DITS ET ÉCRITS DE SOCIOLOGUES ET D’APPRENTIS SOCIOLOGUES

Pistes exploratoires psychanalytiques

      En effet, nous retrouvons la thèse selon laquelle l’individu est un sujet divisé, davantage dividu qu’individu, dans plusieurs écrits psychanalytiques. Tout d’abord, le clivage du moi (Ischspaltung) est un des fils rouges des écrits de Sigmund Freud. Ainsi, ses études sur l’hystérie menées avec Joseph Breuer à la fin du XIXème siècle évoquent les difficultés d’association marquant certains états de conscience (dits « états hypnoïdes » 30). Plus tard, ce sont les tensions entre les instances de la conscience et de l’inconscient puis, dans la seconde topique, entre le ça, le surmoi et le moi, qui vont être profondément explorés par Sigmund Freud. Enfin, un de ses derniers écrits est consacré au clivage interne à une même instance, celle du moi31. De manière plus contemporaine, nous pouvons nous référer au philosophe et psychanalyste lacanien Slavoj Zizek, lorsqu’il affirme que « le sujet n’est précisément pas un ‘individu’, un Un indivisible, il est constitutivement divisé ». C’est pour cette raison que Jacques Lacan représente le sujet dans ces graphes par un ‘‘S barré’’ ($). Ce qui nous invite pour notre part à clairement différencier le sujet et l’individu, le premier étant notre objet d’étude tandis que le second n’est qu’une pure fiction, un mythe33 . Identifier chaque (apprenti) sociologue à partir du concept de sujet plutôt que celui d’individu nous permet de rendre compte de sa division interne. Résulte de cette division interne des tensions et des conflits, qui occasionnent la « formation de compromis », expression mobilisée par Sigmund Freud afin d’évoquer l’issue possible d’un conflit psychique entre conscient et inconscient. Ainsi, l’acte manqué (par exemple, ne pas mettre l’alarme de son radio réveil un jour d’examen) constitue une formation de compromis en ce qu’il permet de réaliser un désir refoulé (ne pas aller à l’examen) sans que ce désir soit reconnu de manière consciente (l’individu regrette d’avoir oublié de déclencher l’alarme de son radio réveil). Les actes manqués constituent donc à la fois un des mécanismes de défense et un des symptômes de la division et de la conflictualité du sujet psychique. Or, cette conception psychanalytique du sujet, loin d’être antinomique avec ses conceptions sociologiques, s’appuie sur la dialectique de l’individuel et du collectif et rend compte de la contiguïté entre la division et la conflictualité du sujet psychique et celles du sujet socialisé, en tant que la réalité sociale est elle aussi marquée par la division et la conflictualité (luttes des classes, luttes de genre, luttes de génération mais aussi « lutte des places » ou encore « lutte des faces », etc.). Ainsi, Slavoy Zizek conteste la distinction scolastique opposant l’individu et la société, tout en présentant par la même occasion l’un des fondements anthropologiques du lien social : « […] le premier pas vers la solution [le dépassement de la ruineuse alternative du tout organique sui generis d’un côté et de la monade individuelle de l’autre] consiste à rapporter le clivage qui divise la Substance sociale (l’« antagonisme social ») au clivage constitutif du sujet. […] je peux communiquer avec l’Autre, je suis « ouvert » à lui, précisément et seulement dans la mesure où je suis déjà moi même clivé, marqué par le « refoulement », c’est-à-dire dans la mesure où […] je ne peux jamais vraiment communiquer avec moi-même. L’Autre est originellement l’Autre Place décentrée de mon propre clivage. » Cette lecture psychanalytique de la dialectique de l’individuel (du psychique, du dedans) et du collectif (du social, du dehors) trouve un écho dans les écrits foucaldiens, comme l’a repéré Gilles Deleuze à partir de la métaphore du pli : « Le dedans comme opérateur du dehors ; dans toute son œuvre, Foucault semble poursuivi par ce thème d’un dedans qui serait seulement le pli du dehors ». Bernard Lahire, du côté des sociologues contemporains, reprend cette métaphore du pli et soutient que « l’individu est le produit de multiples opérations de plissements (ou d’intériorisation) et se caractérise par la pluralité des logiques sociales qu’il a intériorisées ». D’ailleurs, un rapprochement peut sur ce point s’opérer entre Bernard Lahire et ce sociologue moins contemporain qu’est Georges Gurvitch. En effet, c’est bien le procédé dialectique de la « mise en réciprocité de perspectives » que Bernard Lahire mobilise lorsqu’il évoque l’intériorisation de la lutte des classes sous la forme de conflits identitaires : « la lutte des classes s’accompagne […], parfois aussi, de luttes internes aux individus : chaque individu est, potentiellement, une arène de la lutte des classements symboliques ». À travers la problématique du clivage du sujet psychique, la psychanalyse, tout comme la philosophie, nous invite à adopter une approche sceptique de l’identité des (apprentis) sociologues et de leur sociologie. Pour autant, loin de nous entraîner dans les tréfonds de leur intériorité, nous retrouvons parmi les psychanalystes une lecture sociologique du clivage du sujet psychique. Appréhendant davantage l’individuel et le collectif comme une relation dialectique qu’une antinomie, ces lectures psychanalytiques ne nous éloignent donc pas du raisonnement sociologique.

