Des Anti-inflammatoires différents prescrit dans les pathologies ORL

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Modalités de prescription des AINS :

Utilisation des IPP :

79% des médecins interrogés (n=122) ne prescrivent pas de manière systématique des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en association aux AINS, en dehors des recommandations officielles (âge > 65ans, ATCD d’ulcère gastrique ou duodénal, patients traités par antiagrégant plaquettaire, anticoagulant ou corticoïde).
21% des médecins interrogés (n=33) préfèrent prescrire des IPP en systématique chez tous leurs patients sous AINS.

Deux échantillons comparables :

Au total, cette étude nous a permis d’interroger 155 médecins des Bouches du Rhône sur leurs prescriptions d’AINS : 82 médecins généralistes et 73 médecins urgentistes.
Aucune différence significative ne ressort de cette étude concernant la profession des médecins (53% MG, 47% MU) et le ratio hommes-femmes (46% d’hommes et 54% de femmes).
Les lieux et modes d’exercice sont variés : on retrouve des médecins exerçant dans des hôpitaux publics, privés, dans des cabinets de ville, sur Marseille et ses villes alentours (Aubagne, La Ciotat, Martigues, Fos sur Mer, Aix en Provence, Pertuis etc).
De plus, nous avons réussi à obtenir une population hétérogène de par ses années d’exercice : autant de médecins ayant une longue expérience professionnelle (plus de 20 ans d’exercice) que de jeunes médecins (moins de 5 ans d’exercice) ou ayant une expérience modérée (entre 5 et 20 ans d’expérience).

Des différences de prescriptions significatives entre les médecins : pourquoi ?

Tout au long de notre étude, nous avons pu mettre en évidence le fait que les deux spécialités ne prescrivaient pas les AINS de la même façon.
Les médecins généralistes avaient tendance à en prescrire plus souvent que les médecins urgentistes, et ce, quel que soit le motif de prescription.
De plus, l’effet recherché, lors de la prescription d’anti-inflammatoires par le médecin, différait aussi d’une spécialité à l’autre : le MG prescrit des AINS plutôt à visée anti-inflammatoire alors que le MU les prescrits plutôt à visée antalgique.
Mais pourquoi existe-t-il une si grande disparité dans les prescriptions d’AINS entre les deux spécialités médicales ?

Pathologies ORL :

