Dimensions constitutives, fonctions et facteurs d’influence des colloques 

Techniques et méthodes d’animation analogiques

Le langage verbal, de par sa nature séquentielle, linéaire et analytique, est décrit dans la littérature comme n’étant que peu adéquat pour traduire la complexité et la subjectivité en jeu dans les interactions entre les individus et le groupe (Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990, 2005). A l’opposé, de par son contenu visuel et spatial, celui imagé est définit comme particulièrement adapté car il permet une communication symbolique, mythologique, holistique et analogique plus complexe, intelligible et immédiate. Dans le cadre de cette recherche, nous avons donc souhaité tester cette hypothèse pour voir si l’utilisation de l’image et du symbole pouvait améliorer l’efficience et la productivité des colloques d’équipe. Parmi l’ensemble des essais organisationnels et des dispositifs d’animations mis en place, nous avons donc expérimenté différentes techniques d’animation inspirées par cette approche. Dans ce vaste domaine, nous avons décidé de nous intéresser particulièrement aux objets flottants pour les adapter et les transposer au management en tant qu’outils d’animation. A l’origine, les objets flottants ont été développés dans le cadre des thérapies familiales systémiques (Caillé & Rey, 2004). Connaissant partiellement leurs efficacité et richesse formatrice, la découverte de leur application à la famille nous a particulièrement attiré car, enétudiant la dynamique des groupes, nous nous sommes rendu compte que celle-ci est un groupe primaire restreint, tout comme l’équipe éducative concernée par notre étude. Dans la famille des objets flottants, nous avons expérimenté la chaise vide, les sculptures, le blason familial, les masques, l’équipe réfléchissante et les contes systémiques (Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990, 2005; Gaillard & Rey, 2001). Dans celle plus vaste des techniques analogiques, nous avons utilisé les cartes symboliques, le dessin et la schématisation (Eppler & Mengis, 2011; Eppler, 2012), la pâte à modeler ainsi qu’un atelier corporel (Chalverat, 2011). Sur la totalité des expérimentations, nous avons auto évalué rétrospectivement quatre dispositifs d’animation symbolique37. Les analyses développées dans les paragraphes suivants, bien que particulièrement nourries par ces bilans, incluent également des observations et des apprentissages réalisés grâce à l’ensemble des interventions analogiques testées.
Notre première constatation concerne la satisfaction quant à la pertinence des techniques et des dispositifs utilisés pour favoriser et mobiliser le raisonnement dans sa forme symbolique et analogique avant d’utiliser le registre phonologique (Godefroy, 2008). En produisant un dessin, un schéma, un objet en pâte à modeler, une sculpture faite avec des corps humains ou en devant utiliser des cartes fantastiques, nous avons réussi à encourager les collaborateurs à activer les dimensions symboliques, mythologiques, visuelles, spatiales et corporelles de leurs pensées. En empêchant de raisonner directement dans le registre analytique qui caractérise la parole, les settings proposés ont obligé les membres de l’équipe à activer des processus cognitifs, sensorimoteurs, sociaux et affectifs radicalement différents de ceux traditionnellement utilisés dans le cadre des colloques caractérisés par la prédominance de la position assise, du travail en groupe complet et du langage verbal38 (Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990, 2005; Godefroy, 2008). La littérature sur les objets flottants, tout en décrivant la possibilité pour quelques personnes d’être en difficulté avec le registre symbolique et artistique, souligne que cela n’empêche que très rarement l’aboutissement de l’exercice de production (Caillé & Rey, 2004). Ainsi, par exemple, lors de la fabrication des masques, malgré nos consignes rassurantes sur le fait que la qualité artistique des productions demandées n’était pas du tout le but recherché, deux collaborateurs ont verbalisé leur inconfort avec les approches impliquant le dessin et montré quelques difficultés techniques dans la production. Pourtant, au moment d’utiliser les objets graphiques pour verbaliser et expliquer leur raisonnement, nous avons remarqué une structuration, une clarté, une richesse et une implication dans leurs propos plus importantes par rapport à des colloques verbaux classiques. Les cartes symboliques, en étant déjà faites, possèdent l’avantage de permettre aux collaborateurs d’éviter de devoir se confronter avec leurs éventuelles difficultés et blocages dans le dessin. Composées d’images fantastiques riches en objets, en couleurs et en possibilités associatives, elles stimulent fortement le raisonnement symbolique. De même, les sculptures, en utilisant le corps, évitent le passage par le geste graphique, et enrichissent l’exercice avec les sensations kinesthésiques et corporelles. La pâte à modeler, en rajoutant une composante plus opératoire et manuelle que la graphomotricité, a montré également un aspect facilitant dans ce sens.
