Entre l’école et l’entreprise, la discrimination ethnico-raciale dans les stages

« Pourquoi passer autant de temps [sur l’action contre la discrimination] alors qu’on n’a pas démontré qu’il y a des discriminations à l’école ? », interrogeait un directeur de SEGPA, à l’occasion d’une formation de responsables de services publics sur la « lutte contre les discriminations » dans le Vaucluse (2008). Interrogation perspicace, face à des dispositifs de politiques publiques qui se referment sur leur objet en les tenant pour évidence, et, cessant de les interroger, peuvent produire une réponse formelle qui entérine les problèmes. Questionnement légitime, du point de vue du sens de la situation pédagogique, si l’on entend que l’action publique est généralement sous-tendue par un modèle du diagnostic : l’ordre du savoir conditionnerait l’action à la mesure formelle et préalable du « problème », lui même évalué à l’aune de chiffres. Mais on peut entendre également dans cette question une mise en doute plus fondamentale, qui résonne comme un défi au savoir. Un double défi, en fait. L’un, qui se comprend ici et maintenant, comme un rapport de pouvoir au sein de la relation de formation : une mise au défi de convaincre de la pertinence de l’objet et du cadre de travail. Ceci, face au doute sur la pertinence d’une hypothèse de discrimination à l’école, ou face à une « hiérarchie de la crédibilité » situant les sources des inégalités scolaires prioritairement du côté des publics – et non dans le fonctionnement de l’école. L’autre défi ouvre à des questions épistémologiques et méthodologiques, et met cette fois en doute la capacité du sociologue intervenant de démontrer l’existence de discriminations à l’école. Y a-t-il l’enjeu et l’espace d’une problématique de la discrimination ethnico-raciale à l’école publique en France ? Pour répondre à une telle question – qui n’est pas l’enjeu direct de cette thèse, même si celle-ci veut y contribuer -, on ne pourra faire l’économie d’une élaboration épistémologique. Car cette mise au défi s’appuie sur l’implicite selon lequel les sciences sociales devraient nécessairement procéder par vérification d’une hypothèse. Or, face à la domination de cette approche, doublée de la domination dans le champ scolaire des travaux quantitatifs de type économétrique (in)validant l’idée de discrimination en raisonnant par la position des catégories de publics , le chemin semble a priori étroit, fragile et risqué.

Les théories cognitives de l’ethnicité : catégorisation et rapports de pouvoir 

On doit au sociologue Max Weber les premiers travaux relativistes concernant la notion de « groupe ethnique ». Contrairement à l’idée « d’ethnie », « fantôme de référence de l’ethnologie » (J.-P. Chrétien) et de l’anthropologie coloniale, l’idée de « groupes ethniques » ne repose pas sur une réalité matérielle stable et primordiale. Ethnique est le nom d’un contenant d’extension et de configuration variable, et pas celui d’un contenu spécifique. C’est, dit l’anthropologue Fredrik Barth, une « coquille organisationnelle à l’intérieur de laquelle peuvent être mis des contenus de formes et de dimensions variées dans des systèmes socioculturels différents ». C’est même, pour M. Weber, un « fourre-tout », dont l’unité tient beaucoup au pathos dont est investie cette idée. Les groupes ethniques sont des constructions « psycho-socio politiques » reposant sur l’élaboration d’un sentiment de communauté (I.1.1.). L’ethnique est donc une façon de définir et de catégoriser le monde qui articule et synthétise d’une façon spécifique divers éléments. On s’intéressera alors aux procédés et aux effets de mise en ordre du monde (I.1.2), lesquels participent de distribuer des places, d’attribuer des statuts et de fabriquer des identifications. Ces processus d’attribution fonctionnent en référence à un double principe, vertical et horizontal, produisant une asymétrie (I.1.3). Je terminerai ce paragraphe en insistant sur les rapports de pouvoir qui structurent les catégorisations ethniques, et qui participent de produire de façon singulière des sujets (I.1.4).

« L’ethnique » : une catégorisation « psycho-socio-politique »

« Nous appellerons groupes “ethniques”, dit M. Weber, (…) ces groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondée sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devient importante pour la propagation de la communalisation – peu importe qu’une communauté de sang existe ou non objectivement. » Contrairement à une projection nationaliste, qui ne veut reconnaître comme communauté légitime que la nation, et impute de façon polémique à d’autres groupes un statut de communauté, un groupe ethnique n’est pas à proprement parler une communauté. C’est seulement, dit. M. Weber, une forme de « vie en commun », car l’essence de ces groupes n’est pas de l’ordre d’une « activité communautaire réelle ». Dans une configuration Majoritaire/ minorisés, ce groupe est d’abord « l’agrégat de ceux contraints d’endurer les mêmes privations à cause du même stigmate ; c’est en fait la catégorie apte à le discréditer ». Mais l’expérience même de ce groupe participe de construite une identité ethnique. Cette définition invite à être attentif à la façon dont s’élaborent des sentiments de communauté. Comment la dimension psychologique de « l’identité » est investie dans la définition des rapports sociaux et de l’ordre politique. Cette approche met l’accent sur une définition identitaire de groupes, reposant sur une opération cognitive de catégorisation de soi/des autres, fabriquant ainsi un ordre ethnique de représentation du monde. En parlant d’ethnique, je m’intéresse donc aux manières spécifiques de mise en ordre du monde fondées sur des distinctions entre groupes, distinctions référées à des sentiments et/ou à un imaginaire de communes origines.