LE TRAVAIL DU CONCEPT : UNE SPÉCULATION PHILOSOPHIQUE ?

      Ces considérations peuvent sembler intempestives, notamment si on les évalue au regard des normes discursives régissant actuellement le champ sociologique et qui invitent davantage les apprentis sociologues à critiquer ou dénier la légitimité de l’exercice philosophique au sein du raisonnement sociologique plutôt qu’à l’intégrer et s’y confronter. Il nous semble pourtant déterminant d’expliciter dès le premier chapitre de cette première partie quel est à la fois notre positionnement et notre usage de l’exercice philosophique. Par ailleurs, faire part ainsi de notre positionnement à l’égard de la philosophie nous est apparu d’autant plus opportun que la section de sociologie et d’anthropologie de l’Université est clivée à ce sujet, les professeurs de sociologie Barbara B et Louis C ayant tendance à exclure de la sociologie l’exercice philosophique, à la différence des professeurs de sociologie Modeste D et de César E, que les premiers ont de ce fait quelques résistances à reconnaître comme étant de ‘‘véritables’’ sociologues. Nous pouvons d’ailleurs examiner dès à présent quelques extraits d’entretiens effectués avec les professeurs de sociologie de l’Université (et directeurs de thèse des apprentis sociologues de notre échantillon), afin de mettre en lumière la cartographie de notre sociologie avec la leur, concernant cette thématique du travail du concept. Nous pouvons commencer par évoquer quelques extraits de l’entretien effectué avec Louis C, dont le constructivisme le conduit à reconnaître le travail de César E comme étant sociologique, bien qu’il n’en pense pas moins… : « […] je prends par exemple le cas de… que j’observe depuis peu de temps, de mon collègue César E, qui est arrivé il y a une dizaine d’années sur l’Université. Avant même, j’ai été président de son jury de thèse, en 90, puisqu’il travaillait avec Nathan I à l’époque [professeur de sociologie à l’Université durant les années 1990]. Donc j’étais dans son jury et… je sais que dans mon rapport que j’avais fait, c’est moi qui avais fait la synthèse pour le rapport de thèse, etc., j’avais mis, entre autre, un peu en plaisantant, mi figue mi raisin, etc., en disant que… parce que je trouvais que c’était une thèse à forte tendance philosophique, je l’ai mis dans mon rapport et j’ai dit que ‘‘mais visiblement, c’est une thèse de sociologie quand on voit le jury’’. Donc, pour moi, même si j’ai le sentiment que monsieur E fait plus de la philosophie historique, ou des choses comme ça, c’est un sociologue puisqu’il est labellisé sociologue. Donc, n’importe qui, du moment qu’il est labellisé sociologue est légitimé en tant que tel, on peut dire que c’est de la sociologie. Après ça, ce n’est pas forcément comme ça moi que je vois… » (Louis C) Se dégage notamment du discours Louis C une certaine ligne de démarcation entre sa génération de sociologues ‘‘purs’’ et celle, antérieure, de sociologues ‘‘impurs’’. Autrement dit, se trouvent distingués ceux qui viennent de l’extérieur du champ sociologique (ayant suivi un cursus d’abord philosophique avant de coloniser la sociologie) et ceux qui sont ‘‘nés dedans’’ (ayant validé un second cycle universitaire en sociologie puis acquis un doctorat de troisième cycle suivi d’un doctorat d’État, comme ce fut le cas de Louis C151). Lors de notre entretien, Mélodie A distingue elle aussi ces deux générations de sociologues, avec une première génération de sociologues qu’elle a eu comme enseignants et « qui ont fait de la sociologie après être passés par la philo… Donc ceux-là, c’est ceux qui avaient eu leur petit poste, ils planaient, j’ai eu des planeurs, vraiment… J’aimais bien mais… Bon, ils ont apporté à la pensée, tout ça, mais… Bon… ». Mélodie identifie une seconde génération de sociologues qui a mis le ‘‘terrain’’ au cœur du métier sociologue et à laquelle elle s’identifie : « on a quand même fait plus de terrain, on s’est dans l’ensemble plus engagé […] » (Mélodie A). Pour autant, Mélodie A tend à associer plutôt qu’à opposer ces deux générations, reconnaissant un certain goût pour la théorisation (« j’aimais bien ») et reconnaissant à cette première génération un don (« ils ont apporté à la pensée » sociologique), don que cette génération a transmis à la discipline et qui circule encore aujourd’hui parmi les générations qui lui ont succédées. Mais la sociologie de cette première génération ne la satisfait pas totalement, de par la trop faible place laissée au ‘‘terrain’’. Ce à quoi sa génération a pallié, sans pour autant renier ce dont elle a hérité. Nous ne pouvons pas en dire autant de Louis C, qui se démarque donc de ses chers ‘‘collègues’’ agrégés de philosophie et étiquetés institutionnellement sociologues : lui fait en effet partie des « sociologues sociologues, et pas agrégés de philosophie ». Le pléonasme est particulièrement parlant.

