ESS et libéralisme entre révolution silencieuse et symbiose acceptée

Les mouvements sociaux qui ont rythmé l’actualité en France ces dernières années marquent par leur ampleur et leur intensité. Qu’il s’agisse de la loi travail, de la crise des gilets jaunes ou bien encore des grèves contre la réforme des retraites plus récemment, il semble que les tensions au sein de la société française se font crescendo. Cette poussée de contestation française n’est pas isolée. Pareils mouvements d’une ampleur grandissante sont observés dans de nombreux pays, notamment en Amérique du Sud. Ces secousses sociales s’inscrivent dans des contextes et des histoires différentes mais ont le plus souvent en commun un discours « antisystème ». Parmi les revendications évoquées, les difficultés liées au monde du travail sont centrales : niveau de salaire trop bas pour vivre sereinement, conditions de travail dégradées, chômage de masse, fermetures d’usines rentables, etc.

En filigrane ou bien explicitement, la contestation vise un certain système économique : libéral et mondialisé. Plus précisément, est reproché aux entreprises capitalistes de placer la rentabilité financière devant toute autre considération. Cette remise en cause a longtemps été cantonnée au milieu syndical ouvrier. Aujourd’hui, elle touche des classes sociales plus aisées. En effet, l’économie libérale semble incapable de réguler son activité pour répondre à la crise écologique, qui concerne tout le monde.

Face à cette situation, les partis politiques historiques semblent impuissants. Le quinquennat de François Hollande a été perçu par beaucoup comme un abandon du projet social face aux exigences des instances libérales. L’actuel président Macron a été élu sur un discours de « révolution » qui redonnerait le pouvoir aux citoyens.

Devant cet échec apparent du pouvoir politique à contrôler le « système » économique, émerge progressivement dans le débat public la notion d’économie sociale et solidaire (ESS). Qu’il s’agisse de ses propres membres, de personnalités politiques progressistes, d’intellectuels ou bien encore des jeunes générations, l’économie sociale et solidaire est promue comme une alternative au modèle capitaliste, une manière concrète de remettre l’Homme au centre de l’économie. En octobre 2017, le Ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, déclarait, en parlant de l’ESS : « Je voudrais que ce qui apparaît aujourd’hui comme l’exception – et qui n’est d’ailleurs pas si marginal que ça – devienne demain la norme économique dans notre pays ». Cette déclaration est révélatrice d’une idée répandue sur le développement de l’ESS : en se démultipliant et en changeant d’échelle, les initiatives de l’ESS vont opérer, de façon relativement autonome, à un « remplacement » de l’économie classique et cela va produire la transformation sociale que l’action des pouvoirs publics se montre impuissante à réaliser. Dans l’édito de la plaquette présentant la loi Economie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, la secrétaire d’Etat Martine Pinville exhorte les lecteurs dans ce sens : « La société changera grâce à vos idées et à vos initiatives ! Alors ensemble, faisons changer d’échelle l’Economie Sociale et Solidaire ! ».

Plus qu’un simple objectif de « gouvernance » bureaucratique ou qu’une utopie d’idéaliste, il semble permis de qualifier ce projet de proprement politique. Il s’agit bien en effet d’opérer une transformation sociale, d’imposer un modèle économique fondé sur un corpus de valeurs, dans une lutte de pouvoir contre d’autres acteurs de la société. La loi de 2014 a contribué à faire de l’ESS un objet politique dont de nombreux citoyens se revendiquent. Même si l’ESS représente une part croissante du marché du travail français et du PIB, certains craignent que ce secteur ne soit voué à rester à la marge du système économique qu’ils disent vouloir transformer. Ainsi le projet de l’ESS serait louable pour ses principes mais stérile en réalité, dans la mesure où il s’établirait en symbiose avec l’économie qu’il s’était donné de subvertir.

