Enquete aupres des travailleurs sociaux utilisateurs de twitter

Recherche proprement dite

Clarification des concepts

Quelques précisions techniques

Avant de développer mon cadre théorique, je souhaite expliquer en quelques mots ce qu’est Twitter et son fonctionnement. Bien conscient qu’il ne s’agisse pas d’une notion mais plutôt d’un exposé technique, je trouve néanmoins cohérent d’apporter ici quelques précisions techniques dans un souci de meilleure compréhension.
A la fois réseau social et professionnel, moyen de communication interactive, un outil de veille, Twitter est d’abord un dispositif inédit d’information et de communication qui résulte d’un processus d’interactions entre des individus socialisés et des processus technologiques complexes. En quelques mots, Twitter, conçu en 2006 par Jack Dorsey, est un réseau social basé sur l’échange de messages ne pouvant excéder 140 caractères. Chaque utilisateur dispose de sa timeline, sur laquelle des messages de l’utilisateur mais aussi ceux des personnes à qui il est abonné sont publiés. Ce flux de textes courts s’empile, comme sur un blog, de manière antéchronologique : on appelle ça le microblogging. S’ajoute à ça une API (Application Programming Interface) qui permet à des logiciels tiers le développement de nombreux services comme le partage de photos et vidéos, le raccourcissement de liens, la géolocalisation, le suivi en direct, etc.
J’ai immédiatement apprécié cet outil pour sa simplicité d’utilisation et ses différentes fonctionnalités. Nikos Smyrnaios le décrit ainsi. : « Twitter permet à ses membres de publier sur leur page personnelle (timeline) de courts messages accessibles à l’ensemble des abonnés (followers) tout en suivant les flux produits par les différents utilisateurs (following) ; Outre cette fonctionnalité de base, de nombreuses autres, plus ou moins sophistiquées, sont disponibles : adresse d’un message direct à un membre du réseau (dm) ; retransmission des messages d’autres utilisateurs (retweet) ; création, suivi et partage des listes de comptes ; recherche avancées, etc. ». Nicolas Pelissier ajoute que certains de ces outils ont été conçus par les usagers eux—­‐mêmes, dans une dynamique d’innovation ascendante : c’est le cas du hashtag, mot—­‐clé précédé d’un dièse (#) pour déterminer un sujet, ou de la mention, qui permet une adresse à l’utilisateur quand sa désignation est précédée d’un @9.

Le cybermilitantisme

Internet a connu un succès grandissant depuis le début des années 1990 et sa diffusion au grand public. Cette mise en interconnexion des réseaux a permis la création d’un canal de diffusion mondiale où la personne utilisant ce réseau a désormais non seulement une place de spectateur, mais aussi une place d’acteur.
L’ensemble des appareils connectés à ces réseaux peuvent aisément échanger des informations et interagir entre eux puisque tous, autant qu’ils soient, se comprennent. C’est dans ce monde numérique peuplé de 0 et de 1 qu’est né le cybermilitantisme.
Le cybermilitantisme est composé de deux mots jusqu’alors bien distincts : la cybernétique, que l’on peut décrire comme l’étude des processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques; et du militantisme, qui est le soutien actif à une cause par un groupe d’individus motivés par une idéologie commune10. Nous pouvons donc dire que les avancées en matière de technologie des réseaux et l’avènement de différents supports permettant d’accéder à ces réseaux (ordinateurs, Smartphone, tablette) ont conduit à une évolution du militantisme dans la forme sur laquelle nous nous penchons ici, le cybermilitantisme.
Arrêtons-nous un instant sur l’étymologie de ce mot nouveau. « Militant » est l’adjectif du verbe militer qui provient du latin militare, qui signifie « être soldat, faire son service militaire ». Sa racine est donc guerrière et se réfère au combat. Mais cette définition évolua au fur et à mesure des siècles. Le militantisme pouvait avoir une connotation religieuse, puisque d’un point de vue théologique, le terme militant qualifie l’assemblée des fidèles sur la terre, par opposition à l’église triomphante quiest l’assemblée des fidèles dans le ciel11. De cette origine, le terme a gardé sa connotation prosélyte. La principale évolution que l’on peut voir ces dernières années est la suivante : le militantisme était jusqu’à présent synonyme d’organisation. Aujourd’hui, grâce à Internet et aux médias comme Twitter, les actions militantes ne sont pas toujours collectives ni organisées. Cela a ouvert un nouveau champ de possibilités pour des personnes souhaitant s’engager ponctuellement dans une action, en étant à la fois connectées ou reliées à des personnes partageant leurs opinions ou attachées aux mêmes causes, et à la fois séparées géographiquement de ces personnes. Jean Pruvost explique d’ailleurs qu’« à l’immensité de la galaxie électronique a répondu la proximité paradoxale établie par les internautes dans le cadre d’une nouvelle révolution technologique, celle constituée par la mise en oeuvre de l’interconnexion des réseaux informatiques ».