Les processus et procédés de catégorisation comme mise en ordre du monde 

La catégorisation ethnique se singularise par le référent mobilisé, conduisant à « classe[r] une personne selon son identité fondamentale, la plus générale, qu’on présume déterminée par son origine et son environnement ». Si l’on accepte l’approche constructiviste, il s’agit de garder à l’esprit que l’ethnique ne précède pas sa construction catégorielle dans les rapports sociaux : c’est, de part en part, un rapport social d’attribution de statut et de propriétés afférentes, rapport qui n’a pas de matérialité indépendante des conditions situationnelles et historiques. En tant que processus cognitif fondamental, constitutif dans le même mouvement du monde tel qu’il nous apparaît et de notre rapport au monde, la catégorisation excède la nomination, celle-ci ne représentant en effet que « la surface du processus de classification ». La catégorisation renvoie à des logiques générales, qu’il s’agit succinctement de rappeler.

L’ethnicisation : une attribution statutaire et identitaire asymétrique 

L’ethnicisation – et la racisation – désignent des processus et procédés d’instauration dans les rapports sociaux d’une partition essentialiste entre deux figures cognitives : « Eux » et « Nous ». Figures essentialisées – ou naturalisées – car définies selon une référence à des « origines » – ou des « natures » – distinctes. L’ethnicisation trouve son geste inaugural dans l’imputation d’altérité ethnique à autrui. C’est cette altérisation qui ouvre un ordre ethnicisé de relation – sauf à ce que celui-ci soit désamorcé. Tant le principe de partition que les polarités qu’il organise découlent alors d’une opération d’essentialisation ou de naturalisation. En mettant l’accent sur la construction sociale contextuelle et historique de ces catégories de domination, l’on « pose ainsi la contingence de la notion de “race” [ou d’ethnie] et l’arrache à l’absolu (le “règne” de la nature [ou de la culture essentialisée]) comme au sacré (l’ordre immanent du monde) ».

