Environnement et pratiques agricoles à risque aux marges des villes mexicaines

LE DISPOSITIF ENVIRONNEMENT

Tout au long des quatre dernières décennies, le dispositif de la pensée environnementaliste s’est nourri de différents systèmes d’idées relatifs aux relations de l’homme à la nature. Du concept de « back to nature », à la base d’un mouvement principalement conservationniste, à celui de justice environnementale qui prône un accès équitable des minorités aux ressources naturelles et à un environnement sain, en passant par celui d’écologie, qui dénonce la crise résultant des impacts d’un modèle de développement très agressif envers la nature, la pensée et le savoir environnementaux se sont transformés. Comme plusieurs chercheurs le soulignent, les connaissances qui concernent l’environnement sont contingentes et ouvertes à une constante révision en réponse aux changements culturels. La « culture de la nature », la façon dont la société pense, enseigne et parle au sujet du monde naturel et le construit est en elle-même une importante arène de lutte (Hanningan 1995 : 127). En effet, comme le dit Beck, chacun donne une réponse différente à la question de ce que l’on devrait préserver (Beck 1996). Cela dit, le concept d’environnement reste plutôt indéterminé et son application touche des domaines aussi différents que multiples : de la défense de la qualité du cadre de vie, à la protection d’espèces végétales et animales menacées d’extinction, de la fixation des normes qui établissent les conditions générales des décharges dans les cours d’eau, à la production agricole raisonnée tout en passant par le droit de chasse. «L’environnement » se présente alors comme une catégorie de pensée et d’action très hétérogène qui concerne plusieurs niveaux, plusieurs dimensions et registres de l’expérience et du savoir de la société. En suivant Pierre Lascoumes, on pourrait dire que ce sont plutôt les pratiques, les démarches et les mots produits sous cet énoncé que lui donnent de la consistance (1994).

Dans ce travail, nous considérons l’environnement comme un dispositif socioculturel, résultat d’une articulation de dimensions cognitive et praxique , pourvu d’une historicité, qui oriente et légitime la pensée et les actions des acteurs publics et privés dans plusieurs domaines de la vie sociale, notamment ceux qui concernent le rapport de la société avec la « nature » et la place de l’individu dans celle-ci. Toutefois, nous n’envisageons pas la « nature » comme un univers séparé du social, mais plutôt comme faisant partie de celui-ci, comme étant l’une des expressions de ses modes de socialisation et de médiation symbolique de l’univers. Dans ce sens «l’environnement » est conçu ici comme « lecture/production du monde » (Charles 2000), mais également comme une modalité d’action sur le monde. L’environnement serait « une nature travaillée par la politique », le résultat de plus de vingt siècles d’action humaine – qu’elle soit de l’exploitation, de la valorisation ou de la destruction –, sur des matières extraites de la nature, transformées par cette médiation humaine en ressources. Puisque celles-ci sont indissociables de l’histoire des techniques et de l’économie, elles aussi sont des produits de la société (Lascoumes 1994).

L’environnement comme dispositif socioculturel

L’environnement comme lecture du monde 

Pour certains auteurs la notion d’environnement offre « une vision constructive de la relation au monde » de l’individu et de son appréhension de celui-ci (Charles 2000 : 20). Ceux-ci privilégient les liens étroits entre environnement et représentation. «Il n’y a pas d’autre accès à l’environnement que les représentations : la représentation est constitutive de l’environnement» écrit Lionel Charles (2000 : 21). Les problèmes de l’environnement n’existeraient comme phénomène que par rapport à l’individu qui les conçoit et les charge de sens, telle une abstraction objective qui affirmerait sa propre subjectivité. L’environnement existe alors en rapport au collectif d’individus – la société- qui le saisit comme extérieur à elle-même, qui le rend objet, mais avec lequel il est en relation. Par cette relation et cette distinction, la société et l’individu se constituent mutuellement. L’environnement est donc une «hypothèse du monde» selon la définition de Lionel Charles (2000), qui devient accessible par la représentation – dans le sens d’élaboration cognitive douée de pouvoirs causaux- que l’on se fait de luimême. Dans cette optique, de la même façon que la nature est une notion qui s’est forgée en Occident pour désigner l’ensemble des êtres et des phénomènes qui, possédant des lois propres, se distinguent de la sphère de l’action humaine (Descola 2005), « l’environnement » constitue un produit historique et culturel de l’individu. Il serait donc un instrument conceptuel d’appréhension de la réalité mais également un instrument opérationnel d’intervention sur celle-ci. En effet, il se concrétise au croisement de différentes dimensions : celle de la définition de l’être, de la connaissance, et de l’action. C’est l’actualisation de cette dernière dimension par le biais d’une « prise de conscience » généralisée des responsabilités humaines par rapport aux transformations du monde, notamment celui qui est relatif à la nature, qui permet la constitution de « l’environnement » comme un objet politique.

Définir « l’environnement » comme un dispositif socioculturel suppose se référer à celui-ci comme un système de pensée qu’une société élabore afin de saisir la réalité (matérielle et idéelle), d’agir sur celle-ci et fondant un ordre social. Nous pourrons l’appeler un dispositif de « pensée-action ». Il s’agit là d’un ensemble de conceptions, représentations et pratiques pour concevoir et réguler les relations – de connaissance, exploitation, transformation et conservation –, de la société et ce que celle-ci désigne comme « milieu naturel ». Ce dispositif a été produit par la société occidentale à un moment donné de son histoire, répondant à des schémas culturels et à des logiques sociales, résultat de l’évolution de son expérience cognitive et d’action sur le monde.

En transposant l’analyse que Bruno Latour nous propose pour le mouvement hygiéniste, dans son ouvrage sur Pasteur (2001), l’on pourrait affirmer que de la même manière que celui-ci l’a fait à la fin du XIX e siècle, l’environnement a défini, pour notre époque, de nouveaux enjeux et de nouveaux buts pour la société. Ce faisant, ce dispositif pose les problèmes et définit les priorités qui depuis une quarantaine d’années ont été à l’origine d’importantes transformations dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale et sous toutes les latitudes.

Le dispositif de « protection de l’environnement » peut-être défini comme un ensemble de systèmes d’actions et d’idées qui comporte un corpus conceptuel défini, incluant les représentations, les valeurs et les savoirs associés à l’environnement, et qui le produisent et le reproduisent. Il inclut également des appareillages institutionnels spécifiques, tant dans la sphère du public -les ministères et les instances administratives locales, mais aussi des institutions internationales telles que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)-; que dans la sphère du privé -les associations de défense de l’environnement à niveau local, transnational et international (Green Peace ; Friends of Earth ; WWF ; ou les associations locales d’habitants mobilisés). Et finalement des dispositifs législatifs, également de niveau local, national et international, qui instituent un cadre pour l’action et une ressource pour les revendications des citoyens.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE ENVIRONNEMENT ET RISQUE : LA CONSTRUCTION D’UNE PERSPECTIVE DE RECHERCHE
INTRODUCTION
I LE DISPOSITIF ENVIRONNEMENT
A) L’environnement comme dispositif socioculturel
L’environnement comme lecture du monde
Le détour par le développement
B) L’environnement comme construction sociale et politique
C) L’émergence d’une question environnementale comme problème de société
La diffusion internationale de l’environnement
L’émergence d’une question environnementale au Mexique
II LE DISPOSITIF RISQUE
A) Un concept en quête de « certitudes »
B) Risque et perception
C) Les différentes constructions du risque
Risque et modernité réflexive : la société du risque
Risque et culture : la théorie culturelle de Mary Douglas
et le choix des risques
Risque et politique : ou la construction de l’acceptabilité sociale
Le principe de précaution ou comment faire face
au risque dans un monde incertain
Risque et territoire
CONCLUSIONS
DEUXIEME PARTIE LA VILLE AU RISQUE DE L’EPANDAGE
INTRODUCTION
I L’EPANDAGE DES EAUX USEES URBAINES,
UN SYSTEME SOCIOECONOMIQUE EN SYMBIOSE AVEC LA VILLE
A) Produire et assainir : l’avènement de l’épandage agricole
Le fondement de l’épandage : le recyclage
Un nouveau modèle de ville s’impose
De l’eau comme ressource agricole à l’eau comme déchet
Les premiers champs d’épandage : les « sewage farms » britanniques
B) Le tout-à-l’égout et l’avènement de l’épandage à Mexico
Le desagüe : évacuer les eaux du bassin
Utilisation agricole des eaux usées de la ville de Mexico
C) Les champs d’épandage à la périphérie parisienne
Les antécédents
La mise en place du système : les champs de Gennevilliers
La généralisation de l’épandage :
les champs d’Achères, Méry-Pierrelaye et Carrières-Triel
Le débat public sur les champs d’épandage
Le fonctionnement du système : Les modes d’exploitation
L’apparition de nouveaux systèmes de traitement
Le déclin du système
Les champs d’épandage à la périphérie de Paris aujourd’hui
D) Recentrer le regard
II LA REVALORISATION DE L’EPANDAGE OU LA RELATIVISATION DES RISQUES
A) L’épandage : une pratique socioéconomique en expansion
L’épandage au Mexique : un phénomène à l’épreuve du temps
Différents modes d’appropriation et d’utilisation des eaux usées
L’épandage comme forme d’assainissement écologique
B) Les caractéristiques des eaux usées
Les ambivalences de la pratique de l’épandage agricole
Les inconvénients : la pollution
C) La recherche d’une définition scientifique du risque
Les « risques objectifs »
Les risques sanitaires
Les risques environnementaux
III LA CONSTRUCTION NORMATIVE DE L’ACCEPTABILITE DES RISQUES
A) Les premières codifications de l’épandage :
Les normes californiennes des années 1920
La gestion des risques associés à l’épandage
L’épandage réhabilité par l’environnement
B) Le rôle des organismes internationaux dans la revalorisation et la « relance » de
l’épandage
Protéger la santé : l’application d’un « principe de prudence »
La flexibilisation des normes sur l’épandage : la réunion d’ Engelberg
La promulgation de nouvelles recommandations pour
l’utilisation agricole sans risque des eaux usées
Risque réel et risque potentiel
Les mesures pour un usage raisonné
Les révisions des recommandations de 1989
C) Les termes actuels du débat sur l’épandage
IV LE MEZQUITAL, PARADIS DES EXPERTS
A) La contribution mexicaine aux études internationales
Une ample littérature scientifique et technique sur le Mezquital
B) L’évolution du contexte normatif au Mexique
relatif à la qualité des eaux usées remployées en agriculture
La construction juridique de la qualité de l’eau
La phase actuelle : « ménager » la pollution
CONCLUSIONS
TROISIEME PARTIE UN TERRITOIRE FACE A L’ENVIRONNEMENT TENSION, CONFLIT ET NEGOCIATION
INTRODUCTION
I LA CONSTRUCTION D’UNE POLITIQUE DE CONTROLE
DE LA POLLUTION DE L’EAU AU MEXIQUE
A) Le cadre institutionnel et juridique de l’action publique
mexicaine en matière d’eaux usées
L’eau est de la nation »
Le versant hydraulique de l’action publique en matière d’eaux usées
Le versant environnemental de l’action publique en matière d’eaux usées
B) Les politiques en matière d’eaux usées dans les années 1990
L’assainissement : un objectif prioritaire
Le fantôme du choléra
Les limites de nouvelles tendances
Une politique sous l’influence de la Banque Mondiale
C) Les impacts des nouvelles tendances
II CONTROLER LA POLLUTION DE L’EAU A SAN LUIS POTOSI
A) Protéger l’environnement
Les instruments juridiques : des documents endormis
Les institutions de l’environnement : un Etat qui se pense à l’avant-garde
Des eaux hors-la-loi
Les premiers pas d’une intervention municipale
dans la politique de l’environnement
B) La politique de gestion de l’eau à San Luis Potosí
L’inscription de la « modernisation » hydraulique
dans la loi sur l’eau de l’Etat
L’apparition de nouveaux acteurs de l’eau sur la scène locale
Les acteurs institutionnels de la gestion de l’eau à San Luis Potosí
Le paradigme environnemental en action : le Plan Maestro
Les précurseurs du Plan Maestro
Les stratégies gouvernementales pour mettre en place le Plan Maestro
III PRODUIRE ET EPURER AUX MARGES DE SAN LUIS POTOSI
A) Urbanisation vs environnement à San Luis Potosí
Une ville à forte croissance
Croissance de la population et expansion urbaine
Pollution et risque
Les risques de l’épandage sur la santé et l’environnement
B) Le façonnement des champs d’épandage à San Luis Potosí
Communauté d’irriguants et territoire de l’eau
Les précurseurs de l’irrigation par les eaux usées
Justice agraire et accès à l’eau : la juridicisation de l’épandage
La fondation du système
La consolidation du système
L’activité productive des champs d’épandage
C) La production de droits à l’eau
IV CONSERVER LES EAUX USEES : ENTRE TENSION ET NEGOCIATION
A) Des pratiques hors-la-loi
« Nous ne sommes pas contre l’assainissement »
Participation et démocratisation
A qui appartient l’eau usée ?
B) Les représentations des usagers
« Nous ne sommes ni des créateurs, ni des fabricants de braceros »
« Nous ne produisons pas des eaux usées, nous les utilisons »
« Nous avons grandi avec l’eau couleur chocolat »
C) Les stratégies politiques des usagers
Une association pour la défense des eaux usées
Sanctionner les autorités
Un exercice de démocratie: le forum sur les eaux usées
Des usagers d’eaux usées « écologistes »
La périphérie se coalise
D) Entre conflit et négociation : la territorialisation du Plan Maestro
L’opposition
La négociation
Rites qui fondent
Le « ménagement » du Plan Maestro
E) Pratiques anciennes et nouvelles tensions
CONCLUSIONS 

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