Au niveau des effets, nous avons observé que ces techniques, en produisant quelque chose de concret, de réel et de tangible, permettent de créer des supports visibles de sa propre pensée et de celle d’autrui. Ces vecteurs, en effet, qu’ils soient corporels, dessinés, sous forme d’image ou d’objet, sont la résultante du raisonnement de la personne qui les a produit et ils le matérialisent de manière visuelle. En comparaison avec des animations verbales classiques, ces techniques nous ont marqué par leur impact positif sur la qualité communicationnelle du groupe. Le fait de pouvoir discuter et échanger sur la base d’un objet intermédiaire perceptible par tous facilite l’expression de la personne qui présente, la compréhension des collègues qui écoutent et, par conséquent, le travail d’animation. Au niveau de la compréhension, nous avons observé que le support visible rendait le décodage du raisonnement sous-jacent aux propos tenus par les collaborateurs plus rapide et immédiat. Pour la personne qui devait expliquer son point de vue, il permettait de pouvoir s’appuyer sur un médiateur physique rassurant et synthétisant les différents niveaux logiques qui l’avaient engendré. Grâce à cette sorte d’aide-mémoire visuel, tout en favorisant l’émergence de logiques plus circulaires et complexes, la reconstruction et le développement du message sur le plan verbal se faisait sans perdre le fil conducteur séquentiel du discours. Par effet miroir, les personnes réceptrices semblaient pouvoir suivre, compléter et enrichir plus facilement les explications verbales données grâce aux apports des supports visuels. Cette double facilitation a favorisé également notre travail d’animateur car elle a permis au groupe de mieux définir une réalité communicationnelle commune et de faire diminuer l’intensité de l’effet de “perte en ligne“ inévitable à toute communication (Anzieu & Martin, 2006; Laure, 2000). Cet effet est d’autant plus présent dans les cas où les échanges au colloque sont purement basés sur le langage verbal sans autres vecteurs et supports d’expression (Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990, 2005). A ce propos, lors de l’évaluation verbale à “chaud“ de l’animation avec les masques pour le bilan d’équipe du stagiaire au colloque, un collaborateur s’est exprimé dans les termes suivants : « Moins “bateau“ et routinier ! Ça pousse à devoir formuler et verbaliser les éléments de raisonnement symbolisés par le masque et ça donne un autre impact! Ça permet aussi de voir comment la personne a compris mes propos et de voir comment elle se situe par rapport à eux ».
De par leur nature fortement structurante et participative, ces techniques et dispositifs d’animation ont contribué à organiser les discussions verbales des collaborateurs. Les énoncés étaient plus précis, pertinents, complémentaires et intelligibles et la dynamique de groupe plus “connectée“, fluide et constructive. Les digressions étaient pratiquement inexistantes et le groupe semblait avancer “plus uni“ dans la construction d’une réflexion partagée. Dans ce sens, la matérialisation de la pensée symbolique, que ce soit en images, en objets ou en postures corporelles, nous a fortement impressionné par sa capacité à condenser de manière visible et/ou corporellement expérimentable plusieurs niveaux d’analyse de manière simultanée. Cette explicitation des formes de préconfiguration de la pensée sous-jacentes au langage enrichit et stimule les échanges verbaux car elle permet un degré de connexion et de compréhension commune du groupe supérieur. A plusieurs reprises, les synergies entre ces deux registres différents, digital et analogique, ont amplifié la puissance et l’efficacité des processus cognitifs, affectifs, relationnels et communicationnels du groupe et favorisé l’émulation, la construction et la prise de conscience collective.
