Diversité des types de déplacements et des modes de locomotion chez les poissons

Diversité des types de déplacements et des modes de locomotion chez les poissons

Les déplacements de masses souvent saisonniers d’individus observés chez certaines espèces de poissons ont depuis longtemps fasciné le grand public et les scientifiques. Ce fort intérêt pour ce phénomène est principalement expliqué par trois spécificités. La première est le caractère spectaculaire des déplacements qui peuvent s’effectuer sur de très longues distances. C’est notamment le cas de l’Anguille européenne (Anguilla anguilla, Linné 1758) qui effectue un déplacement de plusieurs milliers de kilomètres entre sa zone de croissance et de maturation dans les eaux continentales européennes jusqu’à son aire de reproduction située dans la mer des Sargasses, au large des côtes de la Floride (Béguer-Pon et al., 2015). La deuxième caractéristique est liée aux intérêts culturaux et économiques que peuvent représenter la pêche de certaines espèces comme le Saumon Atlantique (Salmo salar, Linné 1758) en Europe (Peirson et al., 2001), ou les juvéniles de Galaxiidae, localement appelés « White bait », en Nouvelle Zélande (Haggerty, 2007). Enfin la dernière caractéristique pouvant expliquer la forte perception de ce phénomène par le public est liée aux effets indirects des déplacements des individus sur d’autres espèces et écosystèmes. Par exemple les Saumons Pacifique (Oncorhynchus ssp.) peuvent représenter une part importante du régime alimentaire des Ours (Ursus ssp.) qui les capturent lorsqu’ils remontent les rivières vers leurs zones de frayères (Hilderbrand et al., 2004). Après la ponte la décomposition des cadavres des Saumons Pacifique a aussi un rôle important de fertilisation pour la végétation riparienne (Ben-David et al., 1998).

Cependant les mouvements des poissons ne se limitent pas aux déplacements de masse saisonniers et sur de longues distances mais peuvent présenter une grande gamme d’amplitude spatiale et temporelle. En premier lieu les déplacements quotidiens entre les zones de repos et les zones d’alimentation (c’est-à-dire ce qui délimite le territoire quotidien) des poissons entrainent des mouvements à des échelles spatiales et temporelles beaucoup plus réduites. Harrison et al. (2013) ont démontré que la population de Lotte (Lota lota, Linné 1758) d’un lac canadien avait tendance à se déplacer de plusieurs mètres entre des zones profondes occupées pendant la journée et des zones peu profondes, proches des berges, la nuit vraisemblablement pour s’y nourrir. Les déplacements des organismes peuvent aussi être liés à l’ontogénie si leur territoire quotidien change entre les différents stades de développement. C’est notamment le cas du Vivaneau gibelot (Lutjanus fulviflamma, Forsskål 1775) dont les juvéniles se développent dans les mangroves avant de se déplacer vers les récifs coralliens à l’âge adulte (Paillon et al., 2014). Au sein d’un même stade de développement, des déplacements au-delà du territoire quotidien sont fréquents. Ces déplacements sont souvent expliqués par des changements de conditions locales d’habitat mais peuvent aussi être liés à un comportement exploratoire des individus. Les crues sont un exemple extrême de changement de conditions de l’habitat local. Lors de ces évènements David et Closs (2002) ont observé deux types de déplacements chez le Kokopu géant (Galaxias argenteus, Gmelin 1789). Certains individus se déplaçaient hors de leur habitat quotidien vers des zones de courant plus faible alors que d’autres étaient transportés en aval par les courants de crue. Deux comportements pouvaient suivre, la plupart des individus retournaient vers leur territoire quotidien occupé avant la crue alors que d’autres s’installaient dans un nouveau territoire quotidien. L’influence du comportement des individus sur la probabilité de changer de territoire quotidien a été décrite chez des jeunes juvéniles de Saumon de fontaine (Salvenilus fontinalis, Mitchill 1814) par Edelsparre et al. (2013). Ces auteurs ont montré que la probabilité de changement de territoire quotidien était fortement liée à la témérité des individus qui pouvait favoriser leur comportement exploratoire via leur tendance à sortir plus fréquemment et rapidement de leur refuge. Enfin les individus peuvent aussi se déplacer depuis leur territoire quotidien vers leur habitat de reproduction comme décrit pour l’Anguille européenne.

