ENGAGEMENTS DE LA SOCIETE CIVILE AU COTE DES POPULATIONS AFFECTEES PAR LES MINES

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Cadre historique de l’essor minier en Afrique

Des progrès techniques successifs ont modifié la carte de la géographie minière à l’échelle mondiale en favorisant progressivement l’exploitation des gisements des régions les plus enclavées en Afrique et à travers le monde. En plus des facteurs économiques et politiques, l’exploitation des produits miniers s’est développée grâce à des avancées technologiques. De la mise au point d’une industrie sidérurgique à la construction de « gros navires spécialisés », en passant par la découverte du moteur à explosion et des hydrocarbures (pétrole, gaz), les contours de la carte minière ont changé de forme (le paysage minier a évolué), selon S. Lerat, 1971. Ainsi, « de grandes découvertes techniques furent à l’origine de grands progrès de l’économie minière » (ibidem, 1971 :88). Les mutations de la géographie minière se sont traduites, d’un côté par l’épuisement de certaines réserves en Europe et de l’autre côté par la diminution des coûts de fret des minerais des pays dotés en matières premières vers ceux industrialisés (des lieux d’exploitation vers ceux de la consommation). Cette dynamique est à l’origine du développement industriel des activités extractives en Afrique.
L’essor minier en Afrique s’est fait en plusieurs étapes avant, pendant et après la colonisation. Contrairement aux idées reçues, l’histoire de l’Afrique (y compris minière) commence bien avant la colonisation qui, cependant, a accéléré l’économie minière en introduisant des technologies nouvelles dans l’exploitation et le traitement des minerais (Rubbers, 2013). Ainsi, il a été découvert que les sociétés africaines produisaient leur propre fer, plus de 1500 hauts fourneaux étaient encore en activité à Yatenga, au Burkina Faso (Groupe d’études international, 2011 : 11). L’exploitation du cuivre, de l’or et du sel, est très ancienne pour ne citer que ces exemples (ibidem). En Afrique australe, plus de 4000 sites antiques de production d’or ont été retrouvés. Durant la colonisation, comme c’est le cas aujourd’hui au Sénégal oriental, les compagnies étrangères faisaient appel « au savoir local accumulé pendant des générations pour déterminer l’emplacement du précieux métal et situer les sites d’exploitation appropriés » (ibidem)62. Le rôle de l’or dans le commerce transsaharien est un exemple manifeste de l’essor des activités extractives précolonial. La compétition pour l’appropriation des « sources de matières premières » qui a été à l’origine de la balkanisation de l’Afrique est également celle qui a favorisé l’exploitation industrielle minière, d’abord dans les régions australes (Afrique du sud, Congo belge, Namibie) puis ailleurs dans le continent. En outre, les colonies britanniques, belges et portugaises ont été les premières à entrer dans l’ère industrielle minière, grâce aux capitaux étrangers63.
Toutefois, les efforts ont été concentrés sur l’exploitation des gisements accessibles afin de réduire le coût de l’expédition. L’ouverture sur la mer et la localisation de certains gisements à proximité des littoraux ont ainsi constitué des atouts non négligeables pour les pays riches en ressources extractives. Cela a été le cas pour l’exploitation des gisements de bauxite des îles de Los et des réserves de fer de la presqu’île de Kaloum, située à proximité du port de Conakry (en Guinée), malgré la qualité peu appréciée de ces minerais (Brunet et al. 1994 : 139). L’exploitation des phosphates de Taïba dans la région de Thiès a été également favorisée par les conditions d’accessibilité. Mais la rentabilité d’une mine dépend également des conditions géologiques et économiques (Deshaies, 2007 : 13). En effet, la décision d’exploiter est d’abord fondée sur la qualité du gisement (épaisseur, teneur en métal, disposition et continuité des couches exploitables) qui conditionne la nature de la technique d’extraction et le type d’exploitation (souterraine ou à ciel ouvert). La possibilité d’exploitation prend en compte également l’accessibilité, principal facteur du coût de l’exploitation.

