Comment faire l’histoire des dispositifs de secours et d’aide à la réinsertion ?

La thèse que l’on s’apprête à lire porte sur l’histoire du secours et de l’aide à la réinsertion des rescapés juifs des camps nazis dans la France de l’immédiat après guerre. Abordée sous l’angle des dispositifs publics et privés dont ont pu bénéficier les rescapés juifs des camps et leur famille, cette recherche repose sur trois partis pris méthodologiques forts. L’histoire qui est relatée ici est une histoire qui, sans négliger les représentations, est résolument tournée vers les pratiques ; c’est aussi une histoire qui s’inscrit dans une approche relationnelle et décloisonnée des rapports entre l’État et la société, entre les pouvoirs publics et les organisations privées. Mais avant d’aborder plus avant cette triple ambition, il convient de dessiner les contours de la population qui constitue le cœur de cette étude.

Comment faire l’histoire des dispositifs de secours et d’aide à la réinsertion ? Trois partis pris méthodologiques 

Pour être lacunaire, l’historiographie n’a pas totalement laissé de côté l’histoire de cette faible minorité de rescapés. Mais la présente étude a bénéficié d’une conjoncture très favorable autour des années 2007-2010 : l’ouverture d’archives d’organisations juives qui, jusqu’à présent, n’avaient pas fait l’objet d’analyses historiques.

En entrant dans cette question par la focale d’organisations juives et en particulier en réalisant un mémoire de master consacré à l’action de l’une d’entre elles, ORT France , nous avons pu observer que, finalement, au-delà de la faible prise en compte de l’action associative, l’historiographie avait laissé subsister des angles morts. Le premier concernait, bien entendu, l’enjeu des relations entre organisations privées tout comme les interactions possibles entre ces dernières et la puissance publique. La plupart des études, lorsque nous avons amorcé cette recherche, relevaient de la monographie institutionnelle, que la focale porte sur une association ou sur un ministère. Ensuite, à l’exception notable de la question des restitutions des biens spoliés pendant la guerre, la prise en compte du sort des anciens déportés juifs après la Seconde Guerre mondiale n’a porté qu’une faible attention aux pratiques. Si l’histoire des représentations et de la mémoire des Juifs depuis 1945 a été largement traitée, celle de la mise en œuvre concrète des aides aux rescapés des camps restait à écrire. En outre, la plupart des travaux sur ces questions souffre d’une approche exclusivement nationale. Dans une telle perspective, ce sont non seulement les autres échelles d’analyses qui étaient mises de côté (mise en œuvre locale comme enjeux internationaux) mais aussi une partie des populations concernées (les Juifs étrangers).

La démarche que nous avons mise en œuvre afin de contribuer à combler ces angles morts repose ainsi sur trois partis pris méthodologiques qui permettent à la fois de mobiliser des sources inédites et de relire certains fonds déjà exploités.

Une histoire des représentations mais aussi des pratiques 

Si on peut dire que la question des représentations de la déportation dans la France de la sortie de guerre est bien connue, il n’en est pas de même pour celle des pratiques des acteurs qui sont intervenus dans l’aide aux rescapés juifs des camps nazis. Ce déséquilibre s’explique par la foisonnante production de travaux axés sur une approche mémorielle de la déportation, dans la continuité de la thèse d’Annette Wieviorka soutenue en 1991 et publiée l’année suivante sous le titre Déportation et génocide, entre la mémoire et l’oubli.

Cette recherche s’insérait dans les travaux émergeants sur les mémoires françaises de la Seconde Guerre mondiale et du génocide des Juifs. Il s’agissait alors d’analyser la perception du génocide à partir de l’étude de celle de la déportation vers les camps nazis entre la fin de la guerre et l’année 1948. Dès l’introduction de son livre, Annette Wieviorka précisait ainsi que le « destin spécifique des Juifs de France » était « fondu, caché, brouillé dans celui, plus vaste, des déportés de France». Comme c’était le cas pour l’ensemble des Juifs de France, les déportés juifs n’étaient donc pas considérés comme un groupe spécifique : pour les autorités publiques, ils étaient des victimes comme les autres. Pour autant, la figure qui dominait largement l’espace social était celle du déporté résistant.

C’est donc avant tout pour saisir une éventuelle prise de conscience du sort spécifique des déportés juifs en France, que l’historienne aborda des thématiques essentielles qui furent approfondies, par la suite, par de nouvelles recherches : l’évolution de la définition et des usages du terme « déporté », la question des catégorisations et des statuts, l’organisation et l’action du commissariat transformé ensuite en ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés (PDR) et dirigé par le résistant Henri Frenay, la libération des camps et le rapatriement des déportés, les associations d’anciens déportés, l’attitude du monde juif face au génocide.