Pour effectuer ces déplacements les poissons utilisent différents modes de locomotions grâce à des mouvements actifs mais aussi à l’utilisation d’un moyen de transport qui, en général, est le courant. Un continuum de modes de locomotions est observé depuis un déplacement complètement actif lorsque les poissons se déplacent à contre-courant jusqu’à un déplacement quasi-exclusivement passif lorsque les individus dérivent avec le courant. Ce dernier cas concerne principalement les stades larvaires dont les capacités de locomotion sont limitées par leur faible capacité de nage liée principalement à leur petite taille (Lechner et al., 2016). Cependant malgré leurs capacités locomotrices limités, les larves peuvent activement augmenter la vitesse du mouvement en se déplaçant vers des zones de courant plus élevé et/ou en se déplaçant activement dans la direction du courant, ou au contraire la ralentir en se déplaçant vers des zones de courant faible et/ou en se déplaçant à contre-courant (Pavlov et al., 2008; Lechner et al., 2014). Lorsque les individus grandissent, la part de mouvement actif peut devenir plus importante. Cependant quand le déplacement s’effectue dans le sens du courant, ou que le courant est exceptionnellement élevé (cas des crues en rivière par exemple), la part de déplacement passif peut rester prépondérante y compris pour des individus ayant de bonnes capacités de locomotion (Davidsen et al., 2005). Même lors des déplacements à contre-courant, les poissons peuvent mettre à profit les conditions locales d’hydraulique liées aux turbulences pour limiter l’effort de locomotion voire même brièvement profiter des turbulences comme moyen de locomotion passif (Liao et al., 2003). Lors de leurs déplacements actifs, les poissons peuvent utiliser plusieurs modes de locomotion en fonction des contraintes rencontrées lors du déplacement et de leurs adaptations morphologiques et physiologiques. Le mode de locomotion le plus rependu est la nage (Beamish, 1978). Cependant certaines espèces peuvent aussi utiliser leur capacité de saut (Mirzaei, 2017), de reptation (Legault, 1988), ou d’adhésion au substrat (Kemp et al., 2009; Carvajal-Quintero et al., 2015). Ces modes de locomotion particuliers sont en général utilisés lorsque les capacités de nage des individus ne permettent pas de franchir un obstacle comme, par exemple, une chute d’eau.

Définition et enjeux écologiques de la migration

La migration est un cas particulier de déplacement des poissons. Plusieurs définitions de la migration ont été formulées. Lucas et Baras (2001) ont proposé une définition très large de la migration comme étant un déplacement synchronisé d’individus d’une espèce à une échelle plus large que leur territoire quotidien et intervenant à un stade précis de leur cycle de vie. Cette définition est précisée par Dingle et Drake (2007) qui indiquent que la migration est un mouvement qui concerne une grande partie des individus d’une population, qui est unidirectionnel et peut se faire de manière active, en général via la nage dans le cas des poissons, ou en profitant d’un moyen de transport, par exemple le courant. Enfin, Alerstam et al. (2003) insistent sur l’importance de l’expression génique dans le contrôle de plusieurs fonctions nécessaires à la migration telles que les adaptations physiologiques et comportementales ou encore le déclenchement, la durée et l’orientation du mouvement.

La migration entre différents habitats présente plusieurs avantages qui peuvent avoir des répercussions sur le succès reproductif des individus. Tout d’abord l’exploitation de différents habitats peut engendrer des gains métaboliques lorsque la disponibilité des ressources alimentaires est hétérogène, dans l’espace ou dans le temps, entre ces habitats (Gross et al., 1988). Les gains métaboliques peuvent aussi être liés à la réduction de la compétition intra et inter spécifique pour les individus migrant vers un habitat où une nouvelle ressource alimentaire est présente (Chapman et al., 2011a). L’augmentation de taille résultant de cette migration peut alors directement influencer le succès reproductif. En effet les poissons de grande taille sont souvent plus compétitifs par rapport à leur conspécifiques de plus petite taille. Ainsi, les femelles de grandes tailles ont, en général, une fécondité plus élevée et les réserves énergétiques investies dans les œufs puis larves sont plus importantes ce qui, in fine, augmente la probabilité de survie des larves (Pavlov & Savvaitova, 2008). La migration peut aussi augmenter le succès reproductif à travers la réduction du risque de mortalité des individus. La mortalité peut être due à un changement temporaire de conditions biotiques, par exemple à la présence de prédateurs (Skov et al. 2008), ou abiotiques (température, crue, sécheresse…) au sein d’un habitat particulier (McDowall, 2010).