Les prémisses d’une formation territoriale : du fleuve au littoral

L’organisation spatiale du Sénégal peut être appréhendée comme celle de la République de Guinée, analysée par Brunet (1994), en distinguant trois types de Sénégal : le Sénégal agricole ou rural, le Sénégal urbain et le Sénégal minier. En nous inspirant de ce modèle et d’autres étudiés par Roger Brunet, nous proposons une approche géo historique de l’analyse de l’espace sénégalais en intégrant un aspect important : l’évolution de l’économie extravertie.
Le territoire du Sénégal actuel est un héritage de la colonisation. Le fleuve Sénégal (au nord-est) et l’océan atlantique (à l’ouest) constituent les limites naturelles du territoire national. L’espace sur lequel repose l’unité nationale aujourd’hui était initialement composée de petites entités, des noyaux de territoires, gérés par divers groupes ethnico-linguistiques (wolof, sérer, peul, manding, diola). Ainsi, comme le soutient Bernier (1976), « c’est d’abord et avant tout l’histoire coloniale qu’il faut interroger pour comprendre le processus de formation territoriale de la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne ». Le cadre définissant l’unité politico-territoriale s’est formé à cette période, avec la délimitation des frontières du pays. La fondation de Saint-Louis en 1659 est considérée comme étant le début de l’influence française au Sénégal. L’installation du comptoir de Saint-Louis (le premier du pays) a précédé son occupation. Des forts français ont été installés le long du fleuve Sénégal comme relais (Sénoudébou 1713, Bakel 1818, Dagana 1819). Le poste fortifié de Bakel a été par exemple une plaque tournante du commerce avec l’intérieur (Chastanet, 1987), C’était un relais pour l’exportation. Ce commerce, dominé par les produits tels que la gomme arabique, l’huile de palme, la poudre d’or, la cire, les peaux (Bernier, 1976 : 457), intégrait aussi les lieux de production du sel situés à l’ouest sur la côte : Gandiol et Fadiout.
Les comptoirs installés le long de la côte atlantique semblent bouleverser l’organisation territoriale, jusque-là dominée par les relations avec l’intérieur du continent. L’arachide a constitué la nouvelle manne à la place des produits en provenance du sud du pays. Il en résulte une division du pays entre le « Sénégal utile » du point de vue de l’économie coloniale, autour du bassin arachidier au centre ouest, et le Sénégal inutile. Cette opposition territoriale héritée du processus colonial a été consolidée et renforcée par les dynamiques de développement postcoloniales. Le poids géographique de la partie occidentale s’est accentué avec l’exploitation de ses ressources (marines, minières, agricoles, touristiques). L’aménagement portuaire et le statut de capitale (de l’AOF, puis du Sénégal) a conféré à Dakar une fonction d’encadrement centrale (Brunet, 1994) qui a contribué à l’accélération de la poussée urbaine. Les difficultés à se départir du modèle colonial se traduisent encore par le maintien et le développement d’une économie extravertie. Le tableau chorématique ci-après souligne les lignes de force de cette dynamique territoriale.

Logique d’organisation spatiale du territoire sénégalais: les structures élémentaires

La « modélisation graphique » est pourtant peu utilisée dans l’analyse des espaces africains (Leroys, 1995). Or l’utilisation des structures récurrentes de l’espace permet de donner ici comme ailleurs un aperçu intéressant de l’évolution des territoires nationaux. Ce table chorématique est celui que l’on retrouverait dans de nombreux pays africains situés sur la côte occidentale de l’atlantique (ibidem).

