Utilisation des modèles PBPK des pyréthrinoïdes dans le cadre de l’évaluation de l’exposition

La famille des pyréthrinoïdes

Historique et développement

La première utilisation des pyréthrines remonte à plusieurs milliers d’années pour leurs qualités antiparasitaires (Richou-Bac et Venant, 1985). Elles sont aujourd’hui principalement dérivées de la plante Chrysanthemum cinerariaefolium et sont composées d’un mélange des six molécules formant l’extrait naturel (Casida, 1980). Dans les années 1940, les recherches sur les structures de ces molécules ont permis de créer par hémisynthèse des composés analogues. Afin d’augmenter l’efficacité des pyréthrines, elles sont utilisées en combinaison avec du butoxyde de piperonyle (Piperonyl butoxide (PBO), 5-[2-(2- butoxyethoxy)ethoxymethyl]-6-propyl-1,3- benzodioxole), qui est un inhibiteur du Cytochrome P450. Associées au PBO, les pyréthrines sont plus efficaces contre les insectes, mais leur caractère photolabile les rend instables dans l’environnement. Afin d’y remédier, de nombreuses modifications de la structure chimique des pyréthrines naturelles ont été réalisées au fil des années. Les pyréthrinoïdes sont desinsecticides de synthèse ayant un noyau structural similaire à celui des pyréthrines mais qui se dégradent moins rapidement dans l’environnement et possèdent une toxicité plus faible chez les humains.
Le premier pyréthrinoïde à avoir été exploité fut l’alléthrine en 1949 (Sanders et Taff, 2002). Au cours des années 1960-1970, d’autres pyréthrinoïdes ont été développés dont la perméthrine, la cyperméthrine, la deltaméthrine et le fenvalérate (Casida, 1980). Ces quatre pyréthrinoïdes étaient les premiers à pouvoir être utilisés en agriculture et en répulsif contre les moustiques parce qu’ils étaient plus résistants à la photodégradation. Depuis, de nombreuses autres molécules ont été synthétisées.
Plusieurs modifications ont été apportées à la structure des pyréthrinoïdes de synthèse (Soderlund et al., 2002). La liaison insaturée sur la partie alcool a été remplacée par un cycle aromatique et des groupements halogénés (chlore et/ou fluor) sur la partie acide ont été introduits à la place des groupements méthyles. Ces modifications ont ainsi optimisé la stabilité des composés dans l’environnement (perméthrine, phénotrine).
Puis, la puissance insecticide a été accrue par l’instauration d’un groupement cyano en position de la partie alcool, combinée à la modification successive de la nature des groupements halogénés. Une première catégorisation des pyréthrinoïdes a alors été réalisée : les pyréthrinoïdes ne présentant pas de groupement cyano appartiennent aux pyréthrinoïdes de type I (la perméthrine ou la bifenthrine). Le type II désigne les pyréthrinoïdes possédant un groupement cyano (la deltaméthrine, la cyperméthrine, la cyhalothrine ou la cyfluthrine) (Lawrence et Casida, 1982).

Utilisations et produits

Les pyréthrinoïdes sont des molécules que l’on trouve le plus souvent sous forme liquide ou solide. Les valeurs de solubilité dans l’eau sont très faibles, rendant plusieurs pyréthrinoïdes insolubles dans un milieu aqueux. Les pressions de vapeurs, qui permettent de caractériser leur volatilité, sont également très faibles (ATSDR, 2003). Les composés commerciaux ne contiennent qu’un certain pourcentage d’ingrédients actifs généralement compris entre 5 et 35 % (Matsuo et Mori, 2012). La durée de leur demi-vie dans l’environnement se situe entre 2 et 97 jours (ATSDR, 2003). La population est exposée aux pyréthrinoïdes à partir de nombreuses sources environnementales et par les trois voies d’exposition, soit l’ingestion, l’inhalation et le contact cutané. a voie orale est la principale source d’exposition, principalement via l’alimentation (Juraske et al., 2009; Riederer et al., 2008; Schettgen et al., 2002). De nombreux produits ménagers utilisés pour lutter contre les insectes, tels que les bombes aérosols, les insecticides en aérosol et les shampoings pour animaux de compagnie, contiennent des pyréthrinoïdes et, par conséquent, des expositions cutanées et par inhalation sont rendues possibles.