LA PHILOSOPHIE OU LA PENSÉE EN POSITION DE HORS-JEU SOCIOLOGIQUE ?

      Sur le plan méthodologique, la position de Louis C est toutefois moins évidente du fait qu’il oscille entre une position qu’on peut qualifier de ‘‘forte’’155 et une position qu’on peut estimer plus modérée concernant la place de l’analyse et de la théorisation dans le travail sociologique. Sa position modérée consiste à rejeter la démarche hypothético-déductive au profit de la démarche dite inductive : « […] je pense que les options théoriques, elles… elles se doivent quelque part effectivement de ne pas précéder le travail du réel. Elles sont le fruit… Ce ne sont même plus des options, ce sont des… elles sont induites par la réalité. Sinon après ça, vous faites une manip et c’est une pure reconstruction, c’est presque un artefact. » (Louis C) Sa position forte consiste ni plus ni moins qu’à rejeter, exclure la théorisation du métier de sociologue. Se rapprochant indéniablement des prises de position de l’ethnométhodologie, Louis C résume le travail sociologique à la rédaction de comptes-rendus d’observations. On peut même avancer qu’il fait le même reproche aux philosophes que Karl Marx156, celui d’interpréter le monde social, mais à la différence de ce dernier il ne s’agit pas alors de le transformer mais de se contenter de le décrire. Ainsi, commentant le travail qu’il a réalisé avec l’exécuteur, travail qu’il qualifie modestement de « tout à fait exceptionnel d’un point de vue anthropologique», Louis C fait part de ses efforts pour ne pas théoriser, ne pas penser, ne pas interpréter son objet mais le décrire (si on nous permet cette reformulation de la formule spinoziste) : « Et j’ai fait exprès de ne pas développer d’analyse, je n’avais rien pensé… juste un petit truc à la fin, comme une postface, un après dire, pour expliquer comment c’était fait… ce qui fait que… je cite d’ailleurs Wittgenstein dans la postface qui dit ‘‘ce qu’il y a c’est qu’on ne veut jamais s’arrêter de penser, etc., l’important c’est de faire une description complète’’ Et moi je le pense, de plus en plus ça, je pense qu’en fait on se paye de mots et que… certains éléments de théorisation, la plupart du temps, c’est faire tomber les choses et pire, les gens dans le champ justement de notre intérêt, comme disait Weber. C’est-à-dire que c’est les récupérer dans nos cadres mentaux, puisque je ne crois pas du tout à une raison universelle, je n’y crois pas du tout. Je pense que c’est de l’auto-justification ou du narcissisme, etc. » (Louis C) On retrouve un positionnement voisin du côté de Barbara B, qui définit la sociologie, et ce faisant met des limites à la sociologie, en en faisant une activité consistant à travailler sur de la « matière sociale », quelle qu’elle soit (cette matière peut aussi bien être du discours, du texte que des activités, des formes architecturales ou encore des actes appréhendés par le biais de l’observation). C’est en ce sens que Barbara B déclare que « pour moi, il n’y a pas de sociologie s’il n’y a pas de terrain ». Ce faisant, la légitimité du sociologue se fonde sur sa connaissance certes, mais sur une connaissance qui s’est construite à partir du recueil et de l’analyse d’une matière empirique, et non pas à partir d’un travail conceptuel : « […] s’il y a quelque chose que je peux apporter à ma discipline, c’est par cette connaissance-là. Ce n’est pas parce que je suis dans mon bureau, et que je suis très intelligente et capable de gamberger. Il y a des gens très intelligents, mais, si tu veux, pour moi, ceux-là, parce que c’est peut-être plus facile de dire ce qu’on est par rapport à ce qu’on n’est pas … pour moi, tu as des sociologues qui parlent de la société, c’est à-dire qu’ils parlent … moi j’en suis resté à l’administration de la preuve de Durkheim. Pour moi, c’est ça qui fait la différence entre la philosophie et la sociologie. C’est que, à un moment donné, tu as un mec qui s’appelle Auguste Comte et qui dit ‘‘écoutez, jusqu’à maintenant on n’a fait que de