Des théories de la lecture au paradigme dialectique de la lecture littéraire

Des théories de la lecture au paradigme dialectique de la lecture littéraire

Au cours de cette première section, nous commentons d’abord la distinction entre les théories de l’effet et les théories de la réception avant d’exposer le paradigme dialectique de la lecture littéraire. Nous évoquons ensuite le débat que ce paradigme a soulevé dans le champ de la didactique de la littérature.

Théories de l’effet et de la réception 

Depuis le milieu des années 1970, plusieurs travaux importants dans le champ de la théorie littéraire ont réévalué l’activité du lecteur. Les ouvrages de Wolfgang Iser (1976/1985), de Hans Robert Jauss (1972-1975/1978) ; ceux d’Umberto Eco (1979/1985 ; 1990/1992) ou encore ceux de Michael Riffaterre (1979) et de Michel Charles (1977) contribuent à redéfinir le phénomène littéraire en prenant en compte l’actualisation du texte par son destinataire. Ces différentes théories de la lecture renouvèlent les approches centrées sur le texte, dominantes au moment de leur apparition, en particulier la conception structuraliste, qui appréhende le texte comme système de signes et envisage la production de sens uniquement à travers leurs relations. Dans la même période, les herméneutiques philosophiques d’inspiration phénoménologique, en particulier celle de Hans-Georg Gadamer (1960/1976) et celle de Paul Ricœur (1985, 1986), s’attachent à repenser la relation du lecteur au texte littéraire.

Au sein des théories de la lecture, deux approches envisagent différemment la relation du lecteur au texte. Les « théories internes » ou « de l’effet » (Dufays, 2015, p 65) mettent l’accent sur le rôle déterminant du texte dans l’activité du lecteur. Elles trouvent une origine dans les conceptions de Wolfgang Iser (1976/1985). Tout en affirmant le rôle du lecteur réel pour concrétiser le texte littéraire, ce dernier recherche « la structure du lecteur inscrite dans le texte » (1985, p 69-70) qu’il désigne par l’expression de « Lecteur Implicite ». Il s’agit d’« une structure textuelle d’immanence du récepteur » (p.70), c’est-à-dire d’un ensemble de stratégies appelées par un texte qui porte en lui-même ses « conditions d’actualisation » (p.70).

Le théoricien québécois Gilles Thérien voit dans le Lecteur Implicite d’Iser « un lecteur savant formé par la conjonction de l’auteur et du texte » et note que « cette position est intenable puisqu’au fond elle dépersonnalise le lecteur […] en anthropomorphisant le livre et en maintenant en vie le fantôme de l’auteur » (Thérien, 2007, p. 20). Cette critique reprend la thèse de « la mort de l’auteur » exposée par Barthes dans un article célèbre (publié en 1968 puis réédité dans Le bruissement de la langue, 1984) pour relier le maintien d’une figure de l’auteur à une dépersonnalisation du lecteur. Or cette conception dans sa version radicale a été contestée (Compagnon, 1998). Barthes l’a lui-même nuancée :

Comme institution l’auteur est mort […] mais dans le texte, d’une certaine façon, je désire l’auteur : j’ai besoin de sa figure (qui n’est ni sa représentation, ni sa projection), comme elle a besoin de la mienne (sauf à « babiller ») (Barthes, 1973, p. 39).

Le « fantôme de l’auteur » n’est donc pas « maintenu en vie » uniquement par Iser. Tout lecteur produit des hypothèses d’intention auctoriale sans quoi l’acte de lecture serait vain. La notion de Lecteur Implicite rapporte cette intention au texte. Si elle « dépersonnalise » le lecteur c’est qu’Iser juge impossible de théoriser le lecteur réel.

Michael Riffaterre définit quant à lui le texte comme un code « limitatif et prescriptif » (Riffaterre,1979, p. 11) qui appelle un « archilecteur » capable de percevoir les effets stylistiques. Michel Charles, dans Rhétorique de la lecture (1977), explique qu’un texte laisse libre et contraint à la fois son lecteur à travers l’exposition ou la suggestion de la lecture qu’il s’agit d’en faire. Il envisage donc « la lecture plutôt que le lecteur » parce que, selon lui, ce dernier « n’est qu’un rôle » (Charles 1977, p. 9).

Une forme d’anthropomorphisation du livre est assumée aussi par Umberto Eco, qui distingue l’intention de l’œuvre de celle de l’auteur. Le théoricien prête à l’œuvre des intentions et la volonté d’être lue d’une certaine manière :

Un texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative, même si en général, il désire être interprété avec une marge suffisante d’univocité. Un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner (Eco 1985, p.64).