Du point de vue temporel, ces techniques et dispositifs n’ont pas réduit la durée des séquences mais optimisé l’implication des membres de l’équipe et la mobilisation de leurs compétences. Les membres de l’équipe semblaient plus impliqués non seulement au moment de leurs interventions aussi plus à l’écoute de celles de leurs collègues. Ceci est un indicateur particulièrement important de la bonne qualité de la dynamique d’équipe (Moléa Féjoz, 2008). Dans ces moments nous avons observé une augmentation du respect des temps de parole, des regards, une absence de conduites de repli ou de distraction (dessiner, ordinateur, téléphone). Le climat de travail était moins “lourd“ et plus agréable que les colloques classiques. En ce qui concerne notre posture d’animateur, nous avons remarqué que dans ces conditions nous pouvions mieux l’habiter car aucune intervention sur le plan de la régulation n’était nécessaire. Déchargé de cette fonction, nous étions plus disponible et concentré pour faciliter la productivité du groupe en donnant forme et rythme aux échanges. Par moments, nous en avons également profité pour changer de casquette et intervenir dans les débats pour amener des impulsions et des apports complémentaires en tant que responsable d’équipe. A titre d’exemple, nous avons adapté la technique des masques pour l’appliquer au bilan d’équipe du stagiaire au colloque39. Le setting proposé a introduit un objet et un espace intermédiaires qui ont créé un sous-espace plus intime tout en restant à l’intérieur d’un espace groupal plus vaste (Caillé & Rey, 2004). Cette animation, particulièrement sécurisante et adaptée pour un bilan collectif, a permis d’atteindre avec succès ses objectifs qui étaient de favoriser la participation de tous membres de l’équipe et de libérer la parole pour obtenir une évaluation formative plus complète et structurée. Les conditions participatives idéales de travail d’équipe engendrées par ce dispositif nous ont permis d’avoir la disponibilité et la lucidité mentale nécessaires pour improviser. Ainsi, au moment de la prise de parole de la part du praticienformateur, nous avons adapté rapidement les consignes pendant l’activité en déplaçant consciemment la focale de l’évaluation sur son rapport d’encadrement avec le stagiaire. Ces éléments, en effet, n’étaient que rarement abordés en réunion formelle et collective. Du point de vue managérial et dans une perspective formatrice, il était très important pour nous d’y parvenir.
Par rapport au setting classique d’un colloque40, à la clôture, les analyses produites étaient plus pleines, profondes, complexes et complètes sur l’ensemble des dimensions constitutives de la problématique abordée. De plus, nous avons constaté que ces animations ont permis de garder une trace mnésique plus claire, plusieurs fois utilisée longtemps après l’animation comme référence pour réactiver le souvenir des prises de conscience et des décisions réalisées. Les temps de production individuels et en sous-groupes introduits en plus des moments collectifs ont contribué à l’émergence d’une dynamique plus participative et responsabilisante. Le fait que ces dispositifs impliquaient une contribution intellectuelle sous forme d’objet, de dessin et/ou de participation corporelle de la part de chaque participant a augmenté non seulement la complémentarité et la richesse des apports mais aussi et surtout la valorisation de l’équipe et des collaborateurs. Ce vécu partagé nous a fourni une base solide sur laquelle nous avons pu nous appuyer pour parvenir à conscientiser les membres de l’équipe sur le fait qu’ils méritent que les colloques soient des temps de travail professionnel efficients et efficaces (Moléa Féjoz, 2008). Par la même occasion, ceci a non seulement contribué à leur prouver qu’ils méritent la qualité mais aussi que celle-ci peut être améliorée à condition que tous les membres de l’équipe s’investissent dans une préparation et une participation collective et partagée (Anzieu & Martin, 2006; Laure, 2000; Moléa Féjoz, 2008; Moulinier, 2011; Mucchielli, 2013).
Lors de la semaine de bilan et de préparation, à plusieurs reprises, nous avons proposé à l’équipe de travailler seule en mode autogéré. A travers ce message de confiance, notre objectif visait à valoriser l’équipe et à développer ses compétences et ses capacités organisationnelles à travailler de manière autonome (Anzieu & Martin, 2006; Caillé & Rey, 2004). Dans le cas du blason d’équipe, par exemple, l’équipe a réalisé seule cet exercice formateur dont la finalité était de faire travailler les collaborateurs sur les éléments d’appartenance et de différenciation par rapport à la culture et à l’identité du groupe. Le respect des consignes, des temps impartis et le niveau d’organisation dont les collaborateurs ont fait preuve nous ont montré que l’équipe possédait les compétences et les capacités organisationnelles nécessaires au travail collectif autonome. Les productions et les retours présentés par l’équipe nous ont prouvé que ses membres ont réussi à exprimer en groupe, de manière harmonieuse et en étant respectés, des regards très individuels et personnels sur l’évolution de l’équipe. La diversité, la richesse et la complémentarité des narrations symboliques individuelles du passé, du présent et du futur de l’équipe nous ont fait comprendre à quel point le groupe, au-delà de son aspect unitaire, était également composé d’individualités avec des parcours, des vécus et de représentations différentes. Les lectures sur la dynamique des groupes et les objets flottants nous ont appris que, malgré la pression d’appartenance et d’uniformisation (force centripète) inhérente à tout groupe primaire restreint, des forces centrifuges41 coexistent en son sein et poussent ses membres vers l’individuation (Anzieu & Martin, 2006; Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990). Pour qu’une équipe de travail soit saine, les besoins d’individuation et les différences interindividuelles doivent pouvoir coexister avec les besoins d’appartenance du groupe de manière harmonieuse, dynamique et cohérente. A la lumière des résultats du blason réalisé par l’équipe, nous avons compris que les différences individuelles pouvaient s’exprimer sans mettre en péril l’uniformité et l’identité du groupe. En ce qui nous concerne, sur le plan managérial, ces prises de conscience ont largement contribué à faire évoluer nos pratiques d’encadrement vers un travail axé également sur le niveau individuel et pas seulement d’équipe.

Le colloque comme expression de la dynamique de groupe

« Depuis un siècle, le petit groupe est progressivement devenu un objet de réflexions puis d’observations de la part de spécialistes de la philosophie politique, de la sociologie, de l’ethnologie, de l’éthologie, de la psychologie, de la psychanalyse » (Anzieu & Martin, 2006, p. 11). Pour Anzieu & Martin (2006, p. 36), tout en rappelant que ces caractéristiques ne sont pas nécessairement présentes simultanément et dans leur totalité, le groupe primaire restreint présente les traits distinctifs suivants :
a. « Nombre restreint de membres, tel que chacun puisse avoir une perception individualisée de chacun des autres, être perçu réciproquement par lui et que de nombreux échanges interindividuels puissent avoir lieu ;
b. Poursuite en commun et de façon active des mêmes buts, dotés d’une certaine permanence, assumés comme buts du groupe, répondant à divers intérêts des membres, et valorisés ;
c. Relations affectives pouvant devenir intenses entre les membres (sympathies, antipathies, etc.) et constituer des sous-groupes d’affinités :
d. Forte interdépendance des membres et sentiments de solidarité ; union morale des membres du groupe en dehors des réunions et des actions en commun ;
e. Différenciation des rôles entre les membres ;
f. Constitution de normes, de croyances, de signaux et de rites propres au groupe (langage et code du groupe) ».
L’équipe concernée par ce travail de recherche répond à ces critères et appartient donc à la catégorie des groupes primaires restreints (Anzieu & Martin, 2006). La littérature spécialisée opère une distinction entre groupe primaire et restreint car ces concepts définissent des réalités groupales distinctes (Anzieu & Martin, 2006; Moléa Féjoz, 2008; Mucchielli, 2013). Les expériences en laboratoire et en milieu ouvert sur la dynamique des groupes ont permis de mettre en évidence des phénomènes propres à tout groupe primaire restreint (Moléa Féjoz, 2008, p. 29) :
a. « Un groupe présente une dynamique propre, qui dépasse les particularités de ses membres (Lewin).
b. Le groupe engendre une organisation informelle qui a pour fonction de maintenir un modèle de comportement collectif, le but étant de garantir une protection du groupe contre les changements ou pressions venant de l’extérieur (Mayo).
c. Tout groupe humain a une structure affective informelle qui détermine les comportements des individus (…).
d. L’appartenance à un groupe primaire influence les comportements des participants : pressions de conformité, adoption de stéréotypes et de standards de conduite (Lewin, Lippitt, White, Shérif) ».
L’articulation des expérimentations vécues avec ces découvertes issues des lectures réalisées sur l’animation des colloques et de la science des groupes nous ont fait comprendre à quel point l’efficience et la productivité d’un colloque d’équipe sont intimement liées à la qualité de sa dynamique de groupe. En fait, colloque et dynamique de groupe sont deux niveaux de réalité différents mais totalement imbriqués et indissociables. « En effet, les liens qui unissent les membres d’une équipe, leurs interactions et leur travail pour atteindre un objectif commun produisent des normes, des règles implicites et explicites, des jeux d’influence, des réseaux de communication… en d’autres mots, une dynamique de groupe. Puisque le colloque rassemble une équipe de travail et que celle-ci ne peut s’organiser, se structurer et fonctionner sans engendrer et répondre à des phénomènes qui sont propres à tout groupe primaire, on ne peut pas comprendre ou expliquer ce qui se passe dans un colloque sans se référer aux théories relatives à la dynamique de groupe. On peut même dire qu’un colloque est l’expression d’une dynamique de groupe » (Moléa Féjoz, 2008, p.30).
Aujourd’hui, grâce aux développements historiques des découvertes de la science des groupes43, nous disposons d’une solide connaissance du fonctionnement groupal et, notamment, du fait que le groupe est un vecteur qui permet de favoriser, sous certaines conditions, l’innovation et le changement social tant sur un plan individuel que collectif. Selon Mucchielli (in Moléa Féjoz, 2008, p. 29), « la dynamique de groupe comprend deux grands ensembles distincts : « l’ensemble des phénomènes psychosociaux dans les petits groupes, ainsi que les lois naturelles qui régissent ces phénomènes ; l’ensemble des méthodes qui permettent d’agir sur la personnalité par le moyen des groupes ainsi que celles qui permettent aux petits groupes d’agir sur les grands groupes ou sur les organisations » ». Ce lien existant entre la dynamique des groupes restreints, les individus et la société prouve que le groupe est une interface interactive complexe qui peut jouer un rôle d’influence structurelle sur le comportement des individualités qui le composent. De même, il peut faire évoluer l’institution et les groupes élargis dans lesquels il s’insère et, par extension, les contextes sociaux et la société de manière plus générale (Anzieu & Martin, 2006). Nous avons défini cette dimension opérante de la dynamique de groupe comme étant la “double action“ du groupe. L’approfondissement de cet aspect agissant du groupe et la découverte que sa dynamique influence le rendement d’un colloque nous a permis de faire une découverte capitale : leur maîtrise peut devenir un outil d’animation et de management extrêmement puissant et efficace. Nos progrès dans l’acquisition des connaissances, des compétences (savoir-être et savoirfaire) et des méthodes permettant cette double action représentent à notre avis un des résultats capitaux de cette étude car ils ont favorisé l’impact de notre action sur les collaborateurs et l’institution. En complément aux apprentissages réalisés dans l’organisation et l’animation des colloques, cet enseignement primordial nous a fourni des outils et des référentiels managériaux extrêmement puissants, actifs et efficaces pour développer le pouvoir d’agir des collaborateurs et de l’équipe. « Avoir des connaissances théoriques sur la dynamique de groupe permet donc non seulement de prendre conscience de ce qui se vit dans un groupe, d’en interpréter le fonctionnement et les affects, de faire coïncider un perçu individuel et un vécu collectif, mais aussi de favoriser le développement et l’efficacité du groupe » (Moléa Féjoz, 2008, p.33). Les colloques et le groupe sont des vecteurs managériaux qui permettent de maximiser la compréhension, l’adhésion et l’appropriation des décisions de la part des collaborateurs ainsi que leur implication dans leur mise en oeuvre46. Ils sont des outils d’encadrement incontournables pour optimiser l’accompagnement des équipes et pour faire face aux innombrables innovations et changements qu’elles doivent absorber dans un contexte sociétal de plus en plus mouvant et dynamique (Anzieu & Martin, 2006; Borter, 2013; Moléa Féjoz, 2008; Rosa, 2012; Sennett, 2000). Comme nous avons pu l’expérimenter, la gestion du groupe et l’animation des colloques, à condition qu’elles soient correctement préparées, organisées et conduites, permettent de favoriser le potentiel d’analyse, la créativité, la valorisation, la connaissance, les compétences, l’implication ainsi que la conceptualisation et la prise de conscience individuelle et collective (Anzieu & Martin, 2006;  Laure, 2000; Moléa Féjoz, 2008; Moulinier, 2011; Mucchielli, 2011).

Résistances à la notion de groupe

L’étymologie du mot “groupe“ donne des indications historiques et sémantiques intéressantes sur le sens de ce concept qui a tardé à émerger dans sa signification commune moderne. « Les hommes pensent volontiers selon l’opposition individu-société ; ils ne pensent pas naturellement en termes de groupe, alors que leur vie et leurs activités se déroulent le plus souvent au sein d’agglomérats restreints » (Anzieu & Martin, 2006, p. 18). Cette citation est extrêmement intéressante car elle souligne l’existence d’une forme de résistance naturelle et paradoxale de l’être humain à conscientiser son appartenance aux groupes47. Or, la plupart du temps, dans le cadre de nos fonctions, nous sommes justement amené à devoir gérer des groupes (primaires restreints ou élargis) et pas seulement des individus. En ce qui nous concerne, nous nous sommes rendu compte uniquement rétrospectivement à quel point nous étions concerné en début d’expérimentation par cette forme d’aveuglement groupal. En confrontant la pratique à la théorie, cette recherche a favorisé la maturation praxique, progressive et processuelle de notre capacité à sentir, percevoir et vivre le groupe. Grâce à cet apprentissage et au recul fourni par la posture de chercheur, nous avons réussi à nous libérer des obstacles et des résistances à l’objectivation du groupe. Ces progrès sont venus enrichir la malette de nos outils managériaux, notre posture ainsi que nos pratiques d’encadrement.
