ÉVOLUTIONS ET ADAPTATIONS DES RÉPERTOIRES D’ACTION POLICIERS 

Dépasser les controverses sur le nombre de victimes

      En premier lieu, nous avons pris le parti de nous tenir à l’écart du débat historiographique sur le nombre de morts occasionnés par la répression policière. L’affinement des dénombrements de victimes et l’apaisement des controverses sur ce sujet figurent parmi les indicateurs d’une historicisation progressive des guerres ou d’autres événements facteurs de divisions aiguës. Peut-être ce temps n’est-il pas encore venu pour la guerre d’indépendance algérienne ? Surtout, ce travail, si tant est qu’il soit possible, mériterait une étude spécifique. Nous y attacher aurait été une entrave à la poursuite d’autres lignes de recherche. Aujourd’hui, en dépit des nouvelles estimations qui convergent autour d’une centaine de victimes directes de l’action des forces de l’ordre entre septembre et novembre 1961, des divergences perdurent. Les différents bilans disponibles et repris dans les publications les plus diverses continuent de délimiter une fourchette comprise entre une trentaine et plus de 200 morts. Pour notre sujet, même l’hypothèse la plus basse de Jean-Paul Brunet oblige à rendre compte des mécanismes qui ont rendu possible un tel massacre par les forces de police d’une Ve République dont les institutions et les dirigeants ne furent nullement affectés par cette « nuit d’horreur et de honte».

Décloisonner l’histoire de la guerre d’Algérie

     Nous avons également postulé que la moyenne durée devait être privilégiée et que comprendre « octobre 1961 » impliquait non seulement de l’intégrer dans la chronologie du préfectorat de Maurice Papon, ou dans celle de la guerre d’Algérie, mais de remonter plus en amont. Ces hypothèses de recherche avaient été suggérées dès le début des années 1990 par Gilles Manceron et Hassan Remaoun pour qui « il n’y a[vait] pas eu que le 17 octobre 1961 ». Ils appelaient à replacer cet événement dans « l’état de non-droit » qui caractérisait la situation des Algériens de métropole dès avant la guerre. Surtout, le choix de la moyenne durée, ou, a minima, le refus des césures données par les périodisations courantes de l’histoire politique, nous semblait avoir montré toutes ses vertus heuristiques dans les travaux sur le régime de Vichy, en particulier dans la façon dont les administrations et les législations étaient de plus en plus analysées à l’aune des héritages reçus de la IIIe République et des postérités transmises à la IVe. Cette posture nous paraissait particulièrement éclairante pour une histoire des polices : par la loi du 23 avril 1941 « portant organisation générale des services de police en France », le régime de Vichy avait en effet donné aux forces de l’ordre les fondations de l’architecture institutionnelle qui fut la leur jusqu’à la création de la Police nationale en janvier 1968. Au-delà de ces héritages légaux et institutionnels, la participation des policiers à la Libération de Paris, une épuration relativement large et surtout menée dans des conditions telles que nombre de décisions furent cassées les années suivantes, les désordres induits par les promotions « au choix » de résistants dont les titres ou la légitimité étaient contestés, ont durablement marqué les agents de la préfecture de police. Entre les postérités de la période de l’Occupation et les prémisses de la guerre d’Algérie, des chronologies se croisaient. Les années de Guerre froide étaient au cœur de cet entrelacs et les prendre en compte impliquait de replacer la période 1954-1962 dans un contexte plus large qui ne soit pas focalisé sur les seuls « héritages coloniaux ».