L’extraversion économique

L’économie sénégalaise est marquée par trois grandes phases : une phase de croissance de 1950 à 1970 ; une période de crises caractérisée par les sécheresses et les programmes d’ajustement structurel entre 1970 et 2000 ; une troisième phase qui s’est manifestée par une légère relance économique, notamment avec le développement de l’agro- industrie et des activités extractives. Ainsi, le modèle économique sénégalais repose sur l’exploitation et l’exportation des matières premières (C). En effet, l’intégration du pays dans la mondialisation a été favorisée par l’ouverture à l’océan. Cette position a fait de Dakar (Gorée) le lieu de rassemblement et de déportation des esclaves africains. Ce processus d’intégration s’est accéléré progressivement dans un premier temps par le développement des cultures commerciales, l’arachide, puis le coton (C1). C’est le début de l’extraversion économique.
D’abord portée par l’arachide jusqu’aux années 1960, l’agriculture d’exportation s’est diversifiée avec l’introduction du coton au début des années 1970, puis le développement des agro-industries au nord (Sy, 2014). Le développement de la culture de l’arachide, durant les deux premières moitiés du XXe siècle, a représenté l’aboutissement du modèle économique colonial puis néocolonial extraverti. Dès 1890, l’arachide est devenue un produit commercial de premier rang pour la métropole : plus de 5000 tonnes sont exportées (Brunet et al. 1994 : 110). Le Sénégal devient ainsi la colonie de l’arachide. Les superficies s’étendent du centre ouest vers l’intérieur du pays, à la conquête des terres neuves. Cette expansion est favorisée par l’adhésion des populations à la culture arachidière, le chemin de fer, les opportunités d’écoulement offertes par le marché, mais également l’encadrement des pouvoirs publics. Le bassin de l’arachide a ainsi façonné l’organisation du territoire national, grâce au réseau du chemin de fer et des routes qui ont accompagné l’expansion de l’arachide (Magrin, 2013 : 163). Au début des années 1970 des efforts sont réalisés pour sortir du monopole de l’arachide et favoriser une diversification de l’agriculture. L’implantation du coton permise par l’existence de zones climatiques humides au Sénégal oriental et en Casamance (région de Kolda) a été encadré de la Compagnie française pour le développement des fibres textiles entre 1963 et 1964, relayée par la Société des fibres textiles (Sodefitex) en 1974. Le développement de l’or blanc n’est cependant pas seulement lié au besoin de diversification. Il portait un autre enjeu de taille : la redynamisation d’une région marginalisée. Ainsi, la mission de la Sodefitex s’étend également sur la contribution au développement de régions pauvres et enclavées (Magrin, Ninot, 2005). Toutefois, la culture du coton a été affectée par la concurrence des autres pays producteurs d’Afrique (Mali) et d’ailleurs (Etat-Unis, Chine). A l’échelle locale, les impacts de la baisse des cours du coton et l’introduction de la caution solidaire se sont manifestés par la réduction des surfaces emblavées (Dia, 2006).
L’exploitation des ressources halieutiques (C2) et les industries extractives (C3) ont tendance à renforcer cette dynamique d’extraversion. Le poisson fait partie, depuis quelques années, des principaux produits d’exportation (une valeur de 89 milliards en 2011 contre 20 milliards en 2008), après avoir été la principale source de protéines animales pour la population sénégalaise (Magrin, 2013 : 169). La participation de la pêche maritime (artisanale et industrielle) à l’économie d’exportation était de 5 % en 1965, elle passe à 25 % en 1983 (Brunet, 1994 : 110) et occupe aujourd’hui la deuxième position. L’essor du secteur est favorisé par l’importance des réserves halieutiques (le Sénégal dispose de 500 km de côte), l’existence d’un réseau routier permettant de desservir les centres urbains, l’augmentation du nombre de pêcheurs, l’amélioration technique des conditions de pêche (motorisation, senne tournante, GPS) et le développement de la pêche industrielle. La pêche industrielle évolue notamment dans le cadre des différents accords signés avec l’Union européenne.
L’exploitation des ressources minières est le troisième pilier de l’économie extravertie. Les portions de territoires riches en ressources extractives sont parmi les plus intégrées à l’économie mondiale. En effet, dans le contexte de la globalisation, les flux de capitaux, notamment vers l’Afrique, procèdent par une territorialisation et une intégration sélective (Ferguson, 2005). Le processus implique la naissance d’enclaves économiques tournées vers l’extérieur. Le Sénégal ne semble pas faire une exception à la règle de cette logique d’organisation spatiale. En effet, le processus de pérennisation du modèle extraverti s’est également appuyé sur les ressources extractives du pays. Le cycle d’exploitation des mines est dynamique, de l’exploitation des phosphates de Taïba (à partir de 1960) à celle de l’or (2009) et aux espoirs portant sur le fer de la Falémé. L’intérêt de l’Etat pour les ressources minières est d’autant plus grand que les fondements du modèle économique (cultures de rente, pêche) ont tendance à s’essouffler. La crise des Industries Chimiques du Sénégal de 2006 a révélé aussi la vulnérabilité associée au monopole du phosphate sur le secteur extractif. La relance des projets miniers de l’or et du fer au sud-est du pays s’inscrit ainsi dans une perspective de diversification de l’industrie extractive. Mais ce troisième pilier de l’extraversion semble s’inscrire dans un processus inachevé.

