ENONCIATION ET DENONCIATION DU POUVOIR DANS ALLAH N’EST PAS OBLIGE

La revue de la littérature

  Pour pouvoir bien cerner notre sujet, nous avons consulté plusieurs d’ouvrages et articles qui nous ont beaucoup inspirée. Parmi ces ouvrages, on peut citer Jean CERVONI avec son ouvrage l’énonciation. Il y soulève la question du sens des énoncés et juge nécessaire de tenir compte, pour qu’un énoncé ait un sens, de certains facteurs autres que syntaxiques car un énoncé ne peut pas être intelligible malgré le fait qu’il soit conforme aux règles de la syntaxe. Il y a aussi Jean M. ADAM dans le texte narratif, fait une distinction de deux instances fondamentales qui caractérisent le discours romanesque ;
– le narrateur (acteur-narrateur jouant un rôle dans l’histoire racontée ou acteur-narrateur anonyme ne participant pas à l’action)
– l’auteur abstrait (déduit du texte à la différence de l’auteur concret).
En outre on peut citer aussi celui de S. Lafage : Dictionnaire des particularités du français au Togo et au Dahomey (actuel Benin), Institut de linguistique appliquée ; Université d’Abidjan, 1975. Cet ouvrage nous a permis de comprendre quelques-unes des caractéristiques du français des écrivains africains durant ces dernières années. Dans cet ouvrage ; Lafage distingue trois types d’africanismes, c’est-à-dire des termes faisant référence à l’Afrique : les africanismes lexématiques ; les africanismes sémantiques ; les africanismes rapportant aux termes rares ou techniques en « français central », mais d’usage courant en français d’Afrique. Toujours dans le même ouvrage, Lafage révèle trois sortes d’emprunts :
– ceux qui ont caractère infernal confirmé, c’est-à-dire ceux dont l’usage dépasse largement les frontières de leur localité ou de leurs pays d’origine,
– les mots ordinaires, mais d’usage limité à leur localité ou à leur pays d’origine et pour lesquels on peut facilement trouver des équivalents en français.
– enfin les mots très fortement marqués sur le plan culturel ; ils sont d’usage très restreint, limités à leur langue d’origine. Il n’y a pas d’équivalent pour eux en français et leur explication est une véritable information culturelle.
Nous avons consulté aussi L’énonciation de Catherine KERBRAT ORECCHIONI. Constitué de trois chapitres, elle aborde dans le premier chapitre la problématique de l’énonciation en parlant d’énoncé restreint vs énoncé étendu et en présentant le schéma de Jacobson (1963), la critique de ce schéma et de certains éléments de ce schéma comme « le code » résulte deux problèmes :
– problème de « l’homogénéité du code »
– Problème de « l’extériorité du code ».
Dans le second chapitre, elle y aborde la subjectivité dans le langage et fait une explication des déictiques qu’elle définit ainsi : ce sont « les unités linguistiques dont le fonctionnement sémantico-référentiel (sélection à l’encodage, interprétation au décodage) implique une prise en considération de certains éléments constitutifs de la situation de communication, à savoir :
– le rôle que tiennent dans le procès d’énonciation les actants de l’énoncé,
– la situation spatio-temporelle du locuteur et éventuellement de l’allocutaire.
