Désautomatiser, pour une attention recentrée 

Des livres ?

Maintenant que nous avons démontré que le livres de graphistes tendent à remettre en cause la forme initiale de cet objet, il est temps d’entrer en plein cœur de notre sujet : la fonction de ces livres, formellement singuliers, est-elle la même que la fonction des livres plus standards ? Comment ces objets sont-ils reçus et utilisés par leur récepteur ? A priori, la fonction d’un livre est d’être lu. Ainsi, aussi expérimentaux soient-ils, ces livres sont-ils toujours destinés à la lecture ?

À lire ?

Dans cette première partie, nous défendrons l’idée que le rôle prépondérant du designer graphique est de servir au mieux le texte, en proposant une mise en livre qui accompagne parfaitement sa signification. Ainsi, tout livre est le résultat de choix graphiques, certains plus radicalement affirmés que d’autres, mais qui visent quoi qu’il en soit à proposer une lecture du texte la plus claire possible au lecteur. Ainsi, toutes les remises en cause formelles, que nous avons observées, ne sont pas gratuites, mais jugées comme étant l’adéquation la plus parfaite avec le texte qu’elles donnent à lire. À l’inverse, une mise en page plus classique, que l’on pourrait interpréter comme une absence de travail graphique, « s’avère aussi être un choix et […] n’est jamais totale».

Un texte lisible

Les choix graphiques entretiennent un rapport très étroit, si ce n’est de dépendance, au texte. Fanette Mellier, dont nous avons étudié quelques travaux plus haut, déclare ouvertement que : « Le graphisme suppose bien évidemment un rapport fondamental au texte. C’est un ”matériau” dont on ne peut se passer ! Le texte peut être purement fonctionnel ou affirmatif mais, quoi qu’il en soit, le rapport au mot, à l’écrit, dans toute leur dimension, est essentiel».
En effet, pour sa résidence à Chaumont, la graphiste a commandé un texte à des auteurs, comme matière première de son travail, à la manière d’un sculpteur qui commanderait son bloc de marbre à partir duquel il travaillerait. Ainsi, le paradigme d’un livre réussi serait une relation fusionnelle entre la forme du livre (contenant) et le texte (contenu), comme l’expose Marc Perelman : « Une forme qui s’identifie au contenu et inversement. Mieux, ce rapprochement, voire cette fusion, entre forme et contenu libère le livre de cette idée qu’il y aurait un contenu et un contenant, une enveloppe et ce qu’elle contient ». La forme et le contenu ne formeraient plus qu’un, le livre, et seraient indissociables l’un de l’autre. Brigitte Ouvry-Val évoque quant à elle une « solidarité nécessaire et étroite entre la signification du livre et sa manifestation livresque».
Ces conceptions sous-tendent un équilibre parfait entre la forme et le contenu.
Néanmoins, il semble pertinent de souligner une légère dominance du texte sur sa mise en livre, puisque les choix graphiques doivent s’adapter au texte.
En effet Evanghélia Stead évoque « une adaptation de l’enveloppe à ce qu’elle renferme ». Le rapport contenant-contenu n’est donc pas totalement équitable, puisque l’adaptation de l’un à l’autre n’est pas réciproque. Dans cette perspective, Jan Tschichold présente les principes de composition typographique qu’il juge les plus efficaces pour parvenir à communiquer le texte. Il soutient donc que « la Nouvelle Typographie se distingue de l’ancienne en ceci que son premier objectif est de développer une forme visible dictée par la nature fonctionnelle du texte ». Notons ici un paradoxe : si de chaque texte est déduit son traitement typographique, cela suggère qu’il ne pourrait y avoir de règles typographiques prédéterminées, car chaque texte est un cas particulier.
Jan Tschichold ajoute néanmoins que « tout comme dans les réalisations de la technologie ou les œuvres de la nature : la “ forme ” doit émaner de la fonction ». Nous retrouvons ici la fameuse maxime de Louis Sullivan, « Form Follows Function ». Cette conception du design est en effet très moderniste : défendant l’industrialisation des objets, les préoccupations qui guident leur conception sont moins formelles qu’utilitaires. Le livre est donc créé en vue de son usage.