Implications du contexte des années 2000 sur la géographie minière nationale

L’exploitation de l’or au sud-est a modifié la cartographie minière. Jusqu’à 2005 celle-ci était dominée par l’exploitation et la transformation des phosphates de Taïba, à l’ouest, dans la région de Thiès. Or le début du boom de l’or au Sénégal oriental a coïncidé avec la crise de production des phosphates. En effet, après un demi-siècle d’exploitation, les Industries Chimiques du Sénégal se retrouvent, en 2006, dans une grave crise économique. La production chute de 1800 tonnes de phosphates en 1999 à environ 550 en 2008. Les origines de la crise sont d’ordre interne et externe. Au plan interne, comme c’est le cas souvent pour les entreprises publiques africaines, la société d’exploitation a souffert d’un problème de management et ses corollaires : lourd endettement auprès des partenaires, blocage des comptes, problèmes d’approvisionnement en intrants, vétusté du matériel. Au plan externe, les ICS ont été affectées par une évolution difficile du marché mondial des matières premières caractérisée d’un côté, par la baisse des prix du phosphate et de l’autre côté par une augmentation des prix des intrants utilisés dans la production de l’acide phosphorique, en l’occurrence le sulfure et l’ammoniac90. Entre 1999 et 2006, le cours du phosphate à la tonne a connu une légère baisse, passant de 44 à 38 dollars. Le prix de vente de l’acide phosphorique est lui passé de 420 dollars (en 1999) à 350 (en 2004)91. Cette crise a entrainé une redistribution du capital des ICS, laissant à l’Idian farmers fertiliser cooperative limited (IFFCO) la majeure partie. Cette forme de privatisation a permis de relancer les activités d’extraction. La hausse des cours du phosphate à partir de 2007 a été un facteur accélérateur dans l’ouverture d’une nouvelle ère pour les ICS92. Ces changements ne réduiront pas seulement les recettes du gouvernement par rapport à l’industrie du phosphate, mais ils auront aussi des implications sur les opportunités de développement local (infra).
Au sud-est du pays, le secteur extractif semble évoluer dans le sens contraire. Le regain minier amorcé au début des années 2000 s’est traduit par l’entrée en production de la première mine d’or du pays en mars 2009. Ainsi, les exportations de l’or sont passées, grâce à la mine de Sabodala, de 85 milliards de francs CFA (en 2009) à plus de 116 milliards (en 2011), avoisinant l’exportation de l’acide phosphorique (160 milliards) produit par les ICS. Le potentiel d’exploitation d’or de la région de Kédougou a été estimé ces dernières années à plus de 10 millions d’onces. En plus de la mine d’or de Sabodala, dont la production a commencé en 2009, les projets de Massawa, de Mako, et de Golouma ont été évoqués.
L’accroissement des investissements, la décennie précédente, dans le domaine de l’or au Sénégal oriental contribue à une diversification de l’économie minière et au plan spatial à la réorganisation de la cartographie minière.
En effet, l’exploitation du gisement de Sabodala est un projet qui date de 1982. Situé à 650 km de la capitale, Dakar et à 96 km de Kédougou, le gisement de Sabodala est localisé dans une zone de cisaillement orientée vers le nord Sénégal-Mali, associée à d’importants dépôts aurifères, comme ceux de Sadiola et de Loulo au Mali (TGC, 2013 : 18). La minéralisation est associée aux zones de cisaillement et à la présence d’importants réseaux de filons. Découvert par la mission sénégalo-soviétique (entre 1971 et 1973), le gisement a été mis en évidence par le BRGM en 197593. L’exploitation de la mine a connu une histoire mouvementée, jusqu’à l’attribution du projet d’exploitation à la société junior australienne, Mineral Deposit Limited en 2005. En 2010, la compagnie australienne s’est retirée du projet au profit de la société canadienne TGC, qui s’est inscrite dans une politique de croissance94.
Ainsi, Sabodala (du nom du village qui abrite la mine) est une exploitation à ciel ouvert qui concerne une concession minière de 33 km², pour un potentiel estimé en 2012 à plus de 50 tonnes d’or95. La production de la mine est passée de 291 621 onces en 2010 à plus de 362 000 onces en décembre 201296 (TGC, 2012). Une activité intense d’exploration dans les environs de la mine, couvrant une superficie de 1 200 km², est menée par la société TGC pour augmenter le potentiel d’exploitation97. Les opérations d’exploration ont permis de mettre à jour plusieurs gîtes miniers de la structure géologique de Sabodala, susceptibles d’accroître les activités d’exploitation de l’or dans la région (voir Carte n° 13).