Aussi dans ce chapitre, elle a étudié les subjectivités « affectifs » et « évaluatifs », l’axiologisation et la modalisation. Dans le chapitre trois, elle fait une évaluation de l’approche descriptive où elle aborde la question de l’omniprésence de la subjectivité langagière et aussi la typologie des discours en parlant du discours littéraire et fictionnel, du problème de la formation discursive, de la pragmatique du langage, de l’activité dialogique, de la spécificité des valeurs illocutoires, etc. Elle apporte aussi des éclaircissements à propos de l’ambigüité des termes « objectif » vs « subjectif ». Nous pouvons citer aussi MEUNIER qui nous parle des difficultés du terme « modalité » en ces termes : « parler de modalité sans plus de précision, c’est s’exposé à de graves malentendus. Le terme est en effet saturé d’interprétations qui ressortissent explicitement ou non, selon les linguistes qui l’utilisent, de la logique, de la sémiotique, de la psychologie, de la syntaxe, de la pragmatique ou de la théorie de l’énonciation ». Avec Oswald DUCROT, on a pu aussi comprendre aussi certaines lois du discours telles : la sincérité, l’exhaustivité, la pertinence, l’intelligibilité. Toujours dans son ouvrage Dire et ne pas dire, il nous fait comprendre que l’énoncé véhicule un sous-entendu qui peut se déduire du sens littéral et qui oriente le destinataire vers une interprétation donnée. Avec lui, on distingue quatre facteurs qui déterminent l’implicite :
– le sens lié aux us et coutumes linguistiques et sociales
– le sens lié à la culture personnelle
– les présuppositions
– les sous-entendus
Aussi avec Austin dans son ouvrage How to do things with words ? (1974) traduit par Quand dire c’est faire nous a permis d’avoir un aperçu sur les actes de langage, plus particulièrement avec sa théorie : les actes de langage approfondies par SEARLE dans les années soixante-dix (70). On en distingue trois depuis les travaux d’AUSTIN :
– la locution (locutoire) : un groupe de mots figé exerçant une fonction grammaticale,
– l’illocution (illocutoire) : un acte de parole réalisant ou visant à réaliser l’action dénommée,
– la perlocution (perlocutoire) : un acte de parole visant à obtenir un effet indirect chez l’interlocuteur.
Ainsi, Dominique MAINGUENEAU dans son ouvrage Analyser les textes de communication (1998) nous a permis de mieux comprendre l’analyse des textes littéraires. On y comprend que l’interprétation d’un énoncé se base sur trois sources d’informations :
– l’environnement physique de l’énonciation ou contexte situationnel ;
– le cotexte, « séquences verbales qui se trouvent placées avant ou après l’unité à interpréter »,
– les savoirs intérieurs à l’énonciation. En les principales lois du discours, les faces, les compétences etc. En effet, l’auteur s’intensifie à relier l’organisation textuelle de la situation de communication en répondant aux questions suivantes :
De quel medium passe le discours ?
De quel genre révèle-t-il ?
Comment est-il mis en scène ?
MAINGUENEAU entend faire une analyse du discours qui n’appréhende ni l’organisation textuelle en elle-même, ni la situation de communication mais s’efforce de les associer intimement. L’œuvre ne cherche pas à dresser un panorama des problématiques de l’analyse du discours ni de construire un modèle détaillé de ce qu’est l’analyse du discours, il indique seulement les caractéristiques majeures et propose un certain nombre d’entrées pour l’analyse des textes écrits. De même, nous avons consulté un ouvrage d’Edmond BILOA : Le français des romanciers négro-africains : appropriation, variationnisme, multilinguisme et norme. L’auteur y répertorie quelques caractéristiques, quelques spécificités et circonscrit quelques lieux et modalités de la littérature africaine de langue française avec un corpus composé de près d’une quarantaine d’œuvres romanesques appartenant soit à la première génération, soit à la deuxième génération, soit datant récemment. Dans l’ouvrage, l’auteur fera fi de la démarche esthétique pour se dévouer aux plans formels et linguistiques, pour démasquer les différentes stratégies mises en place par les écrivains pour produire des œuvres romanesques spécifiquement africaines. Ils montrent également comment les normes en vigueur dans les romans africains sont en conflit avec la norme dite légitime. L’ouvrage est constitué de trois parties :
Dans la première, il étudie le plan formel et linguistique de la production littéraire africaine (énonciation, néologie, morphologie, syntaxe contacts de langues, multilinguismes, etc.)
Dans la deuxième, il étudie la réception ethnolinguistique du texte littéraire africain, l’insécurité linguistique de l’auteur et du lecteur de la littérature africaine.
Dans la troisième partie : normes et écritures africaines, il aborde un certain nombre de thèmes comme : la norme en francophonie, l’écologie du français écrit en Afrique et la problématique de la norme en francophonie.