Et un graphiste invisible

Arrêtons-nous un instant. Rétrospectivement, nous avons observé le rapport de dépendance entre la forme d’un livre et son texte. Ce lien étroit est justifié par la fonction du livre : être lu, afin de transmettre le texte au lecteur. Dès lors, nous avons vu que la lisibilité du texte, en tant que paradigme de la clarté, répond au mieux à cette fonction du livre. Cependant, la clarté typographique correspond à un choix effectué par le graphiste.
Ainsi, c’est sa responsabilité qui est engagée dans la communication du message. En effet, Jan Tschichold énonce que « le typographe doit étudier avec le plus grand soin aussi bien la manière dont son travail est lu que celle dont il devrait être lu ». De ce fait, par la composition qu’il met en place, le graphiste est responsable de la transmission la plus juste du message de l’émetteur. Plus que de travailler à partir du texte, nous pouvons ainsi suggérer une soumission du graphiste au texte. En prenant l’exemple de la collaboration entre un peintre et un poète, Pierre Le cuire déclare clairement que : « Deux créateurs travaillant ensemble ne peuvent pas être égaux.
L’un doit forcément être subordonné à l’autre. Le poète l’est-il au peintre, vous avez le “livre de peintre”, genre non exempt de chefs d’œuvre qui privilégie la forme au détriment de l’espace littéraire.
Le peintre est-il subordonné au poète, c’est le livre de poète, celui qui n’oublie pas la fonction d’origine du livre, la transmission du Verbe. Le peintre est l’hôte de mon poème. Il doit fournir au livre des accès, des fusées, des illuminations, mais pas le feu central». Adapté à notre étude, nous pouvons donc émettre l’hypothèse que le graphiste (le peintre dans l’exemple précédent) serait soumis à l’auteur du texte (le poète). Il nous semble à cet égard pertinent de retranscrire les résultats d’une enquête menée auprès de quelques écrivains à l’occasion du colloque L’écrivain et la fabrication du livre. Voici le rapport de l’enquête portant sur la question de la lisibilité :
« Tous attachent de l’importance à la présentation, à la mise en page, parce que “le livre se lit avec les yeux ”, “ une mauvaise mise en page ne respecte pas l’œil du lecteur, son sens de l’harmonie ”, “ un livre est un jardin qui, du premier coup d’œil, doit offrir ses perspectives, son équilibre ”. Mais la plupart des auteurs sont essentiellement attachés au texte, donc à la lisibilité, qui n’est pas synonyme de beauté formelle. Les livres réussis sont ceux qui permettent la meilleure lecture possible, et non ceux qui flattent uniquement le sens esthétique.
Certains écrivains développent le concept de lisibilité jusqu’à l’effacement, au silence souhaitable de la typographie, “ les grands typographes ont toujours été des gens modestes qui se mettaient au service du livre ”, ce sont aussi des gens de métier, des spécialistes à qui l’on doit s’en remettre. Cet attrait pour l’effacement est poussé à l’extrême par l’un des auteurs, pour qui la sobriété associée à l’uniformité en est l’expression la plus parfaite, comme si la variété formelle pouvait distraire le lecteur de la lecture. Nous avons ici affaire à un véritable ascète du livre, très typique des Éditions de Minuit ».
Nous ne pouvons que noter une certaine prétention des auteurs qui n’hésitent pas à affirmer la soumission du graphiste à leur texte. Nous nous éloignons de plus en plus de l’idéal d’un rapport équitable entre le texte et le graphisme du livre, que nous avions supposé. Le graphiste semble même être investi d’une double mission : rendre lisible le texte, et rendre invisible son travail. Massin, graphiste lui-même, déclare d’ailleurs : « Nous [les graphistes] sommes au service d’un texte, d’un auteur, comme le metteur en scène est au service d’une pièce de théâtre ». Son travail consiste donc à se « mettre au service de ». Les graphistes accepteraient cet effacement total de leur travai la fin de servir au mieux le travail d’une autre personne ? Nous le verrons par la suite. Le travail typographique devrait donc être le plus sobre possible, dans la perspective du de la typographie invisible prônée par Beatrice Warde, et s’effacer totalement. Plus que le travail graphique, ce sont « les typographes [qui] ne doivent pas s’immiscer entre l’auteur et le lecteur par un design surprenant et perturbateur, ils doivent rester à l’arrière-plan ». Gerard Unger résume parfaitement cette conception du métier : le graphiste ne « doit pas s’immiscer », c’est-à-dire lutter contre une position de parasite indésirable entre l’auteur et son lecteur. Ainsi, le travail du designer graphique se situe pleinement dans le champ des arts appliqués : un travail qui ne vaut pas pour lui-même, mais appliqué… au travail de quelqu’un d’autre. Massin en a bien conscience.

