Diversité des bactéries halophiles dans l’écosystème fromager

Classification des fromages

   La diversité et la complexité des variétés de fromage génèrent des difficultés en ce qui concerne sa classification et caractérisation. L’approche « européenne » (plutôt française) utilise les procédés technologiques comme critères de classification [8] et le modèle « anglo-saxon » est principalement basé sur les propriétés de la texture (fermeté) [9]. Bien que la catégorisation proposée par Lenoir et al. (1985) soit largement utilisée [8], elle est particulièrement adaptée aux fromages français et ne représente pas une vision globale de la production fromagère. Par exemple, il y a deux points principaux dont cette version fait abstraction: (i) la coagulation par la chaleur et l’acidification (ii) matières premières telles que le lactosérum, la crème et le colostrum pour la production de fromages. Almena-Aliste et Mietton (2014) ont donc proposé des modèles plus intégratifs de classification afin de mieux décrire la diversité des fromages, en tenant compte des caractéristiques technologiques, microbiologiques, chimiques et sensorielles [10]. Ici, nous associons le modèle de Lenoir et al. [8] et le diagramme proposé par Almena-Aliste et Mietton [10], afin de fournir un panorama des catégories de fromage existantes (Fig. 1). La coagulation du lait, première étape de la fabrication du fromage, correspond à une déstabilisation de l’état micellaire originel des caséines du lait et peut être réalisée principalement de deux manières (i) par voie fermentaire, à l’aide de bactéries lactiques (ii) par voie enzymatique, à l’aide d’enzymes coagulantes, en particulier la présure [11]. Dans les techniques fromagères, les deux méthodes sont normalement utilisées ensemble, sous forme d’une coagulation mixte. En général, les fromages avec coagulation lactique et/ou enzymatique représentent ∼75% de la production totale de fromage et presque 100% des fromages affinés [12]. Les fromages avec large dominance de bactéries lactiques se caractérisent par une coagulation lente (environ 16 heures) et une synérèse très courte (le caillé est coupé peu avant le moulage). Après un égouttage et un salage à sec, les fromages à pâtes lactiques peuvent être affinés, soit par l’ajout de moisissures (comme Penicillium candidum au fromage Chaource), soit par des lavages d’eaux salées ou nonsalées (fromages à croûte lavée). D’un autre côté, il existe un grand groupe de fromages qui sont fabriqués avec la coagulation enzymatique et mixte. C’est le cas des pâtes non-cuites, semi-cuites et cuites, ainsi que des pâtes persillées et filées. Les fromages à pâtes non-cuites sont chauffés à températures maximales de 40°C et peuvent être pressés ou non-pressés. Les non-pressés ont une pâte molle et peuvent être classées sans croûte (Feta), croûte fleurie (Brie) ou croûte lavée (Munster/Livarot). Les fromages à pâtes pressés peuvent avoir une croûte lavée sans ou avec moisissures (Morbier et Saint Nectaire, respectivement). D’autre part, les pâtes semi-cuites (<50°C) et cuites (>50°C) peuvent être classés en pâtes avec ou sans ouvertures et leurs croûtes peuvent être naturellement séchées, lavées ou frottées avec une solution morge (à base de saumure), comme dans le cas du Comté et du Beaufort. Les fromages à pâte persillée sont fabriqués à partir de lait de vache ou de brebis et les plus connus sont, respectivement, le Gorgonzola et le Roquefort. Ils ont un aspect « persillé » car, après la phase d’acidification lactique et l’ajout de présure, le fromage est ensemencé de moisissures bleues telles que Penicillium glaucum ou P. roqueforti. Dans ce groupe de fromages bleus, le Bleu de Bresse, par exemple, en plus d’avoir une pâte persillée, peut être aspergé de Penicilium camemberti, après le moulage, résultant en une croûte fleurie. D’un autre côté, les variétés de fromage à pâte filée sont produites à partir de lait coagulé avec de la présure et acidifié à l’aide de Streptococcus thermophilus et d’un Lactobacillus spp. thermophile comme ferments [12]. Lorsque le pH du caillé atteint 5,1-5,3, celui-ci