Aussi, nous avons lu Introduction à l’analyse linguistique, c’est un ouvrage très pertinent de Patrick GUELPA publié en 1997. Il nous a fourni un instrument de travail des éléments d’appréciation, des explications quant aux méthodes et aux procédures d’analyse. Le travail dans cette œuvre s’articule autour de trois grandes parties qui traitent successivement :
– De l’histoire de la linguistique,
– Des différentes branches de la linguistique moderne,
– De quelques grands débats toujours actuels.
Ce rapide survole historique nous a permis de prendre la mesure des découvertes en linguistique au fil du temps. Nous pouvons aussi citer Christian ALBERT avec son œuvre Francophonie et identités culturelles (1999) qui nous a permis d’avoir une idée sur les problèmes du français dans l’espace francophone car le terme francophonie est très polysémique donc insaisissable d’emblée vue qu’il peut être appréhendé selon plusieurs perspectives : linguistique, historique, didactique etc. Et dans cet ouvrage, l’étude porte essentiellement sur la perspective littéraire car l’auteur considère la littérature comme un privilégié où peuvent s’exprimer les identités culturelles spécifiques. Il soulève la possibilité de parler d’une francophonie et donne les raisons : « les différents modes d’appropriation du français par les hommes et des femmes dont ce n’était pas la langue maternelle ont permis l’émergence de littératures appartenant à des aires géographiques et culturelles différentes qui définissent une francophonie plurielle ». Il souligne aussi certaines pratiques vis-vis du français comme : la créolisation de la langue, l’abandon pur et simple du français dans les zones géographiques où il n’était naguère florissant et confronte les résultats auxquels ont abouti ces différentes pratiques en prenant en compte les relations d’opposition ou de complémentarité qui s’établissent entre langue, culture, et littérature. De même, pour comprendre quelques caractéristiques de la littérature africaine très en vogue ces dernières années comme les africanismes, les emprunts, nous avons consulté A. Koné et al. Littérature et méthodologie (1984), il en parle en ces termes « une œuvre même écrite par un africain et qui ne contiendrait pas de topois africains, n’appartient pas à la littérature africaine. Du coup, on ne saurait juger correctement la littérature africaine si auparavant l’on n’en connait pas les topois les plus caractéristiques ». En outre, il y a GASSAMA M. (1995). La langue d’Ahmadou Kourouma. En effet, ce critique nous a beaucoup renseignés à propos du style de Kourouma et des raisons qui le poussent à transgresser certaines règles ou normes académiques surtout quand il a affirmé que : « les diverses ressources stylistiques utilisées par Ahmadou Kourouma (…) conduisent toujours dans la même direction de dénonciation, sans farde des méfaits des indépendances comme naguère l’on dénonçait les méfaits de la colonisation ». Parlant toujours du style de Kourouma avance ces propos : « sans faire appel pour autant à l’argot, à la langue populaire ou au pidgin (…), il colle au milieu comme l’abeille à la ruche…un monde de désordre, rendu dans un style volontairement désordonné ».