Que ce soit concernant l’otalgie, l’odynophagie ou les douleurs dentaires, environ 60% des médecins urgentistes interrogés et 40% des médecins généralistes n’administrent jamais d’AINS dans ces indications.
Parmi ceux prescrivant des AINS, nous avons pu mettre en évidence, de manière statistiquement significative, le fait que les médecins généralistes en prescrivaient plus souvent dans les pathologies ORL (otalgie, odynophagie, douleur dentaire) que les médecins urgentistes.
Mais comment expliquer cette différence ?
Notre étude montre que les médecins urgentistes sont plus souvent confrontés aux complications infectieuses que les médecins généralistes.
Ceci parait logique, du fait de leur spécialité (la gravité des symptômes faisant recourir plus facilement le patient aux urgences qu’au cabinet de ville).
En effet, 92% des médecins urgentistes (n=67) signalent avoir déjà rencontré un effet secondaire grave après l’utilisation d’AINS chez leurs patients contre 73% de médecins généralistes (n=60). Et 82% des MU (n=60) signalent que cette complication était d’origine infectieuse (contre 25% de MG, n=20).
Mais que dit la littérature sur ce risque infectieux ?
Concernant l’otalgie de l’adulte, aucune étude n’a été retrouvée évaluant le risque de complication infectieuse lors de la prise d’AINS. Ceci est probablement lié au fait que les otites touchent plus fréquemment la population pédiatrique.
Une récente méta-analyse datant de 2016 a évalué l’efficacité des AINS dans l’otite moyenne aigüe de l’enfant [17]. Dans cette revue narrative menée principalement sur les bases Pubmed et Cochrane, seuls les essais contrôlés randomisés et les revues de la littérature traitant du rôle des AINS dans l’otite moyenne aiguë chez les enfants de 6 mois à 12 ans étaient éligibles.
Sur 167 articles identifiés, 4 essais contrôlés randomisés et 12 revues ont été inclus. 151 articles ont été exclus car ne répondant pas aux critères de recherches (critère de jugement principal inadapté, AINS étudié retiré du marché etc). 10 études sont en faveur de l’intérêt des AINS dans le soulagement de l’otalgie et 10 revues retrouvent même une tolérance comparable entre AINS, paracétamol et placebo.
Chez l’enfant, les AINS semblent donc être de bons médicaments à utiliser dans le cadre d’une otalgie tant pour son efficacité antalgique que pour sa tolérance.
La Société Française d’ORL (SFORL) réalise en 2017 des Recommandations de Pratiques Cliniques [31] concernant les AINS et les infections ORL pédiatriques.
Elle recommande « en cas de douleur d’intensité moyenne (EVA entre 3 et 5 ou EVENDOL entre 4 et 7), de prescrire du paracétamol en première intention, complété par de l’ibuprofène en cas d’insuffisance de cette première molécule […] Le seul objectif de l’utilisation des AINS dans les infections ORL de l’enfant est le traitement de la douleur (grade A).
Parmi les infections ORL courantes non compliquées, les plus douloureuses et donc celles pour lesquelles les AINS pourraient être le plus utiles à titre antalgique, en cas de persistance de la douleur malgré le paracétamol, sont les OMA et les angines (grade B) […] Afin de minimiser les risques d’effets secondaires des AINS, la durée de leur prescription doit être limitée. Dans le cadre des infections ORL de l’enfant, au cours desquelles l’objectif des AINS est antalgique, ceux-ci doivent être arrêtés dès disparition de la douleur ou dans les 72h maximum. Au-delà de cette durée, la persistance de la douleur doit faire rechercher une complication et suspendre les AINS (Accord professionnel) ».
Les recommandations concernant l’enfant sont très claires : les AINS sont indiqués en cas de pathologies ORL associées à une douleur modérée, ne cédant pas sous paracétamol et doivent être arrêtés sous 3 jours maximum. La persistance de la douleur après 3 jours doit alors faire reconsulter le médecin à la recherche d’une complication.
Mais pourquoi les recommandations ne sont-elles pas aussi claires chez l’adulte ?
Concernant l’odynophagie, une étude de cohorte réalisée dans le cadre d’une thèse parisienne en avril 2017 [18] met en évidence le fait que la prise d’AINS ou de corticoïdes dans une angine multiplie par trois le risque de faire un phlegmon. Cependant, le biais principal de l’étude est lié au fait qu’il est impossible de savoir comment ont été pris les AINS (surdosage, prise prolongée ?). Les facteurs de risque de phlegmon retrouvés dans cette étude de cohorte étaient : l’âge jeune du patient entre 20 et 40 ans, la présence d’un tabagisme actif et un ATCD personnel de phlegmon amygdalien.
La revue Prescrire, publie un article en septembre 2018 allant dans le même sens [19].
À partir de la base de données de l’Observatoire de la médecine générale, renseignée par plus de 120 médecins en France, 105 802 angines chez environ 68 000 patients ayant consulté pour une angine entre 1995 et 2010 ont été inclus dans l’analyse. 48 cas de phlegmons ont été recensés chez 47 patients dans les 15 jours suivant un diagnostic d’angine, soit 1 phlegmon pour 2 204 angines. Le risque de phlegmon a été plus grand, de façon statistiquement significative, chez les patients ayant reçu comme antalgique un AINS et aussi chez ceux ayant reçu un corticoïde.
Les patients ayant pris un AINS ont eu environ 2 fois plus de phlegmons (1 phlegmon pour 1 158 angines). Les patients ayant pris un corticoïde ont eu 3 fois plus de phlegmons (1 phlegmon pour 824 angines). Et ce, que le patient ait ou non, pris aussi un antibiotique.
L’article conclut que la prise d’AINS exposent à des aggravations d’infections, probablement par altération de la réponse immunitaire ce qui justifie d’utiliser en première intention le paracétamol comme antalgique de premier recours.