Lire/Lisible – Visible/ Voir

Un texte moins lisible que visible

Si la lisibilité optimale du texte peut être un principe directeur de la conception du livre, certains objets et travaux en prennent le radical contre-pied. Nous avons vu que Diane Boivin développe même un concept de lecture contrariée, à l’opposé d’un texte directement lisible. Mais rappelons tout d’abord une distinction essentielle entre la lisibilité et le confort de lecture. En effet, le fondement de ce paradigme de la lisibilité semble reposer sur une confusion. Le terme même de « lisibilité »semble avoir été employé à mauvais escient. Comme Gerard Unger le démontre parfaitement, la langue française ne possède qu’un seul mot pour « lisibilité », alors que l’anglais en possède deux. En anglais, legibility signifie la distinction des lettres les unes par rapport aux autres. Mais readabilityrecouvre la notion plus vaste d’aisance de lecture. « Si vous pouvez lire un journal en entier sans difficulté, on dira qu’il est readable. Legibility porte sur les formes des signes typographiques, et sur leurs détails tandis que readability porte sur l’ensemble ».
Ce que nous considérions comme lisible est donc readable, c’est-à-dire lisible sans effort, et non lisible en soi (legible). Beatrice Warde elle-même avait pressenti cette ambivalence du terme, en assurant que la typographie devait être employée afin de garantir un « confort de lecture »optimal au récepteur.
Elle soulignait déjà le fait qu’une page composée dans une typographie antique en corps 14, est aussi lisible que composée en Baskerville corps 11, mais qu’elle était moins agréable à lire. Les règles édictées pour atteindre un idéal de lisibilité, visaient en réalité le confort de lecture. Ce que nous entendions jusqu’alors par « lisible », relève en fait de la facilité à accéder au sens du texte, d’une composition qui demande le moins d’effort de la part du lecteur pour être lue.
Toutes les typographies sont donc intrinsèquement lisibles (en tant qu’accessibles par la vue), mais certaines plus aisément que d’autres. Cette distinction remet en cause tout le paradigme de la lisibilité auquel nous nous sommes attachés jusqu’à présent. Ainsi, quand Jan Tschichold proclame que « le lecteur moyen se révolte quand les caractères sont trop petits ou lui irritent les yeux.
Ces deux particularités sont déjà les signes d’une certaine illisibilité », il se fourvoie. Ces deux caractéristiques ne sont pas des signes d’illisibilité, mais d’un texte plus difficilement lisible, ou moins agréable à la vue. Ainsi, quand il déclare qu’« une typographie que tout un chacun ne peut pas lire est inutilisable », il omet le fait que tout un chacun PEUT (dans le sens où il en a les capacités) lire toutes les typographies, seulement avec plus ou moins d’aisance. Cette précision va également à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle une typographie avec empattement serait plus lisible, qu’une typographie qui en est dépourvue. François Richaudeau tire d’ailleurs cette conclusion lors de son enquête exposée dans La lisibilité, et affirme que « les caractères traditionnels avec empattements ne sont pas plus lisibles que les caractères modernes sans empattements ». Cette conclusion est partagée avec Richard Hendel, qui justifie l’ambivalence de ce postulat :