La notion de « malédiction des ressources naturelles » : une thèse en question

L’hypothèse de la « malédiction » fait l’objet de critiques, mais elle est loin d’être abandonnée. Les tensions liées au chevauchement des « usages différents de l’espace » amènent d’autres auteurs à changer d’angle d’approche en s’interrogeant sur « une autre facette de la malédiction des ressources naturelles » (Nguiffo et Mbianda, 2013 : 143). En effet, la notion décrit une situation de paradoxe entre l’abondance des ressources naturelles de certains pays et la pauvreté des populations. D’abord développée dans le domaine du pétrole, la notion de malédiction est généralisée ensuite sur toutes les ressources du sous-sol.
La Teranga Gold Corporation est propriétaire de la filiale Sabodala Gold Operations qui exploite la mine d’or de Sabodala.
La thèse de la malédiction ne s’est véritablement formée qu’à partir de la décennie 1990 (Magrin 2011 :98), notamment suite aux travaux de Sachs et Warner de 1997. Les dimensions de la « malédiction des ressources naturelles » sont multiples (Rosser 2009 : 8). Elles concernent la faible performance macro-économique, les problèmes politiques et institutionnels (instabilité politique, Etat rentier, mal gouvernance), les guerres civiles et de plus en plus les effets sur l’environnement souvent irréversibles. Ce sont les « quatre piliers de la malédiction » (Magrin 2011 : 100)102. Cependant la notion de malédiction pose d’abord un problème scientifique, car elle semble prédire la destinée des pays dotés de ressources extractives, alors que des Etats comme l’Afrique du sud, le Botswana, le Chili, la Malaisie et l’Indonésie ont réussi à s’inscrire dans une dynamique de développement grâce à leurs ressources naturelles (ibidem). Ainsi, l’une des faiblesses de la thèse repose sur son aspect déterministe103. Il est également important de différencier les effets induits selon la nature des ressources en exploitation (mines, énergies, forêts, ressources halieutiques) et les possibilités de bifurcations (ibidem). Le succès de la thèse de malédiction en Afrique relève aussi de la mauvaise image jusque-là associée à l’histoire du monde noir104.
Par ailleurs, en portant davantage sur les « symptômes de la malédiction », notamment les variables macro-économiques et politiques, on a tendance à négliger les relations entre activités extractives et dynamiques locales. Or les interactions entre la mine et le milieu d’insertion génèrent des transformations spatiales de dimensions régionales. Le local constitue cependant le premier niveau d’échelle concerné par les changements relatifs aux implications de l’industrie minière sur la population et sur les processus de développement. Ainsi, la question de la malédiction n’est pas posée dans cette étude en tant qu’entrée, mais pour souligner le pessimisme qui tourne autour des ressources naturelles en Afrique, surtout pour montrer l’intérêt et la place de l’échelle géographique dans l’analyse des industries minières et de leurs relations aux territoires.
Comparée à l’Europe, la perception des activités extractives est différente. Dans les pays dits du Nord, l’exploitation minière est considérée par les populations comme un processus de destruction irrémédiable des paysages » et le terme « minier » est souvent employé pour « qualifier un mode d’exploitation dévastateur du milieu », l’agriculture minière par exemple (Deshaies, 2007 : 7). Cette conception, qui a favorisé le développement d’une conscience environnementale et les contestations de plus en plus virulentes contre les projets miniers, est liée à l’ancienneté de l’industrie extractive et à son legs environnemental. Devant cette dynamique relative à l’environnement, les transnationales minières ont tendance délocaliser leurs investissements vers les pays du Sud. En Afrique, par exemple, à cause de la pauvreté et des attentes de développement associées aux activités extractives, les projets miniers font rarement l’objet de contestation. S’ils attirent l’attention des populations, c’est dans une perspective revendicative (emplois, retombées). En outre, dans la lutte pour le développement, la protection de l’environnement recèle une dimension idéologique : les pays en développement y voient une façon de limiter leur élan de développement dans un contexte de compétition mondiale.