Si on reprend les règles de bon usage de l’ANSM datant de juillet 2013 (Annexe 3), nous pouvons voir qu’il est stipulé dans le dernier paragraphe que « les AINS sont susceptibles de masquer les premiers signes d’une infection et ainsi d’aggraver le pronostic de certaines infections. Des cas d’aggravation d’infections dentaires, de varicelle, de pneumopathies et d’infections ORL, chez des patients traités par AINS ont été rapportés. »
L’ANSM semble incriminer le pouvoir antalgique et antipyrétique des AINS masquant ainsi « les premiers signes d’une infection » étant alors plus susceptible de se compliquer.
Mais n’est-ce pas aussi le principal effet du paracétamol ? Aucune étude dans la littérature n’a été retrouvée concernant l’utilisation de paracétamol contre placebo et le risque de phlegmon.
Concernant les douleurs dentaires, la prise d’AINS est contre-indiquée en cas d’abcès dentaire comme il est stipulé sur le site Ameli.fr [36].
Concernant les autres complications d’origine dentaire, comme les cellulites de la face, aucune publication estimant l’incidence des cellulites cervico-faciales dans la population française totale n’a été retrouvée. Probablement car celles-ci sont peu fréquentes [45].
La Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale datant de 2008, portant sur la prescription d’anti-inflammatoires en chirurgie buccale chez l’adulte [20] explique qu’« en chirurgie buccale, les AINS ne doivent pas être considérés comme des anti-inflammatoires, mais uniquement comme des antalgiques. (Grade A). La relation de cause à effet entre la prise d’AINS et l’augmentation du risque infectieux n’est pas scientifiquement établie en chirurgie buccale. Toutefois, il est rappelé que la prise d’AINS est susceptible de masquer les signes d’une infection. La prescription d’AINS ne justifie pas à elle seule la prescription d’antibiotiques (accord professionnel). La prescription d’antibiotiques conserve ses indications indépendamment de la prescription d’AINS (cf. Prescription des antibiotiques en Odontologie et en Stomatologie. AFSSAPS 2001 [21]) (grade A) ».
De manière générale, les complications infectieuses sous AINS semblent être assez rares aux vues des données de la littérature et pourtant beaucoup de médecins semblent frileux à utiliser cette classe thérapeutique dans les pathologies ORL.
Dans notre étude, nous pouvons voir que 38% des médecins n’administrent jamais d’AINS dans les douleurs dentaires et qu’il y en a tout autant (38%) qui en prescrivent en post opératoire d’une extraction dentaire, sous couverture antibiotique.
Il en est de même pour l’odynophagie : 66,5% des médecins interrogés ne prescrivent jamais d’AINS dans cette indication et au contraire, 56% en prescrivent seulement en présence d’une couverture antibiotique.
Ceci montre bien la façon de faire très disparate des médecins. Certains préfèrent « ne pas prendre de risque » et ne pas prescrire d’AINS dans les pathologies ORL (malgré l’efficacité antalgique prouvée du médicament), d’autres préfèrent « se protéger » en y associant une prise concomitante d’antibiotique.
Mais existe-t-il un lien certain entre la prise d’AINS et la survenue d’une complication infectieuse ORL ?
Une récente enquête, publiée le 18 Avril 2019 [40-41-42], dirigée par les centres régionaux de pharmacovigilance de Tours et Marseille, a été réalisée afin de déterminer si des complications infectieuses graves étaient favorisées par la prise d’AINS ou si elles traduisaient seulement l’évolution naturelle de la pathologie infectieuse initiale.
Cette enquête a été menée, à la demande de l’ANSM, suite au signalement de 2 cas d’empyème cérébral chez des adolescents de 13 et 15 ans ayant pris de l’ibuprofène pour une otite moyenne aiguë et une sinusite, en février 2018.
Il en résulte que sur l’ensemble des cas rapportés depuis l’année 2000 dans la base nationale de pharmacovigilance (BNPV), 337 cas de complications infectieuses avec l’ibuprofène et 49 cas avec le kétoprofène ont été retenus chez des enfants ou des adultes (souvent jeunes) sans facteur de risque ni comorbidité. Il s’agissait d’infections sévères de la peau et des tissus mous (dermohypodermites, fasciites nécrosantes…), de sepsis, d’infections pleuro-pulmonaires (pneumonies compliquées d’abcès, de pleurésie), d’infections neurologiques (empyèmes, abcès cérébraux…) ou ORL compliquées (cellulites, médiastinites…), à l’origine d’hospitalisations, de séquelles voire de décès.
L’ANSM précise que ces complications infectieuses (essentiellement à Streptocoque ou à Pneumocoque) ont été observées après de très courtes durées de traitement (2 à 3 jours), y compris lorsque la prise d’AINS était associée à une antibiothérapie.
Les conclusions de cette enquête suggèrent donc le rôle aggravant des AINS en cas d’infection. Le rapport de pharmacovigilance [42] conclut même : « qu’en cas d’infection bactérienne débutante cutanée ou pulmonaire, si le germe en cause est un streptocoque pyogène ou un pneumocoque, la prise d’ibuprofène pour la fièvre ou la douleur augmente le risque de survenue d’une complication bactérienne grave. Probablement en favorisant la croissance bactérienne et en diminuant l’efficacité de l’antibiothérapie (la durée médiane de traitement, très courte n’étant pas en faveur d’une diminution de la sévérité des premiers signes de gravité et d’un retard à la prise en charge efficace).
Pour les infections des autres sites (système nerveux centrale et ORL), les cas graves d’évolution fatale sont moins nombreux et il manque à ce jour des études épidémiologiques pour confirmer ce risque, néanmoins fortement suspecté ».
L’ANSM a partagé ces résultats avec ses homologues européens afin qu’une analyse collective soit engagée dans le but de réaliser par la suite des mesures nationales (retrait des AINS en vente libre ?).
En attendant, l’agence a rappelé qu’il fallait privilégier l’utilisation du paracétamol en cas de douleur et/ou de fièvre, notamment dans un contexte d’infection courante comme : une angine, une rhinopharyngite, une otite, une toux, une infection pulmonaire, une lésion cutanée ou la varicelle, en particulier en automédication.

