to attributing any specific defining characteristics to each. This is most noticeable in Latin sources which rarely defined ‘non-Latins’ in anything but generic terms of antithesis. As we shall see, the ‘Berbers’ may well have been regarded in a similar way by the ‘Arab’ ». En somme, plusieurs termes peuvent décrire un seul et même groupe socioreligieux, rendant confus l’étude de ces mêmes groupes. Pour illustrer son propos, Alex Metcalfe prend l’exemple du terme générique « grec » utilisé dans les sources latines qui peut se référer aux « Arabic-Greek-Speaking Christians ». En outre, aucun terme ne permet de distinguer les musulmans arabophones et les chrétiens arabophones.
Alex Metcalfe traite aussi de la présence de la population berbère, attestée par les sources écrites médiévales et les registres. Cette population aurait été présente surtout dans la région d’Agrigente, au sud de l’île, et aurait été en conflit avec la communauté arabe.
L’emploi du conditionnel ici est nécessaire car comme le dit Alex Metcalfe dans son article « Before Normans : Identity and Societal Formation in Muslim Sicily » : « This idea is as old as the Arabic chroniclers themselves who often attributed internal conflicts in Sicily to struggl es between Arab and Berber factions ». Ce supposé antagonisme entre les deux populations introduit le travail d’A. Metcalfe sur la population berbère en Sicile qui se concentre sur la question d’ethnie et donc de savoir si les berbères formaient un groupe ethnique en Sicile. Il affirme que les régimes aghlabides et fatimides n’avaient aucune raison de transposer en Sicile « the politico-religious instability of an ethnically divided Ifriqiya, served to undermine North African ‘tribalism’ and any strongly held ethnic identities in the colony ». Pour étudier la question il se base beaucoup sur les noms de famille tribaux et il conclut que « ‘tribal’ names are attested, but there is no indication of any ‘tribal clustering’ or predominance of either Arabs or Berbers » . Alex Metcalfe se pose aussi la question suivante : les berbères présents en Sicile parlaient-ils le tamazight (la langue berbère) ou bien l’arabe ? Dans l’ouvrage Muslims and Christians in Norman Sicily. Arabic speakers and the end of Islam, il focalise sa recherche sur le XII ème siècle et la fin du royaume normand. Il écrit que le dialecte berbère a dû être parlé par la population berbère avant le XII ème siècle mais que son usage a diminué avec le temps. Il ajoute que : « there was likely to have been some Arab-Berber bilingualism among the earliest ‘Berber’ settlers as there is presumed to have been in parts of North Africa ». L’arabe était la langue dominante dans l’île et elle était parlée par les chrétiens. Pour terminer, Alex Metcalfe déclare que le manque de ‘’berbérisme’’ dans le dialecte sicilien est une preuve de l’usage minime et discret du tamazight ; contrairement à l’arabe qui a laissé des traces dans le dialecte sicilien. L’arabe était la langue des dirigeants, des dominants et donc une langue de prestige.