Un moment et un espace colonial

     Les Algériens étaient alors définis par un statut juridique (« Français musulmans d’Algérie ») fixé par l’ordonnance du 20 mars 1944 et le statut de l’Algérie de novembre 1947, indissociable de la domination coloniale. Ils étaient, selon les termes employés à l’époque par leurs défenseurs, des « citoyens diminués », ou, pour utiliser une formulation plus contemporaine, des «citoyens paradoxaux», dont la situation oblige à penser ce qu’étaient la France et la condition de Français en contexte impérial. De ce fait même, à rebours de ce qu’écrivait Abdelmalek Sayad, l’histoire des Algériens de métropole n’est pas exemplaire de celle des autres immigrations169 et ne recoupe que partiellement le domaine de l’histoire de l’immigration : ils dépendaient ainsi d’autres agents et d’autres administrations que ceux chargés de la réglementation de l’entrée et du séjour ou de l’accueil des étrangers. À la différence d’autres immigrés, ils quittaient une « situation coloniale» dont les observateurs contemporains attentifs aux conditions d’existence des Algériens avaient bien vu qu’elle ne cessait pas avec le franchissement de la Méditerranée. Elles avaient disparu bien avant que les décolonisations ne soient effectives. Christophe Charle (2001), La crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne (1900-1940). Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Seuil. Sur les fondements de cet emprunt d’Alexis Spire à Joan Scott, voir infra, chap. 1. 168 Weil (2002) ; Todd Sheppard (2006), The Invention of Decolonization. The Algerian War and the Remaking of France, Ithaca, Cornell University Press. 169 Abdelmalek Sayad (1999) [1983], « Une immigration exemplaire », in id., La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, p. 99-132.  Noiriel (2007, p. 334). Voir aussi supra. 171 Nous faisons bien sûr référence au concept longuement développé par Georges Balandier, d’abord dans les Cahiers internationaux de sociologie (vol. XI, 1951, p. 44-79), puis en introduction de Sociologie actuelle de l’Afrique noire (Paris, PUF, 1955). De larges extraits sont repris dans le dossier « Georges Balandier : lecture et relecture », Cahiers internationaux de sociologie, vol. CX, 2001, p. 5-59 (articles d’Emmanuelle Saada, Jean Copans et André Akoun). Plus qu’une définition d’une « situation coloniale » qui formait « système », c’est l’appel de Balandier à penser ce dernier dans sa « totalité », notamment dans ses interactions entre colonies et métropoles et en tenant compte de ses implications administratives que nous retiendrons. Notre recherche s’inscrit donc pleinement dans le cadre de l’introduction programmatique de Tensions of Empire, en particulier dans tout ce qu’elle doit à l’article inaugural de Georges Balandier publié 45 ans auparavant174 : Frederik Cooper et Ann Stoler y appelaient notamment à penser de façon conjointe l’histoire des métropoles et celle des colonies, ainsi que celle des colons et celle des colonisés. Dans cette perspective, qui restait alors relativement aveugle aux administrations et à leurs agents, le « moment colonial» doit faire l’objet d’une révision de ses frontières tant chronologiques que géographiques et d’une réévaluation des modes d’action et de résistance mis en œuvre par les colonisés euxmêmes. Le point de vue “subalterniste”177 – par la suite critiqué avec virulence par Frederik Cooper178 – n’est certes pas celui que nous avons adopté : l’agency des Algériens, leur capacité à dire, à agir ou leur « conscience d’eux-mêmes » ; le « texte caché179 » des contournements silencieux d’une domination dont la remise en cause frontale est coûteuse ; les motivations, les prises de parole et les mobilisations des plus engagés dans le mouvement nationaliste n’apparaissent qu’incidemment dans ce travail. L’histoire des mouvements nationalistes algériens, tout comme