Autres pathologies :

Au cours de cette étude, nous avons remarqué que quel que soit le motif de prescription d’AINS (dysménorrhée, céphalée non fébrile, colique néphrétique), même lorsqu’il n’existait pas de risque de complication infectieuse, les médecins urgentistes avaient tendance à prescrire moins d’AINS dans ces indications que les médecins généralistes.
Et pourtant, de nombreuses études regroupées dans une méta-analyse datant de janvier 2015 utilisant la base de recherche Cochrane [22], vantent l’efficacité des AINS dans les dysménorrhées.
Ces douleurs menstruelles seraient liées à un taux élevé de prostaglandines (PGE), hormones produites en plus grande quantité durant cette période du cycle hormonal et connues pour provoquer des crampes abdominales. Les AINS seraient efficaces grâce à leur action bloquant la production de PGE.
De plus, l’HAS recommande aussi l’utilisation des AINS en première intention dans la crise de migraine [23] expliquant que chez l’adulte de 18 à 65 ans, la prévalence de la migraine dans la population générale est importante (de l’ordre de 15 %), avec une prédominance féminine de 3 femmes pour 1 homme. A noter qu’en période de menstruations, les variations hormonales peuvent aussi être un facteur déclenchant de migraine.
Contrairement aux médecins généralistes qui eux, ont un suivi du patient et peuvent le revoir si celui-ci présente une aggravation de la symptomatologie, les médecins urgentistes prescrivent des thérapeutiques aux patients sans savoir si celui -ci va présenter des effets secondaires par la suite. Ceci peut expliquer en partie leurs craintes à prescrire cette classe médicamenteuse étant connue comme plus à risque de complications que d’autres antalgiques comme le paracétamol.
Mais attention, la prise de paracétamol n’est quand même pas anodine.
Une revue systématique d’études observationnelles examinant les effets indésirables du paracétamol a fait polémique en mars 2015 [24], réalisée par le centre national de directives cliniques britanniques (National Clinical Guidelines Centre).
Celle-ci a constaté une association entre la prise au long cours de paracétamol et une légère augmentation du risque d’événements indésirables tels qu’infarctus, hémorragies digestives (saignements à l’intérieur du système digestif) et des perturbations de la fonction rénale.
La NHS (Service national de santé du Royaume-Uni) a rapidement publié une critique de cette revue systématique [25] expliquant que ces études observationnelles étaient sujettes à diverses sources de biais. Notamment par les populations étudiées (extrêmement variables), que par des expositions au paracétamol très différentes (nombre de jours de prise par mois, prise en grammes au cours de la vie ou nombre de prescriptions).
Néanmoins, ils concluent que le paracétamol pris à long terme pourrait avoir des effets indésirables, en particulier à forte dose et ne doivent pas être négligés, ce d’autant que ce médicament est utilisé par des millions de personnes.
Cet article nous rappelle que toute prise médicamenteuse, quelle qu’elle soit, n’est pas anodine et peut entrainer des complications sur le long terme.

