Discours du gouvernement du Québec sur la régionalisation de l’immigration

Migrations et politiques d’immigration: les grandes tendances

La concentration métropolitaine de l’immigration doit être comprise dans la dynamique des migrations internationales au sens large, pour la simple raison qu’il s’agit d’un phénomène répandu qui n’a rien de propre à la province québécoise. Les progrès du capitalisme industriel au cours du XIXe siècle engendrent des mouvements migratoires de masse composé essentiellement de personnes en quête d’emplois bien rémunérés qui convergent alors vers les centres urbains ‘. Au Québec, Montréal s’affirme comme métropole canadienne durant la seconde moitié du XIXe siècle et devient aussi, jusqu’au milieu du siècle suivant, la première ville canadienne de destination des migrants internationaux2 . Ces migrants viennent d’abord en grande partie d’Irlande et de Grande Bretagne et leur nombre est si important que la ville compte une majorité d’anglophones vers 18323. L’iQ.dustrialisation qui s’accélère à partir des années 1880 attire des travailleurs de beaucoup d’ autres pays et de plus en plus de migrants venant des campagnes québécoises convergent aussi vers la métropole 4 • Si les besoins économiques influencent en grande partie les dynamiques migratoires, les politiques gouvernementales peuvent le faire tout autant, à des degrés différents selon qu’il s’agisse de migrations volontaires ou de migrations incitées, voire forcées 5.

À l’époque contemporaine, particulièrement dans l’entre-deux-guerres et au moment de crises économiques, les gouvernements des États-Unis, du Canada ainsi que ceux de plusieurs pays d’Europe occidentale ont eu recours à la déportation pour se débarrasser d’ activistes politiques, de leaders syndicaux ou de chômeurs6 . Outre ces interventions de contrôle, des efforts ont été faits pour influencer la dynamique des migrations internes. À plusieurs reprises, de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 1950, le gouvernement fédéral et celui des provinces du Québec et de l’Ontario, surtout, ont tenté d’attirer des immigrants fermiers et cultivateurs en leur offrant des terres agricoles. Il s’agissait d’une stratégie pour favoriser la colonisation de « terres vierges » et de régions peu peuplées, mais aussi pour encourager le retour d’émigrants canadiens établis aux États-Unis. Or, les résultats de ces mesures politiques sont restés très mitigés, car le besoin de main-d’oeuvre dans les milieux urbains attire la majorité des migrants 7.

Au cours des années 1970, un autre type de migrants est ciblé par les autorités politiques pour vivre à l’extérieur des grandes villes : les réfugiés. La gestion de l’aide aux millions de personnes déplacées par les conflits ou les catastrophes naturelles est l’un des grands défis auxquels sont confrontés les pays industrialisés dans la seconde moitié du XXe siècle. Des programmes de « dispersion des réfugiés » sont alors développés au Canada, mais aussi dans d’autres pays à forte immigration. Ces mesures ont un double objectif: « réduire les tensions dans les régions métropolitaines surchargées d’ immigrants et favoriser l’ intégration8 . » Ainsi, durant la décennie de 1970, la Grande-Bretagne disperse les groupes de 20 à 50 réfugiés dans autant de localités que possibles, alors qu’aux États-Unis, les Cubains fortement concentrés à Miami se voient offrir une allocation gouvernementale s’ils acceptent de quitter la Floride9 . En Suède, par exemple, des municipalités accueillent des réfugiés pendant deux ans et leur offrent des services gratuits en échange d’une compensation monétaire du gouvernement central. Quant au Canada, toujours dans les années 1970, le système de parrainage privé par lequel des citoyens et organismes privés accueillent des personnes en détresse favorisent la dispersion spatiale de ces dernières.