En outre, un moment particulier de la sortie de guerre a focalisé l’attention des chercheurs : la découverte des camps par les alliés occidentaux et le retour des survivants au printemps et à l’été 1945. L’intérêt suscité par ces événements a largement été influencé par les grandes dates commémoratives de l’année 1945. Elle signe en effet la fin de la guerre, la libération des camps et le retour de ceux que le ministère des PDR appelait, après la Libération, les « absents », c’est-à-dire les déportés, les prisonniers de guerre, les travailleurs civils et les Alsaciens-Mosellans. Le premier livre consacré à ce sujet fut d’ailleurs publié à l’occasion du 20e anniversaire de la libération des camps en 1965. Olga Wormser-Migot y retrace l’histoire des camps et des déportés depuis la libération de Paris jusqu’à la fin de la guerre, en s’appuyant sur ses souvenirs et ses notes, prises lorsqu’elle travaillait au ministère des PDR. Tous les rendez-vous commémoratifs, que ce soit, par exemple, le 50e anniversaire en 1995 ou plus récemment, le 70e anniversaire en 2015, donnèrent ainsi lieu à une grande production de livres, de films ou encore d’expositions, à laquelle participa souvent, de loin ou de près, Annette Wieviorka.  Ces travaux, qu’ils aient été réalisés dans le cadre des célébrations ou en dehors, eurent le mérite de fournir des analyses approfondies concernant l’impact de la découverte des camps et du retour des déportés sur les représentations de la déportation  et les perceptions du génocide. Ils eurent également l’avantage de nous renseigner sur l’organisation et la mise en œuvre concrète du retour, depuis les camps jusqu’au territoire français.

Une histoire relationnelle 

Notre démarche s’inscrit ainsi à la croisée de deux renouvellements historiographiques : celui de « l’histoire relationnelle » propre aux travaux sur l’histoire de l’État et celui du « mixed economy of welfare » qui relève plus particulièrement du champ de l’assistance et des politiques d’aide sociale. Comme l’explique Sarah Gensburger, l’histoire relationnelle « prend comme point de départ » les relations entre État et société. Il s’agit « avant tout », précise la sociologue, « de saisir la nature « privée » des serviteurs de l’État comme celle « publique » des initiatives d’acteurs non étatiques ». Le concept de « mixed economy of welfare » repose sur le même principe et a permis de reconnaître, comme le note Axelle Brodiez-Dolino, que « l’assistance a toujours été « mixte », mélange d’interventions publiques et privées, formelles et informelles ». Ces approches nécessitent donc de porter une attention particulière aux interactions publiques privées.

Or, jusqu’ici, les travaux qui ont traité du retour et de la réinsertion des populations déplacées ont eu tendance à considérer la puissance publique et le milieu associatif comme deux mondes à part ; presque comme si le second n’était intervenu qu’après la supposée fin d’action rapide de la première. La structure même de certains ouvrages en témoigne avec une partie consacrée à l’action du ministère des PDR et une autre dédiée aux associations . On observe, en outre, une sorte de partage des tâches entre ceux qui ont décidé de produire plutôt des monographies axées sur le rôle des pouvoirs publics et d’autres qui se sont consacrés à un ou plusieurs organismes privés. Surtout, la question des interactions et de l’interpénétration des sphères publique et privée est quasiment absente de cette historiographie. Une telle approche a aussi conduit à un véritable déséquilibre dans le traitement des acteurs, entre surreprésentation du ministère des PDR et sous-représentation du rôle des associations sur le plan social et matériel.

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Table des matières

Introduction
PREMIÈRE PARTIE : PRÉPARER LE RETOUR (NOVEMBRE 1943-AVRIL 1945)
Chapitre I. La fabrique des invisibles
Chapitre II. La construction d’un déséquilibre
Chapitre III. Des organisations juives divisées et dépassées
DEUXIÈME PARTIE : FAIRE FACE À LA RÉALITÉ (AVRIL – NOVEMBRE 1945)
Chapitre IV. Une douloureuse confirmation
Chapitre V. Une meilleure prise en compte des déportés
Chapitre VI. Le tri des rescapés juifs étrangers
TROISIÈME PARTIE : CONSTRUIRE L’AVENIR (1945-1948)
Chapitre VII. La généralisation d’une action dite « constructive »
Chapitre VIII. Une nouvelle priorité : les migrants juifs d’Europe centrale et orientale (1946-1948)
Épilogue. Elsa, Sara et Janos : parcours de rescapés étrangers après 1945
Conclusion
ANNEXES DOCUMENTAIRES
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

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