Complications recensées sous AINS :

Les médecins généralistes interrogés déclarent avoir rencontré durant leur carrière professionnelle, des complications essentiellement digestives chez leurs patients sous AINS. Ce sont les complications infectieuses qui prédominent chez les médecins urgentistes.
Peu de médecins ont recensé d’effets secondaires graves d’origine cardio-vasculaire chez leurs patients sous AINS (7% de MG et 5% de MU) ; Ceci probablement par manque de connaissance sur ce sujet ou parce que ces complications n’étaient pas considérées comme « graves » par le médecin.
Malgré le nombre important de complications digestives rencontrées par les médecins interrogés, leurs prescriptions d’IPP en association aux AINS, semblent être conformes aux recommandations actuelles.
En effet, seuls 21% des médecins prescrivent des IPP « en systématique » chez tous leurs patients sous AINS. Aucune différence n’est retrouvée entre les médecins généralistes et les médecins urgentistes de l’étude.
47% des médecins urgentistes (n=34) et 32% des médecins généralistes (n=26) déclarent pourtant préférer prescrire des AINS lorsqu’ils y associent une couverture par IPP.
Ce faible nombre de médecins prescrivant des IPP hors recommandation, parait être minoré par l’emploi du terme « en systématique » dans la question posée. En effet, beaucoup de médecins semblent prescrire des IPP, en dehors des recommandations officielles, sans pour autant que cela soit fait « en systématique » chez tous leurs patients sous AINS.
Après lecture de la littérature, il paraîtrait que la prescription d’IPP dans la population française dépasse largement les seules indications officielles.
En effet, l’ANSM publie en décembre 2018, les résultats d’une étude visant à quantifier l’utilisation des IPP en France, à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS), sur l’année 2015 [46].
Les résultats de cette étude montrent que près de 16 millions de personnes, soit presque un 1/4 de la population française, ont bénéficié d’au moins un remboursement par l’Assurance maladie pour une délivrance d’IPP sur prescription médicale en France, en 2015.
Pour 8 millions d’entre elles, il s’agissait d’une initiation de traitement. Parmi les adultes initiant un traitement, les IPP étaient associés à un traitement par AINS dans plus de la moitié des cas. Les initiations de traitements par IPP et AINS étaient presque toujours concomitantes, suggérant une protection gastrique à visée préventive. Cependant, dans 80% des cas, aucun facteur de risque justifiant l’utilisation systématique d’un IPP en association avec un AINS n’était identifié.
L’ANSM conclue l’article en insistant sur le fait qu’il est important de ne pas banaliser l’utilisation des IPP car bien qu’ils soient généralement bien tolérés à court terme, leur utilisation au long cours n’est pas sans risque (diminution de l’absorption des vitamines (B12, fer, magnésium) et de calcium, sur-risque d’infection digestive et pulmonaire, sur-risque de néphrite interstitielle, rebond d’acidité à l’arrêt du traitement [47]).
Concernant les complications rénales, près de 1 médecin urgentiste sur 2 (45%) et 1 médecin généraliste sur 3 (35%), déclarent avoir été confrontés à une complication grave d’origine rénale chez un patient sous AINS.
En effet, on estime que les AINS sont responsables de 7% de toutes les insuffisances rénales aiguës [48].
La physiopathologie s’explique par l’existence de 2 prostaglandines (PGE2 et prostacycline) au niveau des néphrons rénaux. Celles-ci jouent un rôle de vasodilatateur pré-glomérulaire (permettant le maintien d’un bon débit de filtration glomérulaire) et de modulateur dans la réabsorption tubulaire de sodium et d’eau. Leur inhibition peut provoquer chez une personne à risque de déshydratation (personne âgée essentiellement) et/ou polymédiquée (patient sous IEC, ARA II), une insuffisance rénale aiguë par hypoperfusion rénale et un déséquilibre hydrosodique (hyperkaliémie et rétention hydrosodée). Cette réabsorption de sodium pouvant être à l’origine d’une poussée hypertensive et des complications cardio-vasculaires qui s’ensuivent.
Dans notre étude, 1 médecin interrogé sur 2 (54%) explique avoir modifié sa façon de prescrire des AINS à la suite d’un effet secondaire grave rencontré sous cette classe thérapeutique. Ces médecins sont autant de médecins généralistes que de médecins urgentistes. Leur façon de procéder est néanmoins bien distincte.
Les médecins généralistes préfèrent limiter leurs prescriptions d’AINS chez les patients présentant de lourds antécédents (cardio-vasculaire, rénale, de diabète) ou du moins, insister sur l’éducation du patient lors de ces prescriptions (attention à l’automédication et à la durée d’administration). Les médecins urgentistes, eux, sont plus radicaux et préfèrent ne plus prescrire d’anti-inflammatoires dans les pathologies ORL.
De façon générale, les freins des médecins à prescrire des AINS sont en lien avec les comorbidités du patient (surtout pour les médecins généralistes) et la crainte d’une complication infectieuse (surtout pour les médecins urgentistes).