Cependant le fait de se déplacer entre différents habitats engendre des coûts énergétiques pour les individus migrants, voire augmente leur risque de mortalité. Les coûts énergétiques peuvent être directement liés aux déplacements (McElroy et al., 2012) ou aux adaptations métaboliques liées au changement d’habitat (Bystriansky et al., 2007). Dans le cas extrême des Saumons rouges (Oncorhynchus nerka, Walbaum 1792), qui ne se nourrissent pas lorsqu’ils remontent les rivières vers leurs zones de frayères, plus de 50% des réserves énergétiques peuvent être utilisées pour migrer entre l’estuaire et les zones de frayère (Crossin et al., 2004). Pour cette même espèce, Rand et Hinch (1998) ont quant à eux estimé que des conditions de débit plus élevées que la moyenne pouvaient entrainer une dépense énergétique accrue lors de la migration vers les zones de frayère. Dans certaines conditions cette sur-dépense d’énergie pouvait même atteindre un niveau critique et engendrer des mortalités importantes. Lorsque le changement d’habitat est associé à une métamorphose des individus, une diminution de leur poids et condition peut aussi être observée. C’est en particulier le cas lors de la métamorphose après l’arrivée en rivière depuis l’océan des gobies du genre Sicyopterus. Schoenfuss (1997) et Taillebois et al. (2011) ont associé la diminution de poids, jusqu’à 15% en 36 heures, aux dépenses énergétiques liées à la métamorphose de deux espèces de ce genre. Enfin la migration s’effectue fréquemment le long de corridors ayant une faible emprise géographique. La concentration d’individus au sein de ces corridors peut ponctuellement augmenter le risque de prédation (Syväranta et al., 2009). Ce risque est particulièrement élevé lorsque qu’un obstacle à la migration des poissons entraine une accumulation de ces derniers en aval. La forte abondance de proies qui en résulte peut favoriser des abondances élevées de prédateurs et fortement augmenter le risque de prédation pour les espèces migrantes (Agostinho et al., 2012). Cet impact est d’autant plus marqué que la dépense d’énergie pour atteindre l’aval de l’obstacle et, éventuellement, celle liée aux tentatives de franchissement de ce dernier, peut augmenter la fatigue des individus et les rendre plus vulnérables à la prédation.

À l’échelle évolutive, la stratégie migratoire est sélectionnée si la différence entre succès reproductif et coût de la migration pour les individus migrants est supérieure au succès reproductif des individus résidents (Gross, 1987). Cependant la différence entre succès reproductif et coût de la migration n’est pas constante entre les individus d’une population, voire pendant la vie d’un individu. Cette variabilité explique en partie les phénomènes de migrations partielles de plus en plus décrits chez de nombreuses espèces. En particulier, Tsukamoto et Arai (2001) ont montré que certains individus d’Anguille japonaise (Anguilla japonica, Temmink & Schlegel 1846) ne migraient pas vers l’eau douce après leur arrivée près des côtes. Leur croissance et maturation s’effectuaient alors exclusivement en mer. De nombreuses études ont relié certains traits morphologiques, physiologiques ou comportementaux des individus au caractère migrant ou résident. Pour des populations de Cyprinidés d’eau douce, Skov et al. (2008) ont démontré que les plus grandes Brêmes bordelière (Blicca bjoerkna, Linné 1758) migraient moins que leurs conspécifiques de petite taille entre un lac et une rivière en hiver, probablement du fait de leur plus faible sensibilité au risque de prédation par les Brochets (Esox lucius, Linné 1758). Ces derniers ne migrent en effet pas entre le lac et la rivière où leur abondance est faible. À l’opposé, le caractère migratoire des Gardons (Rutilus rutilus, Linné 1758) présents dans le même système n’était pas relié à leur taille mais à la condition des individus et/ou à leur témérité : les individus en meilleure condition et les plus téméraires étant majoritairement migrants (Brodersen et al., 2008; Chapman et al., 2011b). En outre, une étude récente de Bond et al. (2015) concernant une population d’Omble du Pacifique (Salvenilus malma, Walbaum 1792) a démontré que les individus les plus vieux cessaient leur migration saisonnière entre la rivière et la mer. Ce résultat suggère que le caractère migrant ou résidant n’est pas seulement influencé par des différences de traits phénotypiques entre individus mais peut aussi varier en fonction de l’évolution des traits d’histoire de vie au cours de la vie des individus.