Le néo-militantisme : une critique sociale décomplexée

Le néo-militantisme est défini par Jacques Ion comme un ensemble de nouvelles formes d’engagement militant. Il décrit « le passage d’un militantisme « traditionnel » à un engagement distancié dont les symptômes se lisent tout autant dans le renouvellement des modes d’action collective que dans les formes de sociabilité qu’il convoque par ailleurs »13. Il fonctionne sur un principe normatif de critique sociale par projets. Les néo-militants sont au clair des pratiques inhérentes aux nouveaux médias et ont une forte présence en ligne. Boltanski et Chiapello, dans
Le nouvel esprit du capitalisme, précisent que :
«Les organisations de la nouvelle critique sociale justifient leur existence par la volonté de réclamer réparation de ce qu’elles considèrent être une injustice (dénonciation) et revendiquent des politiques différenciées de l’intérêt général.
Au travers d’objectifs mesurés, le mouvement social actuel répond d’abord à des nécessités pressantes (logement, emploi, etc.) mais dessine également en filigrane la nécessité d’élaboration de projets plus globaux dont l’horizon est le rejet partiel, voire total du libéralisme officiel (…) Dans leur ensemble, les groupements de la critique sociale font donc écho aux exigences d’un modèle
de cité civique en se positionnant comme des structures de défense d’un modèle de justice dont la valeur principale est celle de l’intérêt général (…) l’autodétermination sociale (…) l’expression de citoyennetés partielles faisant osciller la critique sociale entre simples activités de défenses catégorielles et revendications identitaires.»