Crainte des effets secondaires :

23% des médecins généralistes signalent n’avoir recensé que peu d’effets indésirables graves sous AINS durant leur carrière (n=19), contre 9% de médecins urgentistes (n=7). Ceci peut expliquer leur moindre crainte à prescrire cette classe thérapeutique, contrairement aux médecins urgentistes, qui eux, ne voient que les cas les plus graves au sein des services des urgences.
De plus, étant le médecin de famille, le médecin généraliste connait mieux son patient que le médecin urgentiste, qui lui, ne le voit le plus souvent que pour la première fois. Contrairement au médecin urgentiste, le médecin généraliste connait bien son patient et sait si celui-ci a tendance à être observant ou non, à s’automédiquer, à suivre les recommandations des médecins. Il peut donc décider de prescrire des AINS dans des situations parfois limites mais nécessaire à visée antalgique lorsqu’aucune autre thérapeutique ne marche. Ceci semble difficile voire impossible à faire de la part du médecin urgentiste.
Cette meilleure connaissance du patient et de son suivi favorise donc probablement « la prise de risque » de la part des médecins généralistes et facilite leurs prescriptions d’AINS.
En tout cas, les deux spécialités s’accordent sur le fait qu’ils préfèrent prescrire des AINS en cure courte (<5 jours) afin de diminuer le risque de complications.
Ils reconnaissent aussi l’efficacité redoutable de cette classe thérapeutique contre la douleur. Néanmoins, plus d’1/3 des médecins urgentistes interrogés déclarent préférer prescrire des AINS lorsqu’ils y associent une couverture antibiotique.