Estimation des expositions de la population générale aux pyréthrinoïdes

Deux approches sont communément utilisées pour estimer les expositions des populations aux substances chimiques. La première méthode, issue de l’expologie, utilise des mesures de contaminations des milieux environnementaux et les habitudes de vie (consommations alimentaires, paramètres physiologiques, etc.) afin d’estimer une dose de substance mise au contact des individus (appelée aussi dose externe). La deuxième méthode caractérise l’imprégnation des populations par des mesures biologiques dans les fluides (sang, urine) ou autres matrices(par exemple, cheveux). Les méthodologies employées dans ces deux approches ainsi que les travaux réalisés spécifiquement pour les pyréthrinoïdes seront présentées dans cette partie.

A partir des contaminations des milieux environnementaux

L’évaluation de l’exposition à une substance chimique a été définie par la Commission Européenne comme étant « la détermination des voies d’émission et des vitesses de déplacement d’une substance, ainsi que de sa transformation ou de sa dégradation, afin d’estimer les concentrations/doses auxquelles les populations humaines ou les milieux environnementaux (eau, sol, air) sont ou peuvent être exposés » (Commission Européenne, 1994). L’estimation des expositions s’appuie donc sur une succession d’étapes dont l’objectif final est de décrire et de quantifier, aussi précisément que possible, les expositions à une substance propre à un milieu donné, pour une voie d’exposition donnée et pour un groupe d’individus donné. Doivent donc être déterminées (US EPA, 1984) :
La contamination du milieu, à savoir la nature et la quantité de substances présentent dans le milieu environnemental ;
La population concernée par cette contamination, avec l’identification des voies possibles d’exposition en fonction des habitudes de vie (comme la consommation d’aliments) ;
L’exposition à proprement parler, qui est définie comme le produit du niveau de contamination du milieu par la durée de contact de la population avec cette contamination.
Les sources de contamination des milieux environnementaux sont multiples. Les substances chimiques utilisées dans les traitements des matériaux, comme les canapés par exemple, diffusent progressivement les substances qui sont principalement des semi-volatiles. Une exposition aigüe peut aussi avoir lieu après pulvérisation dans l’air par des bombes aérosols ou des bombes fumigènes. Les sources de contamination de l’air extérieur sont multiples et les processus peuvent être complexes. En France, les principales sources d’émission de polluants atmosphériques sont l’industrie, le transport routier, l’agriculture et le chauffage au bois. Les contaminants sont multiples: dioxyde de soufre et d’azote, ozone, particules fines, monoxyde de carbone, pesticides, métaux lourds (arsenic, nickel, plomb, cadmium), hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc. Enfin, l’alimentation et l’eau peuvent être aussi contaminées par les pesticides mais aussi des agents pathogènes biologiques (bactéries, virus, parasites, prions), des résidus de médicaments, le transfert de contaminant des emballages aux aliments (boites de conserves, couvercle, papiers) … De plus, une substance chimique peut être mise au contact des individus par trois voies d’exposition : l’inhalation pouvant résulter de la contamination de l’air extérieur ou intérieur, de la poussière domestique, l’ingestion principalement due à la contamination des aliments et de l’eau potable, et le contact avec la peau de l’air extérieur ou intérieur contaminé, de la poussière domestique ou un contact direct après application de crème ou de spray .

A partir des imprégnations des populations

La seconde approche présentée ici pour évaluer l’exposition aux substances chimiques est réalisée par la mesure directe de biomarqueurs d’exposition dans les populations lors d’études de biosurveillance. La biosurveillance humaine est « l’évaluation de l’exposition humaine à une substance chimique de l’environnement à travers la mesure de cette substance, de son (ses) métabolite(s), ou produit(s) de réactions biochimiques, dans le sang, l’urine, le lait, la salive, le tissu adipeux, ou d’autres tissus, chez plusieurs individus pris séparément, mais en général considérés ensemble de façon à constituer une population » (Needham et al., 2007).
Les biomarqueurs d’exposition :Un biomarqueur d’exposition est une substance exogène, son métabolite primaire ou la réponse à une interaction entre un agent xénobiotique et une molécule ou cellule cible mesurée dans une matrice de l’organisme (Choi et al., 2015). Il reflète l’exposition interne et donc les doses réellement absorbées par les différentes voies d’exposition (Vermeulen et al., 2002). Ils permettent de mettre en évidence une exposition passée ou récente en fonction du temps de résidence (demi-vie) de la substance dans l’organisme.
Les matrices dans lesquelles sont mesurés les biomarqueurs dépendent souvent de leur persistance dans l’organisme. Les composés persistants sont couramment mesurés dans le sang (Calafat, 2016). Du fait de leur temps de résidence assez long dans les organismes (ils sont peu métabolisés et excrétés lentement), ces composés ont tendance à s’y accumuler. Leurs demi-vies peuvent atteindre plusieurs années. Les biomarqueurs mesurés sont donc généralement représentatifs d’une exposition longue puisque leur demi-vie tend à lisser les variations de l’exposition.
Les composés peu persistants ont par définition des demi-vies de l’ordre de quelques heures ou jours. Du fait de leur dégradation rapide, ce sont le plus souvent leurs métabolites qui sont mesurés dans les urines. Les mesures de substances non persistantes sont le plus souvent très largement influencées par les expositions les plus récentes (Calafat, 2016).