Focus sur le cybermilitantisme, ou net-activisme

Je souhaiterais mettre ici en exergue que tout au long de ce document, j’emploie tantôt le terme de cybermilitantisme, cyberactivisme ou encore netactivisme ; il s’agit pour moi d’une dénomination différente pour un seul et même concept, de synonymes. Je ne fais aucune différence entre ces termes et change de mot dans un pur souci de style, afin de ne pas alourdir le texte en employant perpétuellement le même.
Il est important de souligner ce qui fait ou ne fait pas partie du net-activisme. Ici, j’écarterai les campagnes de propagande partiale visant à obtenir une adhésion ou à convaincre. On parle de net-activisme lorsqu’il s’agit de messages émis en ligne dont le but est un changement de situation, en évitant les intermédiaires institutionnels et demandant un investissement des acteurs sociaux ; les émetteurs et les récepteurs de l’information se retrouvent sur un pied d’égalité. Il existe probablement des cas de figure où l’action des cybermilitants est détournée à des fins politiques ou
commerciales sans leur consentement, mais le net-activisme a offert aux militants de nouvelles possibilités de rencontre, d’expression et d’action, comme nous le verrons dans l’analyse de l’enquête.
Le net-activisme est bien entendu né à l’avènement d’internet, mais on peut remonter de plusieurs années jusqu’à sa source, dans les mouvements sociaux et culturels qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre Mondiale. On pourra citer la Beat Generation, dans les années 1950, et des auteurs comme William Burroughs et Gregory Corso qui se livraient à l’écriture automatique ou encore Jack Kerouac, Joan Vollmer qui expérimentaient sur la route une nouvelle forme d’expression écrite. Au même moment, des collectifs comme Socialisme et Barbarie, Free Speach Movement ou L’internationale Situationniste ont contribué à inspirer le développement de la Silicon Valley et l’avènement du Personal Computer, outil essentiel au net-activisme. On peut dresser un parallèle entre ce dernier et ces différentes mouvances : désir d’échanger sans passer par des intermédiaires, désinstitutionalisation de la communication, envie d’une action directe et sans compromis. Le développement de la micro-informatique ainsi que des logiciels libres à la fin des années 1980 souffla l’idée de « tout diffuser à tout le monde et de démanteler le fil de fer barbelé qui entoure la propriété intellectuelle15 ». Cela donna naissance à toute une génération de hackers et d’ « hacktivistes16 ». Leurs revendications étaient multiples, allant de la simple désobéissance civique à la défense de la liberté d’expression et d’information.
Cependant, la plupart des hackers revendiquent plutôt une éthique d’ égalité et de partage, au contraire des piratages à sensation que relatent de temps à autre les médias généralistes.
Une des particularités de ce net-activisme est l’autoproduction d’informationet de communication. Les sites internet arrivaient au mieux à créer une interactivité décalée dans le temps, avec l’intervention d’un webmaster en tant que modérateur, mais des outils ont progressivement fait leur apparition : les forums, les e-mails, les blogs puis les applications de messagerie instantanée et enfin Twitter et les autres principaux réseaux sociaux. On n’était plus seulement spectateur du réseau mais l’on pouvait devenir créateur de contenu ; c’est ce qu’on a appelé le web 2.0, ou web
participatif. La temporalité a également changé. On peut réagir de manière instantanée à n’importe quel sujet sur une multitude de plateformes. Une autre condition est la gratuité, en partant du principe que le but de l’action est non commercial.
La communication du net-activiste vise à une action immédiate ou proche, sans pouvoir séparer le message de l’action qui est proposée. Concrètement, lorsqu’une personne publie un message militant sur Twitter, il s’agit déjà d’une action puisqu’en raison de son impact sur la masse des récepteurs, les conséquences sont directes. Les prises de position des cybermilitants sont aussi rapides qu’éphémères de par la nécessité immédiate des actions dirigées vers les sujets abordés. Le cybermilitantisme repose sur la transmission numérique d’un message militant en s’appuyant sur le caractère immédiat d’internet, échappant aux contrôles politiques et économiques. Il permet une avancée réelle en matière de liberté de l’information. C’est également le constat que fait Fabien Granjon ; les mouvements sociaux et politiques ont rapidement domestiqué internet, bien plus vite que n’ont pu le faire des organisations telles que des syndicats ou des partis politiques. Il l’explique dans un entretien publié dans la revue « Matériaux pour l’histoire de notre temps »17 : « J’ai ainsi constaté qu’Internet, fondé sur la notion de réseau et d’horizontalité, correspondait pleinement aux formes d’engagement matériel ou personnel des militants de ces nouveaux mouvements organisés en réseaux, faisant preuve d’une grande défiance vis-à-vis des procédures de délégation et défendant une prise de parole aussi horizontale que possible. » Internet, et par extension Twitter, rend possible à ces mouvements de s’autogérer et d’être autosuffisants de par le mode d’organisation à communication horizontale qui structure le web.

Un militantisme ponctuel et de projets

Une des caractéristiques du cybermilitantisme est qu’il s’agit d’un militantisme de projet. Boltanski et Chiapello, le définissent ainsi :
« Nous avons choisi d’appeler cité par projets le nouvel appareil justificatif qui nous semble être actuellement en formation pour quelques raisons qu’il convient d’expliciter car l’expression peut
sembler malaisée à manier et peu claire. Elle est en fait calquée sur une dénomination fréquente dans la littérature de management: l’organisation par projets. La nature même de ce type de projets étant d’avoir un début et une fin, les projets se succèdent et se remplacent, recomposant, au gré des priorités et des besoins, les groupes ou équipes de travail. Par analogie nous pourrons parler d’une structure sociale par projets ou d’une organisation générale de la société par projets».