l’histoire sociale des émigrés d’Afrique du Nord, seront en effet abordées « à travers les catégories de la pensée d’État », en tout cas celles de certains de ses agents, les policiers. Ce choix de penser les Algériens comme objets de l’action policière ne les fait pas pour autant disparaître en tant que sujets et acteurs. Le travail policier doit en effet être pensé dans un contexte d’interaction, de « coproduction», dans lequel les formes des mobilisations collectives des Algériens ont toute leur place, sans les enfermer dans la topique du « manifestant pacifique » à partir du seul exemple du 17 octobre 1961. À l’inverse des « subalternistes [qui] ont entretenu un intérêt constant pour la mise en scène de la violence182 », nombre d’historiens du nationalisme algérien ont en effet eu tendance à effacer de leurs récits ce que certaines actions collectives devaient à la mise en scène et à l’usage de la force1. Si ce travail s’inscrit dans le renouveau des études du fait colonial intervenu depuis une quinzaine d’années, c’est avant tout parce qu’il vise à interroger ce que Michel Foucault avait appelé, dans une courte remarque, « les effets de retour [de la colonisation] sur les mécanismes de pouvoir en Occident185 ». Cette problématique du « legs impérial186 » ou des « héritages coloniaux » doit cependant être affinée : les circulations impériales, que ce soit celles des techniques, des normes, des hommes et en particulier des agents administratifs ne se sont en effet pas opérées dans un seul sens. Les colonies ne furent pas seulement un « laboratoire » d’où auraient été importées des procédures ensuite acclimatées à la configuration métropolitaine. L’aire impériale, en particulier dans le cas des départements d’Algérie, était fondée sur des échanges et des liens de diverses natures, si nombreux que les filiations coloniales de dispositifs, d’organisations, de techniques ou même de représentations doivent être replacées dans une configuration plus générale. Il s’agit en effet de laisser toute leur place à d’autres formes d’héritage et de ne pas singulariser de façon anachronique ce qui relevait d’un « fait colonial » qui empruntait beaucoup à d’autres formes de domination et de gouvernement. Pour l’heure, l’État colonial en métropole – hormis l’étude des arguments, intérêts et groupes ayant présidé à la diffusion et à la consolidation du projet impérial189 – n’a donné lieu qu’à un nombre réduit de recherches. Seule la question des reconfigurations administratives intervenues après les indépendances et de leur influence sur les organisations en charge de l’immigration, mais aussi sur d’autres administrations en apparence moins directement concernées, a fait l’objet de travaux récents. Pour notre sujet, il s’agit notamment de tenir compte du fait que, sur le plan policier, l’évolution du statut de l’Algérie et des Algériens oblige à des adaptations administratives et réglementaires dans la gestion locale – distincte de celle d’outre-mer – de la population algérienne de la région parisienne. De plus, il faut intégrer à l’analyse le fait que certains des agents en charge de ces missions connaissaient les conditions dans lesquelles s’effectuait le maintien de l’ordre aux colonies et avaient même parfois directement participé à ces activités. Surtout, les effets d’hystérèse entre l’adaptation institutionnelle et les représentations des agents de l’État ouvrent un vaste chantier sur l’influence de la situation coloniale sur les pratiques policières à l’égard des originaires d’Algérie. Se pose ainsi avec une acuité particulière la question de savoir dans quelle mesure les stéréotypes dépréciatifs sur les colonisés pouvaient influer sur des pratiques professionnelles déterminées par de multiples autres facteurs. Cette question des conditions de possibilité du “passage à l’acte” se pose particulièrement pour les violences policières.