Déconstruction graphique, reconstruction du sens

Nous avons donc dépassé le critère de lisibilité d’un texte, afin de montrer que les mots ont d’abord vocation à être visibles. Dès lors, les renouveaux dans le traitement typographique, que nous avons observés dans les objets de notre étude, ne visent pas à être illisibles. Ils tendent plutôt à affirmer le fait qu’un texte est d’abord visible. Les caractères peuvent alors devenir une matière à composer, parfois avec des techniques généralement appliquées à l’image. La lecture est donc resituée comme une activité pleinement visuelle, de visionnage du texte. D’ailleurs, lors de ses expérimentations de remise en cause de la lisibilité, Wolfgang Weingart a découvert, par l’augmentation des approches, que « les mots ou groupes de mots devenaient de pures formes graphiques, et la compréhension du message dépendait beaucoup moins de la lecture du texte que nous l’avions supposé ». La lecture ne serait donc pas le seul moyen de compréhension du message. Un autre de ces moyens serait l’appréhension immédiate par la vue, qui serait même antérieure au processus d’intellectualisation lors de la lecture. La lecture pourrait être décomposée en plusieurs étapes : la vue des caractères, leur association en mots, la reconnaissance de ces mots, l’application de leur signification linguistique, l’intellectualisation du sens.
Il semblerait donc que le message donné à voir serait plus clair qu’un message donné à lire, car il ne nécessiterait pas d’être intellectualisé pour être compris.
László Moholy-Nagy qualifie le texte de « puissantes formes symboliques optiques [qui] ont ainsi le pouvoir de représenter le contenu de l’information d’une manière immédiatement visuelle, sans qu’il soit fait exclusivement appel à la médiation de l’intellect ». Ainsi, si la vue permet l’accès immédiat au contenu sans passer par l’intellectualisation, c’est quel’image du texte fait sens.

Des œuvres d’art ?

Face aux livres de graphistes dans un contexte d’exposition, il semble spontané de les considérer comme des œuvres d’art. Comme Dominique Château le certifie, l’exposition même confère à un objet le statut d’œuvre. Mais, au sujet du livre de graphiste, peut-être faut-il considérer la position de Jean-François Lyotard, lorsqu’il assure que, par les expositions, « Vous en faites une œuvre.
Mais vous trompez et vous vous trompez», et de Clémence Imbert, ajoutant que « le graphisme a à voir avec l’art, mais il ne doit pas être confondu avec lui ». D’autre part, Beatrice Warde assure que, si l’on tire d’un objet imprimé un plaisir esthétique, sa fonction reste première. Ainsi, qualifier le design graphique imprimé d’œuvre d’art ne serait pas justifié, car la contemplation et le plaisir esthétiques ne seraient que seconds : il s’agirait avant tout d’un objet qui doit répondre à une fonction. Pour appuyer son propos, elle prend l’exemple de la calligraphie, entrée dans le domaine des Beaux-arts lorsque son utilité a disparu. Alors les livres de graphistes, œuvre d’art ou pas œuvre d’art ?