Dans l’intimité des cybermilitants

Il y a deux mille ans, Aristote expliquait dans « Les Métaphysiques » que, parfois, l’ensemble représente plus que la somme des parties. Des tweets comme « Soutenons les sans-papiers du centre d’accueil de Dunkerque » ou « Je vous invite à vous mobiliser et venir manifester ce samedi pour manifester votre soutien » peuvent sembler insignifiants si on les envisage seuls, mais la signification et la portée de ces tweets seront toutes autres s’ils sont précédés d’un tweet « Une famille de sanspapier a été expulsée ce matin. Les enfants ont été cherchés dans leur école par la police. »
Lorsqu’on considère cet ensemble de tweets, cela donne une meilleure appréhension de l’activité du militant, bien plus que si l’on isole les tweets les uns des autres. Ce concept est appelé « ambient awareness » (ou conscientisation ambiante) comme l’a appelé Andreas Kaplan19. Ces tweets, dans leur ensemble, provoquent un sentiment d’intimité assez fort. Twitter permet au militant d’avoir une forte présence sociale, ainsi qu’une grande richesse médiatique, que l’on définira comme la quantité d’informations pouvant être transmises dans un laps de temps donné. Twitter permet de dire à nos followers mais aussi à n’importe qui d’autre ce qu’on fait à un moment particulier. L’intimité, et donc la proximité générée par les tweets d’un cybermilitant, favoriserait chez ses followers une conscientisation des problématiques sociales abordée dans ces tweets.

Le risque d’une porosité

Le cybermilitant s’expose au risque d’une solubilité des différentes sphères : militante, professionnelle et privée. Pour ce qui est de l’utilisation de Twitter, qui se fait principalement au moyen d’une application que l’on utilise avec son téléphone portable, la connexion au réseau se fait grâce à l’internet mobile. Cela a un grand nombre d’avantages mais la démarcation entre les espaces-temps (vie privée, militante, professionnelle) peut s’en retrouver plus floue.
La présence en ligne importante que nécessite une utilisation efficace de Twitter par les cybermilitants s’ajoute à la charge de travail qu’ils doivent d’ores et déjà assumer.
Il faut alors utiliser la mobilité et la flexibilité des réseaux comme Twitter afin de militer à domicile ou sur le lieu de travail, prenant le risque qu’il y ait une porosité entre le militantisme et la vie privée et/ou professionnelle.

Militantisme coopératif

Internet constitue un dispositif où un nombre incalculable (encore aujourd’hui) de données circulent. La plupart de ces données sont accessibles à chacun et peuvent donc être exploitées. Ce dispositif est utilisable en lecture mais aussi en écriture ; un site comme Wikipédia constitue un exemple concret d’une collaboration et d’une coopération de chaque internaute qui souhaiterait apporter ses connaissances à cette encyclopédie en ligne. De la même manière s’est développé un militantisme coopératif en ligne. Les cybermilitants travaillent en collaboration au sein d’un réseau décentralisé et décloisonné et s’intéressent à des questions locales comme celle des sans-papiers par exemple, des sujets en général peu abordés par les luttes ouvrières classiques et les structures politiques et syndicales traditionnelles.
Ces nouvelles formes d’engagement sont, selon Granjon, marquées par un double phénomène :
« D’une part, il existe au sein des nouveaux mouvements politiques et sociaux un fort turnover militant. Pour désigner ces nouvelles attitudes, Jacques Ion avait employé l’expression de militantisme post-it, qu’il opposait au militantisme de la carte ou du timbre. Cette formule, qui lui a valu beaucoup de critiques, m’avait paru pertinente car l’usage du net peut évidemment jouer un rôle majeur dans cette évolution, en offrant aux militants engagés dans une organisation très présente en ligne la possibilité de se retirer momentanément de l’action tout en restant informés de ce qui se passe, et donc de pouvoir se réengager sans difficultés quand ils le désirent à nouveau. D’autre part, de plus en plus, les « nouveaux militants » sont « multipositionnés ». En fonction de leurs intérêts personnels, ils semblent ne plus hésiter à se lancer simultanément dans plusieurs combats, quitte à ce que leurs engagements restent provisoires. Et lorsque se pose pour eux la question de la gestion de leur temps militant, Internet, de manière très concrète, peut bien sûr les aider à mieux organiser leurs activités.»

Une forme de militantisme souvent critiquée

On peut se demander, dans un souci d’efficacité, si le seul cybermilitantisme suffit pour sensibiliser, défendre, agir et s’il n’est pas moins efficace qu’un militantisme de terrain. Pour ce qui est de mener une action concrète, la seule présence en ligne mènera le militant face à des obstacles qu’il n’aurait pas eu lors d’un travail de terrain. Le nombre croissant des informations et des sources d’informations circulant sur le net peut créer une certaine confusion. Le principe d’un web participatif est que tout le monde peut donner son avis et il existe donc un risque accru de désinformation ou de surinformation. On peut donc questionner la place que l’on donne à internet dans les luttes sociales et se demander s’il n’y a pas un risque que le cybermilitant se déconnecte de la réalité sociale concrète. En utilisant Twitter, qui est une société cotée en bourse, on s’expose également à l’éventualité que ses propos militants soient détournés par des organismes politiques ou utilisés à des fins marchandes, comme cela se fait à propos de la publicité ciblée. Malcolm Gladwell21, journaliste au New Yorker, établit une différence entre le « militantisme réel », celui des luttes historiques pour la défense des droits civiques, « celui qui fait vraiment changer les choses et pour lequel on risque sa vie », basé sur des actions de terrain et le « cyberactivisme mou » (slacktivism), de salon, qui n’arriverait à mobiliser uniquement s’il n’y a que peu de risques. Toujours selon Gladwell, l’action militante pourrait être menée à bien uniquement si une organisation à la structure clairement définie et coordonnée défendait la cause. Or les réseaux sociaux fonctionnent sur un mode d’organisation horizontal et non hiérarchique. Twitter permet aux militants de créer des réseaux décloisonnés reposant sur l’autonomie et dont le contrôle est décentralisé. C’est pourquoi il affirme que « la révolution ne passera pas par Twitter ». Olivier Blondeau émet lui également des réserves quant à l’impact d’internet et de ses outils. Il faut « se prémunir contre la tentation de considérer que des objets, des dispositifs peuvent en euxmêmes “réenchanter la démocratie.” »

Liens forts et liens faibles

Le journaliste Malcolm Gladwell explique qu’un engagement militant total n’est possible que s’il existe des liens sociaux forts, que son entourage soit engagé dans la même lutte ou soit mis en danger par un ennemi commun. Les réseaux sociaux seraient selon lui composés de « maillons lâches », d’activistes possédant un grand réseau virtuel qui se mobiliseraient uniquement si la tâche était facile et si l’on ne risquait pas grand chose.

Une forme de militantisme souvent critiquée

On peut se demander, dans un souci d’efficacité, si le seul cybermilitantisme suffit pour sensibiliser, défendre, agir et s’il n’est pas moins efficace qu’un militantisme de terrain. Pour ce qui est de mener une action concrète, la seule présence en ligne mènera le militant face à des obstacles qu’il n’aurait pas eu lors d’un travail de terrain. Le nombre croissant des informations et des sources d’informations circulant sur le net peut créer une certaine confusion. Le principe d’un web participatif est que tout le monde peut donner son avis et il existe donc un risque accru de désinformation ou de surinformation. On peut donc questionner la place que l’on donne à internet dans les luttes sociales et se demander s’il n’y a pas un risque que le cybermilitant se déconnecte de la réalité sociale concrète. En utilisant Twitter, qui est une société cotée en bourse, on s’expose également à l’éventualité que ses propos militants soient détournés par des organismes politiques ou utilisés à des fins marchandes, comme cela se fait à propos de la publicité ciblée. Malcolm Gladwell21, journaliste au New Yorker, établit une différence entre le « militantisme réel », celui des luttes historiques pour la défense des droits civiques, « celui qui fait vraiment changer les choses et pour lequel on risque sa vie », basé sur des actions de terrain et le « cyberactivisme mou » (slacktivism), de salon, qui n’arriverait à mobiliser uniquement s’il n’y a que peu de risques. Toujours selon Gladwell, l’action militante pourrait être menée à bien uniquement si une organisation à la structure clairement définie et coordonnée défendait la cause. Or les réseaux sociaux fonctionnent sur un mode d’organisation horizontal et non hiérarchique. Twitter permet aux militants de créer des réseaux décloisonnés reposant sur l’autonomie et dont le contrôle est décentralisé. C’est pourquoi il affirme que « la révolution ne passera pas par Twitter ». Olivier Blondeau émet lui également des réserves quant à l’impact d’internet et de ses outils. Il faut « se prémunir contre la tentation de considérer que des objets, des dispositifs peuvent en eux mêmes “réenchanter la démocratie.” »

Liens forts et liens faibles

Le journaliste Malcolm Gladwell explique qu’un engagement militant total n’est possible que s’il existe des liens sociaux forts, que son entourage soit engagé dans la même lutte ou soit mis en danger par un ennemi commun. Les réseaux sociaux seraient selon lui composés de « maillons lâches », d’activistes possédant un grand réseau virtuel qui se mobiliseraient uniquement si la tâche était facile et si l’on ne risquait pas grand chose.

Rédaction du questionnaire

Après avoir sélectionné les comptes Twitter qui m’intéressaient, je me suis interrogé sur la méthode à suivre. Fallait-il faire des demandes d’entretien ? La répartition géographique de ces utilisateurs m’auraient obligé à effectuer ces entretiens en ligne, soit par courrier électronique, soit par un logiciel comme Skype.
J’ai rapidement préféré une alternative, qui était de faire un questionnaire en ligne. Twitter me permettait en effet de contacter de manière simple les profils sélectionnés et de leur soumettre un questionnaire hébergé sur le cloud28. J’ai choisi pour l’hébergement de ce questionnaire d’utiliser Google Forms. Gratuit et doté d’une interface facile à maîtriser, ce logiciel m’a permis de programmer ce questionnaire rapidement. De plus, j’ai pu le relier à Google Sheets, autre logiciel qui réceptionnait les données. Je pouvais donc accéder en temps réel à toutes les réponses données au questionnaire. Ces données était exportables en fichier Excel et j’ai pu aisément créer des graphiques me permettant de mieux analyser les réponses reçues. J’ai commencé mon questionnaire par une brève présentation de mon travail afin que les personnes acceptant d’y répondre puissent avoir un aperçu de comment leurs réponses allaient être utilisées. Voici ce que j’y ai mis : « Je suis étudiant en Travail Social à la HES-SO de Sierre (CH). Pour mon mémoire de bachelor, je m’intéresse à Twitter comme outil de transmission d’informations et de communication individuelle et sociale. Ma question de recherche est la suivante :
En quoi Twitter est-il un outil favorisant la création d’un réseau militant pour les travailleurs sociaux?
Répondre à mes questions ne vous prendra que deux minutes. Ce formulaire garantit votre anonymat. Merci pour votre aide précieuse. Jean-Alain Nieder »

Résultats et interprétations de mes réponses

La passation se déroula du 21 octobre au 19 décembre 2015. J’ai durant cette durée récolté 139 réponses au questionnaire, ce qui était plus important que ce à quoi je m’attendais. En effet, je n’ai contacté directement que 123 personnes et mon compte ne disposait également que de 40 followers. J’espérais pouvoir récolter une soixantaine de réponses dans un premier temps et de solliciter à nouveau des gens dans un deuxième temps afin d’obtenir de nouvelles réponses. Si l’on reprend le nombre de réponses par rapport aux formulaires envoyés, on obtient un taux de pénétration de plus de 113%. Je vois principalement deux causes à ces excellents résultats :
• En expliquant clairement le sujet de ma recherche et en stipulant que c’était pour un mémoire de fin d’études, ma démarche parut sans doute « sympathique » aux yeux des travailleurs sociaux de Twitter. En intégrant leur réseau dans le but d’apprendre sur leurs pratiques, j’insistais sur le service qu’ils me rendaient et à quel point leurs réponses m’étaient utiles.
Galant et Vernette30 (2000) disent d’ailleurs à ce sujet que « d’une façon générale, le taux de réponse dépend de l’intérêt de l’étude perçu par le répondant ».
• Mon 4e tweet a, grâce à un effet boule de neige propre au réseau, bénéficié de 19 retweet dans les premières 24 heures de sa diffusion. Comme précédemment évoqué, cela a eu comme effet une exposition considérable à une multitude de comptes qui n’auraient pas eu vent de ma recherche autrement.
Je vais maintenant m’atteler au dépouillement des questionnaires. Nous verrons que certaines réponses sont assez éloignées de ce à quoi je m’attendais.