Dans Lector in fabula (1979/1985), Eco avance la notion de « Lecteur Modèle », c’est-àdire d’une instance « capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont […] l’auteur le pensait et capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement » (p. 68). Le « Lecteur Modèle » est un ensemble de stratégies programmées par le texte. Pourtant, il faut noter que, bien qu’elles mettent l’accent sur un lecteur programmé, certaines de ces théories de l’effet décrivent aussi une forme de créativité du lecteur empirique. Iser, par exemple, consacre la troisième partie de L’acte de lecture à une « phénoménologie de la lecture » reconstituant le parcours du lecteur dans l’œuvre en tenant compte de « la mobilité de son point de vue » (Iser, 1976/1985, p. 199) :

Nous ne sommes pas capables de saisir le texte d’un seul coup comme dans le cas de la perception d’un objet. […] Tandis que nous nous trouvons toujours en face de l’objet, nous sommes toujours plongés dans le texte […] C’est ce parcours du lecteur, en tant que point de vue mobile à l’intérieur du champ de la compréhension, qui assure la particularité de l’objet esthétique dans le texte de fiction (Iser, 1985, p. 200). 

À chaque point de son « parcours », le lecteur recueille de nouveaux indices qui l’obligent à réorganiser l’ensemble des informations déjà mémorisées. La lecture est donc envisagée par Iser comme une expérience dépendant de « notre engagement dans le processus de configuration » (p. 234). Certes, le texte définit un champ de possibilités et propose des structures contraignant l’interprétation ; mais ces instructions textuelles conduisent au jeu des réagencements de « configurations » par le lecteur. Antoine Compagnon (1998) relève une double conception du lecteur chez Iser :

Guidé par le lecteur implicite, le rôle du lecteur réel est à la fois passif et actif. Ainsi le lecteur est-il perçu simultanément comme structure textuelle (le lecteur implicite) et comme acte structuré (la lecture réelle). (Compagnon, 1998, p.178) .

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Table des matières

Introduction générale
CHAPITRE 1 : QUESTIONNEMENTS ET OBJECTIFS
Introduction du chapitre
1. Un objet d’interrogations pour la didactique de la littérature
1.1. Définition des situations étudiées
1.2. Un objet de recherche en tensions
1.3. Des situations intéressantes à explorer selon une perspective didactique
1.4. Questionnement et hypothèses
1.5. Complémentarité des objectifs
2. Situation dans les recherches en didactique de la littérature
2.1. Les chantiers de recherche actuels en didactique de la littérature
2.2. L’intérêt des didacticiens pour le numérique, les blogs et les forums
Conclusion du chapitre
CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE PRINCIPAL
Introduction du chapitre
1. Des théories de la lecture au paradigme dialectique de la lecture littéraire
1.1. Théories de l’effet et de la réception
1.2. Une diversification des théories de la réception
1.3. Le paradigme dialectique de la lecture littéraire
1.4. Intérêt et limites du paradigme sur lequel repose la théorie de la lecture littéraire
2. Vers un cadre théorique intégré
2.1. Le « sujet lecteur » et « les sujets lecteurs divers »
2.2. Des « textes de lecteurs » aux « écrits de la réception »
2.3. Le rôle intégrateur du paradigme dialectique
2.3.1. Divergences théoriques
2.3.2. Un cadre théorique intégrateur
2.4. La participation en question
Conclusion du chapitre
CHAPITRE 3 : LA QUESTION DE LA RÉCEPTION À LA CROISÉE DE PLUSIEURS CHAMPS THÉORIQUES
Introduction du chapitre
1. L’expérience de réception dans le champ de l’esthétique
1.1. Une activité cognitive au sein de l’expérience esthétique
1.1.1. L’appréciation esthétique dans l’approche subjectiviste
1.1.2. Par-delà l’opposition entre le cognitif et l’émotif
1.2. Sens et significations dans l’expérience esthétique
1.2.1. L’effort sémiotique, conséquence de l’attention esthétique
1.2.2. La relation esthétique comme construction de significations
1.3. Expérience esthétique et formation
2. Les modélisations de la réception dans le champ littéraire
2.1. La réévaluation théorique de la « littérature au premier degré »
2.2. Les paradoxes de la participation
2.3. La lecture comme « conduite de stylisation »
Conclusion du chapitre
CHAPITRE 4 : UN OUTIL COMPLÉTANT LE CADRE THÉORIQUE
Introduction du chapitre
1. Une définition dialectique de la participation
1.1 La participation, une conduite régulable et éducable
1.2. Les mouvements complémentaires de la participation
1.2.1. Une construction de contenus subjectifs divers
1.2.2. L’attention à l’expérience
1.3. Considérations terminologiques
2. Retour sur le paradigme dialectique de la lecture littéraire
2.1. Appel et choix dans la distanciation
2.2. Une schématisation enrichie de la lecture littéraire
2.2.1. Description du schéma
2.2.2. Lecture dynamique du schéma : la lecture littéraire comme liaisons
2.3. La dimension collective de la lecture littéraire
Conclusion générale

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