Politique des archives et accès aux sources

      In fine, comme tous les historiens du contemporain, en matière d’archives, nous avons davantage été confronté à la surabondance qu’au manque. Les béances dans les fonds disponibles sont pourtant flagrantes et très dommageables à l’écriture d’une histoire du travail des agents des forces de l’ordre telle que nous l’envisagions. L’historien se heurte ici à « l’institution singulière228 » que reste la préfecture de police : en janvier 1968, après son étatisation et son intégration à la Sûreté nationale, la police parisienne s’est vue réaffirmer par décret la dispense de versement de ses archives aux Archives nationales . La loi du 3 juillet 1979 ne revint pas sur cette dérogation et les nombreux décrets qui en fixèrent les modalités concrètes d’application reconnurent même aux « services centraux des administrations publiques » la possibilité de « trier, classer, inventorier et communiquer leurs archives (…) dans des dépôts dont ils assurent la gestion». Le projet de loi récemment adopté par le Parlement n’est pas revenu sur ces opportunités offertes à des ministères et à des administrations centrales de contrôler leur propre production archivistique, ni même n’a cherché à légaliser les dispositions du décret du 5 janvier 1968 dans ce qu’elles ont de contradictoire avec celles de la loi de juillet 1979. La préfecture de police est donc loin d’être la seule institution partie prenante à la « balkanisation » des archives et certains ministères disposent aussi de leur propre centre d’archives : le centre d’archives situé dans le commissariat du 5e arrondissement est cependant un cas unique de centre d’archives sans archiviste. Du tri à la mise à disposition des documents au public, en passant par l’inventaire des fonds et le traitement des dérogations, toute la longue chaîne qui transforme un produit de l’action administrative en outil de travail pour l’historien est assurée par des personnels de la préfecture de police sans que la direction des Archives de France n’intervienne à aucune étape. De la consultation des inventaires aux conditions de lecture en salle, le travail sur les archives de la Préfecture police est donc source de multiples étonnements pour l’historien habitué des centres nationaux ou départementaux : en raison même des libertés parfois prises avec l’idéal-type bureaucratique, ces ruptures avec les routines habituelles peuvent d’ailleurs donner lieu à de bonnes surprises. Le versement des archives, la constitution et l’inventaire des fonds n’en posent pas moins des problèmes spécifiques qui vont bien au-delà de ceux rencontrés en d’autres dépôts d’archives. Une première difficulté vient du fait que les services de police ont tendance à considérer que leurs dossiers restent vivants bien au-delà des délais habituels des autres administrations et ne sont donc pas prompts à les verser. Ainsi, pour la période de l’aprèsguerre aucune des grandes directions des services actifs de la préfecture de police n’a effectué de versement ayant fait l’objet d’un inventaire systématique. Si, après l’obtention d’une dérogation, nous avons pu consulter quelques dossiers d’affaires criminelles versés par la PJ, c’est parce que nous en avions appris l’existence au détour de conversations informelles avec l’un des chargés de mission des archives de la préfecture de police. En règle générale, aucun bordereau de versement n’est consultable par qui voudrait vérifier l’historique des fonds versés ou en cours de classement. En raison de l’absence d’instruments de recherche ou de l’organisation de ceux qui sont consultables, l’accès aux archives dépend fortement de la médiation des personnels qui connaissent les fonds et qui listent les cartons qui leur semblent correspondre au sujet brièvement présenté par le chercheur. Cette étape franchie, l’historien est régulièrement désemparé quand il se retrouve face à ses boîtes d’archives : il est en effet généralement très difficile de déterminer l’origine des documents mis à disposition et plus encore la méthode qui a présidé à la constitution des cartons. L’archivage obéit le plus souvent à une logique thématique qui n’est jamais explicitement présentée et qui