Modèles toxicocinétiques à base physiologique

Le niveau de l’exposition interne chez l’humain dépend de l’exposition externe ainsi que de la toxicocinétique des substances via les processus d’absorption, de distribution, de métabolisme et d’excrétion (ADME). Les modèles toxicocinétiques sont des outils mathématiques utilisés pour décrire les processus ADME dans les organismes vivants et visent à lier une exposition externe à une dosimétrie interne chez l’humain (par exemple, la concentration dans le sang, l’urine ou les tissus). Une classe de modèles toxicocinétiques, les modèles pharmacocinétiques à base physiologique (PBPK), est fondée sur la description des processus ADME, sur la physiologie et l’anatomie des individus ainsi que sur les propriétés physico-chimiques des substances (Andersen, 1991; Nestorov, 2003; Reddy et al., 2013). Un modèle PBPK subdivise le corps en compartiments représentant des organes reliés par le sang. Les paramètres physiologiques et physico-chimiques du modèle sont spécifiques à l’organisme ou aux substances, tels que les volumes des organes, les flux sanguins tissulaires, les affinités des substances pour les tissus et la clairance métabolique. Les modèles PBPK peuvent être utilisés dans l’évaluation de l’exposition pour estimer l’exposition externe à l’aide de données de biosurveillance humaine telles que les concentrations de produits chimiques dans le sang ou l’urine (Clewell et Clewell, 2008; Ulaszewska et al., 2012). Ces prédictions peuvent ensuite être comparées aux normes d’exposition existantes ou à des valeurs de référence telles que les DJA. Les modèles PBPK peuvent être spécifiques à une substance ou à une famille chimique, mais certains d’entre eux se veulent génériques, c’est-à-dire qu’ils s’appliquent à un grand nombre de substances, d’individus ou de populations différentes (Beaudouin et al., 2010; Clewell et al., 2004; Edginton et al., 2006). Enfin, la variabilité, l’incertitude et la sensibilité des paramètres qui constituent les modèles PBPK peuvent également être évaluées, ce qui est souhaitable pour les modèles utilisés par exemple dans un contexte d’évaluation de risque.