est chauffé, malaxé et étiré dans de l’eau chaude ou de la saumure diluée (65-85°C). Les fromages à pâte filée peuvent être consommés frais  (comme la Mozzarella) ou affinés, ou encore fumés (comme le Provolone). En revanche, les fromages coagulés à l’acide et/ou à la chaleur représentent ∼25% de la production de fromage et sont généralement consommés frais [12]. Ils peuvent être fabriqués à partir de diverses matières premières telles que le lait, le lactosérum, le colostrum ou la crème. Le fromage Ricotta, par exemple, est produit à partir de lactosérum par coagulation induite par la chaleur (85-90°C) et de certains agents acidifiants (comme le jus de citron ou le vinaigre). D’autre part, le fromage Mascarpone est produit à partir de crème comme ingrédient, selon un procédé similaire à celui de la Ricotta, mais en utilisant des températures de cuisson légèrement plus élevées et une teneur en sel plus faible. Les fromages fondus, tels que « La vache qui rit », sont fabriqués en mélangeant des fromages naturels broyés (comme l’Emmental, le Comté, le Gouda, etc) avec des sels émulsifiants et d’autres ingrédients laitiers, et en chauffant le mélange sous vide (120°C) sous agitation constante, jusqu’à obtention d’un mélange homogène. Tous ces différents types de fromage sont composés de différents microorganismes d’origines diverses (ingrédients, ferments ensemencés, saumures, équipements et matériels de la fromagerie, caves d’affinage, etc). Ces microorganismes peuvent contribuer à la vaste diversité des caractéristiques organoleptiques des cœurs et des croûtes/surfaces des fromages.

Les microorganismes ajoutés intentionnellement

   Les ferments (encore appelés agents de fermentation ou levains) sont des souches bien définies et caractérisées, ajoutés intentionnellement, utilisés lors de la fabrication du fromage pour contrôler la fermentation et assurer la régularité de la production du produit [1]. La norme ISO 27205: 2010 [16] définit une culture initiale pour la production de fromage comme suit: « culture préparée qui contient une ou plusieurs souches de microorganismes en nombre élevé (en général plus de 108 UFC/g ou ml de bactéries viables) qui sont ajoutées pour provoquer une réaction enzymatique souhaitable (par exemple, fermentation du lactose entraînant la production d’acide, dégradation de l’acide lactique en acide propionique, ou autres activités métaboliques directement liées aux propriétés spécifiques du produit) ». Les cultures microbiennes d’origine alimentaire se sont directement ou indirectement insérées dans plusieurs cadres réglementaires au cours des dernières années, que ce soit en mettant en évidence l’historique d’utilisation, les aliments traditionnels ou la présentation d’une parfaite innocuité pour le consommateur et l’environnement (GRAS: Generally recognized as safe) [17]. En 2002, pour classer les ferments traditionnellement utilisés comme ingrédients alimentaires sécurisés, l’International Dairy Federation (IDF) – en collaboration avec l’European Food and Feed Cultures Association (EFFCA) – a compilé un inventaire des microorganismes tenant en compte la littérature scientifique documentée de leur utilisation dans l’alimentation (Bulletin de l’IDF n° 377/2002). Cet inventaire est devenu une référence pour l’utilisation pratique des souches alimentaires. En 2012, Bourdichon et al. [17] ont mis à jour cet inventaire des microorganismes en se concentrant sur les aliments fermentés, y compris le fromage. Les principaux microorganismes qui peuvent être utilisés lors de la production de fromage comme ferments sont brièvement présentés ci-dessous. Bactéries lactiques Les bactéries de l’acide lactique (LAB) sont parmi les microorganismes les plus étudiés dans le monde. Actuellement, avec les développements des technologies de séquençage de la nouvelle génération, des milliers de génomes sont disponibles et, en conséquence, de nombreuses caractéristiques importantes des souches LAB sont connues, y compris les aspects de la fermentation du sucre, de la formation d’arômes, de la production de substances texturées, des