Le projet politique de l’ESS est aujourd’hui menacé, tant par des stratégies qui lui sont extérieurs que par certaines de ses propres modalités

Le projet politique de l’ESS est de « mettre l’Homme au centre ». En cela, il porte une certaine vision anthropologique qui, notamment, accorde une importance première à la richesse de la relation humaine, au-delà des considérations purement monétaires. S’engager en faveur de l’ESS, c’est donc considérer que la valorisation monétaire d’une activité ne pourra jamais traduire tout ce qui s’y joue au-delà. En cela, l’ESS porte l’idée qu’il est des domaines de l’activité humaine qui doivent rester en-dehors de la logique de marché. Comme évoqué précédemment, le projet de l’ESS va au-delà d’une vision comptable du monde où le « gouvernement par les lois» est remplacé par une « gouvernance par les nombres ». Le projet de l’ESS accepte au contraire l’idée que la société est traversée par des rapports de force, des passions et rappelle l’importance d’investir le champ politique.

Depuis plusieurs années maintenant émerge un nouveau discours sur un capitalisme responsable qui représente, à nos yeux, une menace pour la réalisation du projet politique de l’ESS. Des figures de proue de ce nouveau discours sont par exemple Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, ou Emmanuel Faber en France, PDG de Danone. Ce nouveau discours libéral complète l’éloge de la concurrence par une nécessité de prendre en compte la question sociale et environnementale. Le « social business », le micro-crédit, l’investissement à impact, les « B corporations », les entreprises à mission de la loi Pacte (2018) en sont des avatars. Les écoles de commerce sont d’ardentes promotrices de cette approche comme en témoigne la création en 2003 d’une chaire d’entrepreneuriat social à l’ESSEC. Les jeunes générations soucieuses des enjeux écologiques adhèrent largement à ces nouvelles pratiques à la mode, plus qu’aux « anciennes » coopératives et mutualités, ce qui constitue une première menace pour le mouvement de l’ESS.

Selon ce nouveau discours, les entreprises dirigées avec les dernières techniques de management et financées en capital-risque seraient ainsi en mesure de répondre efficacement à tous les problèmes sociaux et environnementaux. Dans un rapport relatif à l’initiative pour l’entrepreneuriat social de 2011, la Commission européenne semble effectivement aller dans ce sens puisque dans sa définition de l’entreprise sociale ne sont pas comprises certains formes collectives, qui sont pourtant le cœur de l’héritage légué à l’ESS : les mutuelles de santé et les services sociaux d’accompagnement mutualistes, certaines coopératives, les fondations…

A ce point de l’argumentation, il serait permis d’opposer qu’il est heureux que « le capitalisme » se moralise, que cela complèterait heureusement le travail de l’ESS pour aboutir à une situation « satisfaisante ». Nous suggérons ici le contraire, dans la mesure où cette évolution du discours libéral ne s’affranchit pas d’une pensée économique plus large, théorisée notamment par Walter Lippmann et Friedrich Hayek. En effet, ces mutations du modèle économique dominant, même en déclarant intégrer les composantes sociales et environnementales, conservent et prolongent l’idée selon laquelle il est souhaitable que le marché soit étendu à d’autres sphères d’activité, en l’occurrence les questions sociales et la gestion des ressources naturelles. Selon la pensée de Lippman et Hayek, structurante aujourd’hui, les associations empêchent ainsi la concurrence de se déployer de manière optimale. Ils proposent donc de les affaiblir et d’instituer à la place un « tiers secteur » qui serait cantonné à des fonctions sociales, sans avoir le droit de parole dans le débat public, ce qui fait remarquablement échos au rôle largement attribué à l’ESS aujourd’hui : productrice d’impact social. Cette pensée, inspirée du darwinisme, postule que l’économie doit s’adapter à un monde que le progrès technique et la mondialisation rend fluide, et que l’entreprise « moderne », insérée dans un monde entièrement régi par une logique de marché, est la meilleure réponse aux défis environnementaux et aux questions sociales.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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