montrer la société. Maintenant il s’agit de la démontrer’’. Lui, il ne fait pas cette démonstration, il passe sa vie à dire ce qu’il faut faire. Et Durkheim arrive derrière. Et si Le suicide est fondateur de ‘‘la’’ discipline, c’est bien parce que c’est la première enquête, et dieu sait si Durkheim ne va pas tremper ses pieds dans la boue. Le suicide, qu’est-ce qu’il fait, il travaille sur des statistiques. » (Barbara B) Les propos de Barbara B ne sont pas sans familiarité avec ceux d’Howard Becker, lorsqu’il identifie la sociologie dans Les ficelles du métier157 comme un métier ‘‘de terrain’’ et qu’il prend ses distances vis-à-vis de ceux qui n’ont que « des bonnes idées » mais qui, finalement, n’ont pas une expérience réflexive qui émane directement d’un terrain de recherche. Nous pouvons aussi remarquer que, tout comme pour Louis C, la philosophie sert de repoussoir et c’est à partir d’elle que Barbara B définit la (et sa) sociologie, soit à partir de ce qu’elle n’est pas et ne doit pas être (la sociologie est donc la non philosophie, de la même qu’on peut définir la masculinité comme ce qui n’est pas féminin, et réciproquement). Ce qui nous renvoie à une lecture structurale du champ universitaire, défini comme un espace de positions dont chacune se définit par et dans sa différence avec les autres positions158. Ici sont opposés aux sociologues les philosophes, qui sont des gens qui sont peints par Barbara B d’une façon quelque peu ambivalente : ce sont certes des « gens très intelligents » mais en même temps dont l’activité se limite à « gamberger », à parler, en restant confiné dans leur bureau et leur bibliothèque (loin de la réalité et des actes de la vie quotidienne). Ces gens sont donc peut-être très intelligents mais leurs activités se cantonnent au bavardage finalement (cette prise de position prenant ainsi le contre-pied du discours des philosophes qui soutiennent que le travail du concept est justement « ce qui empêche la pensée d’être une simple opinion, un avis, une discussion, un bavardage »159). Et s’ils ont parfois de bonnes idées, ils ne se donnent pas la peine de les démontrer, en les soumettant à l’impératif durkheimien de l’administration de la preuve. Ce faisant, Barbara B reproche aussi aux philosophes (et aux sociologues qui se contentent de « gamberger ») de ne faire qu’interpréter le monde social à défaut de le décrire. Cela dit, on peut déceler chez elle une certaine oscillation concernant la place de la théorisation dans le travail sociologique. À l’instar de Louis C, Barbara B oscille entre une position modérée, où la réalité empirique n’est pas uniquement mobilisée à des fins de description mais aussi à des fins de falsification (ce qui présuppose bien une activité de théorisation) et une position forte, où le travail sociologique tend à se limiter à la réalisation de comptes-rendus de comptes-rendus : « Je partage assez l’idée de Garfinkel. Je partage la posture de Boltanski. Si tu veux me positionner dans cet univers-là, je suis boltanskienne. C’est-à-dire que je pense qu’il faut faire les comptes rendus des réalités qu’on observe, qu’il faut les soumettre au laboratoire, que le discours du sociologue est un discours qui est une énième vision de la réalité du monde, et qu’il faut l’analyser comme tel, certes inscrite dans un champ particulier qui est la sociologie française. » (Barbara B)

Être ou ne pas être déterministe, telle est la question

     Nous ne pouvons alors nous contenter de rendre compte de cette tension paradigmatique mais nous devons expliciter notre propre positionnement à ce sujet. Or, au sein de l’espace de prises de position auquel nous nous confrontons alors, nous nous situons indéniablement du côté du pôle d’orientation du déterminisme. Pour autant, ce positionnement n’inscrit pas notre sociologie dans une perspective fataliste de la même manière qu’il n’implique pas que nous refusions de rendre compte de l’autonomie relative ou encore de la réflexivité des individus et des groupes sociaux. Selon nous, dès l’instant que la sociologie prétend avoir le statut de science (et faire œuvre d’une rationalité scientifique), elle ne peut que postuler l’existence de déterminismes propres aux faits sociaux. Autrement dit, en tant que science, la sociologie est déterministe ou n’est pas. Tel est le postulat sur lequel repose notre sociologie mais aussi, nous semble-t-il, la sociologie d’Émile Durkheim, à l’image du passage suivant : « la sociologie ne pouvait naître que si l’idée déterministe, fortement établie dans les sciences physiques et naturelles, était enfin étendue à l’ordre social ». Mais nous pouvons aussi souligner que cette idée n’est pas étrangère à Max Weber, qui insiste beaucoup sur la double tâche du sociologue et qui est, certes, de comprendre par interprétation (« deutend verstehen ») mais aussi d’expliquer causalement (« ursachlich erklären ») l’activité sociale qu’il observe173. Et nous retrouvons une prise de position similaire chez Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, lorsqu’ils soulignent le lien d’interdépendance entre le principe théorique de non-conscience et le principe du déterminisme méthodologique : « […] ce que l’on pourrait appeler le principe de la non-conscience, conçu comme condition sine qua non de la constitution de la science sociologique, n’est pas autre chose que la reformulation dans la logique de cette science du principe du déterminisme méthodologique qu’aucune science ne saurait renier sans se nier comme telle ». Du côté des cinq professeurs de sociologie de l’Université que nous avons interrogés, nous retrouvons dans les propos de Modeste D la référence à ce postulat fondateur de la sociologie française, introduisant par la même occasion le point de vue holiste à partir duquel la sociologie appréhende les interactions sociales. En effet, Modeste D définit la sociologie comme une science traitant d’un ordre de déterminations qui lui est spécifique et qui correspond à un « quelque chose » qui est certes produit par les individus mais qui d’une certaine manière leur échappe du fait que les propriétés et la logique de ce « quelque chose » correspondent non pas à celles, en soi, de chaque individu, mais à leur mise en rapport, autrement dit aux rapports sociaux (de sexe, de classe, de génération et nous pourrions encore ajouter les rapports sociaux de territoire ou encore de culture ethnique, religieuse, etc.). Toutefois, lorsque nous lui demandons comment il définit la sociologie à ses étudiants et qu’il fait alors référence à ce postulat déterministe, Modeste D précise immédiatement que ce postulat n’est pas partagé par l’ensemble de la communauté des sociologues, ce qu’il estime être en l’occurrence une erreur du fait que cela prive justement la sociologie de son objet spécifique : « […] on part d’un postulat… alors évidemment, en partant de là, j’avais bien conscience, et je le disais d’ailleurs aux étudiants, que ce postulat lui-même est discuté à l’intérieur de la sociologie, que… on suppose qu’il existe un ordre de phénomènes qui est spécifiquement social. Et que c’est cet ordre de phénomènes spécifiquement social qui fait l’objet de la sociologie. En partant de l’idée que, en définitive, il y a dans n’importe quelle interaction entre des individus vivants en société quelque chose de plus et de différent des simples individus en question. Et c’est ce ‘‘quelque chose’’ de plus et de différent qui est l’objet de la sociologie… En expliquant derrière tout de suite que… ce postulat lui-même est discuté à l’intérieur de la discipline, puisque il y a un courant à l’intérieur de la discipline qui conteste le fait qu’il y ait quelque chose de plus et de différent… en ajoutant que pour ma part, je pensais que c’était une erreur profonde que de contester ce postulat parce que c’est un postulat, si on le conteste, il ruine la discipline, enfin il la prive d’objet quoi… » (Modeste D) Alors, l’identité de ce « quelque chose » fait évidemment débat parmi les sociologues et dépend de leur inscription paradigmatique. Ainsi, si Modeste D identifie essentiellement ce « quelque chose » comme étant de l’ordre de l’articulation entre l’ensemble des rapports sociaux (de production, de propriété, de classes, de genres, de générations, etc.), Louis C s’inscrit quant à lui dans la filiation durkheimienne, reprise par Pierre Bourdieu, et qui identifie ce « quelque chose » comme étant de l’ordre de l’histoire sociale méconnue : « si on convient que l’inconscient c’est toujours de l’histoire qui est occultée, le sociologue il vise à mettre au jour l’inconscient de la vie sociale » (Louis C). De même, Louis C se réfère fréquemment (dans ses publications de même que dans son enseignement) à la définition de la sociologie que Émile Durkheim pose dans Les règles de la méthode sociologique, soit comme « science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement ».