ne respecte pas les règles de classement qui avaient été adoptées par les services versants. Dans ces conditions, les quelques fonds qui ont fait l’objet d’un classement et d’un inventaire plus systématiques font figure de véritable Eldorado pour les chercheurs. C’est ainsi que, depuis 2001, plus d’une centaine d’autorisations de consultation ont été accordées à des étudiants et des chercheurs souhaitant travailler sur la série H des archives de la préfecture de police. Une partie des fonds de cette série (HA, H1B, HE) a fait l’objet d’un inventaire méthodique consultable en salle de lecture ; jusqu’il y a peu, une autre partie (H1C2) a été tenue à l’écart de la curiosité des chercheurs. L’aide constituée par les inventaires, un mode de classement relativement lisible et plus proche des règles habituelles et la souplesse avec laquelle ont été accordées les dérogations expliquent en partie le nombre important de chercheurs qui ont travaillé sur les fonds HA et H1B. Les fonds de la série H sont d’ailleurs quasiment les seules archives de direction (cabinet du préfet et services actifs) actuellement consultables pour l’ensemble de la période de l’après-guerre. Ils sont constitués par les archives du cabinet du préfet Papon relatives à la guerre d’Algérie, principalement celles du 3e bureau en charge des affaires algériennes et celles du Service de coordination des affaires algériennes (SCAA) directement placé sous l’autorité du préfet. Cet ensemble est exceptionnel par son ampleur (50 mètres linéaires), mais aussi parce qu’il n’a pas d’équivalent pour les décennies précédentes : les archives des cabinets des préfets successifs depuis la Libération n’ont pas encore été versées ou sont en cours d’inventaire. De même, hormis les dossiers de la police judiciaire relatifs aux morts violentes d’octobre 1961, les archives des directions des services actifs n’ont donné lieu qu’à des versements épars et difficilement repérables, tels les dossiers d’affaires criminelles déjà évoqués ou des dossiers de la sous-direction de la sécurité publique (PM) relatifs au maintien de l’ordre regroupés dans la série FA. Le caractère unique des fonds HA et H1B rend d’autant plus nécessaire de restituer sa constitution. L’histoire de leur mise à disposition est en effet exemplaire de la politique des archives de la préfecture de police et plus généralement d’une écriture de l’histoire de plus en plus tributaire de la demande sociale et des procédures judiciaires. Au cours du procès de Maurice Papon à l’automne 1997, Jean-Luc Einaudi, cité comme témoin par les parties civiles, évoqua longuement la répression du 17 octobre 1961. Depuis plusieurs années, avec un écho grandissant, l’auteur de la Bataille de Paris revendiquait l’accès aux archives. Le hiatus entre la version présentée à l’audience par Pierre Messmer – cité par l’avocat Maurice Papon – et celle longuement exposée par Jean-Luc Einaudi, le retentissement de la déposition de ce dernier, intervenue la veille du jour anniversaire du massacre, l’exposition médiatique sans précédent des événements d’octobre 1961, incitèrent le ministre de l’Intérieur à commander un rapport sur les archives à un conseiller d’État, Dieudonné Mandelkern. Celui-ci fut ainsi le premier à se plonger dans les archives de la préfecture de police de la période et il rendit son rapport en janvier 1998 au terme de quelques semaines de travail sur des documents dont nul historien n’avait pu jusqu’alors vérifier l’existence. La mise en place de la commission Mandelkern – qui comportait une archiviste mais aucun historien – ne fut qu’une des nombreuses étapes d’une polémique qui enflait sur la question de l’accès aux archives de la guerre d’Algérie. Pour ce qui nous concerne directement, elle est néanmoins primordiale : ce sont les documents mis à la disposition des membres de la commission Mandelkern qui ont fait l’objet d’un inventaire systématique mis à disposition du public à partir de la fin 2000. Un an et demi plus tôt, afin, notamment, de faire cesser la controverse sur les archives « interdites » à certains historiens, et en particulier à Jean-Luc Einaudi, Lionel Jospin, Premier ministre, avait fait savoir que « dans un souci de