Distincts des livres d’artistes

Si nous avons tout d’abord envisagé la possibilité que les livres de graphistes soient des œuvres d’art, c’est par leur porosité avec le livre d’artiste. Mais, aussi proches qu’ils soient, ces deux catégories de livres restent distinctes, se croisant simplement sur le chemin qui sépare l’art et le quotidien.
Distinguons clairement le livre de graphiste du livre d’artiste. Tout d’abord, Leszek Brogowski éclaircit l’éventuelle intervention d’un graphiste, dans la réalisation d’un livre d’artiste :« Le livre d’artiste, c’est un projet d’art porté par un auteur qui est artiste. Le designer peut être sollicité par l’artiste pour réaliser le livre, ça restera toujours le livre de l’artiste. Le designer intervient dans un projet dont il n’est pas auteur. […] Il y a des designers qui font des livres de leur propre initiative. Ils sont alors en position d’artistes qui portent le projet».
La dernière phrase assure, selon nous, l’ouverture vers le livre de graphiste.
En effet, si un artiste qui porte un projet de livre, aboutit à un livre d’artiste, par transposition, un graphiste qui porte un projet de livre, réalise un livre de graphiste. Si le qualificatif du livre dépend du statut de la personne qui en est à l’initiative, alors le livre de graphiste est pleinement assumé par un graphiste, et non par un graphiste « en position d’artiste ». Au contraire, c’est sa position de designer graphique qu’il assure. Par ailleurs, un article rédigé par Anne Moeglin-Delcroix, entre autres, discerne clairement le livre d’artiste et le livre de graphiste :
« Le nombre de livres d’artistes qui peuvent effectivement dépasser le statut de documentation ou de reproduction d’un travail préexistant est assez réduit. Dans ce petit nombre, seuls quelques-uns sont autre chose que des livres de graphistes».
Recoupons ce propos avec les deux catégories de livres d’artistes, que Jérôme Dupeyrat différencie dans sa thèse : il distingue le livre en tant que support d’exposition du travail de l’artiste (la forme du livre permettant alors une diffusion différente du travail artistique) et le livre qui est une œuvre à part entière.
Selon le discours précédent, seul le livre, en tant qu’œuvre en soi, serait un livre d’artiste. Quant à la première catégorie, puisqu’elle suppose une préexistence de l’œuvre, dont le livre serait un moyen de communication, elle appartiendrait en réalité au domaine du livre de graphiste, à la mise en livre d’un contenu antérieurement produit.
Contrairement au livre de graphiste, le livre d’artiste procède d’une démarche artistique à part entière. Le livre d’artiste est donc une œuvre, qui prend la forme d’un livre, au même titre qu’une peinture, une installation, une performance etc.
Le livre est alors la forme la plus adéquate que prend leur processus artistique.
Ces livres ne sont donc « pas à propos de l’art, mais [ils] sont eux-mêmes des œuvres, ou de manière plus indéfinie : de l’art  ». De plus, dans sa définition du livre de création (catégorie qui inclut les livres d’artistes), Pascal Fulacher souligne que le livre est engagé dans « un processus artistique, processus qui peut intervenir tant au niveau du support, de la typographie, de l’illustration ou de la reliure ». Ces caractéristiques, qui s’approchent de celles que nous avons dégagées comme constitutives de la définition du livre, sont à l’origine d’une confusionqui se trouve être au cœur de notre questionnement. En effet, c’est parce que les livres que nous étudions remettent en causes ces caractéristiques et affirment la matérialité de l’objet, qu’ils sont amalgamés avec les livres d’artistes. Ces productions, bien qu’elles n’aient pas de vocation artistique première, semblent ne pas pouvoir « être jugées simplement en tant que véhicules d’informations plutôt qu’en tant qu’incarnations de l’art ». Nous proposons ici de convoquer le concept de liberature de Katarzyna Bazarnik. Ce concept part de notre constat : quand la matérialité d’un livre est particulièrement travaillée, l’objet est confondu avec un livre d’art : « Mais lorsqu’il y a le moindre signe de rupture avec l’architecture conventionnelle d’un livre […], si les écrivains s’affranchissent des conventions dominantes de l’édition, il semble que cela soit automatiquement le signe du livre d’artiste, et transfère leur travail du domaine de la littérature vers la sphère des arts (visuels et spatiaux)».
Elle propose donc un nouveau genre littéraire à part entière, nommé « liberature, that is, literature in the form of the book ». En réalité, elle reprend un terme de Zenon Fajfer, qu’il institue dans un article-manifeste, ” Liberature. Appendix to the Dictionnary of Literary Terms “, publié dans le magazine Dekada Literacka en 2010. Il s’agit alors de travaux littéraires, qui intègrent leur forme matérielle comme constituante du contenu de leur texte. Mais, alors qu’elle lutte contre la reconnaissance de ce genre littéraire, elle déplore que ces travaux basculent dans le domaine de l’artistique, des livres d’artistes, et qu’ils soient exposés dans les conditions de mise à distance que nous avons étudiées. Ce détour s’éloigne quelque peu de notre propos, car Katarzyna Bazarnik revendique que le texte n’est pas mis en page par un designer mais par l’auteur lui-même, qui place ses mots de manière signifiante dans l’espace, disposition qui fait partie intégrante du travail littéraire. Néanmoins, elle montre bien que, lorsqu’un nouveau genre s’éloigne trop d’une catégorie établie, il est alors transposé dans le domaine de l’artistique. Notre détour par la littérature nous permet de recentrer notre questionnement sur l’importance du texte et la place qu’il tient au sein de la création du livre. Ne devient-il finalement pas un prétexte à la création, presque anecdotique.

Quid de l’auteur du texte ?