L’expérience des réfugiés de la mer indochinois (boat people) arrivés entre 1978 et 1981 , en est un bon exemple JO . Quoi qu’ il en soit, tous ces programmes échouent : « les réfugiés déclarent avoir été très affectés par l’ isolement, la rupture des liens familiaux et amicaux, de même que par la difficulté d’obtenir un emploi11 » et repartent pour la plupart vers les grands centres. Au Québec, bien qu’il n’y ait pas, à proprement dit, de politique publique qui encadre les mesures de dispersion des réfugiés, il semble que depuis les années 1970 ce soit une pratique courante. La première destination de ces réfugiés leur est indiquée par des e~ployés de la fonction publique. Il s’agit généralement d’une des 12 villes 1 désignées comme villes régionales d’accueil 12. Comme l’explique Anne-Marie Séguin, l’état de dépendance des réfugiés à l’égard du gouvernement d’accueil donne plus de pouvoir aux autorités pour décider de leur lieu d’établissement. Ils deviennent en quelque sorte « captifs de l’aide étatique l3 ». Cela dit, une fois admis au Canada, le droit à la libre circulation permet à quiconque de choisir sa ville de résidence et la plupart du temps, pour les réfugiés comme pour les autres migrants, les métropoles sont leur premier choix. Ce survol historique montre que depuis le xrxe siècle, des politiciens canadiens et québécois ont cherché à contrôler les mouvements migratoires internes pour pallier la très forte concentration · métropolitaine. La politique de la régionalisation de l’immigration s’inscrit donc en continuité avec cette démarche.

Les politiques canadiennes d’immigration

Au tournant du XXe siècle, deux idées dominent les orientations des ministres fédéraux de l’Immigration. L’objectif premier de Clifford Sifton (1896-1905) consiste à peupler le Canada. Le gouvernement canadien adopte donc à cette époque une politique de portes ouvertes où la priorité est en principe accordée aux fermiers et agriculteurs appelés à jouer un rôle important dans la colonisation des terres de l’Ouest. Cette politique est en bonne partie maintenue jusqu’à la Première Guerre mondiale, voire audelà, en dépit des réserves de son successeur, Frank Oliver (1905-1911) plus préoccupé de l’origine des immigrants. Aux yeux de ce dernier, l’édification de la nation canadienne exige que l’on donne priorité aux immigrants anglo-saxons, ainsi qu’à des « races» jugées plus « assimilables ». Au total, entre 1896 et 1914, presque trois millions d’immigrants entrent au Canada, la plupart venant de la Grande-Bretagne (et des États- Unis), mais aussi de plusieurs pays d’Europe de l’ Ouest, de l’Est et du SUdI6 . Cette immigration de masse, qui provoque parfois des réticences, voire l ‘hostilité des Canadiens anglophones comme francophones, devient aussi par moments un enjeu politique entre ces deux communautés, du moins aux yeux d’une partie des élites canadiennes-françaises. Dans le cas de cette dernière, la forte émigration de la population du Québec aux États-Unis17 , surtout, ainsi que la tendance à l’ anglicisation des immigrants contribuent à nourrir un sentiment d’ insécurité et la crainte de voir leur nation noyée dans une mer anglophone.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, « [l]es horreurs et les atrocités de cette guerre amènent les nations à condamner fermement le racisme et la discrimination 18 », ce qUI amène un repositionnement politique en matière d’immigration. On assiste à la mise en place d’un nouveau dispositif juridique international visant à éviter la répétition des barbaries de la guerre qui contribue à implanter une nouvelle conception des droits individuels, à l’exemple du droit d’ asile I9 • Au Canada, la guerre offre une occasion pour « reconstruire » l’identité canadienne et de créer un nouveau statut qui remplace celui du sujet britannique : le citoyen canadien. Ce statut permet de mettre sur un même pied tous les Canadiens, « qu’ils soient nés ou non au Canada2o. » Les idéaux de l’après-guerre sont portées par un mouvement social d’affirmation des droits humains qui fait pression sur le fédéral pour qu’il fasse preuve de plus d’ouverture dans la sélection et l’ accueil d’ immigrants2 1 • Graduellement, sous les administrations de Mackenzie King (1935-1948)22 et de Louis St-Laurent (1948-1957) les obstacles discriminatoires à 1’immigration sont réduits23, mais il faut attendre 1962 pour que les échelles de préférences raciales en vigueur jusque-là soient abolies par la ministre de 1’Immigration, Ellen Fairclough24. Lorsqu’en 1967 le système de sélection par pointage est implanté, le gouvernement de Lester B. Pearson (1963-1968) cherche à placer les considérations économiques au-dessus des critères raciaux et ethniques25 . Ce nouveau système a pour effet de diversifier les pays d’origine des nouveaux arrivants: « En 1966, 87 p. 100 des immigrants du Canada étaient d’origine européenne, alors que seulement quatre ans plus tard, 50 p. 100 provenaient de régions tout à fait différentes du monde : les Antilles [sic], la Guyane, Haïti, Hong Kong, l’Inde, les Philippines, et 1’Ind~chiné6. »