Conséquences spatiales de l’expansion industrielle minière : la notion de front minier

L’expansion spatiale des activités minières se traduit par une exclusion des autres activités notamment agricoles. La notion de front est définie comme une « ligne mobile d’interface en deux espaces » (Lévy et Lussault 2003 : 382) permet de caractériser cette dynamique. Ainsi, le front « délimite un territoire, mais un territoire en mouvement », c’est-à-dire un territoire aux contours instables. La notion a une connotation militaire. Le front exprime une « volonté de changer le rapport de force, de modifier les territoires, voire de substituer par la contrainte une certaine représentation géopolitique par une autre » (ibidem). Le concept d’un registre comparable à celui de frontière, pour exprimer une ligne de rapport de force.
Les notions de front ou de frontière ont souvent été employées pour décrire l’expansion spatiale d’un phénomène géographique. Le « front pionnier » renvoie, par exemple aux mouvements de migration de populations vers des régions sous-peuplées ou vierges. Ce phénomène s’est illustré au Sénégal par le déplacement de paysans wolofs à la conquête de terres cultivables au Sénégal oriental158. Dans les relations villes-campagnes, la notion de front urbain » est employée pour décrire l’empiètement des villes sur les espaces ruraux environnants.
Cette perspective n’est pas différente du sens donné à la « frontière » par Turner pour étudier le processus de colonisation des territoires nord-américains. Le front se rapproche également de la « frontière », selon la conception de Kopytoff (1987) qui a travaillé sur les migrations de populations vers des marges territoriales, sous-peuplées, en Afrique, à la conquête de nouvelles ressources. C’est dans ce même sens que Grätz (2004) a employé la notion de « frontière minière » pour analyser le caractère spatial de la migration itinérante des orpailleurs en Afrique de l’ouest. Les fonctions des frontières sont nombreuses et multiples : elles visent à « contrôler», à « interdire », et « parfois à exclure » (Raffestin, 1974 : 30). Dans
le contexte minier, l’appropriation d’un gisement et son contrôle se manifestent par une exclusion des autres usages du même espace, en l’occurrence l’agriculture et l’élevage.

Les implications liées au déplacement de la population : l’exclusion des ressources locales