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PRÉLUDE
I – DU PROJET DE RECHERCHE À LA QUESTION DE DÉPART
II – DE LA QUESTION DE DÉPART À LA PROBLÉMATIQUE
2.1. EXPLORATIONS EMPIRIQUES
2.2. EXPLORATIONS THÉORIQUES
III – PROBLÉMATISATION DE NOTRE QUESTION DE DÉPART
3.1. L’IDENTITÉ : UN OBJET COMPLEXE QUI REQUIERT UNE DÉMARCHE COMPLEXE
3.2. ORDRE ET DÉSORDRE IDENTITAIRE
3.3. DE LA STRUCTURATION DE L’IDENTITÉ NARRATIVE À LA STRUCTURATION DES IDENTIFICATIONS NARRATIVES
3.4. CORPS D’HYPOTHÈSES
IV – PLAN D’ÉTUDE ET ORGANISATION DE NOTRE RECHERCHE
CHAPITRE I – MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1.1. DÉLIMITATION DE NOTRE TERRAIN DE RECHERCHE, DE NOTRE ÉCHANTILLONNAGE ET DE NOTRE CORPUS
1.2. UNE POSTURE COMPRÉHENSIVE DURANT LES ENTRETIENS
1.3. GRILLES D’ENQUÊTES
1.4. MÉTHODES ANALYTIQUES
PREMIÈRE PARTIE. UNE ÉPISTÉMOLOGIE LOCALE DES SOCIOLOGIES PRODUITES À L’UNIVERSITÉ
CHAPITRE II – UN TRAVAIL MÉTHODIQUE DU CONCEPT
2.1. LE TRAVAIL DU CONCEPT : UNE EXPÉRIENCE DE PENSÉE
2.2. LE TRAVAIL DU CONCEPT : UNE SPÉCULATION PHILOSOPHIQUE ?
2.3. BRIBES D’UNE HISTOIRE DE VIE DE SOCIOLOGUES QUI SE CONSTRUISENT AVEC OU CONTRE LA PHILOSOPHIE
2.4. UNE ALLIANCE INATTENDUE CONTRE LA PHILOSOPHIE : L’EMPIRISME MÉTHODOLOGIQUE ET LE CONSTRUCTIVISME THÉORIQUE
2.5. LA PHILOSOPHIE OU LA PENSÉE EN POSITION DE HORS-JEU SOCIOLOGIQUE ?
2.6 UNE POSITION MÉDIANE ENTRE LE TRAVAIL DU CONCEPT ET LE TRAVAIL ‘‘DE TERRAIN’’ : L’EXCLUSION DE LA PHILOSOPHIE SOCIOLOGIQUE ET L’INTÉGRATION DE LA SOCIOLOGIE PHILOSOPHIQUE
2.7 SYNTHÈSE
CHAPITRE III – LE DÉTERMINISME EST LA LIBERTÉ
3.1. UN OXYMORE ‘‘À LA MODE’’ : LES SCIENCES SOCIALES CONTRE LE DÉTERMINISME
3.2. DÉTERMINISME, FATALISME, SOCIOLOGISME ET HOLISME SOCIOLOGIQUE
3.3. DÉTERMINISME SOCIOLOGIQUE ET SOCIOLOGIE DE L’INDIVIDU
3.4. DU DÉTERMINISME AU MULTI DÉTERMINISME SOCIOLOGIQUE
CHAPITRE IV – LES TERRAINS INCONSCIENTS DU SOCIOLOGUE
4.1. SAISIR MÉTHODOLOGIQUEMENT LES MANIFESTATIONS DE L’INCONSCIENT SOCIAL
4.2. LES TROIS TERRAINS DU SOCIOLOGUE
CHAPITRE V – UNE RUPTURE AVEC LA NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUE
5.1. LA POLYSÉMISE DE LA NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUE
5.2. UNE NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUE IMPOSSIBLE
5.3. RETOUR SUR LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE KANTIENNE
5.4. LES IDÉES DE VALEUR CULTURELLES ET LES INTÉRÊTS DE CONNAISSANCE DU SOCIOLOGUE
5.5. TAIRE LA PASSION ET L’ENGAGEMENT DU SOCIOLOGUE
5.6. UNE NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUE NON SOUHAITABLE
CHAPITRE VI – DE LA SOCIOLOGIE AILLEURS QU’EN SOCIOLOGIE