Les modalités d’énoncé

   Elles recouvrent un domaine plus vaste que les modalités d’énonciation. Ce sont des énoncés contenant des marques qui traduisent une prise en charge du locuteur. Elles renvoient au sujet, à l’énonciation en marquant son attitude par rapport au contenu (elles relèvent de la fonction expressive de R. Jakobson, c’est-à-dire l’état émotif ou affectif). En plus, elles expriment la manière dont l’énonciateur apprécie le contenu de l’énoncé. Autrement dit, c’est le processus par lequel le locuteur manifeste sa position. Plus précisément, pour qu’un énoncé soit modalisé, il faut, d’une part une posture spécifique du responsable de l’énonciation qui engage sa présence subjective et d’autre part la présence des marques remarquables aux réalisations linguistiques de tout ordre qui marque que le locuteur renforce, nuance ou rectifie son énoncé ou son propos. Ainsi, les modalités d’énoncé rendent compte de l’appréciation que le locuteur a du contenu de son énoncé. Ces modalités sont véhiculées par le lexique, la syntaxe, tous les signes de la langue, avec un accent particulier sur les modificateurs que sont les adverbes, les adjectifs, entre autres. Ainsi, Roberte TAMOUSSANE, par la définition donnée à la modalité rejoint certains auteurs. Pour lui, « c’est le fait que le locuteur peut exprimer dans l’énoncé à la fois d’un contenu, une information et son attitude vis-à-vis de cette information ». Suivant Catherine Kerbrat-Orecchioni, on distingue deux aspects de la subjectivité :
– L’affectif qui concerne toute expression des sentiments du locuteur. En effet, la subjectivité affective s’inscrit dans la parole par l’emploi des termes concernant les sentiments, les émotions, les passions… Par exemple les adjectifs affectifs comptent parmi les unités linguistiques subjectives et la modalité fonctionne comme un concept qui permet d’introduire la subjectivité du locuteur par ses émotions et ses sentiments. « ‘’Cette pénible affaire’’, ‘’ cette triste réalité’’, ‘’cette pauvre femme’’ : autant d’expressions qui sont à considérer comme subjectives dans la mesure où elles indiquent que le sujet d’énonciation se trouve émotionnellement impliqué dans le contenu de son énoncé ».
– L’évaluatif est pris comme un jugement ou évaluation du locuteur Toujours selon Kerbrat-Orecchioni, « cette classe comprend tous les adjectifs, qui sans énoncer de jugement de valeur, ni d’engagement affectif du locuteur (du moins au regard de leur stricte définition lexicale : en contexte, ils peuvent bien entendu se colorer affectivement ou axiologiquement, impliquent une évaluation qualitative ou quantitative de l’objet dénoté par le substantif qu’ils déterminent et dont l’utilisation se fond à ce titre sur une double norme » (1999 :96). En outre, il convient d’évoquer que les rôles respectifs de l’émetteur et du récepteur dans l’acte de parole apparait à travers ce qu’on appelle les modalités d’énonciation. En plus l’acte de l’énonciation ne se limite pas à la transmission d’information. Produire un énoncé, c’est en même temps de la part du locuteur de manifester un certain comportement vis-à-vis de son allocutaire. De ce fait, le locuteur peut positionner par rapport à son allocutaire, à la société, au monde qui l’entoure et à ses propos. C’est dans cette perspective qu’on note trois procédés énonciatifs de la modalisation.

Les actes de langage directs et indirects

  D’après Austin (1970) et Searle (1982), tous les énoncés transmettent non seulement un contenu propositionnel, mais aussi accomplissent une action particulière à travers la force de l’énoncé. Le terme d’acte de langage renvoie généralement à l’acte illocutoire qui est conventionnellement lié à un type d’acte de langage. Or l’acte de langage est par nature une action sociale qui est gouvernée par certaines règles telles que la grammaire ou la norme sociale. Ces contraintes grammaticales et / ou sociales rendent le discours compréhensible et souvent acceptable. En effet, il s’agit, dans notre cadre d’étude, de l’acte de langage qui est un moyen mis en œuvre par un locuteur pour agir sur son environnement par ses mots. De ce fait, il cherche à informer, convaincre, aviser, dénoncer…ses interlocuteurs ou son peuple par ce moyen. En