L’accroissement des déplacements de population, notamment en Afrique, est lié à la diffusion de méthodes d’exploitation à ciel ouvert qui nécessitent une grande consommation d’espace alors même que la pression démographique augmente. Ces déplacements sont associés à la localisation de la population sur un gisement ou à proximité d’une exploitation (Leblanc, 2007). L’une des conséquences importantes de ces déplacements est celle liée à l’expropriation des moyens de subsistance de la population et ses implications : indemnisations, promesses d’emplois, tensions locales. Dans les pays du Nord (en Europe), les conditions de déplacement sont aujourd’hui mieux règlementées, par rapport aux pays du Sud. Au Sénégal, les activités extractives sont à l’origine d’une véritable dynamique liée à l’utilisation et à l’exploitation des ressources locales (foncières, forestières, hydrauliques et minières), mais elles suscitent aussi des difficultés liées aux méthodes et processus de compensation des personnes déplacées.
Le « déplacement économique » ou l’accaparement des terres agricoles par les entreprises minières
Dans les zones minières à l’ouest du Sénégal (région de Thiès) comme au sud-est du Sénégal dans la zone minière de Sabodala, l’emprise minière sur les grands espaces des activités extractives amène les agriculteurs expropriés à effectuer de longues distances pour trouver des terres de cultures164. Dans le bassin du phosphate, les contraintes liées à la disponibilité des terres cultivables résultent largement de la non restauration des grandes superficies exploitées. Ces effets spatiaux des mines, associés à la croissance démographique réduisent les possibilités agricoles. Les vastes étendues de terres ne peuvent être valorisées du point de vue agricole à cause du remodelage des sols et des risques liés à l’érosion.
Au Sénégal, le déplacement se manifeste par la réorganisation des terroirs agricoles, voire la perte des terres en jachères. Ainsi, l’espace du système agricole local jusque-là basé sur une alternance des périodes de cultures et de jachères (de 4 à 5 ans) a tendance à être réduit. Dans la région de Kédougou, le système agricole associe deux types de champs : des champs de cases améliorés par la fumure animale, où l’on cultive du maïs et une mosaïque de grands champs. Les terroirs traditionnels n’ont guère changé depuis la description de Pelissier (1966). Ils sont organisés en auréoles : une première couronne concerne les champs clôturés, appelés sang-sang en langue locale, la seconde est constituée de champs appartenant aux femmes. Ce sont des rizières ou des parcelles de fonio ou d’arachide. À la troisième auréole correspondent les champs de mil, de sorgho et de coton165.