6.1. UNE ANTHROPOLOGIE PARTIELLE ET PARTIALE ARTICULANT SOCIOLOGIE ET PSYCHANALYSE
6.2. LA PLACE DE L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES DITS ET ÉCRITS DES PROFESSEURS DE SOCIOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ
6.3. LA SOCIOLOGIE DANS LES ÉCRITS PSYCHANALYTIQUES DE JACQUES LACAN
6.4. LA PLACE DE LA PSYCHANALYSE DANS LES DITS ET ÉCRITS DES PROFESSEURS DE SOCIOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ
CHAPITRE VII – LA SECTION DE SOCIOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ : UNE CONFIGURATION ANOMIQUE
7.1. LES « COUACS » DE L’ILLUSIO DU CHAMP SOCIOLOGIQUE AU SEIN DE L’UNIVERSITÉ
7.2. L’ESPACE DE PRISES DE POSITION SOCIOLOGIQUE DES PROFESSEURS DE L’UNIVERSITÉ
7.3. LE GROUPE DES PROFESSEURS DE SOCIOLOGIE ÉTABLIS ET CELUI DES MARGINAUX
7.4. LA MARGINALISATION DES DISPOSITIONS SCOLASTIQUE ET CRITIQUE
CHAPITRE VIII – LES IDENTIFICATIONS SYMBOLIQUES, IMAGINAIRES ET RÉELLES DES PROFESSEURS DE SOCIOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ
8.1. L’ARTICULATION AMBIGUË DES REGISTRES D’IDENTIFICATIONS SYMBOLIQUES ET IMAGINAIRES
8.2. D’UN AUTRE À UN AUTRE
8.3. VOYAGE AU-DELÀ DU RÉEL SOCIO-HISTORIQUE
SECONDE PARTIE. EXPLORATION DE TROIS REGISTRES IDENTIFICATOIRES : LES IDENFIFICATIONS SYMBOLIQUES, IMAGINAIRES ET RÉELLES DES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
CHAPITRE IX – IDENTITÉ NARRATIVE ET CONSTRUCTION IDÉALTYPIQUE DU SUJET (APPRENTI) SOCIOLOGUE
9.1. L’IDENTITÉ NARRATIVE. UN CONCEPT PROBLÉMATIQUE
9.2. L’ADVÈNEMENT DU SUJET (APPRENTI) SOCIOLOGUE
9.3. PASSER DU STÉRÉOTYPE À L’IDÉALTYPE DU SUJET
CHAPITRE X – LE RAPPORT IDÉALTYPIQUE À L’AUTRE SYMBOLIQUE. CONSTRUCTION DU CONCEPT
10.1. USAGE DU CONCEPT DE SYMBOLIQUE EN SOCIO-ANTHROPOLOGIE ET DANS NOTRE CORPUS
10.2. L’AU-DELÀ DE L’INTERACTION OU L’AVÈNEMENT DE LA SOCIOLOGIE
10.3. LA MISE EN ÉVIDENCE DE LA DIMENSION SYMBOLIQUE DES RAPPORTS SOCIAUX PAR ÉMILE DURKHEIM
10.4. LA MISE EN ÉVIDENCE DE LA LOGIQUE SYMBOLIQUE DES RAPPORTS SOCIAUX PAR MARCEL MAUSS
10.5. L’ÉMERGENCE D’UNE LINGUISTIQUE STRUCTURALE AVEC FERDINAND DE SAUSSURE
10.6. LES IDENTIFICATIONS SYMBOLIQUE GÉNÉRÉES PAR L’HABITUS
10.7. L’UNITÉ CONFLICTUELLE DES REGISTRES SYMBOLIQUE ET IMAGINAIRE DANS LE PORTRAIT FREUDIEN DE LA FOULE
10.8. LA FACE DOUBLE DE L’ALTÉRITÉ. DE L’AUTRE L’AUTRE
10.9. L’HISTORICITÉ ET LA MATÉRIALITÉ DE L’AUTRE
CHAPITRE XI – LE RAPPORT IDÉALTYPIQUE À L’AUTRE SYMBOLIQUE. EXPLOITATION DU CONCEPT PAR LE PRISME DES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES 
11.1 SYNTHÈSE IDÉALTYPIQUE DU SUJET SYMBOLIQUE
11.2. LE CYCLE SYMBOLIQUE DU DON DANS LES ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