effet, le langage ne sert ni simplement, ni seulement à représenter le réel mais à accomplir des actes. Il en existe deux types : les actes de langage directs et les actes de langage indirects. Les actes de langage directs sont des énoncés dans lesquels le locuteur ne prend aucun détour pour exprimer son message. Parlant d’acte de langage direct, Austin (1970 :37) pense que pendant longtemps les philosophes ont supposé que le but d’une affirmation ne pouvait être que décrire un état de chose ou d’affirmer un fait, dans ce sens l’affirmation devait être soit vraie, soit fausse ; ce que rectifie l’auteur lorsqu’il fait observer : « On n’est venu à voir que bon nombre de mots fort embarrassants insérés dans des affirmations apparemment descriptives ne servent pas à indiquer un caractère supplémentaire et particulier étrange de la réalité qui est rapportée, mais à indiquer (…) les circonstances dans lesquelles l’affirmation est faite, ou les réserves auxquelles elle est sujette ou la façon dont il faut la prendre (…) ». Donc, pour Austin, un individu s’adresse à un autre dans l’idée de faire quelque chose. On peut alors modéliser l’acte de langage comme n’importe quel autre type d’acte : il a un but, un corps et un effet. Les actes de langage directs englobent les actes locutoires, illocutoires et perlocutoires. Quant aux actes de langage indirects, ce sont des énoncés qui disent une chose pour signifier une autre chose. C’est le lieu par excellence du langage détourné. En guise d’exemple, un acte d’injonction peut se retrouver dans un acte d’interrogation et vice-versa comme l’exprime cet énoncé Peux-tu me passer du sel ? En fait cette question n’est pas qu’apparente ; le sens de l’énoncé réel est passe-moi le sel ! C’est une injonction. Il existe donc une différence entre la signification littérale d’un énoncé et la signification que l’on peut attribuer à son énonciation. C’est le domaine de l’implicite comme les présuppositions et les sous-entendus. Pour marquer la différence entre deux types d’actes, Riegel et al (1996 :588) révèlent que : « Alors que les actes de langage directs utilisent la forme linguistique associée par convention à l’acte de langage spécifique, les actes de langage indirects sont accompli au moins d’un énoncé contenant une forme associée conventionnellement à un acte que celui qu’il vise à accomplir ». Dans l’un ou l’autre cas, l’identification d’un acte de langage conditionne largement l’interprétation du message délivré, au-delà de la compréhension de son contenu sémantique. ? Cette conception met en avant les effets que le discours exerce sur les auditeurs comme Kourouma veut passer son message à son peuple à travers ses différentes stratégies parmi lesquelles les actes de langage et les modalités d’où cette étude que nous proposons à l’égard de notre sujet.

Le langage de kourouma

  Le langage des écrivains de la nouvelle génération se caractérise par des récits polyphoniques qui évacuent « le narrateur omniscient du roman classique, au profit d’une multitude de narrateurs seconds qui disent la complexité contradictoire de leur environnement » (Chevrier, 1999 :110). Généralement, la langue ou le langage de kourouma est pour la critique un « détour oblige ». L’emploi d’africanismes, de néologismes, d’usages grammaticaux rares ainsi que le déploiement d’un fort symbolisme déstabilisent la langue française et, par ce fait même, ces lecteurs. Dans ce sens, Ahmadou kourouma a modifié la perception d’une situation donnée (culturelle, historique, ou proprement linguistique) en déclinant les connivences habituelles entre le mot et sa référence sur le plan social. Dans cette perspective, Makhily Gassama renchérit : « Les diverses ressources utilisées par Ahmadou Kourouma se distinguent par leurs singularités ; elles sont d’autant plus singulières et, en certaines occasions, choquantes pour le lecteur non averti qu’elles sont intentionnels. Elles conduisent toujours dans la même direction : la dénonciation, sans fard, des méfaits des « indépendances » comme, naguère, l’on dénonçait les méfaits de la colonisation, les « indépendances », à la différence de la colonisation, ont réussi, en quelques décennies, à polluer les sociétés africaines, à les « déviriliser » et à transformer l’homme africain de fond en comble. (…) Le langage de kourouma est celui de son peuple : le peuple malinké est certainement l’un des peuples africains qui accordent le plus d’intérêt, dans sa vie quotidienne, à l’expressivité du mot et de l’image, et qui goutent le mieux les valeurs intellectuelles, donc créatrice de parole. Si les faits d’expression ne parviennent pas à enrayer la misère matérielle, ils parviennent, tout de même, à rendre moins amère cette misère quotidienne et à concéder, au locuteur ou à l’allocutaire, un semblant de dignité : d’où, du reste, l’inestimable rôle de soupape de sécurité que joue, aujourd’hui, le griot ou poète professionnel, dans des sociétés en pleine décadence morale et matérielle ». En effet, chez Kourouma, l’écriture qui se veut à la fois laborieuse et cinglante risque aux périls de la dénonciation en usant de subterfuges littéraires ou linguistiques, eux- même cyniquement démontés par l’entreprise qui accule tout projet idéologique aux aigreurs de sa propre logique. En décrivant l’histoire de la guerre civile par la bouche d’un enfant ou l’inconsistance des nouveaux pouvoirs africains sous le regard des anciens princes déchus, l’écrivain s’engage et s’y commet. Le travail sur le langage traduit la prise de risque : son refus du silence, son refus de reconduire une glose abrutissante enfermant l’Afrique dans une fatalité artificielle, construite de toutes pièces par ces mêmes discours. Sur cette lancée, le langage de kourouma est intelligemment conté avec les mots faussement naïfs de son héros empêtré dans une syntaxe approximative et il est soucieux de toujours utiliser le mot juste et d’en donner la définition si nécessaire à l’aide de dictionnaires. Le recours aux dictionnaires ne peut s’expliquer que par un réel sentiment d’insécurité linguistique. La langue courante est incapable de cerner l’univers des personnages. Il est aisé de montrer comment ce sentiment se manifeste tout au long du roman. Ces différents dictionnaires français, anglais, et africains servent à montrer que le romancier ne veut pas trahir la pensée ou la situation des personnages. Il s’exprime en ses termes : « Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toutes sortes de gens : des toubabs (toubab signifie blancs), colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophonies de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, vérifier, et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres d’indigènes d’Afrique. L’inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s s’explique les gros mots pidgin à tout français qui ne comprend pas pidgin ». Le recours fréquent aux dictionnaires est fait soit pour expliquer des mots appartenant aux registres plus élevés de la langue, soit pour expliquer des expressions ne faisant pas parti de l’usage idiolectale de l’auteur. On peut citer des termes comme « viatique », « fatidique », « mirifique » etc. Kourouma s’arroge le droit d’enrichir sa langue des créations les plus débridées qu’il mêle à des termes généralement connus. Il utilise par exemple le mot « fafaro » qui n’existe pas dans le dictionnaire. Cette démarche relève de la peinture d’un univers lexical et social auquel il appartient. En voici quelques échantillons : « grigriman », « féticheurs », « charlatan », multiplicateur de billets », « gibo »… Il donne aussi comme à son habitude des comparaisons relatant la turbulence du langage propre aux malinkés. Mais s’il y a qualificatif qui colle comme une sangsue à l’œuvre de Kourouma, c’est celui de la « bâtardise », autrement dit celui de l’invention verbale. Chez Kourouma, il semble que l’insécurité linguistique fonctionne comme un très puissant moteur de création verbale. L’insécurité n’est pas dans la langue de Kourouma mais dans le fait que pour oser son innovation linguistique ; il a besoin de s’abriter derrière une autorité lexicographe. Nous voyons donc que dans le roman plusieurs langages et niveaux de langue se télescopent, Kourouma est surtout soucieux de faire comprendre aux lecteurs le vrai langage et le schéma mental des individus qui vivent dans le drame de la guerre et de la « bâtardise ». En d’autres termes, les faits linguistiques qui outragent la langue