transparence, et par respect pour les victimes et leurs familles, le gouvernement a[vait] décidé de faciliter les recherches historiques sur la manifestation organisée par le FLN le 17 octobre 1961 et plus généralement sur les faits commis à l’encontre des Français musulmans d’Algérie durant l’année 1961246 ». Cette circulaire fut publiée quelques semaines après que Jean-Luc Einaudi eut été relaxé de l’accusation de « complicité en diffamation » portée par Maurice Papon : ce nouveau procès, auquel étaient notamment venus témoigner deux archivistes des Archives de Paris – par la suite sanctionnés par leur hiérarchie –, fut une nouvelle occasion de réclamer l’ouverture à la consultation des documents relatifs au 17 octobre 1961. La circulaire du 4 mai 1999 était une forme de réponse à une demande qui avait été fortement relayée par la presse : elle invitait notamment les services administratifs à accélérer l’inventaire des documents en leur possession et leur versement aux Archives de France. Ces requêtes furent réitérées et précisées dans « la circulaire du 13 avril 2001 relative à l’accès aux archives publiques en relation avec la guerre d’Algérie » : elle stipulait notamment qu’« un travail historique de qualité ne peut (…) être mené sans que les chercheurs disposent d’un large accès aux archives publiques relatives à ces évènements247 ». Les Archives de la préfecture de police, après avoir réservé pendant plus d’un an la consultation à trois universitaires spécialistes de l’histoire de la police, acceptèrent alors que, sous réserve d’autorisation de consultation, les chercheurs aient accès, rue de la montagne Sainte-Geneviève, à ce “fonds Papon” constitué sous la pression d’historiens et de militants cherchant à sortir de l’oubli les victimes du 17 octobre. Aussi souple qu’ait été depuis cette date la politique de dérogation, l’histoire, rapidement brossée, de ce fonds illustre comment une politique des archives peut durablement freiner puis orienter la recherche historique. La politique de secret d’État autour du 17 octobre 1961a légitimement nourri une demande de mémoire et d’histoire qui a abouti à une réponse politique ad hoc. Or cette dernière, faute d’une réflexion globale sur une communication la plus libérale possible des archives des « politiques secrètes», en particulier certaines archives de police, a débouché sur des modalités de constitution de fonds qui pourraient transformer l’écriture de l’histoire en artefact des controverses politiques et judiciaires. Les archives de la préfecture de police qui avaient été au centre de la polémique sur l’accès aux sources sont devenues un lieu central pour les recherches sur la guerre d’Algérie : au-delà du fait que l’histoire de la guerre d’Algérie en région parisienne ne peut pas s’écrire à partir des seules “archives de la répression”, ces dernières posent problème, notamment parce qu’elles ne sont disponibles que pour la période 1958-1962. L’intensification de la lutte contre les nationalistes algériens est ainsi devenue objet d’histoire sans que l’on ne dispose d’archives conséquentes permettant de l’inscrire dans une périodisation plus large. Les choix politiques et archivistiques incitaient également les chercheurs à puiser leur matériau dans les versements des seuls services directement rattachés au cabinet du préfet (en particulier le SCAA et la Force de police auxiliaire). Ceci ne fut pas sans contribuer à une certaine focalisation sur le « système Papon » ou sur le bilan de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, question directement à l’origine de la constitution du fonds. Les mobilisations militantes, l’arène pénale, les rapports commandés par le pouvoir politique à des commissions d’“experts” et les circulaires successives sur l’ouverture circonscrite de certaines archives ont ainsi indubitablement influé sur les orientations d’une historiographie de la guerre d’Algérie en métropole qui peine à intégrer cette période dans un cadre chronologique plus large. Depuis longtemps, la date de début de la guerre d’indépendance algérienne fait pourtant débat et, par exemple, les archives militaires incitent fortement à faire remonter la genèse du conflit jusqu’à l’année 1945.

