Épistémologie de la notion de « monument historique »

Des notions à expliciter

Définir le « monument »

Monumental, monumentalité, monumentaliser… Ces termes nés au XIXe siècle découlent d’un même radical, monument-, formé sur la racine latine mŏnŭmentum, issue de mŏnǐ-, mŏnĕo, signifiant « faire songer à qqch [sic], faire souvenir » , mais qui peut également s’entendre au sens de « marque, signe de reconnaissance ». L’étymologie révèle, en outre, plusieurs variantes telles que mŏnǐmentum ou mŏnŭmentălis, mŏnŭmentărius , qui s’apparente davantage au domaine funéraire, au tombeau, au sépulcre, mais sa paronymie avec mŭnǐmentum, au sens de « tout ce qui protège, garantit ; rempart, moyen de défense » , a parfois été source de confusions.

Les définitions du monument, actuellement admises en France et que l’on retrouve dans les principaux ouvrages encyclopédiques, associent ces différents champs lexicaux de la protection, de la mise en valeur et du souvenir. L’interdépendance de ces enjeux révèle toutefois des préoccupations plurielles, entre la sauvegarde d’un repère mémoriel et d’un lieu physique, le risque de déracinement, de perte de substance, entre monument commémoratif, mausolée ou cénotaphe.

Pour comprendre ce concept, son évolution et les notions connexes qu’il véhicule, un traitement lexical était donc nécessaire . Cet approfondissement, réalisé à partir d’un ouvrage de référence, permet d’approcher les valeurs associées à ce terme, son contexte historique et sociétal. L’ouvrage retenu est le Dictionnaire de l’Académie française car seules sa création, en 1694, et ses neuf éditions, pouvaient offrir suffisamment de substance dans le cadre de cette étude. Celle-ci permet de comprendre que la définition d’une notion élémentaire peut révéler de nombreux signifiants et signifiés, vers un système métalinguistique . La première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) donne une définition précise du monument :

MONUMENT. sub. m. Marque publique qu’on laisse à la posterité [sic] pour conserver la mémoire de quelque personne illustre, ou de quelque action celebre. Monument illustre, superbe, magnifique, durable, glorieux, éternel. c’est un monument à la posterité. dresser, eriger un monument à la gloire d’un Prince. &c. on voit encore de beaux monuments de la grandeur Romaine. On dit en parlant des ouvrages celebres des grands autheurs, que Ce sont des monuments plus durables que le marbre. Il se prend aussi, pour Tombeau, mais en ce sens il n’a guere d’usage dans le discours ordinaire.

Cette définition se compose de trois parties distinctes, démontrant la polysémie de ce terme. Celui-ci prend alors le sens d’une « Marque […] à la posterité », faisant référence au mŏnŭmentum détaillé précédemment, mais il peut également s’entendre comme une déférence envers de « grands autheurs », un gage de qualité pour des œuvres emblématiques, pouvant être qualifiées de monumentales. Enfin, la troisième partie de cette définition évoque le mŏnǐmentum, le tombeau, spécifiant toutefois que cette caractérisation est rare, « n’a guere d’usage », tout du moins « dans le discours ordinaire ».

Ce texte sera peu réformé au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Si l’édition de 1694 établit la première définition de cette notion, celle-ci ne s’accompagnait d’aucun exemple pour étayer son propos. La quatrième édition de cet ouvrage (1762) se révèle tout aussi avare d’illustrations, cependant une différence sémantique s’opère. Le monument n’est plus présenté comme une trace laissée mais comme une forme de transmission, de legs. Le renoncement désincarné a donc laissé place à une forme de succession, d’héritage, réaffirmé par l’expression « à la postérité, pour la postérité » .

La définition donnée dans l’édition suivante (1798) s’inscrit dans cette continuité, n’apportant qu’un bref complément sur la manière de sacraliser un objet existant au rang de monument, le « dresser, ériger, élever, consacrer […] à la gloire » d’un événement ou d’une personne.