réponses au stress, de la colonisation et de la survie chez l’hôte, des interactions entre cellules et de la pathogénicité [13]. Une recherche du terme « lactic acid bacteria » dans le titre, les mots clés et le résumé dans la base de données scientifique Scopus a donné environ 24.895 résultats d’études (novembre 2020), montrant que les LAB ont reçu beaucoup d’attention de la part de la communauté scientifique. De plus, en utilisant « lactic acid bacteria » ET food, « lactic acid bacteria » ET cheese, et « lactic acid bacteria » ET environment comme termes de recherche, 10.802, 2.359 et 1.293 documents ont été retrouvés, indiquant que les aliments sont largement étudiés en association avec les LAB. Ainsi, au cours des trois dernières décennies, les recherches sur les espèces LAB ont contribué à une sélection et application bien conçues de ferments pour l’industrie alimentaire [18, 19]. En ce qui concerne les fromages, la plupart ne peut pas être fabriquées sans ajout de certaines bactéries lactiques dont les principales fonctions sont d’acidifier le produit pendant la fabrication et de générer des modifications biochimiques pendant l’affinage. L’ajout intentionnel de ces bactéries peut aussi contribuer à développer le goût ou la qualité des textures, ajoutant de la valeur aux produits alimentaires [20]. Les LAB – telles que Lactococcus lactis et Streptococcus thermophilus – sont indispensables à la fabrication de la grande majorité des fromages. Elles possèdent généralement un métabolisme homo-fermentaire et génèrent l’acide lactique comme principal produit final [21, 22]. Les « nonstarter » LAB (NSLAB) constituent également une partie importante de la flore lactique secondaire qui se développe au cours de l’affinage des fromages et sont utilisées comme ferments de fromagerie depuis les années 90 [23]. Ces bactéries correspondent principalement à des lactobacilles hétéro-fermentaires facultatifs, comme les espèces suivantes: Lacticaseibacillus paracasei et casei, Lactiplantibacillus plantarum et Pediococcus acidilactici [5]. Les métabolismes hétéro-fermentaires génèrent certains métabolites, autres que l’acide lactique, tels que l’éthanol, le dioxyde de carbone ou l’acide acétique, et contribuent à améliorer les arômes du fromage [5, 22, 24]. En général, les fournisseurs vendent des mélanges de ferments homo et hétéro-fermentaires avec des proportions différentes suivant les caractéristiques à privilégier. Les ferments ajoutés pendant la fabrication du fromage peuvent également être classés en fonction de leur température de croissance optimale (mésophiles ou thermophiles). Par définition, le terme « mésophile » désigne les organismes dont la température de croissance optimale se situe entre 20 et 37°C [25]. Les cultures mésophiles sont normalement utilisées dans la fabrication de fromages frais, de pâtes molles et de pâtes semi-cuites [26]. D’autre part, pour les fromages à pâtes cuites, l’emploi des cultures thermophiles est indiqué. Elles sont composées de bactéries qui se développent à températures plus élevées (entre 40 et 50ºC) [27]. Ces cultures ont la particularité de donner de la souplesse aux pâtes pressées ou générer des enzymes texturants en pâtes filées [28, 29]. Comme exemple, Lactococcus lactis ssp. lactis et L. lactis ssp. cremoris sont les principaux ferments mésophiles largement utilisés dans la fabrication du fromage. Ils sont fréquemment combinés avec d’autres cultures mésophiles (Leuconostoc mesenteroides, L. pseudomesenteroides) ou thermophiles (Streptococcus thermophilus) [5, 27]. Cultures d’affinage Au-delà des bactéries lactiques (LAB ou NSLAB), d’autres cultures fromagères peuvent contribuer à la définition des caractéristiques des fromages. Dans certains produits traditionnels à croûte lavée, par exemple, les fromages plus anciens sont frottés au contact de fromages jeunes pour transférer leurs microorganismes [30]. Aujourd’hui, cependant, les mélanges commerciaux de bactéries et de levures sont plus couramment utilisés dans les productions à large échelle afin de produire un produit plus standardisé. Les kits de