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Table des matières

INTRODUCTION
I- La progressive sortie de l’ombre des polices françaises
II- Décentrer le regard, éloigner l’événement “hors norme”
1°) Dépasser les controverses sur le nombre de victimes
2°) Décloisonner l’histoire de la guerre d’Algérie
3°) Historiciser les moments de crise
III- De quelques fils théoriques d’une trame narrative
1°) Une analyse de « l’État en action » et des agents au travail
2°) Un moment et un espace colonial
3°) Les conditions de possibilité des violences extrêmes
IV- Une histoire sous contraintes : politiques et usages des sources
1°) Politique des archives et accès aux sources
2°) Construction et usages d’un corpus
V- Rapport d’enquête historique
PARTIE I : UNE INSTITUTION EN CRISE, GESTIONNAIRE DES CONTRADICTIONS DE LA POLITIQUE COLONIALE 
CHAPITRE 1 : LA POLICE PARISIENNE AUX PRISES AVEC LA CITOYENNETÉ PARADOXALE DES ALGÉRIENS 
I- La citoyenneté des Algériens en rempart du projet colonial
1°) L’Algérie et les Algériens à la Libération
2°) Les réformes institutionnelles de 1944-1947
3°) L’émigration vers la métropole, béquille de l’Algérie française
II- Les résistances policières au nouveau statut des « Français musulmans d’Algérie »
1°) Une police désarmée devant l’émigration algérienne
2°) Des tentatives de contourner le « mythe de l’égalité des droits »
3°) Des identités de papiers au secours des forces de l’ordre
III- L’impensable politisation des Algériens (1944-1954)
1°) Le mouvement messaliste en métropole (1945-1950)
2°) Regards policiers sur le mouvement nationaliste (1945-1953)
3°) Un « problème nord-africain » réduit à la « criminalité nord-africaine »
CHAPITRE 2 : LE DÉMANTÈLEMENT DES SERVICES D’EXCEPTION DE LA PRÉFECTURE DE POLICE 
I- Le service d’assistance aux indigènes nord-africains (SAINA) : d’une genèse contestée à une dissolution imposée (1925-1945)
1°) Une police coloniale à Paris : la Brigade nord-africaine
2°) Le SAINA sous l’Occupation
3°) De l’épuration à la dissolution du SAINA
II- Le périmètre du travail policier : des conflits de compétence autour du travail “social”
1°) La répartition institutionnelle de l’action sociale en direction des Algériens
2°) Les prérogatives sanitaires et sociales en direction des « indésirables »
3°) Le « problème nord-africain », un « problème social » ?
CHAPITRE 3 : CONTINUITÉS ET RECONSTRUCTIONS DE DISPOSITIFS COLONIAUX 
I- Permanences des structures dissoutes
1°) Une police parisienne sans BNA ?
2°) Enjeux et débats autour de la reconstitution de la BNA
3°) Le devenir professionnel des ex-membres de la BNA
II- Circulations et trajectoires professionnelles dans le monde colonial
1°) Des préfets de police intégrés à l’espace colonial
2°) Le vécu colonial des gardiens de la paix parisiens
III- Reconfigurations et nouvelles structures coloniales
1°) Des conseillers sociaux auxiliaires du travail policier
2°) La Brigade des agressions et violence, une nouvelle police des Algériens
3°) De nouveaux dispositifs inspirés de l’expérience algérienne de Maurice Papon
CHAPITRE 4 : UNE POLICE TRÈS POLITISÉE 
I- Le double choc de la Libération et de l’épuration
1°) Un “sursaut républicain” qui sape les fondements de l’institution ?
2°) Les conséquences et traumatismes de l’épuration
3°) Une institution à refonder ?
II- L’anticommunisme de combat comme feuille de route
1°) La préfecture de police : un bastion à prendre pour le PCF ?
2°) L’entrée dans la Guerre froide, un nouveau départ
3°) Les années Baylot : la police parisienne au service d’un projet politique
III- Une police aux ordres ? De la subordination de la police au pouvoir politique
1°) Une double tentation : s’affranchir de la Justice et influer sur la législateur
2°) Du 13 mars au 13 mai 1958 : des policiers parisiens aux tentations factieuses ?
3°) Entre défense de l’Algérie française et soutien aux institutions républicaines
PARTIE II : PORTRAIT POLICIER DU COLONISÉ 
CHAPITRE 5 : ALTÉRITÉ DÉPRÉCIÉE ET PERMANENCE DES STÉRÉOTYPES COLONIAUX 
I- Entre francité occultée et algérianité niée, la dynamique des dénominations et des catégorisations policières
1°) Des indigènes en métropole ?
2°) Contournement des catégories juridiques et ethnicisation de la francité
3°) Le rappel à l’ordre juridique et lexical
II- « L’Algérie c’est la France », mais l’Algérien c’est l’Autre
1°) Paternalisme et devoir de civilisation
2°) Une figure du danger social
3°) Repli communautaire et inassimilabilité postulés
III- Les Algériens des « indésirables » parmi d’autres ?
1°) Les Algériens, des “étrangers” indésirables
2°) Figures françaises de l’indésirabilité
3°) Une irréductibilité du colonial ?