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

1.1 La régionalisation de l’immigration: genèse d’un débat
1.1.1 Migrations et politiques d’immigration: les grandes tendances
1.1.2 Le Québec et l’immigration: de l’indifférence à l’intérêt-Les politiques canadiennes d’immigration -L’éveil du Québec Au contact de réfugiés
1.1.3 Le développement régional: les enjeux –
1.2 Présentation de la méthodologie
1.2.1 Approche théorique et méthode Analyse
de politique publique: le modèle séquentiel Les consultations publiques québécoises sur l’immigration
1.2.2 Les sources et leurs auteurs-Les mémoires soumis lors des consultations -Les publications gouvernementales étudiées
1.2.3 Traitement des données: analyse de contenu et de discours
2.1 Un contexte propice au débat
2.2 La consultation particulière de 1987
2.2.1 Le problème public et ses solutions: ce qui préoccupe la société civile
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
La Centrale de l’enseignement du Québec
Le Centre justice et foi
Alliance Québec
Le Comité d’accueil aux Néo-Canadiens de Trois-Rivières
2.3  ‘Avis des experts
2.3.1 Le Conseil des Communautés culturelles et de l’Immigration
2.3.2 Le problème public et ses solutions: ce que pense le comité d’experts
2.4 Les stratégies discursives: donner du poids à son discours
Conclusion
CHAPITRE 3 – LA DÉCISION POLITIQUE: DISCOURS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC SUR LA RÉGIONALISATION DE L’IMMIGRATION
3.1 La transition vers les années 1990 : le cas des réfugiés
3.2 L’énoncé de politique Au Québec, pour bâtir ensemble (1990)
3.2.1 Définir l’approche québécoise en matière d’immigration
3.2.2 Régionaliser l’immigration
3.3 Une richesse à partager: définir la politique de régionalisation
3.4 Les stratégies discursives: imposer la vision gouvernementale
3.4.1 Les régions: actrices de premier plan
3.4.2 L’immigration, une richesse qui se partage
Conclusion
CHAPITRE 4 – LA REFORMULATION DU PROBLÈME PUBLIC
LES CONSULTATIONS DE 1991, 1997 ET 2000
4.1 La décennie 1990 : enjeux et débats
4.1.1 Des débats parallèles
4.1.2 Portrait de l’immigration au Québec, 1991-2000
4.2 La poursuite du débat sur la régionalisation de l’immigration
4.2.1 Les consultations de 1991 , 1997 et 2000
4.2.2 Les discours sur les disparités territoriales
4.2.3 Pour un meilleur partage des atouts de l’immigration
Les atouts économiques – L’atout démographique Mieux répartir les immigrants « indépendants» et les réfugiés
4.2.4 Favoriser le processus d’intégration – Une langue commune pour tous -Sensibiliser
les Québécois –
4.2.5 Critiques et oppositions à la politique de régionalisation
4.3 Les stratégies discursives: tout est dans la manière
4.3.1 Formation de l’énoncé discursif de la régionalisation
4.3.2 S’adresser au gouvernement: différentes approches
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *