Differents usages de l’histoire dans la didactique de l’algebre

Les recherches en didactique des mathématiques, par leur objet même d’étude, sont le plus souvent caractérisées par une analyse systémique des relations professeur-élèves par rapport à un savoir mathématique. La didactique diffère en ce sens de la pédagogie dans la mesure où son objet d’étude ne se limite pas à la relation enseignant-enseigné ; celle-ci est sous-tendue par une troisième (et essentielle) composante : le savoir. Comme le définit Chevallard (1991) :

« Le didacticien des mathématiques s’intéresse au jeu qui se mène – tel qu’il peut l’observer, puis le reconstruire, en nos classes concrètes – entre un enseignant, des élèves et un savoir mathématique » [Chevallard, 1991, p.14].

Chevallard se sert de ce « triangle didactique » pour analyser l’évolution du savoir mathématique en question (c’est ce qu’il dénomme la transposition didactique), depuis son « apparition » au sein de la communauté scientifique (ceci correspond alors au savoir savant) jusqu’à la forme qu’il adopte lorsqu’il est enseigné (le savoir enseigné). Or ce savoir, avant même d’être admis par la communauté scientifique, a lui aussi subi plusieurs transformations ; il a évolué tout au long de son édification  une évolution qui se veut d’ailleurs rarement linéaire, combinant bien souvent des périodes de questionnements, stagnations et progrès. Toute cette « genèse » du savoir mathématique n’est pas sans intérêt pour les didacticiens. D’après J. L. Dorier (1997) :

« (…) une part importante de l’analyse didactique consiste à prendre en compte l’évolution et la constitution historique du savoir mathématique dans la sphère savante et ses rapports avec la constitution du texte du savoir enseigné » [J.L. Dorier, 1997, p.7].

Si Dorier entrevoit l’usage de l’histoire des mathématiques dans les recherches didactiques, celui-ci ne se fait pas sans précautions. Même si Piaget et Garcia (1989) ont, dans le passé, établi quelques liens entre le développement historique et psychologique, ces évolutions ne peuvent pas être directement transposées : l’évolution historique d’un concept est un guide, plutôt qu’une série de faits à projeter tels quels en classe. C’est un avis partagé par la majorité des didacticiens : « Certes les contraintes qui gouvernent ces genèses (artificielles) ne sont pas identiques à celles qui ont gouverné la genèse historique, mais cette dernière reste néanmoins, pour le didacticien, un point d’ancrage de l’analyse didactique, sorte de promontoire d’observation, quand il s’agit d’analyser un processus d’enseignement donné ou une base de travail, s’il s’agit d’élaborer une telle genèse » [Artigue, 1991, p.244]. Si l’usage de l’histoire dans l’enseignement se fait trop souvent aux marges des manuels scolaires (en guise d’introduction d’un concept, dans un cadre visant plutôt à élargir la culture générale de l’élève), son utilité a déjà été soulignée dans différents travaux de didactique des mathématiques. Plus précisément dans le cadre des recherches en didactique de l’algèbre, quatre auteurs nous semblent représentatifs de la diversité de l’emploi de l’histoire des mathématiques rencontrée en didactique. Nous présenterons dans les paragraphes qui suivent la contribution de l’histoire de l’algèbre dans les travaux de Kieran (1996), Sfard (1991, 1994), Harper (1987) et Radford (1996) en soulignant les différences et les similitudes de ces différentes approches.

L’histoire de l’algèbre et les travaux de Kieran

C’est dans le but de dresser une analogie entre l’évolution de certains concepts algébriques au travers de leur histoire et leur apprentissage (sans pour autant, nous le soulignons, vouloir faire de celle-là le modèle de celui-ci) que Kieran (1996) entrevoit une approche historique de l’algèbre, en soulignant deux usages fondamentaux de l’histoire. L’histoire lui sert tout d’abord de cadre permettant d’analyser les situations qui furent à l’origine de la création du raisonnement algébrique: « The glimpse that we take of the historical evolution of algebra (…) permits us to make explicit some of the key ideas in the development of algebra and provides us with indicators of change that signaled the transition to a mode of algebraic thinking » [Kieran, 1996, p.5]. Kieran affirme que cette transition vers un raisonnement algébrique est aussi présente dans l’enseignement et observe que le saut conceptuel le plus important pour les étudiants lors de la résolution de problèmes se situe justement au passage du mode de raisonnement arithmétique au mode algébrique. Afin de mieux comprendre les principales caractéristiques de chaque mode de raisonnement, nous nous appuierons sur les recherches de Bednarz et Janvier (1996) concernant l’émergence et le développement du raisonnement algébrique lors de la résolution de problèmes.