Parmi les facteurs d’opposition à la prise de conscience du groupe, le “totalitarisme groupal“ (Anzieu & Martin, 2006) représente un préconçu sociologique sur lequel nous tenons à revenir : un groupe est fait pour être vécu totalement et non pas pour être observé ou étudié par un membre qui prend de la distance par rapport à lui ou par une personne externe. Ce présupposé est venu expliquer à posteriori pourquoi, à plusieurs reprises, nous avons dû rassurer l’équipe et certains collaborateurs quant à notre bienveillance et expliquer les finalités et les modalités de traitement des résultats de nos interventions48. « (…) Tout groupe qui s’isole est un groupe qui conspire (…) » (Anzieu & Martin, 2006, P.23). Cette tendance à la méfiance des personnes externes au groupe nous a éclairé pour expliquer en partie celle que nous avons ressenti de la part de la hiérarchie et/ou des corps de métier exclus des colloques de l’équipe éducative concernés par cette recherche. Pour la contrecarrer, suivant les conseils de la littérature, nous avons communiqué plus avec les partenaires externes à notre vie groupale et les avons stratégiquement invités à participer à certains moments clés (Anzieu & Martin, 2006). Grâce à cette approche inclusive et à son message d’ouverture, nous avons remarqué une diminution de la charge fantasmatique qui a permis une démystification des représentations négatives présentes dans l’esprit de ces personnes et une transformation plus positive de leurs préjugés. D’un autre côté, l’aspect totalitaire nous a réconforté dans notre choix méthodologique de recherche-action et d’observation participante. En immersion totale avec le groupe, cette manière de l’aborder nous a effectivement permis de le vivre pleinement et de l’intérieur. Dans les interventions réalisées durant cette étude nous étions simultanément expérimentateur, observateur et participant actif. La préparation collective et la nature structurée des dispositifs d’animation testés nous ont permis de tirer profit de cette situation fusionnelle en organisant, en rassurant et en redonnant le pouvoir d’agir aux collaborateurs, au groupe mais aussi et surtout à nous-même. Les supports visuels et/ou corporels utilisés dans nos animations, particulièrement ceux employés dans les techniques analogiques inspirées des objets flottants systémiques, nous ont aidé dans cette tâche. Malgré cette proximité assimilante, en effet, ils nous ont permis de créer un espace transitionnel, subjectif et intermédiaire entre nous et le groupe (Caillé & Rey, 2004; Caillé, 1990) qui a favorisé les transactions et l’émergence d’un mouvement créatif de maturation et d’empowerment commun.
Nonobstant les efforts de distanciation critique auxquels nous avons été confrontés pour y arriver, cette augmentation de la capacitation individuelle et collective a entièrement répondu aux attentes, buts et objectifs de cette recherche exploratoire.

