ÉCRITURE LABYRINTHIQUE ET FOLIE

ÉCRITURE LABYRINTHIQUE ET FOLIE

Les Bois noirs ou le Paradis en Enfer

Plusieurs espaces clos se distinguent dans l’œuvre d’Andrée A. Michaud, le plus important étant le village des Bois noirs. En plus de définir ce village et de nous interroger sur ses fonctions, nous nous attarderons aux limites et aux frontières qui y sont présentées, comme les arbres et la clôture, puisque, comme le souligne à juste titre Anne Belgrand : l’ « importance donnée aux bornes et aux frontières convie [ … ] à organiser l’inventaire des différents lieux réels [ … ] en fonction des deux notions fondamentales: « clos » / « ouvert » Il ». Pour notre part, nous verrons que chaque espace se retrouve clos, et ce, même si, de prime abord, certains réfèrent à des lieux ouverts et infinis.
Géographiquement, les Bois noirs sont situés dans la forêt de Grive, entourés par les arbres, des ormes, qui se signalent tant par l’importance de leur stature que par leur beauté. Lorsque Mary se remémore le village des Bois noirs, c’est à eux qu’elle pense: « Mon premier souvenir de cet été, ce sont les arbres, immenses et magnifiques» (p. 15). La description positive de ce premier souvenir glisse toutefois vers l’étrange, à travers la remémoration du vent et des oiseaux dans les arbres:
« Puis ce sont les oiseaux dans les arbres, leurs cris qui se dispersent à l’heure où le vent tombe. C’est vers six heures que le vent tombe quand il a à tomber et on ne l’entend pas. Le bruissement de sa chute est un lent basculement vers un silence II Anne Belgrand, « Espace clos, espace ouvert dans l’ASSOMOIR », dans Michel Crouzet (dir.), Espaces romanesques, Paris, PUF, 1982,p.6. étrange, où il n’y a plus que des chants d’oiseaux que le soir rend tranquilles12 »
(p. 15). Le rôle positif des arbres, à l’image de leur première représentation dans l’œuvre, se transforme progressivement, jusqu’à ce qu’ils deviennent menace de mort, symbolique et réelle.
D’entrée de jeu, Mary entretient une véritable fascination pour l’immensité de ces arbres « qui semblaient s’abreuver de lumière à même le ciel et formaient autour de la maison où [elle] allai[t] [s]’installer un rempart qui [la] protégerait de la douleur qu'[elle] fuyai[t] » (p. 17). Mais ces arbres censés la protéger, cette « masse verdoyante » sous laquelle elle espère pouvoir « enfin [ se] reposer» (p. 18), devient bientôt la source d’un sentiment d’oppressionI3• «[L]’omniprésence du vert» (p. 31) finit par l’étouffer plutôt que la protéger, finit par l’oppresser « au lieu de laver le gris des pierres qui [lui] collait à la peau» (p. 31). Les arbres jouent donc un rôle essentiel dans l’intrigue, en circonscrivant d’une part les Bois noirs en espace clos, étouffant, lieu de l’étrange et, d’autre part, en se définissant à l’image des gens de la communauté, car, tout comme eux, ils participent à l’envoûtement maléfique de Mary et d’Harry:Les premiers symptômes de ce que j’appellerai ma folie vinrent avec l’observation de la nuit et la certitude que les objets y prenaient une dimension autre que celle qu’ils nous révélaient durant le jour, et que là se cachait la secrète vérité à laquelle nous ne savions ou nous ne préférions atteindre. Ce phénomène semblait d’ailleurs toucher les arbres plus qu’aucun autre des éléments dont la nuit me dévoilait la véritable identité, et je compris sans peine que ce sont eux qui constituent la nuit, qui avalent le jour et opèrent cette transmutation du clair et des ténèbres quand le vent tombe, d’où leur apparente immobilité. Ils travaillent plutôt à l’œuvre de l’obscurité (p. 18-19).

La chambre de Hank

Pour Mary, la chambre de Hank s’avère aussi un espace clos important, lié à sa perdition, car même si le salut aurait pu être possible, Mary le refusera24• Relié à l’espace de la chambre, le thème de la sexualité, dès lors, devient l’une des clefs essentielles pour comprendre la question que pose le roman sur la dualité de l’Homme, sur sa quête de sens entre le bien et le mal. À travers les scènes à teneur sexuelle, le lecteur en apprend davantage sur la narratrice de la première partie, sur ce qui se joue, sur ce qui est à l’œuvre, soit la montée de son côté pulsionnel, animal, présenté comme mauvais, de même que la pénétration sournoise de la folie dans son esprit.C’est par la vieille dame au chien jaune, son premier lien avec la communauté, que s’ouvre la première brèche25 dans l’esprit de Mary. Elle affirme elle-même, sans encore savoir pourquoi, dès les premières pages du roman, que l’influence de cette femme « allait être décisive dans le cours de [s]on histoire » (p. 15). Effectivement, dès que sa main effleure celle de la vieille dame, elle passe « du côté des feuilles mortes » (p. 16). La relation intime qui s’est établie avec Hank n’aurait jamais pu se développer, tout comme le reste n’aurait jamais pu se produire d’ailleurs, sans le sourire de cette femme: « [ … ] ce sourire avait ouvert une brèche par où je me glissai jusque dans le lit de l’homme infirme, où j’avais aussi l’impression d’être à ma place, plus encore que je ne l’avais jamais été dans aucun autre lit » (p. 21). Dans le lit de cet homme, elle se sent, une fois de plus, arrivée à destination. Tout paraît s’enchaîner dans une parfaite logique pour la narratrice et elle avance confiante et naïve, ne sachant pas encore ce que le destin lui réserve. À cause de cette impression de se tenir au bon endroit au bon moment, la chute de Mary n’en sera que plus rapide et elle se perdra.Comme nous l’avons souligné plus tôt, de ce côté de la clôture, au sein des Bois noirs, toute forme de dérogation est interdite et les apparences doivent être préservées. C’est pourquoi Mary et Hank décident de garder leur liaison secrète:Nous avions donc convenu que personne n’entendrait ces cris, afin de ne pas entacher la candeur de cette petite communauté qui aurait considéré cette relation comme illicite, ainsi que tout ce qui rompait l’ordre des choses, les visites impromptues, les vêtements trop voyants, les baisers en public. La surprise devait y être le fait du hasard et non pas procéder d’une quelconque volonté. Le thé se prenait à cinq heures, invariablement, et les biscuits du mercredi étaient à la framboise (p. 22).Mary s’avoue toutefois, un peu plus tard, qu’il est impossible que les gens de la communauté n’aient jamais entendu leurs cris répétés. Cependant, puisque la sexualité est liée à l’interdit, elle accepte de jouer le jeu. Les Bois noirs, quant à eux, sont associés à l’ordre, aux règles établies et Mary fait constamment l’aller-retour entre cet ordre et le chaos qu’elle trouve dans le lit de Hank. Associé au désordre, le lit de Hank26 devient l’envers de ce qu’elle vit dans le quotidien des Bois noirs: « l’aimais cette régularité autant que j’aimais le désordre du lit de Hank. C’était ma forme de claudication à moi, un pied dans la clandestinité et le second dans l’obéissance à des règles qui me rassuraient » (p. 22). Ordre et désordre tantôt s’enchaînent, tantôt fusionnent. Ce rapport antithétique dynamique, rappelons-le, est l’une des caractéristiques inhérentes à tout espace développé dans ce roman.

 La trappe de la maison d ‘invités des Bois noirs: une issue condamnée

Mary et Harry séjournent dans la maison d’invités des Bois noirs à dix années d’intervalle. Cet espace étant peu décrit, toute l’attention est portée sur la trappe située dans le plancher de la cuisine, celle qui sert à se rendre dans la cave de terre battue. Bien que ce ne soit habituellement pas un lieu à proprement parler, nous verrons que cet élément devient, chez Andrée A. Michaud, un espace bien circonscrit et qu’il remplit une fonction particulière. Dans la première partie du roman, c’est de sous cette trappe que proviennent les voix des pleureuses que Mary entend et sur lesquelles nous reviendrons.
Mais la trappe dans le plancher est également associée au lieu des premiers ébats bestiaux entre Élisabeth et Harry. Leurs contacts se déroulent chaque fois à cet endroit précis, avec la même brutalité. Le passage suivant décrit la force d’attraction qui pousse Élisabeth et Harry l’un vers l’autre:Nous n’étions pas deux amants qui s’enlaçaient, mais deux bêtes poussées par la nécessité et ne prenant ni l’un ni l’autre plaisir à ce rut plus violent qu’imprévu. [ … ] J’avais les genoux meurtris, autre preuve de mon assaut bestial, et j’avais honte, atrocement honte, preuve ultime que pendant quelques instants, je n’avais plus été moi-même. J’ignore d’où provenait exactement la puissance du désir qui m’a possédé ce soir-là, mais je sais qu’elle provenait de quelque chose d’extérieur à moi [ … ].Cet extrait est sans équivoque. Il illustre comment Harry se départit de toute rationalité pour entrer de plain-pied dans l’animalité. Le narrateur laisse jaillir la bête en lui, tout comme l’a fait Mary lors de ses relations sexuelles avec Hank28• Le fait que Harry soit possédé par un désir qui le dépasse prouve, une fois de plus, la fatalité de son destin. Impossible pour lui de lutter contre ses pulsions. Il n’a d’autre choix que de se laisser immerger « dans une nuit plus profonde encore » (p. 124). À travers l’image de l’immersion, c’est la descente qui est évoquée, la même que celle de Mary. La sexualité des deux narrateurs en devient donc le point de départ: les personnages étant aveuglés et étourdis, voire désorientés, par le désir de l’autre, la descente s’effectue à leur insu. La sexualité que les narrateurs partagent respectivement avec Hank et Élisabeth de même que le lieu des Bois noirs leur ravissent leur identité et les privent de leur raison. Ainsi, Élisabeth va ravir l’identité sexuelle de Harry, car après avoir connu cette femme, il n’a plus envie de personne d’autre. Toutes les femmes lui paraissent fades et sans intérêt, comme sa douce Sonia avec qui il entretenait une liaison avant son séjour aux Bois noirs29. La rencontre avec Élisabeth, de même que son passage aux Bois noirs, le laisse sans désir, dépossédé de son identité sexuelle et privé de sa raison. Nous retrouvons donc, à travers la représentation spatiale de la trappe, l’idée de profondeur, de descente, mais aussi de perte: perte de la raison, perte de l’identité

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : ÉTUDE DES LIEUX CLOS
1.1. Les Bois noirs ou le Paradis en Enfer
1.2. La chambre de Hank
1.3. La trappe de la maison d ‘invités des Bois noirs : une issue condamnée
1.4. La cave de terre battue: espace double de vie et de mort
1.5. Le labyrinthe des Bois noirs et ses Minotaures
CHAPITRE 2 : LE TEMPS DE L’ÉTERNEL RETOUR
2.1. L ‘immuabilité du temps qui passe
2.2. La sacralisation du temps à travers les répétitions: sexe, thé et biscuits à la framboise!
2.3. Le mécanisme du bouc émissaire
2.4. Présence du double et permutabilité des personnages
2.5. Le temps idyllique de l’enfance et la nostalgie des origines
CHAPITRE 3 : ÉCRITURE LABYRINTHIQUE ET FOLIE
3.1. L ‘écriture minotaurienne et dédaléenne
3.2. Lafolie de Mary
3.2.1. Symbolisme de la forêt, des feuilles, de la brèche et des mouches
3.2.2. La communion initiatique: Mary devient autre
3.2.3. Hallucinations: la sorcière et les voix des pleureuses
3.3. Lafolie de Harry
3.3.1. L’entrée en matière de Harry
3.3.2. Le thème de la féminité « terrible» : analyse de la chevelure d’Élisabeth
3.3.3. Hallucinations et distorsions du rée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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