Bilan de la recherche

Réalisation des objectifs

Objectif concernant la création d’un réseau militant

« Je veux savoir si Twitter est un outil facilitateur dans la création d’un réseau militant. »
J’ai pour ce travail de recherche choisi de me créer un compte Twitter afin de pouvoir étudier de l’intérieur les pratiques des utilisateurs que j’avais ciblées. Je me suis aperçu que la twittosphère36 était un univers extrêmement codifié et dont les codes évoluaient très rapidement. Comme je m’intéressais à Twitter depuis plusieurs années, j’étais familier avec certaines pratiques ou techniques de communication interne au réseau. Cependant, j’ai découvert au fur et à mesure de mon travail de recherche que mes connaissances en la matière étaient souvent éprouvées, dépassées voire obsolètes. Il faut préciser que contrairement à d’autres plateformes sociales plus fermées, Twitter permet et encourage même les « innovations par l’usage », c’est-à-dire les « innovations technologiques ou de services qui naissent des pratiques des usagers et se diffusent à travers des réseaux d’échanges entre usagers. »
Le but de la création de ce compte était de voir s’il était possible de me créer un réseau militant. J’ai commencé à suivre un certain nombre de profils et je me suis aperçu que de plus en plus de profils me suivaient également. Ces profils étaient ceux de travailleurs sociaux pour la plupart mais aussi de certains journalistes ou de personnes dont le profil stipulait qu’ils étaient sensibles aux problématiques sociales.
L’événement qui accéléra la création de ce réseau fut la publication de mon 4e tweet. Bénéficiant de 19 retweets, le message a touché un nombre de gens considérables. Souvenons-nous que dès qu’un message est retweeté une fois, indépendamment du nombre de followers de la personne émettrice, il peut toucher en moyenne 1000 profils. L’utilisation de hashtag permet également de pénétrer à l’intérieur d’une discussion (ou topic) entre militants et de mettre en commun des idées ou simplement de participer au débat. Si l’on compare aux méthodes « traditionnelles » de questionnaire comme l’envoi par e-mail ou par courrier postal, l’utilisation de Twitter pour l’envoi de questionnaires a un potentiel de diffusion massif tout en restant simple d’un point de vue logistique ou organisationnel.

Objectif concernant la quotidienneté militante

« Je veux savoir si les travailleurs sociaux présents sur Twitter s’inscrivent dans une quotidienneté militante. »
La grande majorité des personnes interrogées utilise Twitter à travers son application mobile. Dans une moindre mesure, elles utilisent également la version conçue pour les tablettes. A la différence de l’utilisation web que l’on peut en faire sur un ordinateur en poste fixe, la version pour Smartphone et tablette se trouve « dans sa poche ». D’un simple geste du pouce, on se retrouve connecté et en lien avec les personnes de son réseau. Grâce au système de notifications, on est prévenu immédiatement si une personne interne ou externe au réseau entre en communication avec soi.
On est également notifié si un des hashtag que l’on utilise régulièrement ou récemment gagne en popularité : il devient alors un trending topic, un sujet de discussion qui revient souvent dans les tweets publiés ces dernières heures. Ces notifications interviennent à toute heure du jour ou de la nuit ; en acceptant ce fonctionnement, on se rend disponible à tout son réseau de manière permanente. On peut également intervenir dans un débat à toute heure et se tenir au courant des dernières opinions de la twittosphère. Il y a donc une porosité entre la sphère privée, professionnelle et militante chez ces travailleurs sociaux. A travers une plateforme comme Twitter, ils pratiquent un « individualisme connecté », dont le mot d’ordre est « autonomie, réseau, contrôle40 ».

Objectif concernant la pratique d’un militantisme distancié

« Je veux savoir si les travailleurs sociaux présents sur Twitter pratiquent un militantisme distancié. »
Le militantisme distancié, comme défini par Jacques Ion, est caractérisé par une implication « mesurée », « circonstanciée » et « réversible ». Il précise toutefois que cela n’exclut pas une « implication intense » ; c’est le militant lui même qui réajuste en permanence son implication en fonction de différents facteurs professionnels ou privés.
Comme j’ai pu l’observer au fur et à mesure de mon analyse, le recours à un pseudonyme permet cette distance. Près des deux tiers des personnes interrogées ne tweetent pas en leur propre nom mais à travers un personnage dont la photo de profil et le nom d’utilisateur empruntent souvent à une imagerie révolutionnaire de gauche. Plus des deux tiers des travailleurs sociaux interrogés durant l’enquête disent également prendre part à des campagnes en ligne ou à faire la promotion d’une organisation militante sur Twitter, à travers leur réseau cybermilitant.
Un peu moins de la moitié des personnes sondées disent aussi faire partie de structures militantes en ligne ou participer à des campagnes en ligne. Ces organisations comme Avaaz ou Act Up ! permettent justement ce militantisme distancié de par leur mode de fonctionnement d’actions « post-it » et ponctuelles.