Conversions et acculturation

Annliese Nef a écrit en 2008 un article sur les « mozarabes » siciliens ; quant à Alex Metcalfe, il en parle plusieurs fois dans ses ouvrages et articles quand il aborde la question des communautés. Le terme « mozarabe », qui vient de l’arabe musta’rib « arabisé », désigne les chrétiens espagnols durant la domination arabe en Andalousie. Dans son article, Annliese Nef définit les mozarabes de la manière suivante : « le vocable ‘’mozarabe’’ [qualifie], par commodité, un groupe de religion chrétienne qui conserve une conscience de son origine non arabo-islamique, et plus précisément latine, mais partage à un degré variable avec les musulmans qui l’entourent une culture islamique, et une langue arabe ».Elle transpose la situation des chrétiens espagnoles en Sicile. Les mozarabes représentent un phénomène d’acculturation puisque les chrétiens latins et grecs adoptent la culture islamique et la langue arabe qu’ils intègrent même dans leur liturgie. Deux objets liturgiques avec des inscriptions en arabe sont parvenus jusqu’à nous et attestent l’existence de cette communauté chrétienne arabophone en Sicile. Il s’agit d’un candélabre utilisé à Pâques en l’église principale de Petralia Sottana avec l’inscription suivante : « Al-Ǧibța wa-ālām almalik » (« La béatitude et les passions du roi »). L’autre objet est un reliquaire de Saint Barthélemy conservé en l’église de Novare de Sicile. Il comporte l’inscription suivante : « Kalimat Allāh » (« La parole de Dieu »). La langue arabe est utilisée dans la liturgie chrétienne jusqu’au XV ème siècle. La communauté mozarabe sicilienne est une forme d’acculturation durant la domination arabe car ces chrétiens assimilent une partie de la culture islamique, et notamment la langue arabe, à leur propre culture.
Cette communauté mozarabe et d’autres communautés chrétiennes ont survécu malgré la disparition de nombreux monastères durant la domination arabe, ce qui a affaibli la communauté chrétienne puisqu’elle a perdu un des piliers de sa structure. Cette perte est interprétée comme une preuve de la conversion massive de la population chrétienne présente sur l’île, même s’il existe peu de traces matérielles de cela. Cette hypothèse est développée dans l’ensemble de l’historiographie sur la Sicile arabe. Alex Metcalfe explique que ces conversions du christianisme vers l’islam ont pu se faire par le biais des soldats musulmans accomplissant le jihad durant la conquête, en créant des « networks of extended family members through marriages, concubines, and clientage » . Les chrétiens devenus « clients » des musulmans sont appelés « mawāli ».
Il est aussi question des mariages mixtes dans l’historiographie. L’étude de ce thème se base beaucoup sur le récit d’Ibn Ḥawqal dans Ṣūrat al-arḍ. Il explique que les enfants issus de mariages mixtes, entre chrétiens et musulmans, ne sont pas élevés de la même manière selon leur sexe. En effet, si une chrétienne et un musulman se marie, la fille sera élevée dans la foi chrétienne comme sa mère et le fils dans la f oi musulmane comme son père. Comme le dit Alex Metcalfe lors de la domination islamique, la filiation masculine est importante car c’est elle qui transmet la foi, la langue et de l’héritage . On retrouve ce principe en droit musulman où la filiation a une importance capitale et où un homme peut épouser une femme non-musulmane à condition qu’elle soit chrétienne ou juive (kitabiya). Grâce à ces mariages, le christianisme a pu être perpétué durant la domination islamique. Alex Metcalfe travaille beaucoup sur les registres des serfs de l’époque normande dans le but d’observer les phénomènes de conversion et d’acculturation. Il explique que les chrétiens arabes utilisent des prénoms islamiques neutres tels que Saʻīd (heureux) ou Maymūm (qui a de la chance), ou bien des prénoms arabisés des douze Apôtres comme Yaḥya (Jean), ou encore des prénoms que l’on retrouve à la fois dans la Bible et le Coran tels que ʻĪsā (Jésus), Yūsuf (Joseph) ou Ibrahīm (Abraham). Cette étude des noms et prénoms peut illustrer les mouvements de conversion ou d’acculturation des communités comme par exemple dans le village de Patti où Alex Metcalfe remarque que, durant la période normande, les prénoms sont grecs mais les noms de famille sont arabes et il en déduit que : « the names show a community-based de-Arabization which indicates a drift back towards a more outwardly ‘Greek’ culture » . En étudiant les registres de l’église de Cefalù au XII ème siècle, Alex Metcalfe observe que la première génération, née à la fin du XI ème siècle et donc à la fin de la domination islamique, porte des noms arabes tandis que la troisième génération née à la seconde moitié du XII ème siècle porte des noms grecs. A première vue on pourrait en déduire une conversion des musulmans au christianisme mais les registres ne suffisent pas pour affirmer que ces personnes se sont converties. Elles pourraient avoir gardées leur religion mais avoir adopter des noms chrétiens, traduisant ainsi un phénomène d’acculturation. A. Metcalfe se demande si le prénom de la troisième génération est un prénom donné à la naissance ou bien adopté au cours de la vie.
L’islamisation de la Sicile durant la domination islamique est un thème très peu développé dans l’historiographie. De plus, les sources concernant ce sujet sont très rares et donc cela ne facilite pas le travail des chercheurs. Pour donner un exemple, en 2011 un ouvrage s’intitulant Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval (VII ème XII ème siècle) a été publié sous la direction de Dominique Valérian. Aucun chapitre n’est consacré à l’islamisation de la Sicile, seulement le Maghreb et al-Andalus sont traités. La Sicile n’est mentionnée que quelques fois dans les trois premiers chapitres. La toponymie est souvent utilisée par les chercheurs pour parler de l’islamisation de l’île. En effet, ils utilisent les travaux de Michele Amari sur le sujet car il est le premier à avoir répertorier les noms de villes, villages ou hameaux qui ont une origine arabe ou bien ont été arabisé. M. Amari dit que sur 328 lieux ayant un nom dérivé de l’arabe, seulement 19 sont dans le Val Demone (région de Messine), 209 sont dans le Val di Mazara (sud-ouest) et 100 dans le Val di Noto (sud-est) . D’après ces données toponymiques, il serait possible d’en déduire une répartition spatiale entre les musulmans et les chrétiens – ou plutôt les arabophones et les chrétiens si nous voulons être plus précis et en accord avec les explication s données auparavant sur le phénomène d’acculturation – sur l’île. Enfin, pour parler de l’islamisation de la Sicile, les chercheurs font souvent référence aux 300 mosquées évoquées par Ibn Ḥawqal dans sa description de Palerme mais le nombre de mosquées semble un peu exagéré.
Tout cela nous amène à nous questionner à propos de la disparition de la communauté musulmane à la fin du royaume normand. En effet, l’historiographie développe l’idée qu’une élite musulmane est toujours présente autour des rois normands et cette présence est attestée par l’existence de textes écrits en latin, grec et arabe. L’administration normande a recours à des fonctionnaires arabo-musulmans car ils connaissent déjà les rouages internes d’un Etat et ainsi l’Etat normand n’a pas besoin ni de former, ni de faire venir des fonctionnaires. Toutefois, nous n’en savons pas plus sur les musulmans à l’époque normande. Il est possible que ces fonctionnaires musulmans ne soient pas pratiquants ou bien qu’ils se soient convertis au christianisme. De plus, qu’en est-il du reste de la communauté musulmane dans l’île ? Dans son article « La déportation des musulmans siciliens par Frédéric II » , Annliese Nef explique que le roi Frédéric II (1223-1246) a déporté des rebelles musulmans de la région de Corleone, au sud de Palerme, dans les Pouilles à Lucera. Ces déportations interviennent dans un contexte où le statut des musulmans est de plus en plus précaire et donc de moins en moins protégés. Ce déplacement de population est une punition pour ceux qui se sont rebellés contre le pouvoir royal, mais aussi un moyen de peupler de nouveaux territoires.