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Table des matières

Introduction générale
1.1 Diversité des types de déplacements et des modes de locomotion chez les poissons
1.2 Définition et enjeux écologiques de la migration
1.3 Les différentes formes de diadromie
1.4 Répartition géographique des espèces amphidromes et variabilité de leurs stratégies de migration
1.5 Les dynamiques de migration en eau douce des espèces amphidromes tropicales et les enjeux de gestion associés
1.6 Les deux espèces de Sicydiinae de La Réunion
1.6.1 Biologie et écologie de Sicyopterus lagocephalus et de Cotylopus acutipinnis à La Réunion
1.6.2 Description des principales pressions d’origine naturelle s’exerçant sur S. lagocephalus et C. acutipinnis dans les cours d’eau de La Réunion
1.6.3 États des lieux des pressions d’origine anthropique s’exerçant sur S. lagocephalus et C. acutipinnis dans les cours d’eau de La Réunion
1.6.4 Prévision d’évolution de ces pressions dans un contexte d’accroissement démographique et de changements climatiques
1.7 Objectifs et organisation de la thèse
Chapitre 1 : Effet des facteurs environnementaux sur la structure des peuplements de la macro-faune d’eau douce de Mayotte et de La Réunion
2.1 Introduction
2.2 Matériel et méthodes
2.2.1 Plan d’échantillonnage
2.2.2 Méthodes d’inventaire
2.2.3 Analyses des données
2.3 Résultats
2.3.1 Caractéristiques environnementales des stations
2.3.2 Structure des peuplements de poissons et de macro-crustacés
2.3.3 Hiérarchisation des paramètres environnementaux structurants les peuplements de poissons et de macro-crustacés de Mayotte et de La Réunion
2.3.4 Distribution des consommateurs primaires, des prédateurs et des Guppys le long des gradients de pente et d’altitude
2.4 Discussion
2.4.1 Structuration des peuplements de poissons et macro-crustacés indigènes à l’échelle régionale
2.4.2 Hiérarchisation des paramètres environnementaux structurants les peuplements de poissons et de macro-crustacés indigènes à l’échelle du bassin-versant et du site
2.4.3 Structuration des populations de Guppys à Mayotte et à La Réunion
2.4.4 Applications à la gestion
Bibliographie du chapitre 1
Chapitre 2 : Phénologie et mécanisme de la dynamique de dévalaison des larves de Sicydiinae à La Réunion : impact des fluctuations naturelles et anthropiques du débit
3.1 Introduction
3.2 Variabilité spatiale et temporelle de la dynamique de dévalaison des larves de Sicydiinae le long du bassin versant de la rivière du Mât
3.3 Effet des variations anthropiques journalières de débit sur la dynamique de dévalaison et la survie des larves de Sicydiinae de la rivière Langevin
Chapitre 3 : Phénologie et mécanisme de la dynamique de montaison des juvéniles de Sicydiinae à La Réunion : rôle des traits morphologiques
4.1 Introduction
4.2 Variabilité temporelle de la dynamique de montaison des juvéniles de Sicydiinae dans le bassin versant de la rivière du Mât
4.3 Influence des traits morphologiques individuels sur les performances locomotrices des juvéniles de Sicydiinae en milieu expérimental
4.4 Influence de la pression de sélection des barrages sur les traits morphologiques individuels et vitesses de migration des juvéniles de Sicydiinae dans le bassin versant de la rivière du Mât
Discussion générale et perspectives
5.1 Les migrations en eau douce des Sicydiinae, des phases clefs de leur cycle de vie amphidrome ?
5.2 Les capacités de migration en eau douce de S. lagocephalus, un avantage compétitif par rapport à C. acutipinnis ?
5.3 Vers la mise en place de mesures de gestions adaptées aux populations de Sicydiinae de La Réunion
5.4 Intérêts de la mise en place de suivis long terme des flux migratoires des Sicydiinae
5.5 Perspectives de recherche
Conclusion générale
Annexes

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