Distinction dose antalgique/dose anti inflammatoire : peu connue des médecins

L’AFSSAPS (ex ANSM) publie en 2005 des recommandations concernant l’utilisation des antalgiques dans la prise en charge des infections respiratoires hautes (IRH) de l’adulte et de l’enfant [13]. Elle recommande l’utilisation du paracétamol en première intention et suggère de ne pas utiliser d’AINS à dose anti-inflammatoire, dans les pathologies ORL. Rien n’est écrit concernant les doses antalgiques.
Ayant eu des difficultés à trouver des informations dans la littérature, concernant cette distinction de dose, nous nous sommes demandé quelles étaient les connaissances des médecins à ce sujet. Près d’1 médecin interrogé sur 2 (45%, n=69) ne savait pas qu’il existait des doses antalgiques et des doses anti-inflammatoires chez certains AINS comme l’Ibuprofène. 40 médecins de l’étude (27%) connaissaient l’existence de cette distinction de dose sans pour autant l’appliquer.
Les seules données de la littérature retrouvées concernent les doses antalgiques et anti-inflammatoire de l’ibuprofène, publiée dans la Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale de 2008 [15]. Pour rappel, les doses antalgiques et antipyrétiques de l’ibuprofène sont des doses journalières allant jusqu’à 1 200 mg/jour alors que l’effet anti-inflammatoire est obtenu avec des doses journalières allant jusqu’à 2 400 mg/jour.
Cependant, rien n’est retrouvé dans la littérature concernant les doses antalgiques et anti-inflammatoires des autres AINS en vente sur le marché.
De plus, étonnement, rien n’est stipulé non plus dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l’Ibuprofène concernant l’existence de dose antalgique et de dose anti-inflammatoire. Cette distinction de dose est-elle vraiment valable et applicable au quotidien ? L’ANSM n’est pas très claire à ce sujet.

Médecins désireux de nouvelles recommandations :

Il ressort de notre étude qu’1 médecin interrogé sur 2 (48%, n=75) se sent parfois démuni ou hésitant lorsqu’il doit prescrire un AINS. Ce chiffre parait aberrant lorsqu’on sait que les AINS font partie des médicaments les plus prescrits chaque jour.
81% des médecins urgentistes (n=59) et 58% des médecins généralistes (n=48) seraient intéressés par de nouvelles recommandations concernant les AINS ce qui met bien en lumière le fait que les recommandations actuelles sont insuffisantes.
Il semblerait que ce soit surtout les complications infectieuses qui inquiètent les médecins. Il ressort de notre étude que 80% des médecins généralistes (n=65) et 86% des médecins urgentistes interrogés (n=63) limitent leurs prescriptions d’AINS de peur d’une complication infectieuse. Ce sont les médecins urgentistes qui paraissent les plus inquiets à ce sujet, étant plus exposés à ces complications, que les médecins généralistes.
L’ANSM semblent, elle aussi, soucieuse de ce risque infectieux puisqu’elle a récemment demandé aux centres régionaux de pharmacovigilance de Tours et de Marseille d’enquêter sur l’utilisation des AINS et le risque de complication infectieuse. Le rapport de pharmacovigilance conclut que la prise d’AINS complique bien les infections cutanées et pulmonaires sans pouvoir statuer formellement sur les pathologies ORL et neurologiques. De nouveaux éléments sont à attendre de la part des grandes instances européennes après une analyse collective, afin de statuer pleinement sur le risque de complication bactérienne sous AINS.
Ces nouvelles données ne peuvent qu’alimenter les craintes des médecins à utiliser des AINS dans les pathologies infectieuses.
Mais sont-elles suffisantes pour les aider pleinement lors de leurs prescriptions d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ?

Limites de l’étude :

Notre travail a bien entendu certaines limites, liées essentiellement au caractère déclaratif du recueil des données (auto questionnaire), ne nous donnant pas de données sur les prescriptions réelles des médecins interrogés (biais de déclaration) et ne nous permettant simplement que de relever des tendances de prescriptions.
Plusieurs autres limites sont à prendre en compte dans notre étude.
– La première est en lien avec notre mode d’inclusion et est à l’origine d’un biais de sélection. En effet, les médecins inclus étaient pour la majorité très impliqués dans la formation universitaire, les médecins urgentistes travaillant pour la plupart en CHU (centre hospitalo-universitaire) et les médecins généralistes étant nombreux à être des MSU (maitre de stage universitaire). Ils étaient alors peut-être plus sensibilisés aux risques de complications graves sous AINS que d’autres médecins.
De plus, notre étude a été réalisée auprès de médecins exerçant dans un même site géographique (Bouche du Rhône). Ils ont probablement reçu dans l’ensemble une formation initiale similaire. Élargir la zone géographique en choisissant des médecins exerçant dans d’autres structures ou dans d’autres départements aurait permis de diversifier d’avantage la population et donc peut être les résultats obtenus.
– La seconde limite portait sur la taille de l’échantillon semblant plus qu’insuffisante pour être représentative de la population générale. En effet, seul 82 des 2591 médecins généralistes des Bouches du Rhône [26] avaient répondu à notre enquête ; 215 ayant été contactés.
– Pour finir, la troisième limite est en lien avec un biais de compréhension notamment lorsqu’on demande aux médecins interrogés s’ils ont déjà été confrontés à un effet secondaire grave sous AINS. N’ayant pas donné de définition « d’effet secondaire grave », celui-ci peut être interprété différemment selon les médecins (une poussée hypertensive ou une légère insuffisance rénale aiguë, est-ce un effet secondaire grave ?).