française et crée l’insécurité linguistique chez Kourouma renouvellent le français. Pour se faire, il cite les dictionnaires qui octroient, par le même, une certaine légitimité à sa variété de français qui ne semble respecter que la norme endogène. L’écrivain ivoirien, en sacrifiant à la norme autochtone, voudrait être lu par toutes les couches de la société. Comme le reconnait Pierre Dumont : « La langue de Kourouma est le résultat d’une transgression, mais cette fois-ci toute trace de remord a disparu. Ahmadou kourouma, peut-être naïvement, décide d’emprunter les outils du champ normatif francophone, les dictionnaires, pour s’octroyer le droit d’écrire sa langue, celle d’un véritable écrivain sûr de lui, sûr de son talent, sûr de son succès ». Ce décentrement de la langue n’est pas uniquement un phénomène esthétique. Il tient d’une idéologie et des rapports avec la langue de l’autre. Il tient aussi d’une vision du monde car la désarticulation des sociétés africaines contemporaines ne saurait être restituée par un style policé. Et face à cette dérive, Kourouma procède à une écriture de renversements de tout ordre. Ce qui répond bien à la réflexion de Victor Hugo qui écrivait que la forme, c’est le fond qui le ramène en surface et Roland Barthe de renchérir qu’il y a pas de littérature sans morale de langage. Il sent la nécessité de forger une nouvelle politique pour traduire se désir de connaissance et d’émancipation qui habite Birahima. Pour ce faire, comme l’indique Dolisane-Ebosse, il utilise une écriture où le signe se trouve son épaisseur dans le sens donné par le réfèrent social et le roman dévient donc un « signe de l’histoire et résistance à la fois en vue de vaincre le destin ». Au niveau du style, la recherche d’un statut possible pour le continent se lit effectivement dans le langage de Birahima. En effet, cette langue enfantine faussement naïve est très critique et s’en prend en particulier à la politique et à la religion pour préserver la santé mentale des victimes dans un univers ambivalent où des rires peuvent exprimer des pleurs, où la louange excessive fonctionne de pair avec les injures grossières. La destruction en Afrique est mise en scène par Kourouma avec leurs conséquences politiques, sociales et psychologiques. La connexion morpho-fonctionnelle du roman dévoile les mécanismes masquées du pouvoir

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE 
I.1 Problématique 
I.1.1 Contexte et justification
I.1.2 Questions de recherche
I.1.3. Hypothèses
I.1.4. Objectifs
I.2. Cadre théorique et conceptuel
I.2.1. La revue de la littérature
1.2.2. Cadre théorique
I.2.2.1 Les théories de l’analyse du discours
I.2.2.2. Les théories de l’énonciation
I.2.3. Cadre conceptuel
I.3.Méthodologie
I.3.1.Présentation et justification du choix du corpus
I.3.2. Présentation de l’auteur
CHAPITRE II : L’ANALYSE DES MODALITES ET DES ACTES DE LANGAGE
II.1. Les modalités
II.1.1. Les modalités d’énonciation
II.1.2. Les modalités d’énoncé
II.1.2.1. La modalité allocutive
II.1.2.2. La modalité élocutive
II.1.2.2.La modalité délocutive
II.2. Les actes de langage
II.2.1. Problématique de la définition de l’acte de langage
II.2.2. La théorie des actes de langage : principes et problèmes
II.2.2.1. La typologie des actes de langage et leurs particularités
II.2.2.1.1. L’acte locutionnaire (ou locutoire)
II.2.2.1.2. L’acte illocutionnaire (ou illocutoire)
II.2.2.1.3. L’acte perlocutionnaire (ou perlocutoire)
II.2.2.1.4. Les actes de langage directs et indirects
CHAPITRE III : LA MODALISATION : STRATEGIE DE DENONCIATION 
III.1. Les procédés de modalisation
III.1.1. L’intonation
III.1.2: L’injonction
III.1.3. L’assertion
III. 2. Le langage de dénonciation
III.2.1.Le langage de kourouma
III.2.2. Les écritures de violence et crise du langage
III.3. La scénographie de la dénonciation
III.3.1. Le domaine politique
III.3.2. Le domaine linguistique
III.3.2.1.Les déictiques
III.3.2.1.1. Les déictiques personnels
III.3.2.1.2. La déictiques spatiaux
III.3.2.1.3. Les déictiques temporelles
CHAPITRE IV : LES PROCEDES STYLISTIQUES
IV.1. L’ironie
IV.2. L’humour sur la figure de l’enfant-soldat
IV.3. Le langage proverbial
IV.4. La subversion
CONCLUSION

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