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Table des matières

SIGLES ET ABREVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE RESSOURCES EXTRACTIVES ET DEVELOPPEMENT : DIVERGENCES
CHAPITRE 1: LES SENEGALs MINIERS
1. LE SENEGAL, UNE GEOGRAPHIE MINIERE CONTRASTEE
1.1. Localisation des activités extractives dans le bassin sédimentaire
1.2. Les richesses minérales de la région précambrienne du Sénégal oriental : une région aurifère
1.3. Contrastes de l’occupation spatiale
2. L’EXPLOITATION DES RESSOURCES EXTRACTIVES AU LENDEMAIN DE L’INDEPENDANCE (1960)
2-1. Du droit sur les ressources naturelles au développement industriel minier
2.2. Le boom minier au Sénégal : facteurs et limites
CHAPITRE 2 : RENOUVEAU DES ACTIVITÉS EXTRACTIVES ET ORGANISATION DE L’ESPACE
1. LES RESSOURCES EXTRACTIVES ET LE MODELE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DU SENEGAL : L’ART DE L’EXTRAVERSION
1.1. Les prémisses d’une formation territoriale : du fleuve au littoral
1.2. Logique d’organisation spatiale du territoire sénégalais: les structures élémentaires
2.3. Effets contrastés du modèle de développement : les déséquilibres Ouest- Est
2. DEVELOPPEMENT DES PROJETS D’EXPLOITATION MINIERE AU SUD-EST
2.1. L’essor de l’exploitation aurifère
2.2. Implications du contexte des années 2000 sur la géographie minière nationale
CHAPITRE 3 : MUTATIONS DES REGIONS MINIERES DU SENEGAL: UNE MISE EN PERSPECTIVE
1. DEFIS DU DEVELOPPEMENT DANS LES REGIONS MINIERES
1.1. La notion de « malédiction des ressources naturelles » : une thèse en question
1.2. L’exploitation industrielle et minière : mirage et réalités
1.3. Des dynamiques d’organisation spatiale
2. DES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX CONSIDERABLES
2.1. Impacts miniers sur le milieu physique et humain
2.2. Mines et aires protégées : de la conservation à la menace sur la biodiversité
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : ACTIVITES EXTRACTIVES ET DYNAMIQUES LOCALES
CHAPITRE 4 : DE L’INSCRIPTION SPATIALE MINIERE : REORGANISATION DES TERRITOIRES
1. DES ACTIVITES TRADITIONNELLES MENACEES
1.1. Organisation spatiale des territoires miniers
1.2. Conséquences spatiales de l’expansion industrielle minière : la notion de front minier
2. PROJETS MINIERS ET ENJEUX LIES AU DEPLACEMENT DES POPULATIONS AU SENEGAL
2.1. Les implications liées au déplacement de la population : l’exclusion des ressources locales
2.2. Stratégies d’adaptation des populations déplacées aux nouvelles conditions de vie
CHAPITRE 5 : TENSIONS ENTRE ENCLAVE ET GREFFE
1. ARTICULATIONS ENTRE LA GREFFE MINIERE, L’ENCLAVE ET L’ARCHIPEL
1.1. Les notions de greffe et d’enclave dans le secteur extractif
1.2. L’archipel, un mode d’organisation de l’espace
2. IMPLICATIONS DE LA GREFFE MINIERE
2.1. Les facteurs d’influence : ancienneté et contexte géographique
2.2. L’expérience d’une greffe minière au Sénégal : les ICS
CHAPITRE 6 : DE LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE
1. DEFINITION ET CONTEXTE D’EMERGENCE DE LA RSE
1.1. La RSE, une démarche volontaire et défensive dans les territoires d’exploitation minière
1.2. La social license to operate
2. STRATÉGIES DE RSE ET DEVELOPPEMENT LOCAL
2.1. Les projets de développement liés à l’exploitation minière
2.2. Les débuts de l’insertion minière et les désillusions du programme social minier au Sénégal oriental
2.3. Politique sociale de Teranga Gold Corporation et perspectives régionales
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
TROISIEME PARTIE DES RELATIONS DE POUVOIR AUTOUR DES SITES MINIERS 
CHAPITRE 7 : TRANSNATIONALES MINIERES ET GOUVERNANCE TERRITORIALE
1. CRITERES DE DEFINITION ET TYPOLOGIE DES ENTREPRISES TRANSNATIONALES MINIERES
1.1. Les transnationales minières du Nord dans les pays pauvres
1.2. Implantation des entreprises minières asiatiques au Sénégal
2. GOUVERNANCE DE L’ENTREPRISE ET INJONCTION LOCALE
2.1. Préserver une image d’entreprise responsable dans le secteur extractif
2.2. Implication des transnationales dans la gouvernance des territoires d’accueil : la politique du bon voisinage
CHAPITRE 8 : DYNAMIQUES DES ARENES LOCALES : AUTOUR DE LA RENTE EXTRACTIVE
1. L’ASYMETRIE DES POUVOIRS : ETAT, ENTREPRISES MINIERES, COLLECTIVITES LOCALES
1.1. Enjeux territoriaux de l’exploitation minière
1.2. Chevauchement territorial et redistribution de la rente extractive
2. STRATEGIES DE CAPTATION DE LA RENTE EXTRACTIVE PAR LES COMMUNAUTES MINIERES
2.1. Projet miniers et communautés locales
2.2. Les émeutes de Kédougou en décembre 2008 un cas emblématique de lutte pour les retombées minières
2.3. Luttes des collectivités locales pour les retombées minières : l’exemple réussi de Ngoundiane
CHAPITRE 9 : REGULATION DU SECTEUR MINIER ET ENJEUX DE TRANSPARENCE AU SENEGAL
1. LES ACTEURS DE LA REGULATION MINIERE
1.1. Emergence et formes de régulation dans le secteur extractif
1.2. La montée des valeurs environnementales et sociales dans l’industrie extractive au Sénégal
1.3. L’autorégulation : la mine d’or de Sabodala, un projet d’exploitation modèle ?
2. ENGAGEMENTS DE LA SOCIETE CIVILE AU COTE DES POPULATIONS AFFECTEES PAR LES MINES
2.1. Limites de la participation des populations riveraines dans la gestion minière
2.2. La société civile, un contrepouvoir en construction dans le secteur extractif du Sénégal
3. TRANSPARENCE DANS L’INDUSTRIE EXTRACTIVE AU SENEGAL, ENJEU DE LA REGULATION PUBLIQUE .
3.1. La gestion opaque du secteur minier au Sénégal
3.2. Evolution du débat autour de la transparence des industries extractives : défis de la nouvelle réforme minière
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
ANNEXES
TABLEAUX
PHOTOGRAPHIES

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