ÉCOLOGIE DE LA MUE CHEZ LA GRANDE OIE DES NEIGES (CHEN CAERULESCENS ATLANTICA)

LA MUE

Physiologie et énergétique Les plumes assument diverses fonctions permettant le vol, la flottaison, l’isolation, la protection, la communication (accouplement) ainsi que d’autres rôles sensitifs. Les plumes des oiseaux s’altèrent suite à leur exposition à des agents dégradants comme les rayons UV et les bactéries digérant la kératine ainsi que par l’abrasion mécanique (Barta et al. 2008). N’ayant pas la capacité de se réparer, la totalité des plumes doit être remplacée annuellement afin de continuer d’assumer leurs fonctions (Barta et al. 2008). Les plumes sont principalement constituées de protéines Uusqu’au tiers des protéines d’un individu) et leur renouvellement peut représenter un réel défi énergétique (Rohman et al. 1992). En effet, la disponibilité des protéines par rapport à d’autres types de nutriments est limitée dans la plupart des environnements et les oiseaux n’ont qu’une faible capacité de stockage et de conversion de protéines (King & Murphy 1985, Rohman et al. 1992, Fox et al. 1998). De nombreux auteurs attribuent à la mue un coût énergétique important, voire même un stress nutritionnel (Lu stick 1970, Ankney 1979, Rohman et al. 1992, Lindstrom et al. 1993, Portugal et al. 2007, Barta et al. 2008). Ankney (1979) mentionne trois stratégies pour pallier la hausse de la demande en nutriments au cours de la mue, soit la hausse de la consommation alimentaire, la réduction compensatoire des autres dépenses énergétiques et le catabolisme des réserves corporelles. La définition de Ankney (1979) modifiée par King & Murphy (1985) selon laquelle il y a stress nutritionnel lorsque qu’un catabolisme net des réserves corporelles affecte au moins une fonction vitale d’un individu, est généralement acceptée (Rohman et al. 1992). Selon sa définition, Ankney (1979, 1984) conclut que la mue n’induit pas de stress nutritionnel chez la Petite Oie des neiges (Chen caerulescens caerulescens) ni chez la Bernache cravant (Branta bemicla). L’étude de Lindstrom et al. (1993) révèle que le coût de la mue est significativement corrélé au taux métabolique basal pondéré à la masse corporelle (BMRM ). Les espèces possédant un BMRM élevé, en général les espèces de petites tailles, devraient supporter un coût plus élevé pour leur mue (Rohman et al. 1992, Lindstrom et al. 1993). La synchronie, le patron, la durée et la phénologie de la mue varient grandement selon les espèces et ces caractéristiques influencent la demande énergétique associée à la mue (Ankney 1979).
Synchronie, patron et durée Le milieu de vie ainsi que le mode d’alimentation d’une espèce influencent la synchronie de la mue. Les espèces aquatiques ou s’alimentant dans les marais sont généralement des espèces à mue simultanée (Rohman et al. 1992). Les espèces fréquentant ces milieux peuvent facilement s’alimenter et fuir les prédateurs sans voler, ce qu’ils font généralement même lorsqu’ils ont la capacité de voler. Au contraire, les espèces terrestres et celles s’alimentant grâce au vol (e.g. passereaux, oiseaux de proies, oiseaux de mer, etc.) présentent rarement un mue simultanée puisqu’une réduction de leur capacité de vol les rendraient vulnérables à la prédation ou incapables de s’alimenter efficacement (Bridge 2006). La durée de la mue chez ces dernières est ainsi beaucoup plus longue, les oiseaux de mer ayant besoin de quelques mois à quelques années pour compléter leur mue (Bridge 2006). Le fait que les espèces pouvant risquer la mue simultanée choisissent cette stratégie laisse croire qu’elle constitue l’option la plus efficace (Rohman et al. 1992). Bien que la demande quotidienne en nutriments soit plus élevée lors d’une mue simultanée (Ankney 1979), l’investissement global en termes d’énergie et de temps serait moindre. Chez les Anatidés (famille rassemblant les oies, les cygnes, les canards plongeurs et barboteurs, etc.), le patron de la mue est généralement lié au mode d’appariement. Les Ansérinés (sous-famille des Anatidés comprenant les oies, les bernaches et les cygnes), qui forment des couples durables et dont les individus des 2 sexes ont des plumages semblables, n’ont généralement qu’une seule mue complète par année (Rohman et al.1992). Les Anatinés (sous-famille des Anatidés comprenant les canards plongeurs et barboteurs), qui forment des couples de courte durée et dont les individus sont annuellement et sexuellement dichromatiques, muent au moins deux