Palerme arabe, une ville absente

Avant de débuter cette seconde partie consacrée à la ville de Palerme dans l’historiographie de la Sicile arabe, il est important de dire que cette historiographie est surtout en italien. En effet, les personnes ayant écrit sur ce sujet sont des archéologues italiens, siciliens et/ou palermitains, qui on t participé à des fouilles au sein même de la ville. C’est pourquoi nos principales références ici seront Franco D’Angelo, archéologue sicilien ayant travaillé au Museo Archeologico Regionale « Antonino Salinas », Ferdinando Maurici, archéologue et historien sicilien, ou encore l’ouvrage Storia di Palermo volume II sous la direction de Rosario La Duca.

Les quartiers et les portes de la ville : le témoignage d’Ibn Ḥawqal

Palerme devient en 948 une capitale administrative de l’émirat de l’Ifriqiya et par la suite la capitale de l’émirat aghlabide. L’historiographie concernant Palerme durant la domination islamique retient surtout la disparition des monuments et édifices de l’époque et leur emplacement hypothétique. Les sources utilisées par les chercheurs sont les récits de voyageurs-géographes décrits dans le chapitre précédent mais celui d’Ibn Ḥawqal est le plus utilisé car il fournit plus de détails sur l’organisation urbaine de Palerme. Selon son récit, la ville de Palerme était divisée en cinq quartiers au X ème siècle. Il y avait Balarm, la ville ancienne appelée plus tard Cassaro ou Qasr, le Sagalibah, le quartier des esclaves où se trouve le port, la al-Khāliṣa (aussi dite Kalsa) abritant l’ensemble des structures du pouvoir et le palais du sultan, le Ḥārat al-ǧadīda, soit le quartier nouveau, le quartier des mosquées avec la mosquée Ibn Saqlab, et en dehors de la ville le Wadi ʻAbbas, un espace plutôt agricole avec des moulins . Pour autant, les chercheurs qui se basent sur le travail du géograohe donnent différents noms pour les cinq quartiers et les portes. Dans son ouvrage Palermo sotto la dominazione araba, Ignazio Sucato affirme qu’Ibn Ḥawqal liste les quartiers suivants : Kasr, Kemonia (à côté du fleuve du même nom), Sagalibah, al -Khalisa et Wadī. Dans Storia di Palermo, dans la partie consacrée à la description de Palerme par Ibn Ḥawqal, il est écrit qu’un des quartiers porte le nom de la mosquée Ibn Saqlā b et que le nouveau quartier se nomme Ḥārat al-ǧadīda. Dans son article « Palerme arabo-normande : de la ville absente à la ville mythique » , Annliese Nef déclare qu’Ibn Ḥawqal distingue trois quartiers en dehors de Palerme : le quartier des Esclavons au nord de la vieille ville, sur l’autre rive du fleuve Papireto, le quartier de la mosquée au sud-est traversé par le fleuve Kemonia et enfin le nouveau quartier.

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Table des matières
Introduction 
Partie 1 : L’étude historique de la Sicile arabe
Chapitre 1 – Les sources disponible pour l’étude de la Sicile arabe
1. Les sources écrites
2. Les sources archéologiques
Chapitre 2 – Etat de l’historiographie actuelle sur la Sicile arabe 1. Les communautés socioreligieuses du IX ème au XII ème siècle
2. Palerme arabe, une ville absente
Partie 2 : La mise en avant du patrimoine de la Sicile arabe
Chapitre 3 – Le patrimoine matériel de la Sicile arabo-normande
1. L’art arabo-normand, une notion en débat
2. Les monuments arabo-normands
Chapitre 4 – La patrimonialisation du passé arabo-normand en Sicile
1. Le patrimoine matériel et archéologique : quelle politique de gestion ?
2. Le parcours « Palerme arabo-normande et les Cathédrales de Cefalù et Monreale » de l’Unesco
Conclusion 
Bibliographie 
Annexe
Table des matières

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