microorganismes d’affinage peuvent être constitués de champignon ascomycètes telles que Penicilium spp. et Geotrichum candidum, de la levure Debaromyces hansenii et des bactéries comme Brevibacterium linens/aurantiacum, B. casei, Staphylococcus xylosus, S. equorum et Glutamicibacter arilaitensis [31, 32]. La composition et la proportion de microorganismes dans chaque mix dépend du type de fromage fabriqué et des caractéristiques souhaitées. Par exemple, le Penicilium roqueforti est utilisé dans la fabrication de fromages bleus et un mélange de G. candidum, D. hansenii, B. linens, G. arilaitensis et S. xylosus est commercialisé pour la fabrication de fromages à croûte lavées [32]. Ces dernières cultures sont souvent utilisées dans les fromages jeunes et peuvent être pulvérisées sur la surface du fromage ou incorporées à la saumure [33]. Toutes les espèces bactériennes mentionnées ci-dessus appartiennent au groupe des Grampositifs et peuvent être utilisées comme cultures d’affinage, bien qu’elles puissent également être fortuites. À ce jour, la seule bactérie Gram-négatif utilisée comme culture commerciale est l’Hafnia alvei [5], notamment pour les fromages type Camembert au lait cru [34, 35]. La présence de certaines souches de cette espèce augmente le niveau de composés soufrés volatils et peut, conséquemment, contribuer au goût du fromage [36]. Néanmoins, selon Delbès et al. (2015), les microorganismes ajoutés intentionnellement dans les fromages peuvent entrer en compétition avec leur microbiote endogène et se montrer faiblement adaptés aux étapes de fabrication de ce produit [6]. Rea et ses collègues (2007) ont évalué la production de six lots d’un fromage à croûte lavée irlandais (Gubbeen) et ont noté que des souches commerciales, délibérément inoculées, peuvent être présentes en tant que souspopulations, mais ne font pas partie de la microflore dominante [37]. En effet, des études menées au cours des 20 dernières années ont montré que les levures et/ou les ferments bactériens ajoutés intentionnellement, notamment dans les fromages à croûte lavée, ne se développent pas nécessairement lors de la fabrication du fromage et qu’une flore adventice peut être dominant à la surface de ces produits fermentés [31, 38-40].

Le sel et la salage des fromages

   En général, les différents types de fromage présentent une très large gamme de sel. Le Tableau 1 a été adaptée à partir des données provenant de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, 2020) [89] et présente la teneur en sel de certains fromages vendus en France, sachant que les valeurs peuvent varier selon chaque fromager. En dehors des fromages blancs (sans ajoute de sel), la Ricotta et la Mozzarella sont les fromages moins salés avec un taux de 0,3 et 0,5%, respectivement. La majorité des fromages varient entre 1-2% de sel et certains, comme le Roquefort et le Pecorino, contiennent plus de 3% de sel dans leur composition. Il existe aussi des fromages, comme le Domiati et le Sikma, très consommés en Égypte et en Turquie, respectivement, qui peuvent contenir jusqu’à 7 % (p/p) de sel [90, 91]. Pour incorporer le sel au fromage, lors de la production, quatre approches différentes peuvent être utilisées. Une première méthode d’application consiste à mélanger le sel directement avec les particules de caillé, avant qu’il ne soit pressé, pour former le fromage final [92] (Fig. 3). L’ajout de sel aux caillés de fromage génère une force motrice osmotique qui attire le lactosérum vers la surface, où il est libéré [92]. Ainsi, au-delà des étapes de fabrication du fromage comme la découpe, l’égouttage et le pressage, le salage est une autre étape utilisée pour réduire l’humidité du fromage. Cette technique permet d’incorporer uniformément de fortes concentrations de sel dans toute la masse et d’éliminer efficacement le lactosérum du caillé au cours du processus. L’expulsion du lactosérum obtenue par cette méthode de salage permet également aux fromagers de produire des variétés à faible teneur en humidité, comme le Cheedar, sans avoir besoin de températures de cuisson élevées, ce qui constitue un grand avantage pratique [11]. La deuxième méthode peut être appliquée au fromage avant ou pendant l’affinage, soit par ajout de sel en cristaux ou par saumure, et ces procédés peuvent être utilisés une ou plusieurs fois et à des différents échelles de temps (Fig. 3). Le sel sec peut être frotté sur la surface des fromages, où il se dissout à l’intérieur et, parallèlement, l’humidité est transférée à la surface et s’évapore. Les fromagers traditionnels appliquent le sel de manière répétée avec un frottement légèrement abrasif afin de développer une croûte lisse, dense et imperméable qui rend le fromage très stable et durable. Bien que cette méthode fonctionne bien pour les petits fromages (comme le Limburger), la technique devient problématique pour les gros fromages, car le salage à sec déshydrate trop rapidement la surface [93]. Par conséquent, la couche extérieure salée peut devenir épaisse et empêcher la migration du sel vers l’intérieur du fromage (Fig. 4) La troisième méthode consiste à submerger le fromage dans une saumure concentrée (qui peut varier de 10 à 20% de sel) [11]. Ce salage est particulièrement utile pour la fabrication de grands fromages à croûte lavée, car il permet une plus grande absorption du sel tout en déshydratant progressivement la surface en vue de la formation de la croûte. L’immersion en saumure entraîne des gradients importants et persistants de sel et d’humidité, s’étendant de la surface vers le centre du fromage, ce qui affecte l’écologie microbienne de manière localisée: les microorganismes sensibles au sel peuvent se trouver en abondance dans le centre (faible teneur en sel) et les types tolérants en surface (forte teneur en sel) [11]. Cette méthode est utilisée pour les fromages comme le Livarot et l’Ossau Iraty. Parallèlement à l’immersion dans la saumure, la quatrième méthode de salage consiste à frotter le fromage pendant l’affinage avec une solution appelée morge, dont les ingrédients de base sont l’eau et le sel. La quantité de sel à incorporer dans l’eau est très variable (5-35%) et dépend du type de fromage et de la charge de contamination dans les caves d’affinage. Il est également possible de diminuer le pH de la morge (aux alentours de 5,0-5,2) en ajoutant un acide (comme du vinaigre blanc) afin d’éliminer les levures indésirables et de stimuler le développement de levures tolérantes aux acides [94]. Le frottage de la solution de morgeage dans les fromages peut se faire avec un torchon, un pinceau/brosse ou une éponge (Fig. 3), en commençant par les fromages les plus anciens et en terminant par les plus jeunes, sans croûte. C’est ainsi que les microorganismes s’incorporent et donnent l’originalité de la solution, qui peut être conservée plusieurs jours et contribuer à des frottages successifs. Cette méthode est très artisanale et fréquente dans les petits ateliers, mais elle tend à disparaître dans les grandes industries, qui ont tendance à privilégier une nouvelle solution de frottage à chaque traitement. Dans ce cas, l’ajout de souches commerciales à la morge initiale peut être utile pour permettre l’ensemencement de la surface des fromages et ainsi favoriser la formation de la croûte. Ces cultures peuvent être proposées sous forme lyophilisée ou liquide par les fournisseurs de ferments et peuvent se constituer principalement des levures Debaryomyces hansenii et Geotrichum candidum, ainsi que de bactéries aérobies non lactiques telles que les corynebactéries (en particulier Brevibacterium linens/aurantiacum) et les microcoques [94]. La phase de salage, lors de la fabrication du fromage, pourra donc générer une forte concentration de sel, favoriser la croissance de microorganismes adaptés à ces environnements et favoriser le développement des propriétés organoleptiques comme le goût, l’apparence et la texture du produit final. Une meilleure compréhension de l’origine et de la manière dont ces organismes évoluent, pendant les différentes étapes du développement du fromage, pourrait être d’un grand intérêt pour déterminer comment le sel pourrait favoriser la composition du microbiote du fromage.

Eukarya

   La Figure ci-dessus mentionne peu de représentants pour le domaine Eukarya, bien que la base de données HaloDom contienne 172 genres différents pour ce groupe. En effet, environ 90% d’entre eux appartiennent aux royaumes Animalia, Plantae et Protista, et leurs génomes complets sont absents dans la base de données publique du NCBI. Pour cette raison, ici, nous nous sommes concentrés sur le royaume des Fungi, qui comprend trois principaux phylums : Ascomycota, Basidiomycota et Zygomycota [120]. Ces champignons halophiles ont été principalement isolés de la mer, des lacs salés et des biofilms microbiens [121]. Bien que souvent imperceptibles, ils sont présents dans tous les environnements de la Terre et peuvent être en interaction avec d’autres êtres vivants (archée, bactéries, etc.) dans les écosystèmes naturels ou alimentaires. Les espèces fréquemment rencontrées dans les aliments (particulièrement les fromages), incluent Debaryomyces hansenii, Galactomyces candidum et Mucor spp., ainsi que les moisissures Penicillium roqueforti et P. camemberti, qui sont ajoutées intentionnellement dans les fromages Roquefort et Camembert, respectivement [122]. Certaines espèces d’Aspergillus sont également présentes dans les produits alimentaires, mais sont généralement considérées comme contaminants et peuvent produire des aflatoxines qui sont des mycotoxines potentiellement dangereuses pour la santé humaine [123, 124]. En outre, Rhodotorula glutinis, une espèce du phylum Basidiomycota, peut être aussi considérée comme agent de détérioration dans les produits laitiers, légumes et fruits de mer [125, 126]. Cependant, cette espèce est une levure pigmentée particulièrement importante pour les industries alimentaires, en raison de son potentiel biotechnologique, notamment la production de caroténoïdes [126]. De plus, le genre Mucor regroupe de nombreuses espèces omniprésentes dans l’environnement (sol, air, poussière) [127], et peut aussi, régulièrement, se trouver, comme contaminant, dans la viande, les fruits, les légumes ou les produits laitiers ; leur croissance incontrôlée peut y induire des effets indésirables au niveau du goût, de la texture et de la coloration [128]. Cependant, plusieurs espèces de Mucor présentent également un intérêt technologique, agissant fortement sur la texture et les caractéristiques sensorielles de nombreux produits fermentés tels que les fromages [129, 130] ou le sufu (caillé d’haricots fermenté) [131]. Ainsi, certains représentants du royaume Fungi peuvent être bénéfiques pour les écosystèmes naturels et alimentaires et jouer un rôle écologique ou biotechnologique, mais ils peuvent aussi produire des effets néfastes ou indésirables.

Les protéobactéries dans les fromages

   Bien que les espèces halophiles de la classe Gammaproteobacteria aient été isolées de manière occasionnelle dans les aliments (et largement dans les écosystèmes naturels, comme illustré, Fig. 8), des études récentes, basées sur des méthodes indépendantes de la culture ont montré que ces bactéries peuvent être le microbiote dominant dans les surfaces de certains Certaines études considèrent que les bactéries halophiles tels que Halomonas, Pseudoalteromonas et Psychrobacter sont impliquées dans l’altération des aliments et sont considérées comme indésirables dans les environnements de transformation des aliments. Cependant, d’autres auteurs signalent que certaines espèces/souches produisent des quantités importantes de composés volatils, ce qui suggère qu’elles ont une fonction non négligeable dans l’affinage des fromages. Une gamme plus large d’espèces et de souches mérite d’être étudiée au cours du processus d’affinage du fromage et pourrait faire l’objet d’une étude plus approfondie afin de mieux comprendre la fonction concrète de ces gamma-protéobactéries dans les fromages. Parmi les membres mentionnés ci-dessus (section 3.1.3), les Pseudomonas spp. sont les plus fréquemment impliqués dans l’altération des aliments et sont particulièrement importants dans les aliments réfrigérés, car certaines souches sont psychrotolérantes [208]. De nombreuses espèces de ce genre ont déjà été détectées dans les fromages, telles que P. pseudoalcaligenes, P. alaligenes, P. aeruginosa, P. fluorescens, P. lundensis, P. brenneri, P. graminis et P. putida [209-211]. La plupart d’entre elles sont déjà bien étudiées pour entraîner une altération des produits laitiers, due à la production d’enzymes extracellulaires thermostables et d’enzymes lipolytiques [212], qui peuvent également nuire à la qualité du fromage, en provoquant des saveurs amères ou un goût de rance (déjà mentionnées dans la section 1.2.2). Si les bactéries Gram-négatives sont généralement considérées comme des indicateurs d’hygiène et d’altération des aliments, des études sur certaines d’entre elles ont montré que leur présence peut avoir un impact écologique et sensoriel, contribuant de manière significative à la qualité organoleptique du fromage [159, 213]. C’est le cas des genres marins Halomonas, Pseudoalteromonas, Psychrobacter et Vibrio, qui ont été régulièrement identifiés dans les croûtes de fromage [4, 5] et dans les surfaces des chambres d’affinage (seau de lavage, table de drainage, cuve de saumure, grille et drain) d’installations artisanales de fabrication du fromage aux ÉtatsUnis [7], ainsi que dans les équipements d’une fromagerie italienne [200]. Certains auteurs signalent que plusieurs espèces de ces genres produisent des quantités importantes de composés volatils tels que les sulfures, l’acétone, l’ammoniac et l’éthanol, ce qui suggère qu’elles participent à la production d’arômes [214-216]. Cependant, d’autres études considèrent que ces gammaproteo bactéries halophiles sont impliquées dans l’altération des aliments et sont, donc, considérées comme indésirables dans les environnements de transformation alimentaire [217-219]. La présence d’Halomonas, par exemple, dans les produits laitiers, a fait l’objet de discussions controversées. Quelques auteurs ont suggéré la présence d’Halomonas spp. comme indicateur des carences hygiéniques dans les installations productrices de fromage [178], pendant que d’autres études ont abouti au résultat indiquant que certaines espèces (H. venusta/ alkaliphila/ hydrothermalis, H. boliviensis et H. variabilis) peuvent avoir une fonction importante, lors de l’affinage du fromage, en particulier des jeunes fromages, qui sont lavées à la saumure plusieurs fois [4, 220]. Toutefois, il n’y a toujours pas de consensus sur l’interaction d’Halomonas concernant le goût ou la texture des fromages. Les espèces du genre Pseudoalteromonas, telles que P. prydzensis [48] et P. haloplanktis/nigrifaciens [221] ont été déjà détectées dans des fromages, avec parfois une forte présence (>30% d’abondance relative dans une croûte de Munster [48]). Il a été récemment établi que certains représentants de Pseudoalteromonas, obtenus à partir de métagénomes de fromages à croûte lavée de la France et des États-Unis, peuvent avoir une activité lipolytique et protéolytique, contribuant aux propriétés aromatiques du fromage [3]. En plus, ces espèces (proches de P. haloplanktis TAC125) contiennent des lipases et protéases adaptées au froid, impliquées dans la production d’arôme, ainsi que le gène MGL (méthionine gamma lyase) qui transforme la méthionine en méthanethiol, un composé soufré [3]. Enfin, les espèces de Psychrobacter tels que P. celer, P. cibarius/immobilis, P. faecalis et P. namhaensis sont fréquemment rencontrées dans des échantillons de lait et de fromage [163, 221, 222]. Les membres de ce genre, en plus de tolérer le sel, sont psychrophiles et s’adaptent bien à l’environnement laitier. Des études ont montré que les souches fromagères P. celer 91 et Psychrobacter sp. 580 (espèce inconnue), contribuent, de manière significative, à l’affinage du fromage, car ils produisent des aldéhydes, des esters, des cétones et des composés soufrés [36, 214]. Ces souches ont été testées soit dans un modèle de fromage de croûte lavée, en interaction avec sept autres bactéries et quatre levures (souvent trouvées dans ce type de fromage), avec un affinage à 12°C, pendant 35 jours (souche 91) [36], soit dans un milieu liquide stérile, à base de caillé de fromage et sel, en association avec la levure Debaryomyces hansenii, et incubé à 14°C, en conditions aérobies pendant 41 jours [214]. Les espèces de ces trois genres (Halomonas, Pseudoalteromonas et Psychrobacter), se retrouvent généralement ensemble dans les fromages à croûte lavée, tels que le Livarot, l’Epoisses, le Langres et le Munster, indiquant qu’ils partagent la même niche écologique et, potentiellement, développent des interactions [48, 221]. D’autre part, le genre Vibrio suscite beaucoup de controverses, car il comporte trois espèces principales, V. parahaemolyticus, V. cholerae et V. vulnificus, qui provoquent des intoxications d’origine alimentaire, en particulier dans les préparations à base de poisson [223]. Cependant, le genre Vibrio présente une grande variabilité génomique [224] et, certaines espèces, telles que V. casei et V. litoralis ont été détectées sur les communautés fromagères et peuvent avoir une contribution à l’affinage [3, 4, 7, 47]. Peu de choses sont connues sur les fonctions technologiques de ces espèces dans l’alimentation, mais Sawabe et al. [225], en 2013, ont proposé différents clades pour le genre Vibrio, en sachant que ces espèces présentes dans les fromages appartiennent au clade Rumoiensis, qui est phylogénétiquement distant des pathogènes (clades Harveyi, Cholerae et Vulnificus) [224]. En bref, nous avons encore beaucoup à apprendre sur le rôle de ces microorganismes halophiles dans les aliments fermentés qui utilisent le sel naturel comme ingrédient. Étant donnée la grande abondance des gamma-protéobactéries dans certaines croûtes de fromage, leur rôle potentiel dans la technologie, le goût, l’arôme et leurs interactions avec la flore qui les accompagne est d’un grand intérêt, non seulement sur le plan scientifique, mais aussi sur le plan industriel et pour les consommateurs. De nouvelles recherches sont donc nécessaires pour identifier, avec précision, leur potentiel fonctionnel dans chaque écosystème alimentaire et, en particulier, le fromage.

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Table des matières

CHAPITRE I – INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
1. Le fromage: un écosystème à découvrir
1.1. Classification des fromages
1.2. Diversité microbienne des fromages
1.2.1. Les microorganismes ajoutés intentionnellement
1.2.2. Les microorganismes adventices
2. Le sel dans l’alimentation
2.1. Le sel comme conservateur
2.2. Le rôle technologique du sel dans la production des aliments
2.3. Le sel et la salage des fromages
2.3.1 Quels types de sel pour la fromagerie?
2.3.2. Le sel comme source de développement de communautés microbiennes
3. Halophiles et halotolérants
3.1. Où résident les microorganismes halophiles?
3.1.1 Eukarya
3.1.2. Archaea
3.1.3. Bacteria
3.2. Les protéobactéries dans les fromages
CHAPITRE II – RESULTATS
1. Les bactéries halophiles et halotolérantes dans les croûtes de fromages 
1.1. Contexte
1.2. Publication 1
1.3. Conclusion
2. Stratégies pour isoler les espèces halophiles, rarement cultivées
2.1. Contexte
2.2. Publication 2
2.3. Conclusion
3. Description de nouvelles espèces
3.1. Contexte
3.2. Publication 3
3.3. Publication 4
3.4. Conclusion
4. Propriétés fonctionnelles des souches halophiles alimentaires et environnementales dans un modèle fromage-agar 
4.1. Contexte
4.2. Publication 5
4.3. Conclusion
CHAPITRE III – DISCUSSION ET PERSPECTIVES
1. Les halophiles: une avancée dans la compréhension des écosystèmes fromagers
2. Peut-on retracer l’évolution des bactéries halophiles dans l’écosystème fromager? 
3. Quel est le rôle des halophiles dans la technologie fromagère ?
ANNEXE 1
1. Analyse génomique de deux souches halophiles marines
1.1. Contexte
1.2. Publication 6
1.3. Conclusion
ANNEXE 2
1. Méta-analyse de la communauté microbienne de fromages traditionnels brésiliens
1.1. Contexte
1.2. Publication 7
1.3. Conclusion
ANNEXE 3
RÉFÉRENCES

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