Le groupe et l’équipe de travail

Les colloques plus réguliers en travail social sont ceux qui rassemblent des équipes de travail. « On ne peut donc pas aborder la question du colloque sans aborder celle du travail en équipe » (Moléa Féjoz, 2008, p. 33). De la simple juxtaposition de tâches et de pratiques, à leur intégration complexe et structurée, pour Moléa Féjoz (2008) et Mucchielli (2013), la notion de travail en équipe peut représenter des réalités très hétérogènes selon les auteurs, les courants théoriques et les contextes dans lesquels elle est utilisée. De plus, « les définitions de l’équipe sont relativement rares dans les écrits de psychologie (du fait de la non-différenciation habituelle – et abusive – par rapport au groupe) » (Mucchielli, 2013, p. 12). De celles qu’il a trouvées, l’auteur retient les sept caractéristiques suivantes :
a. Le petit nombre
b. La qualité du lien interpersonnel
c. L’engagement personnel
d. L’unité particulière qui en découle
e. L’intentionnalité commune vers un but collectif accepté et voulu
f. L’existence de contraintes qui en découlent pour les membres
g. La nécessité de s’organiser
L’équipe de travail concernée par cette étude – et encore plus la famille – de par la proximité des membres et leurs échanges affectifs intenses est un exemple prototypique de groupe primaire restreint (Mucchielli, 2013 ; Anzieu & Martin, 2006). Mais, au-delà des ressemblances, « l’équipe n’est ni une famille, ni même un groupe d’amis ni une bande ; le travail à accomplir, la mission à exécuter, l’oeuvre à réaliser ensemble, donnent à l’unité socio-affective une communauté d’orientation et d’horizon qui retentit à son tour sur l’unité morale » (Mucchielli, 2013, p. 16). Suivant Mucchielli (2013, p. 17), « (…) dans la catégorie des groupes primaires, l’équipe est une variété originale, qui ajoute à la cohésion socio-affective et aux relations interpersonnelles de face-àface, une caractéristique supplémentaire : celle de la convergence des efforts pour l’exécution d’une tâche qui sera l’oeuvre commune ». Au sens défini précédemment par Anzieu & Martin (2006), l’équipe est avant tout un groupe-action caractérisée par le travail et l’agir. « Rien de phatique49 dans les communications entre les membres de l’équipe : un travail à faire impose sa loi, ses exigences, son programme, ses moyens. Il n’y a d’équipe que de travail, que celui-ci soit manuel ou intellectuel, instrumental ou sportif, utilitaire ou ludique » (Mucchielli, 2013, p. 16). De plus, l’équipe se singularise également par l’interdépendance de ses membres ce qui n’est pas forcément obligatoire dans le cas du groupe primaire restreint (Moléa Féjoz, 2008). Dans les groupes « (…) se développent des conduites d’entretien, qui visent la conservation du groupe comme réalité physique et comme image idéale, et des conduites de progression, qui amènent la transformation : a) des relations entre les membres ; b) de l’organisation interne ; c) du secteur de la réalité physique ou sociale dans lequel le groupe a choisi ses buts » (Anzieu & Martin, 2006, p. 37). Les groupes d’action comme les équipes de travail privilégient le deuxième type de conduite, sans pouvoir néanmoins se passer du premier (Anzieu & Martin, 2006). Dans l’idéal, comme nous avons pu le constater lors de l’analyse de nos résultats sur la conduite de l’animation, la productivité des colloques est optimale quand l’activité de l’équipe comprend tout autant des objectifs centrés sur la tâche (i.e., fabriquer un objet, intervenir sur un réel extérieur, trouver la solution d’un problème soumis au groupe, etc.) que sur les personnes (i.e., confronter des opinions, des idées ou des sentiments, arriver à des conclusions, à un accord ou à des décisions, etc.) (Bourdais, 2011; Émery & Gonin, 2009; Laure, 2000; Moléa Féjoz, 2008; Moulinier, 2011; Mucchielli, 2013).
Selon les circonstances et les situations, travailler en équipe peut être vécu comme une force mais
aussi comme une contrainte. A ce propos, d’après Viudes (2003, p. 1) : « Tout le monde est d’accord pour mettre en avant la nécessité de travailler en équipe. Il est de bon ton de parler au nom de, avec l’accord de, décider avec, construire avec, se battre avec, mais la réalité montre bien l’écart entre cette théorisation de l’équipe et sa réalité. Il y a bien un écart pour ne pas dire un fossé entre l’idéal et la réalité. L’équipe idéale n’existe pas mais on l’oublie vite. On devient vite intolérant envers cet autre qui n’avance pas groupé ». Au quotidien, le travail en équipe peut donc être beaucoup moins idéal que ce que certaines théories ou discours communs décrivent. Un bon climat de travail dans une équipe faite de personnes respectueuses, motivées, satisfaites, collaborantes, solidaires, disponibles, impliquées, coopérantes, performantes, etc., n’est jamais quelque chose de totalement acquis. Suivant notre expérience et plusieurs auteurs (Chalverat, 2010, 2011; Dubreuil, 2004; Pfeffer & Sutton, 2007a; Pfeffer & Veiga, 1999; Pfeffer, 1998, 2010; Sutton, 2011, 2013), nous considérons plutôt que ces aspects sont la résultante de facteurs structurels, une propriété émergente d’un travail managérial de fond, constant et régulier, sur l’équipe, son environnement et la qualité de la dynamique de groupe. En tant que manager, nous avons un rôle important à jouer dans ce travail d’orchestration car un de nos rôles principaux est de tout oeuvrer pour réunir les conditions cadre qui permettent aux collaborateurs de réaliser leur travail. Cette tâche demande à être alimentée au quotidien tant dans sa mise en oeuvre que dans sa conceptualisation et exige de notre part la capacité à travailler sur le groupe tout autant que sur l’individu et l’institution. Elle implique aussi une ouverture d’esprit et une vision stratégique pour prendre en considération le type d’évolution et d’influence des contextes institutionnels et des enjeux liés à la gouvernance.