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Table des matières

INTRODUCTION
Contribuer à une problématique de la discrimination ethnico-raciale à l’école
Une perspective politique, une approche multipolaire
La discrimination dans les stages et le rapport de l’école à l’entreprise
Adopter le point de vue des frontières
Interroger l’institution scolaire par la gestion normative de ses frontières
Sociologie publique et place d’une démarche empirico-inductive
Présentation de la thèse
I – ELEMENTS D’UN CADRE CONCEPTUEL : CATEGORISATION ETHNICORACIALE, FRONTIERES ET DISCRIMINATION
I.1. Les théories cognitives de l’ethnicité : catégorisation et rapports de pouvoir
I.1.1. « L’ethnique » : une catégorisation « psycho-socio-politique »
I.1.2. Les processus et procédés de catégorisation comme mise en ordre du monde
I.1.3. L’ethnicisation : une attribution statutaire et identitaire asymétrique
I.1.4. L’ethnicisation comme rapport de pouvoir : entre assujettissement et subjectivation
I.2. L’ethnicité saisie par les frontières
I.2.1. Les « frontières ethniques » : un déplacement du regard, du contenu vers la contention
I.2.2. Usages sociaux des marques du stigmate et saillance des frontières : la part de l’interaction
I.2.3. Le rôle des institutions dans la production des frontières et des statuts ethnico-raciaux
1.2.4. L’école publique et l’ethnonationalisme français
I.3. Eléments pour une sociologie des frontières
I.3.1. Les frontières : éléments d’une topographie politique et morale
1.3.2. La gestion des frontières : activités et techniques de police
1.4. L’approche en termes de discrimination et sa référence au droit
I.4.1. Enjeux et limites d’une définition de la discrimination « par le droit »
I.4.2. La triple matrice de la notion de (lutte contre la) discrimination
Figure n°1 – La notion de discrimination : trois matrices en tension
I.4.3. La discrimination et le point de vue de droit des minorisés
1.4.4. Discrimination et « lutte contre la discrimination », entre police et politique
I.5. De quelques problèmes quant à l’usage sociologique du référent juridique
I.5.1. Les critiques sociologiques à l’égard du droit
I.5.2. Entre posture sociologique et enjeu théorico-pratique : faire avec le droit
I.5.3. Faire avec le droit pour faire face à la discrimination : ordre juridique et ressource de pouvoir
I.5.4. Démontrer la discrimination ? Le problème du régime de probation
I.5.5. De la preuve formelle aux formes d’articulation : une saisie indirecte de la discrimination
I.6. La singularité de l’approche antidiscriminatoire de l’égalité
I.6.1. Intégration, antidiscrimination, diversité : trois « modèles » politiques antagonistes
I.6.2. Inégalités, ségrégation, discrimination : trois points de vue sociologiques
I.6.3. (Anti-)racisme et (anti-)discrimination : des points de vue liés mais inversés
Figure n°2 : Comparaison des approches antiraciste et antidiscriminatoire
I.7. Racisme institutionnel, discrimination systémique ou discrimination en réseau ?
I.7.1. D’une approche institutionnelle à une approche systémique du racisme
I.7.2. Apports et limites de la notion de « discrimination systémique »
I.7.3. De l’intérêt de penser la discrimination en réseau
II – ENTRE L’IMPENSE ET L’IMPENSABLE : UN ETAT DE LA RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION ETHNICO-RACIALE A L’ECOLE
II.1. La difficile émergence d’une « politique de lutte contre les discriminations raciales »
II.1.1. « Lorsque la discrimination se cachait derrière l’intégration »
II.1.2. De la reconnaissance formelle à l’embryon d’une politique
II.1.3. « Diversité » et « égalité des chances » : la déviation néolibérale et entrepreneuriale du référentiel
II.2. La question ethnico-raciale : un impensé problématique de la sociologie française
II.2.1. Le contexte français et l’héritage « républicain » : sociologie « française » vs « anglo-saxonne » ?
II.2.2. De quelques effets de ces difficultés de reconnaissance
II.2.3. La constitution de la discrimination comme objet sociologique dans les années 1990
II.3. Etat de la recherche sur l’ethnicité et la discrimination à l’école
II.3.1. Une focalisation ethnicisante sur le public : la « scolarisation des enfants d’immigrés »
II.3.2. De l’organisation du champ de recherche à la controverse sur l’hypothèse d’une discrimination
II.3.3. Les travaux statistiques et leur rapport problématique à la catégorisation ethnico-raciale
II.3.4. Ce que nous savons de la catégorisation et de la discrimination ethnico-raciale à l’école
II.3.5. Une tardive et problématique (re)connaissance de la discrimination en stages
II.3.6. La discrimination dans la sociologie de l’école : entre paradoxe sectoriel et incertitude conceptuelle
II.4. L’influence de l’imaginaire scolaire sur la non-reconnaissance de la discrimination
II.4.1. L’Ecole et l’ethnique, une relation déniée : référence républicaine et ethnonationalisme
II.4.2. L’ethnique comme figure exogène et antithétique de l’Ecole, ou la fabrique de l’altérité
II.4.3. La « rue » contre l’Ecole : un réinvestissement ethnique et policier de la clôture scolaire
II.5. L’institution scolaire et la discrimination ethnico-raciale : l’impossible reconnaissance ?
II.5.1. Le temps de la « non-lutte » contre les discriminations
II.5.2. Déviation du problème public, ethnicisation du public-problème
II.5.3. Une réponse opportuniste à des pressions « extérieures »
II.6. Pour une problématique sociologique de la dénégation
II.6.1. Déni et dénégation : un référent psychanalytique
II.6.2. Un problème de « reconnaissance » au carrefour du psychique, du moral, du politique et du pratique
II.6.3. La dénégation comme analyseur d’une problématique de la discrimination
III – UNE SOCIOLOGIE PUBLIQUE, ENTRE COMPREHENSION CRITIQUE ET CONTRIBUTION ANALYTIQUE
III.1. Une perspective et une posture de sociologie publique
III.1.1. La notion de sociologies publiques (M. Burawoy)
III.1.2. Remarques sur la notion de « public »
III.1.3. La singularité de la sociologie publique : division du travail ou différence de posture ?
III.2. Entre engagement et distanciation, une posture d’implication et de coopération
III.2.1. Une sociologie impliquée
III.2.2. Une sociologie coopérante et contributive
III.2.3. Une sociologie conflictuelle, à l’articulation entre compréhension et critique
III.2.4. Une sociologie dedans-dehors : circulations, terrains, frontières
III.3. Travailler une « question sensible » : la sociologie et les affects
III.3.1. La discrimination sous statut scolaire : une « question sensible »
III.3.2. Socialiser et sociologiser les affects : une réflexivité sensible
III.4. Méthodes mises en œuvre et construction des « terrains »
III.4.1. L’option pour une pluralité de méthodes et de terrains
III.4.2. Construire un terrain : un accord fondé sur un rapport d’opportunité
III.4.3. Présentation des différentes méthodes de recueil de données
III.5. Présentation synoptique des différents terrains d’enquête
Figure n°3 : Tableau synoptique des différents terrains d’enquête
III.6. Les règles d’écriture et de publicité
CONCLUSION

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