Toxicocinétique des pyréthrinoïdes : données expérimentales et modélisation PBPK

La toxicocinétique des pyréthrinoïdes a été caractérisée principalement à partir d’études expérimentales animales. Des études humaines en conditions contrôlées ont aussi été menées chez des volontaires, et ces dernières portent essentiellement sur l’excrétion des métabolites dans les urines. Dans la suite, sont présentés les études expérimentales des processus ADME de la perméthrine, cyperméthrine, cyfluthrine, deltaméthrine, ainsi que les modèles PBPK publiés. La toxicocinétique des métabolites est aussi abordée.
Deltaméthrine et métabolites :La deltaméthrine a été un des premiers pyréthrinoïdes étudiés pour sa toxicocinétique. Cela peut venir du fait que, contrairement aux autres pyréthrinoïdes, la formulation commerciale ne tient un compte que d’un seul isomère, le cis. Plusieurs études chez l’animal ou l’humain ont montré que la deltaméthrine peut être absorbée par voie orale (Khan et al., 1986; Sams et Jones, 2012; Papalexiou et al., 1984; Godin et al., 2010 ; Mirfazaelian et al., 2006) et par voie cutanée (Hughes et Edwards, 2010). L’absorption orale est rapide, entre 1 et 2 heures (Godin et al., 2010; Mirfazaelian et al., 2006). La biodisponibilité chez le rat est estimée entre 25 % et 28 % et ne semble pas être dépendante de la dose administrée (Godin et al., 2010). L’absorption par la voie cutanée est très faible. Entre 2 à 5 % de la dose franchit la barrière cutanée chez le rat, et environ 1 à 2 % chez l’humain 24 heures après l’application (Hughes et Edwards, 2010). La peau du rat semble donc légèrement plus perméable à la deltaméthrine que la peau humaine. La deltaméthrine se distribue dans de nombreux tissus plus ou moins rapidement. Dans le foie et le cerveau, la concentration augmente rapidement après ingestion orale, atteignant son maximum 1 à 3 heures après l’exposition et diminuant rapidement dans les 8 à 12 heures suivant l’exposition (Anadón et al., 1996; Godin et al., 2010). En revanche, la deltaméthrine s’accumule dans les tissus adipeux, où la concentration atteint son maximum 8 heures après l’administration orale et reste constante durant les 48h suivantes (Godin et al., 2010). Le composé est aussi distribué dans les tissus nerveux après l’administration d’une dose orale unique, avec une demi-vie de distribution d’environ 2 heures (Anadón et al., 1996). Les concentrations dans les tissus nerveux étaient supérieures à celles mesurées dans le plasma, ce qui indique que la deltaméthrine est concentrée dans le tissu nerveux par rapport au plasma. La deltaméthrine et son métabolite 4-OH ont également été détectés dans le canal déférent à des concentrations supérieures à celles du plasma, mais inférieures à celles observées dans les tissus nerveux (Anadón et al., 1996).
La demi-vie d’élimination de la deltaméthrine chez le rat est comprise entre 18 et 41 heures (Anadón et al., 1996). Pour la voie orale, environ 20 % de la dose est excrétée dans les fèces et environ 50 % dans les urines sous forme de métabolites (Cole et al., 1982; Ruzo et al., 1978). Chez l’humain, l’excrétion cumulative urinaire et fécale représente environ 65 % de la radioactivité totale de la dose administrée (Godin et al., 2010; Papalexiou et al., 1984).
L’excrétion des métabolites de la deltaméthrine a été étudiée chez cinq volontaires exposés oralement à la dose journalière admissible (0,01 mg/kg). Leurs urines ont été collectées durant les 60 heures post-exposition. La demi-vie d’élimination du métabolite DBCA est d’environ 3 heures et celle du 3-PBA de 7 heures. Le taux de DBCA excrété est d’environ 5 fois supérieur à celui de 3-PBA (respectivement 58,3 µmol/mol créatinine et 11,9 µmol/mol créatinine) (Sams et Jones, 2012).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE 
ÉTAT DE L’ART
1.1. La famille des pyréthrinoïdes 
1.1.1. Historique et développement
1.1.2. Caractéristiques chimiques
1.1.3. Métabolisme des pyréthrinoïdes
1.1.4. Utilisations et produits
1.1.5. Mode d’action et toxicité
1.2. Estimation des expositions de la population générale aux pyréthrinoïdes
1.2.1. A partir des contaminations des milieux environnementaux
1.2.2. A partir des imprégnations des population
1.3. La modélisation toxicocinétique : un lien entre expositions et biomarqueurs
1.3.1. Modèles toxicocinétiques à base physiologique
1.3.2. Toxicocinétique des pyréthrinoïdes : données expérimentales et modélisation PBPK
1.4. Utilisation des modèles PBPK des pyréthrinoïdes dans le cadre de l’évaluation de l’exposition 
1.4.1. Méthodologie
1.4.2. Application aux pyréthrinoïde
OBJECTIFS
ESTIMATION DES EXPOSITIONS CUMULEES DES HUMAINS AUX PYRETHRINOÏDES PAR
UN MODELE PBPK GLOBAL MULTIVOIES : APPLICATION A LA POPULATION FRANÇAISE
Estimating the cumulative human exposures to pyrethroids by combined multi-route PBPK models: Application to the French population
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Results
Discussion
Conclusions
References
EXPOSITION CUMULEE ET AGREGEE AUX PYRETHRINOÏDES EN FRANCE : COMPARAISON DES CONCENTRATIONS PREDITES ET MESUREES DES METABOLITES URINAIRES 
A Cumulative and aggregate exposure to pyrethroids in France: comparison of modelled and measured urine metabolite concentrations
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Results
Discussion
Conclusion
References
DEVELOPPEMENT D’UNE APPROCHE DE DOSIMETRIE INVERSE BASEE SUR LA MODELISATION PBPK POUR ESTIMER L’EXPOSITION DES POPULATIONS A UN MELANGE DE PYRETHRINOÏDES 
A reverse dosimetry approach using physiologically based pharmacokinetic modeling to estimate the exposure of populations to pyrethroids in mixtures
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Results
Discussion
References
DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES
REFERENCES

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