L’analyse de Bednarz et Janvier leur permet, d’après elles, de mieux comprendre les changements nécessaires lors du passage de la résolution de problèmes «arithmétiques » aux problèmes « algébriques » par les élèves. A ce propos, Kieran affirme que les traces de cette transition peuvent être repérées tout au long de l’histoire: «(…) history shows us that access to the analytic mode of problem solving, in contrast to the synthetic that was used prior to this, took time to be introduced » [Kieran, 1996, p.6]. L’histoire contribue non seulement, d’après Kieran, au repérage d’obstacles dans l’enseignement de l’algèbre (surtout en ce qui concerne la transition entre les différents modes de raisonnement chez les élèves) mais son analyse permet également de déceler les différentes étapes de construction d’un concept. L’analyse historique de la notion de variable est en ce sens fondamentale non seulement pour estimer la complexité de ce « concept » et toutes les percées ayant eu lieu lors de son édification mais également pour cerner la question didactique de l’articulation entre ce « concept » et celui d’inconnue : « (…) the conceptions underlying the notions of variable are related to situations whose aims and intentions are essentially different from those related to the concept of unknown (establishing relations between numbers vs. solving problems). The historical analysis leads to the didactic question of the articulation between these two essential components of algebra learning – between an approach emphasizing generalization and the construction of formulas where the symbolism takes on the sense of generalized number and an approach focusing on problem solving where the symbols represent unknowns » [ibid., p.6].

L’histoire des nombres négatifs qui, d’après Kieran, est au cœur du développement de l’algèbre, fournit également une grande quantité d’exemples d’obstacles épistémologiques qui nous permettent de mieux nous rendre compte des difficultés sous-jacentes aux pratiques du raisonnement algébrique. De manière générale, l’étude d’un évènement historique impliquant une rupture ou un changement de modèles et langages s’avère, selon Kieran, très importante pour une bonne compréhension des difficultés des élèves. Elle souligne de même qu’il est possible d’apercevoir par le biais d’une étude historique les liens unissant le développement de l’algèbre et celui de la géométrie. Les travaux algébriques de Diophante, qui s’appuient notamment sur la tradition géométrique babylonienne (relative à une pratique de découpage et recollement) fournissent un bon exemple .

L’histoire de l’algèbre et les travaux de Sfard

L’analyse historique de l’algèbre est un point de départ des travaux de Sfard (1991, 1994) qui la prend notamment en compte pour étayer la thèse d’antériorité de l’approche opérationnelle sur l’approche structurale des concepts mathématiques. Rappelons tout d’abord que Sfard décrit les aspects structuraux et opérationnels comme étant deux volets complémentaires (non point mutuellement exclusifs) d’une même notion mathématique. D’après Sfard, les concepts mathématiques peuvent être vus en tant qu’objets (ce qui correspond alors à l’aspect structural) et elle affirme:

« Seeing a mathematical entity as an object means being able of referring to it as if it was a real thing – a static structure, existing somewhere in space and time. It also means being able to recognize the idea at a glance and to manipulate it as a whole, without going into details » [Sfard, 1991, p.4].

D’un autre côté, interpréter une notion mathématique comme un processus (c’est-à dire adopter une approche opérationnelle) c’est percevoir, à l’intérieur d’une séquence d’actions, sa dynamique plutôt que travailler sa « forme » actuelle. Reprenant les termes employés par Sfard, nous pouvons dire que tandis que le volet structural du concept mathématique est statique, instantané et intégral , le côté opérationnel est dynamique, séquentiel et détaillé.

Cette dualité des concepts mathématiques peut être repérée tout au long de l’histoire de l’algèbre et est également présente, comme nous l’explique Sfard, dans la formation des notions mathématiques chez les apprenants. C’est notamment le cas du concept de « nombre ». La signification de ce mot fut très longtemps liée à ce qu’on appelle aujourd’hui les « nombres naturels », dont l’origine est le processus de dénombrement. Le rapport de deux entiers fut également d’abord perçu en tant que description du processus de mesurage avant de se voir accordé le statut de nombre. De même, quelques recherches semblent indiquer la tendance de certains élèves à interpréter le rapport de deux entiers plutôt en tant que processus qu’en tant que nombre :

« Incidentally, some traces of purely operational approach to rationals were noticed by researchers (Carpenter et al., 1980) also in today’s 13-years-old students, 50 percent of whom were found unable « to represent a division like 7 divided by 4 as a fraction » » [ibid., p.11].