En effet, alors que le livre d’artiste est une œuvre d’art totale, pour le livre de graphiste, il demeure un auteur de l’œuvre littéraire. Le graphiste n’en est que le metteur en livre. À ce titre, le designer graphique est celui qui fait exister le texte dans un support matériel, permettant donc la matérialisation de la pensée de l’auteur. Le livre serait donc l’incarnation d’une pensée dans la matière : c’est par le livre que la pensée peut devenir quelque chose de tangible. Nous pouvons alors parler de « la trans substantiation d’un texte, c’est-à-dire [que le livre] transforme une matière encore brute [le texte] en un objet complexe ». Si le texte, lorsqu’il est écrit par l’auteur, est une première matérialisation de sa pensée, c’est le livre qui en permet la diffusion. L’écriture de l’auteur, dans sa dimension graphique et visuelle, est une première incarnation matérielle de la pensée.
Mais cette pensée est-elle pour autant portée à la connaissance ? En effet, Sylvie Ducas souligne qu’un écrivain ne devient auteur que lorsque son texte est rendu public et diffusé pour être lu. Elle distingue donc l’inscription de la diffusion. D’une part, Leroi-Gourhan affirme que « l’écriture assure à la société la conservation permanente des produits de la pensée individuelle et collective ».
Mais, d’autre part, Anne-Marie Christin soutient que « l’écriture n’a pas pour rôle de conserver le langage mais de l’inscrire (il ne s’agit même pas de le fixer) – et à cela il suffit d’un exemplaire, qui peut n’être jamais lu ou disparaître ». Ainsi, elle met en évidence le fait que l’acte d’inscription ne suffit pas à la transmission de la pensée. D’où la nécessité du livre en tant que moyen de diffusion d’un texte. Il paraît nécessaire de présenter ici la définition du paratexte de Gérard Genette. Plus que des informations annexes entourant le texte, il considère le paratexte comme ce par quoi un texte advient à la connaissance d’un public.

Un art, mais impliqué ?

Ainsi, si le livre de graphiste n’est pas strictement une œuvre d’art, en tant que démarche artistique exclusivement sous la responsabilité du graphiste, nous ne pouvons nier la part artistique de tels objets. Est-il possible de trouver une voie intermédiaire, entre œuvre d’art et objet esthétique ? Massin l’expliquait clairement : « Car le travail que j’exerce n’est pas en fait un travail d’artiste : plus exactement, je travaille dans le domaine des arts appliqués. Nous autres graphistes ne devons jamais perdre de vue que nous ne faisons pas de l’art pour l’art ». Son travail n’étant pas de l’art pour l’art, nous ne pouvons affirmer que les objets qui en découlent soient des œuvres d’art. Néanmoins, essayons de trouver un compromis qui permettrait de mieux définir cette part artistique qui semble tout de même être inhérente aux livres de graphistes. Au sujet du traitement particulièrement visuel des typographies que nous avons étudié en première partie, Herbert Bayer précise que la typographie est un art appliqué et n’appartient donc pas au domaine des beaux-arts. Certes, mais comment justifier le terme « art » de ce qualificatif « art appliqué » ? La technique serait-elle la dimension qui confère une caractéristique artistique à un objet, au lieu de lui conférer son statut d’objet utile ? Si le travail du graphiste est un art appliqué à une œuvre qui lui est extérieure, a posteriori, son intervention ne peut-elle pas être impliquée dans la création elle-même ? Nous proposons ici de nous engager dans la voie ouverte par Étienne Souriau et Jacques Viénot, avec leur conception de l’esthétique industrielle. En effet, Étienne Souriau distingue nettement l’art appliqué (à l’industrie) de l’art impliqué. Voici la définition qu’il en donne.

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Table des matières
Pour commencer 
Analyses préalables 
Des livres ?
À lire ?
Un texte lisible
Et un graphiste invisible
Lire/Lisible – Visible/ Voir
Un texte moins lisible que visible
Déconstruction graphique, reconstruction du sens 
À contempler ?
Toujours des livres ?
Des livres d’artistes ?
Caractéristiques marginales similaires
De mêmes mouvements, opérés en sens inverses
Entre l’art et la vie : l’enjeu de l’exposition
Des œuvres d’art ?
Distincts des livres d’artistes
Quid de l’auteur du texte ?
Un art, mais impliqué ?
Envisager une autre fonction
Rien que des livres ?
Conscientiser l’acte de lecture
Désautomatiser, pour une attention recentrée 
Une pleine expérience esthétique
Restituer la place qui revient au graphiste
Un rôle à légitimer
Porteur d’un discours
Encore un livre ?!
Dessin des caractères
Réflexions, questionnements 
Premières évolutions de la typographie
Création de la typographie sur l’ordinateur
Les caractères à l’épreuve du texte
Bruit optique
Quel livre témoin ?
Développement futur
Pour faire un premier point
Annexes 
Bibliographie

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