De la complexité des colloques

Le travail social se caractérise par une absence de certitudes, une grande variabilité, la non spécificité de certaines tâches, l’incertitude de son efficacité et la présence d’une dimension idéologique. Cette dernière composante augmente la complexité de la gestion des colloques car, selon les cas, l’idéologie institutionnelle formelle coexiste avec nombreux positionnements individuels hétérogènes. Selon les situations, l’ampleur de cet écart entre le prescrit et le réel et de ces facteurs de variation peut engendrer des conflits et tensions au sein des réunions (Moléa Féjoz, 2008; Mucchielli, 2013). Par exemple, nous avons nous-même constaté que quand l’équipe avait de la peine à définir des objectifs, la cause venait du fait que ses membres n’avaient pas la même représentation ni compréhension de ces objectifs, ne les partageaient pas, voire même qu’ils possédaient des objectifs contradictoires. Les techniques d’animations participatives et structurantes expérimentées dans cette recherche, spécialement celles analogiques, ont justement montré une efficacité particulière pour résoudre et diminuer ce genre de difficultés.
D’après nos apprentissages, pour qu’une équipe puisse réellement exister et travailler ensemble de manière efficiente et efficace, il ne suffit pas seulement d’avoir un objectif commun (Mucchielli, 2013). Avoir des membres motivés pour l’atteindre et qui aient envie de travailler ensemble, savoir communiquer dans toutes les directions et non seulement dans le réseau constitué pour exécuter la tâche, pouvoir exprimer des désaccords et des tensions, accepter la participation affective à la vie du groupe, savoir s’entraider en cas de besoin de la part d’un de ses membres, présenter une volonté de suppléance en cas de défaillance d’un de ses membres, avoir une connaissance implicite de tous les autres par chacun et savoir diviser, organiser et structurer le travail sont des compétences indispensables à un travail d’équipe productif.

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Table des matières

AVANT-PROPOS 
CHAPITRE I : INTRODUCTION 
CHAPITRE II : LA DEMARCHE D’ENQUETE 
CONTEXTE INSTITUTIONNEL
LES COLLOQUES COMME PROBLEMATIQUE MANAGERIALE
DEFINITION DU COLLOQUE
POURQUOI LES COLLOQUES ? RAISONS DU CHOIX
BUTS, OBJECTIFS ET RESULTATS ATTENDUS
LIMITATION DU CHAMP D’ETUDE
ASPECTS METHODOLOGIQUES
CHAPITRE III : ORGANISATION ET ANIMATION DES COLLOQUES DE LA PRATIQUE A LA THEORIE 
DONNEES STRUCTURELLES
L’IMPORTANCE DE LA PREPARATION
Sens, finalités et méthodes
Espace et matériel
L’ordre du jour
Implication et organisation collective
L’IMPORTANCE DE L’ANIMATION
Ouverture
Conduite
Clôture
L’ANIMATION COMME PROPRIETE EMERGENTE
LES DERIVES DE L’ANIMATION
TECHNIQUES ET METHODES D’ANIMATION ANALOGIQUES .
CHAPITRE IV : DIMENSIONS CONSTITUTIVES, FONCTIONS ET FACTEURS D’INFLUENCE DES COLLOQUES 
LE COLLOQUE COMME EXPRESSION DE LA DYNAMIQUE DE GROUPE
RESISTANCES A LA NOTION DE GROUPE
LE GROUPE ET L’EQUIPE DE TRAVAIL
NIVEAUX SYMBOLIQUES, CONFORMITE ET DIFFERENCIATION
ETAPES CONSTITUTIVES DU GROUPE
DE LA COMPLEXITE DES COLLOQUES
FONCTIONS DES COLLOQUES
LE COLLOQUE COMME LIEU DE CROISEMENTS
COLLOQUE ET CONTEXTES SOCIOPOLITIQUES ET ECONOMIQUES
CHAPITRE V : REFLEXION PERSONNELLE 
BIBLIOGRAPHIE

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