fois par année (mues partielles; Rohman et al. 1992). De manière plus générale, chez les espèces d’oiseaux polygames, les mâles étant sujets à la sélection sexuelle sont susceptibles de présenter des mues multiples leur permettant un dichromatisme annuel (Tokolyi et al. 2008). Une mue unique représente un moindre investissement en termes de temps et d’énergie que des mues multiples.De manière générale, la durée de la période sans vol durant la mue varie en moyenne entre 3 et 7 semaines chez les Anatidés (Rohman et al. 1992) et entre 3 et 5 semaines chez les Ansérinés (Kahlert 2003, Fox et al. 2009). La capacité de voler est restreinte peu avant la perte des plumes de vol et se poursuit jusqu’à ce que les nouvelles plumes atteignent environ 70% de leur taille finale (Rohman et al. 1992). Plusieurs paramètres peuvent influencer la durée de la mue dont les différences individuelles, l’état des réserves énergétiques, l’apport nutritionnel du régime alimentaire ainsi que les différences géographiques. Les espèces muant à des latitudes supérieures sont sous des contraintes de temps plus serrées et leur mue se concentre généralement sur une période plus restreinte (Caswell en prép., Rohman et al. 1992).
Phénologie Dans les environnements saisonniers, la phénologie des activités du cycle annuel peut influencer considérablement les probabilités de survie et de reproduction d’un individu (Barta et al. 2008). De plus, certaines activités sont généralement asynchrones; soit parce qu’elles requièrent chacune beaucoup d’énergie (e.g. mue et reproduction) ou parce qu’elles sont mutuellement exclusives (e.g. mue et migration) (Hohman et al. 1992, Bridge 2006). La chronologie et la phénologie des comportements sont donc régies par les lois de la sélection naturelle, de façon à ce que le fitness de l’individu soit maximisé (Barta et al. 2008, Tokolyi et al. 2008).Divers scénarios de phénologie de la mue sont observés chez les oiseaux et plusieurs auteurs ont tenté de modéliser le moment optimal du cycle annuel pour la mue, qu’ils soient migrateurs ou non (Holmgren & Hedenstrom 1995, Barta et al. 2006, 2008). Les oiseaux migrateurs peuvent muer soit pendant la saison estivale immédiatement après la reproduction (mue post-nuptiale), soit sur les aires d’hivernage tandis que d’autres peuvent accomplir deux mues partielles ou même deux mues complètes (Kjellen 1994, Holmgren &Hedenstrom 1995, Barta et al. 2008). D’après le modèle de Barta et al. (2008), la distribution temporelle et spatiale des ressources alimentaires est le facteur clé influençant la phénologie de la mue chez les oiseaux migrateurs. Une mue estivale est privilégiée chez une espèce lorsque ses ressources alimentaires connaissent un pic saisonnier sur les aires d’estivage tandis qu’ une moindre amplitude saisonnière survient sur les sites alternatifs. Lorsqu’un pic d’ abondance des ressources survient à la fois sur les aires estivales et hivernales, le scénario de la mue hivernale devient optimal. Tous les migrateurs de courte distance hivernant en milieu tempéré optent pour une mue estivale alors que seuls des migrateurs de longue-distance accomplissent une mue hivernale (Kjellen 1994, Barta et al. 2008). Les espèces à mue esti vale sont souvent sous contraintes de temps serrées, liées à la faible durée de la saison de croissance, et ont tout avantage à muer plus hâtivement à l’intérieur de la saison estivale. Les avantages ont trait principalement à une végétation de meilleure qualité qui entraîne la cascade suivante: une croissance des plumes accélérée par la plus grande valeur nutritive de la végétation, un plumage de meilleur qualité, une période de mue réduite, une plus longue période d’engraissement pré-migratoire et une migration automnale plus hâtive (Caswell en prép., Rohman et al. 1992). La majorité des oiseaux non-migrateurs des régions tempérées et tropicales accomplissent une mue post-nuptiale,bien que les espèces tropicales présentent des patrons beaucoup plus variables (Barta et al. 2006). Certaines de ces espèces accomplissent une mue pré-nuptiale, d’autres muent simultanément à leur reproduction tandis que les espèces à reproduction bisannuelle peuvent muer soit une fois entre leurs deux épisodes de reproduction ou encore après chacun de ces épisodes (Barta et al. 2006). De manière générale, lorsque la variation saisonnière dans la disponibilité des ressources est élevée, les oiseaux, migrateurs ou non, accomplissent une mue post-nuptiale.

Les plans d’eau

   Durant la période de mue, les oiseaux aquatiques s’alimentant sur terre demeurent généralement à proximité des plans d’eau. Les raisons expliquant ce phénomène ne sont toutefois pas complètement comprises à ce jour. Selon Kahlert (2003), plusieurs fonctions,qui ne sont pas mutuellement exclusives, peuvent être assumées par l’eau en période de mue et celles-ci n’ont pas été testées rigoureusement. La sélection d’un site à proximité de l’eau peut s’expliquer par 1) les besoins physiologiques en eau, puisqu’une grande disponibilité de l’eau près des sites d’alimentation permet aux oiseaux de réduire la dépense en énergie et en temps pour les déplacements vers des points d’eau et ainsi d’allouer plus de temps à l’alimentation et au repos (Owen 1972); 2) une meilleure quantité ou qualité des ressources alimentaires à proximité des plans d’eau (Loonen et al. 1991), sachant que les oies se nourrissent principalement de graminoïdes poussant en association avec les milieux humides (le terme «graminoïdes » renvoie à un ensemble de familles apparentées à celle des graminées (e.g. Dupontia spp), notamment celles de cypéracées (e.g. Eriophorum spp) et des joncacées (e.g. Luzula spp) (Gauthier et al. 1996, 2004)); 3) le potentiel de refuge contre la prédation qu’offrent les plans d’eau (Madsen & Mortensen 1987, Fox et al. 1998) et le fait que les coûts de vigilance augmentent en réponse au risque de prédation accru lorsque les individus s’éloignent de tels refuges (Kahlert 2003); 4) ceci peut finalement être le résultat involontaire d’un confinement induit par la réponse anti-prédatrice plutôt qu’une réelle adaptation comportementale visant à minimiser le risque de prédation. Selon cette dernière hypothèse, la zone terrestre la plus près de l’eau serait disproportionnellement visitée en conséquence des déplacements répétés entre la zone d’alimentation et le refuge (Kahlert et al. 1996, Kahlert 2003).

Le risque de prédation et le niveau de dérangement

  Selon Rohman et al. (1992), les deux facteurs influençant la sélection d’habitat chez les Anatidés en période de mue sont le risque de mortalité et la disponibilité de la nourriture. La perte du vol en période de mue limite les déplacements et réduit la capacité à échapper à un prédateur (Kahlert 2003, Portugal et al. 2007). La quête d’un site où le risque de prédation est moindre est de plus en plus acceptée comme étant un des critères majeurs de sélection d’un site de mue (Madsen & Mortensen 1987, Kahlert 2003, Reed et al. 2003). De nombreuses Oies cendrée non-productrices accomplissent une migration de mue vers l’île Saltholm au Danemark, île exempte de prédateur, où le dérangement humain est faible et la nourriture abondante (Fox et al. 1998). Toutefois, les Oies à bec court (Anser brachyrhynchus) nichant en Islande quitteraient des sites où la pression de prédation est faible pour des sites de mue situés au Groenland, où le risque de prédation est supérieur (Owen & Ogilvie 1979, Madsen & Mortensen 1987). Ces sites de mue présenteraient néanmoins des avantages en termes de disponibilité des refuges contre la prédation et des ressources alimentaires. Les oies adultes n’étant pas ou peu sujettes à la prédation aviaire (mais voir Darling 1991), celles-ci n’ont que peu de prédateurs dans l’Arctique. Les oies semblent cependant percevoir le dérangement humain comme un risque de prédation pouvant induire une réponse comportementale anti-prédateur (Frid & Dill 2002, Madsen et al. 2009). Selon Owen (1972), le dérangement humain, perçu comme un risque de prédation, serait le principal facteur influençant la distribution des Oies rieuse sur leurs aires d’hivernage, alors même qu’elles peuvent voler. Étant un des groupes d’espèces les plus sensibles au dérangement (Madsen et al. 2009), en particulier lorsqu’elles ne peuvent voler, les oies non-productrices pourraient sélectionner des sites de mue au faible niveau de dérangement suite à une telle réponse anti-prédatrice. Une étude de Kahlert et al. (1996) démontre que les Oies cendrée en mue réagissent au passage de hérons ou d’hélicoptères en se réfugiant sur des plans d’eau ou encore présentent des comportements anti-prédateurs inhabituels (e.g. alimentation nocturne), réactions qu’elles ne démontrent pas lorsqu’elles ont la capacité de voler. En présence de stimuli de prédation d’une fréquence élevée, l’aggrégation près des plans d’eau peut être très importante, menant à une hausse de la compétition dans un espace restreint et à un épuisement des ressources locales (Kahlert 2003). Comme les oiseaux ne peuvent changer de sites suite à un tel épuisement des ressources survenant en cours de mue, la prédictibilité du risque de prédation et du niveau de dérangement devraient être des facteurs cruciaux dans le choix d’un site de mue (Kahlert 2003).