Intérêt de nouvelles recommandations :

Aux vues des résultats de notre enquête, il semblerait intéressant de réaliser de nouvelles recommandations afin de :
– sensibiliser les médecins et les patients au risque de complication infectieuse lors de l’utilisation des AINS notamment dans les pathologies ORL. Pour cela, il pourrait être bénéfique de rajouter dans les Résumés des Caractéristiques du Produit (RCP) des AINS, un paragraphe sur les contre-indications de nature infectieuse : angine, toux fébrile, infection cutanée.
– préciser la différence entre dose anti-inflammatoire et dose antalgique des AINS (posologie, indication, durée de prescription).
– rappeler aux médecins, toutes spécialités confondues, qu’il faut sensibiliser les patients aux risques liés à l’automédication. Une campagne publicitaire (semblable à celle sur les vaccins ou les antibiotiques) pourrait être réalisée afin de sensibiliser le grand public aux risques liées à l’automédication par anti-inflammatoires.
– sensibiliser les autres professionnels de santé (pharmaciens, infirmiers) sur les risques de complications infectieuses lors de la prise d’AINS.
D’après une récente étude [35] réalisée auprès de pharmaciens d’officine et de patients à travers toute la France (414 titulaires d’officine et 1001 patients représentatifs), 88% des patients interrogés déclarent faire confiance à leur pharmacien pour leur donner des conseils appropriés en cas d’urgence santé (envoi aux urgences hospitalières, orientation vers un médecin, conseil de produits,…)
Il serait donc judicieux de sensibiliser les autres acteurs de santé, comme les pharmaciens, aux risques de complications infectieuses lors de la vente libre d’AINS.
Le but de ces nouvelles recommandations serait d’homogénéiser les prescriptions d’AINS entre les divers médecins afin de mieux soulager les douleurs des patients et de diminuer le risque de complications notamment infectieuses.

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Table des matières

MATÉRIELS ET MÉTHODES
1. Description de l’étude
1. Sélection de la population cible
2. Analyse des données
RÉSULTATS
1. Inclusion
2. Description de la population étudiée
3. AINS les plus prescrits par les médecins
4. Attitude de prescription des AINS
a) Otalgie
b) Odynophagie
c) Douleur dentaire
d) Dysménorrhée
e) Céphalée non fébrile
f) Colique Néphrétique
5. Des Anti-inflammatoires différents prescrit dans les pathologies ORL
6. Modalités de prescription des AINS
a) Utilisation des IPP
b) Expériences professionnelles d’effets indésirables sous AINS
c) Modification de prescription suite à un effet indésirable grave
d) Freins à la prescription d’AINS dans la population totale étudiée
e) Facteurs favorisant la prescription d’AINS
f) Effets attendus des AINS
g) Dose antalgique/dose anti inflammatoire
7. Attentes des médecins, désirs de nouvelles recommandations
DISCUSSION
1. Généralités
2. Deux échantillons comparables
3. Des différences de prescriptions significatives entre les médecins pourquoi ?
a) Pathologies ORL
b) Autres pathologies
c) Complications recensées sous AINS
d) Crainte des effets secondaires
e) Distinction dose antalgique/dose anti inflammatoire peu connue des médecins
f) Médecins désireux de nouvelles recommandations
4. Limites de l’étude
5. Intérêt de nouvelles recommandations
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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