La définition est en revanche fortement remaniée au début du XIXe siècle. Parue une quarantaine d’années après la Révolution française, la sixième édition (1832 1835) véhicule une vision bien différente de celles rencontrées jusqu’alors. Cette réinterprétation du monument, issu des notions antiques de mŏnŭmentum, mŏnǐmentum et de mŭnǐmentum, porte l’empreinte des premières politiques patrimoniales sous la royauté de Louis-Philippe et la nomination de L. Vitet puis de P. Mérimée au poste d’inspecteur des monuments historiques (1830 et 1832).

MONUMENT. s. m. Ouvrage d’architecture ou de sculpture, fait pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque personne illustre, ou de quelque événement important. Monument glorieux, superbe, magnifique, durable, éternel. C’est un monument pour à la postérité. Dresser, ériger, élever, consacrer un monument à la gloire d’un grand homme Prince, etc. Il se dit aussi de Certains édifices publics ou particuliers, qui imposent par leur grandeur ou par leur ancienneté. Les monuments d’une ville. Les monuments publics. Les anciens monuments. Les monuments de l’antiquité, du moyen âge. La ville de Rome est remplie de monuments anciens et modernes. La Bourse de Paris est un beau monument. Il signifie quelquefois, Tombeau; mais, en ce sens, il n’est guère usité que dans le discours soutenu. Elle a fait élever un magnifique monument à son époux. Descendre au monument. On dit aussi, Monument-funéraire; et cette expression peut être employée dans le langage ordinaire.

Dans cette définition, le concept de « marque publique », le repère immatériel, a laissé place à une existence tangible, un « Ouvrage d’architecture ou de sculpture » construit ou façonné. Cependant les œuvres de « l’esprit humain, de la philosophie [ou] de l’art » semblent également susceptibles de requérir cette distinction, au titre de « monument précieux ». La « valeur d’ancienneté » est également plébiscitée, pour la première fois. Cependant cette caractéristique semble réservée aux ouvrages « de l’antiquité, [ou] du moyen âge ». Certains édifices nationaux sont également mis au premier plan, tels que la « Bourse de Paris [décrite comme] un beau monument ». De telles précisions sous-tendent une hiérarchisation des édifices et des œuvres, portant en germe la distinction d’ouvrages précieux, fragiles et rares, pour lesquels une attention toute particulière devrait être portée. Ces préoccupations s’inscrivent dans un contexte spécifique, une volonté de préserver un héritage national tandis que la Monarchie de Juillet vient de succéder aux mouvements insurrectionnels des Trois Glorieuses. Un siècle plus tard, la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie (1932-1935) apporte quelques nuances dans la définition du monument, produisant de nouveaux exemples.

La ferveur nationale, centrée sur la capitale, a fait place à des références à l’Antique, en province : « Nîmes, Arles, Avignon sont remarquables par la beauté de leurs monuments » . Néanmoins, l’apport principal de cette édition est le rattachement à l’Histoire, afin d’asseoir l’autorité du monument, marquant l’apparition de la notion de « monuments historiques » : MONUMENT. s. m. Ouvrage d’architecture et de sculpture fait pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque personne illustre ou de quelque évènement important. […] Les monuments historiques, Ceux qui sont classés par l’administration des Beaux-Arts pour les préserver de la destruction et les entretenir en bon état.

Depuis 1992, le Dictionnaire réinterprète et complète cette notion, incluant un rapport direct à la transmission mémorielle. La définition se compose alors de deux parties distinctes, la première exprimant un point de vue commémoratif, en faveur du « souvenir d’une personne, d’un évènement » :

MONUMENT, n. m. Xe siècle. Emprunté du latin monumentum, « ce qui rappelle, ce qui perpétue le souvenir ». ☆1. Ouvrage d’architecture ou de sculpture fait pour transmettre à la postérité la mémoire d’une personne illustre ou d’un évènement important. Dresser, ériger, élever un monument à la gloire d’un grand homme. Monument commémoratif de la victoire. Monument aux morts, érigé pour perpétuer le souvenir des victimes d’une guerre, d’une catastrophe. Spécialt. Monument funéraire ou, absolt. et vieilli, monument, tombeau. • Fig. Tout ce qui consacre le souvenir d’une personne, d’un évènement. Il a voulu faire de cet ouvrage un monument à la mémoire de son maître.