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE I – DIFFERENTS USAGES DE L’HISTOIRE DANS LA DIDACTIQUE DE L’ALGEBRE
I.1 – L’histoire de l’algèbre et les travaux de Kieran
I.2 – L’histoire de l’algèbre et les travaux de Sfard
I.3 – L’histoire de l’algèbre et les travaux de Harper
I.4 – L’histoire de l’algèbre et les travaux de Radford
CHAPITRE II – LE ROLE DU SYMBOLIQUE DANS LES TRAVAUX DIDACTIQUES. SENS ET DENOTATION
II.1 – Écrits logiques et philosophiques de G. Frege
II.2 – Sens et dénotation dans les travaux de R. Duval
II.3 – Sens et dénotation dans les travaux de J. P. Drouhard
II.4 – Sens et dénotation dans les travaux d’Arzarello
II.5 – Donner du sens aux symboles mathématiques selon Arcavi
CHAPITRE III – QUELQUES ECRITS EPISTEMOLOGIQUES AUTOUR L’ALGEBRE
III.1 – Jules Vuillemin et l’affinité d’inspiration entre mathématiques et philosophie
III.2 – Gilles Gaston Granger et la dualité opération-objet
III.3 – Désiré André et l’élégance des notations mathématiques
III.4 – Sur l’avantage des notations mathématiques – Babbage et Dascal
III.5 – Une référence historique des notations mathématiques : Cajori
III.6 – Synthèse
CHAPITRE IV – EPISTEMOLOGIE ET DIDACTIQUE : UN REGARD CROISE SUR L’ETUDE DES SYMBOLES MATHEMATIQUES
IV.1 – Les six figures de la représentation
IV.1.1 – La représentation du requis
IV.1.2 – La représentation du donné
IV.1.3 – La représentation des instructions opératoires élémentaires
IV.1.4 – La représentation de l’enchevêtrement des instructions
IV.1.5 – La représentation de la mise à égalité
IV.1.6 – La représentation des concepts composés
IV.2 – Une lecture épistémologique de quelques travaux didactiques
IV.2.1 – La représentation des instructions opératoires élémentaires : le cas de l’addition
IV.2.2 – La représentation de l’enchevêtrement des instructions
IV.2.3 – La représentation du donné
IV.2.4 – La représentation de la mise à égalité
IV.2.5 – La représentation du requis
CHAPITRE V – L’EXPERIMENTATION
V.1 – L’illustration de trois idées épistémologiques
V.1.1 – Les deux démarches d’exploration d’une écriture symbolique
V.1.1.1 – Exercice T1
V.1.1.2 – Exercice T2
V.1.1.3 – Exercice T3
V.1.1.4 – Exercice T4
V.1.1.5 – Exercice T5
V.1.2 – L’usage des lettres dans la résolution d’un problème
V.1.3 – L’Art combinatoire
V.1.3.1 – Exercice S1
V.1.3.2 – Exercice S2
V.2 – Le rapport des élèves au symbolisme
V.2.1 – Les élèves de 4ème
V.2.1.1 – Méthodologie
V.2.1.2 – Exercices expérimentés (4ème)
V.2.1.3 – Analyse a priori des exercices (4ème)
V.2.1.4 – Analyse des productions d’élèves (4ème)
V.2.2 – Les élèves de 2nde
V.2.2.1 – Méthodologie
V.2.2.2 – Exercices expérimentés (2nde)
V.2.2.3 – Analyse a priori des exercices (2nde)
V.2.2.4 – Analyse des productions d’élèves (2nde)
V.2.3 – Vers une analyse comparative des différents rapports au symbolisme
V.2.3.1 – Les deux démarches d’exploration d’une écriture symbolique
V.2.3.2 – L’usage des lettres dans la résolution d’un problème
V.2.4 – Conclusion et perspectives
CHAPITRE VI – DES PERSPECTIVES POUR UNE APPLICATION DANS UN DOMAINE PARTICULIER : LES EIAH
VI.1 – La génération automatique des de familles de tâches à travers un exemple. Un emprunt à l’Art combinatoire
VI.1.1 – Présentation de la problématique
VI.1.2 – Sur le choix de l’exemple et la méthodologie employée
VI.2 – L’analyse systématique des expressions de niveau deux – Incipit
VI.2.1 – Les différentes modifications appliquées aux formes
VI.2.1.1 – La substitution du type lettre-lettre
VI.2.1.2 – La substitution du type nombre-nombre
VI.2.1.3 – La substitution du type lettre-nombre
VI.2.2 – Les différentes modifications appliquées aux assembleurs
VI.3 – Conclusions et perspectives
CONCLUSIONS

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