11.3. L’IDENTITÉ SOCIOLOGIQUE HÉRITÉE DE L’UNIVERSITÉ
11.4. LA CHAÎNE SYMBOLIQUE HÉRITÉE DANS LES ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
11.5. L’HEUREUSE RENCONTRE ENTRE UNE DISPOSITION ETHNOGRAPHIQUE ET L’ORDRE DU DISCOURS INTERACTIONNISTE
11.6. LES FIGURES DE L’AUTRE STRUCTURANT L’HISTOIRE DE VIE DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
CHAPITRE XII – LE RAPPORT IDÉALTYPIQUE À L’AUTRE IMAGINAIRE
12.1. USAGE DU CONCEPT D’IMAGINAIRE DANS LES SCIENCES HUMAINES
12.3. GENÈSE BIOGRAPHIQUE DU REGISTRE D’IDENTIFICATIONS IMAGINAIRES
12.4. DE L’AUTRE PLURIEL AU SUJET AUTOFONDÉ OU LE PASSAGE DE LA MODERNITÉ À L’HYPERMODERNITÉ
12.5. PRÉSENTATION DE LA LOGIQUE FORMELLE DU REGISTRE D’IDENTIFICTAIONS IMAGINAIRES
12.6. LA CONNAISSANCE PARANOÏAQUE DU SOCIOLOGUE AU CARREFOUR DES ASPECTS MOTEURS ET LEURRANTS DU REGISTRE IMAGINAIRE
12.7. LE REGISTRE IMAGINAIRE D’IDENTIFICATIONS DANS LES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
CHAPITRE XIII – LE RAPPORT AU RÉEL ET AU MANQUE À ÊTRE
13.1. LES TROIS PALIERS EN PROFONDEUR DU REGISTRE RÉEL DES IDENTIFICATIONS
13.2. L’ÊTRE ET/EST LE NÉANT
13.3. L’ÊTRE SOCIAL RÉEL EST LE DEVENIR SOCIO-HISTORIQUE
13.4. L’ÊTRE SOCIAL DEMEURE NÉCESSAIREMENT INDIVIDUALISÉ
13.5. LE REGISTRE IDENTITAIRE RÉEL DANS LES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
CONCLUSION GÉNÉRALE
I – HISTOIRES DE VIE ET POSITION ÉTABLIE OU MARGINALE AU SEIN DE L’UNIVERSITÉ
II – HISTOIRES DE VIE ET TENSIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES
III – LA CIRCULATION DE DISPOSITIONS SOCIALES ET DE REGISTRES IDENTIFICATOIRES DANS L’HISTOIRE DE VIE DES PROFESSEURS DE SOCIOLOGIE
IV – UNE MISE EN SCÈNE IDÉALTYPIQUE DE DIFFÉRENTES FORMES DISCURSIVES DU SUJET ASSUJETTI ET DU SUJET ÉMANCIPÉ
V – TRAVAILLER LES CONCEPTS DE SYMBOLIQUE, D’IMAGINAIRE ET DU RÉEL PAR LE PRISME DE LA SOCIOLOGIE
VI – LA CIRCULATION DU REGISTRE SYMBOLIQUE DANS LES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
VII – LA CIRCULATION DU REGISTRE IMAGINAIRE DANS LES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
VIII – LA CIRCULATION DU REGISTRE RÉEL DANS LES DITS ET ÉCRITS DES APPRENTIS SOCIOLOGUES
IX – PROBLÉMATIQUES ET MÉTHODOLOGIES À VENIR
BIBLIOGRAPHIES
I – BIBLIOGRAPHIE ALPHABÉTIQUE
II – BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE
SOCIO-ANTHROPOLOGIE DE L’IDENTITÉ
ÉPISTÉMOLOGIE ET SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE SOCIOLOGIQUE
LINGUISTIQUE
SOCIOLOGIE CLINQUE ET PSYCHOSOCIOLOGIE
DICTIONNAIRES ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
ANNEXES

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