La seconde partie de cette définition présente l’objet monumental, avec pour point d’orgue le « Monument historique ». Ce dernier est ici détaillé, étoffé, la petite incise devenant une spécificité, une spécialité, du « monument » générique :

☆2. Édifice public ou privé remarquable par sa grandeur, son ancienneté, sa beauté. Les monuments de l’Antiquité, du Moyen âge. Visiter les monuments d’une ville. Les monuments publics. Spécialt. Monument historique, classé et protégé par l’État en raison de son intérêt historique, architectural, etc. Une église classée monument historique. Mérimée fut inspecteur des Monuments historiques. • Fig. En parlant des productions de l’esprit, des ouvrages qui, par leur ampleur, marquent l’histoire des hommes et sont consacrés par la postérité. Cet ouvrage est un des plus beaux monuments du génie humain .

L’étymologie de cette notion est alors exposée pour la première fois, bien que la période mentionnée (« Xe siècle ») ne soit pas argumentée. Cette datation a néanmoins été corroborée plus récemment par le linguiste et lexicographe A. Rey, attestant que ce terme était « emprunté (v. 980) au latin monumentum » .

Enfin, l’étude de la synonymie du terme « monument » démontre que cette notion peut être corrélée à quatre sous-ensembles, reprenant un vocabulaire technique illustrant le domaine de la construction et de l’ornementation, ou s’associant aux champs lexicaux de la religion et de la mort. De ce fait, comme illustré par la définition proposée par le C.N.R.T.L., le monument conserve un caractère équivoque, pouvant tout autant être associé à l’héritage architectural bâti qu’au domaine spirituel du souvenir, des évocations sépulcrales.

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Table des matières

Introduction générale
Première partie. État de l’art
Épistémologie de la notion de « monument historique »
Chapitre I. Des notions à expliciter
I.1. Définir le « monument »
I.2. Émergence de l’expression « monument historique »
Chapitre II. Construction de la valeur monumentale
II.1. Une protection jugée indispensable
II.2. Définir la valeur d’ancienneté
II.3. Les représentations culturelles évoluent
II.4. Une caractérisation intégrant différentes valeurs
Chapitre III. D’un système de valeurs à l’émergence d’une réglementation
III.1. Mise en place d’un cadre juridique et institutionnel
III.2. Un cadre juridique et un partage des responsabilités qui évoluent
III.3. Des législations européennes disparates
Chapitre IV. Entre monumentalité et patrimonialité
IV.1. Le « tout patrimoine »
IV.2. Étude de « monuments atypiques »
IV.3. Une seule législation pour des édifices si disparates ?
Chapitre V. Quelles limites à la patrimonialisation ?
V.1. Le « tout patrimoine » remis en question
V.2. Multiplicité des protections partielles
V.3. Multiplicité des protections à l’échelle urbaine
V.4. Développement des labels
Deuxième partie
Caractériser la perte d’« intérêt » monumental
Chapitre I. Radiations de protections au titre des monuments historiques
I.1. Une législation spécifique dès 1887
I.2. Procédure juridique
I.3. Débats et controverses
I.4. Singularité ou indice révélateur
Chapitre II. Détermination de critères de radiation
II.1. Actes de vandalisme
II.2. Destructions accidentelles
II.3. Spoliations par négligence ou omission
II.4. Décisions d’abaissement du niveau de protection
Chapitre III. Caractérisation de critères officieux
III.1. Destructions accidentelles
III.2. Décisions d’abaissement de la protection
III.3. Actes de vandalisme
III.4. Spoliations par négligence ou omission
Troisième partie.
De la « dé-protection » à une possible « re-protection »
Chapitre I. Détermination de facteurs aggravants
I.1. D’une législation nationale à des applications locales
I.2. Disparité des typologies architecturales protégées
I.3. Des responsabilités partagées
Chapitre II. Entre valeur, légitimité et pertinence
II.1. Corollaire des valeurs riegliennes
II.2. Monument insignifiant
II.3. Monument illégitime
II.4. Protection inadéquate
Chapitre III. Valeurs, légitimité ou cohérence à reconquérir
III.1. Un intérêt retrouvé
III.2. Les limites des radiations de protection
III.3. Re-protection : outil juridique spécifique ou parallélisme des formes ?
Conclusion générale

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