CHAPITRE 6 : PRODUCTION, CIRCULATION ET RÉINTERPRÉTATION DES PRÉJUGÉS COLONIAUX ET DES STÉRÉOTYPES RACISTES 
I- Construction des savoirs et diffusion de stéréotypes xénophobes
1°) Circulation des savoirs coloniaux et contribution des experts du « problème nord-africain »
2°) L’apport des réformateurs et des intervenants sociaux
3°) Les traductions policières des savoirs exogènes
II- Une xénophobie ordinaire médiatisée par le travail quotidien ?
1°) Le racisme policier, objet de controverse scientifique et politique
2°) La xénophobie policière sous la IVe République
3°) Permanence de l’antisémitisme policier
CHAPITRE 7 : LE « MAUVAIS GENRE » DES ALGÉRIENS 
I- « La police : un métier d’homme »
1°) La police garante de l’institution conjugale
2°) Une « masculinité hégémonique » ?
II- Les Algériens : « des hommes sans femme »
1°) L’absence des femmes au cœur du « problème nord-africain »
2°) Les représentations de la sexualité des Algériens
III- Des pratiques sexuelles sous le regard policier
1°) Des « quartiers réservés » en métropole
2°) Présences algériennes dans le Paris gay
PARTIE III : ÉVOLUTIONS ET ADAPTATIONS DES RÉPERTOIRES D’ACTION POLICIERS 
CHAPITRE 8 : LA POLICE DES « INDÉSIRABLES » EN TEMPS DE PAIX 
I- L’application du répertoire d’action de la police des « indésirables »
1°) La « clochardisation » des Algériens de Paris
2°) Des techniques immuables : rafles et internements administratifs
3°) L’internement et l’expulsion, horizons du travail policier
II- La répression de la « criminalité nord-africaine »
1°) Du marché noir aux « agressions nocturnes »
2°) Heurts et confrontations entre police et Algériens
III- Les pratiques de maintien de l’ordre
1°) Les pratiques manifestantes des nationalistes algériens
2°) Le 14 juillet 1953, un maintien de l’ordre colonial ?
CHAPITRE 9 : ENCADRER ET RÉPRIMER : L’EXEMPLE D’ARGENTEUIL PENDANT LA GUERRE D’ALGÉRIE 
I- Argenteuil : bastion communiste, terre d’immigration et “désert” policier
1°) Argenteuil, ville industrielle et bastion communiste
2°) Des Algériens implantés de longue date
3°) Misère de la police d’Argenteuil
II- L’action policière contre les nationalistes algériens
1°) Des mouvements nationalistes opaques au regard policier
2°) Les grandes opérations d’« élimination des indésirables »
3°) Le tournant de l’hiver 1957-1958
4°) Spécialisation des effectifs et nouveaux pouvoirs de police
III- Un FLN renforcé, des Algériens assignés à de nouveaux espaces de résidence
1°) Habiter et circuler à Argenteuil
2°) Un FLN aux pouvoirs intacts
CHAPITRE 10 : LA PRÉFECTURE DE POLICE EN GUERRE CONTRE LE FLN ? 
I- La militarisation du travail policier
1°) Temps de guerre et mesures d’exception
2°) Engagements de l’armée et militarisation de la police
3°) Une « bataille de Paris » ?
II- Un « second front » en métropole ?
1°) Les opérations “militaires” du FLN
2°) Les policiers, cibles du FLN
3°) Les policiers parisiens face à la mort en service
III- Violences policières, tortures et « meurtres d’État »
1°) Des « brutalités » routinières
2°) La torture, une pratique d’exception ?
3°) L’élimination physique comme modalité d’action
IV- Octobre 1961, un « massacre d’État »
1°) Une démonstration de masse contre le couvre-feu
2°) Octobre 1961 : radicalisation et ouverture du répertoire d’action policier
3°) Un massacre colonial à Paris
CONCLUSION

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