Cycle annuel de la Grande Oie des neiges

   La Grande Oie des neiges (GON) est une migratrice transfrontalière nichant dans l’est du Haut-Arctique canadien, du centre de l’île de Baffin au nord de l’île d’Ellesmere (Batt 1998). Vers la fin du mois d’août ou le début de septembre, les oies initient leur migration vers le sud, passant à travers le centre du Québec et faisant halte pendant 6 à 8 semaines dans le nord du Québec d’abord puis le long de l’estuaire du St-Laurent. Elles poursuivent ensuite leur route vers leurs aires d’hivernage situées sur la côte est américaine, du New Jersey jusqu’en Caroline du Nord (Batt 1998). Environ 4000 km séparent leurs aires d’hivernage de leurs aires d’estivage. Elles entament leur migration printanière au mois de mars et séjournent à nouveau 6 à 8 semaines le long de l’estuaire du St Laurent puis dans le nord du Québec. Elles quittent ces haltes migratoires vers le milieu ou la fin du mois de mai pour finalement atteindre leurs aires de reproduction vers la fin mai ou au début de juin (Batt 1998).Les femelles GON sont philopatriques à leur lieu de naissance et montrent une fidélité au site de reproduction, quoique d’un degré plus faible que la tendance généralement observée chez les oies. Lecomte et al. (2007) expliquent ce degré de fidélité moindre par l’instabilité de l’environnement nordique (variabilité interannuelle du patron spatial de fonte des neiges et du risque de prédation) et des avantages d’une ponte hâtive. La date médiane de ponte ainsi que la date médiane d’éclosion des jeunes, basées sur la moyenne enregistrée lors du suivi à long-terme (1989-2011) sur l’île Bylot, sont respectivement du 12 juin et 9 juillet (Gauthier et al. 2012).

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Table des matières

REMER ClEMENTS
RESUME
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES APPENDICES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
LA MUE
MIGRA TION DE MUE
CARACTÉRISTIQUES DE L’HABITAT DE MUE
FIDÉLITÉ AU SITE DE MUE
SÉLECTION D’HABITAT
LE CAS DE LA GRANDE OIE DES NEIGES
OBJECTIFS
CHAPITRE 1 ÉCOLOGIE DE LA MUE ET CARACTÉRISTIQUES DE L’HABITA T DE MUE DES GRANDES OIES DES NEIGES (CHEN CAERULESCENS ATLANTICA) NON-REPRODUCTRICES 
RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DE L’ARTICLE
MOLT ECOLOGY AND MOLTING HABITAT REQUIREMENTS OF NONBREEDING GREA TER SNOW GOOSE (CHEN CAERULESCENS ATLANTICA)
ABSTRA CT
INTRODUCTION
METHODS
DISCUSSION
MANAGEMENT IMPLICATION AND FUTURE RESEARCH
CONCLUSION
CONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES
PORTÉE ET LIMITES DE NOTRE ÉTUDE
PERSPECTIVES FUTURES 
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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