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Table des matières

1. PRESENTATION DE LA RECHERCHE
1.1 INTRODUCTION
1.2 QUESTION DE RECHERCHE
1.3 MOTIVATIONS
1.4 QUESTION DE DEPART
1.5 OBJECTIFS
1.6 LIEN AVEC LE TRAVAIL SOCIAL
1.7 HYPOTHESES
1.7.1 Hypothèse 1
1.7.2 Hypothèse 2
1.8 DEMARCHE METHODOLOGIQUE
2. RECHERCHE PROPREMENT DITE
2.1 CLARIFICATION DES CONCEPTS
2.1.1 Quelques précisions techniques
2.1.2 Le cybermilitantisme
2.1.2.1 Le néo-militantisme : une critique sociale décomplexée
2.1.2.2 Focus sur le cybermilitantisme, ou net-activisme
2.1.2.3 Un militantisme ponctuel et de projets
2.1.2.4 Dans l’intimité des cybermilitants
2.1.2.5 Le risque d’une porosité
2.1.2.6 Militantisme coopératif
2.1.2.7 Une forme de militantisme souvent critiquée
2.1.2.8 Liens forts et liens faibles
2.1.2.9 Twitter, théâtre du renouveau d’un activisme social
2.1.2.10 Inventaire des concepts
2.2 ENQUETE AUPRES DES TRAVAILLEURS SOCIAUX UTILISATEURS DE TWITTER
2.2.1 Objectifs
2.2.2 Préparation de l’enquête
2.2.3 Rédaction du questionnaire
2.2.4 Résultats et interprétations de mes réponses
2.2.4.1 Sur quels appareils vous connectez-vous à Twitter
2.2.4.2 A quelle fréquence utilisez-vous Twitter ?
2.2.4.3 Etes-vous sur Twitter sous votre propre nom ou avez-vous recours à un pseudonyme ?
2.2.4.4 Où twittez-vous ?
2.2.4.5 A quel moment le faites-vous ?
2.2.4.6 Utilisez-vous Twitter comme plateforme d’expression ?
2.2.4.7 Vous arrive-t-il de rechercher sur Twitter des informations concernant un événement particulier ?
2.2.4.8 Utilisez-vous des « hashtags » (#) pour COMMUNIQUER à propos de problématiques sociales ?
2.2.4.9 Utilisez-vous des « hashtags »(#) pour vous INFORMER à propos de problématiques
sociales ?
2.2.4.10 Qui suivez-vous comme utilisateurs de Twitter
2.2.4.11 Retweetez-vous des messages d’autres militants sur Twitter ?
2.2.4.12 Vous arrive-t-il de relayer sur Twitter des articles de médias en ligne ?
2.2.4.13 Vous arrive-t-il de vous servir de Twitter pour informer d’évènements hors-ligne ?
2.2.4.14 Vous arrive-t-il de participer aux campagnes en ligne et/ou de faire la promotion d’une organisation militante sur Twitter ?
2.2.4.15 Vous arrive-t-il d’interpeller sur Twitter des personnalités publiques à propos d’une problématique sociale ?
2.2.4.16 Faites-vous partie de structures militantes en ligne ?
2.2.4.17 Faites-vous partie de structures militantes hors ligne ?
3. BILAN DE LA RECHERCHE
3.1 REALISATION DES OBJECTIFS
3.1.1 Objectif concernant la création d’un réseau militant
3.1.2 Objectif concernant la quotidienneté militante
3.1.3 Objectif concernant la pratique d’un militantisme distancié
3.2 VERIFICATION DES HYPOTHESES
3.2.1 Hypothèse 1
3.2.2 Hypothèse 2
3.3 REPONSE A LA QUESTION DE RECHERCHE
3.4 AUTOCRITIQUE DE LA DEMARCHE
3.5 MISE EN EVIDENCE DES APPRENTISSAGES
3.6 PERSPECTIVES
4. BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
ARTICLES
5. ANNEXES

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