Dépasser l’aléatoire par les trajectoires individuelles du précariat à l’organisation d’activités au service des besoins et valeurs 

Le chômage comme pendant au travail par sa privation : la construction sociale d’un phénomène récent

Détour étymologique et historique : d’un terme ancien à l’invention d’un phénomène inédit

Que recouvre aujourd’hui la notion de chômage ? A-t-il toujours existé ? Et dans quel rapport au travail, s’inscrit-il ? Avant d’ouvrir toute réflexion, nous proposons de remonter le temps, et d’interroger la genèse du chômage, sur les plans étymologique, sémantique et historique. Alain Rey rappelle que le chômage désigne initialement le fait de « se reposer par forte chaleur ». Il est issu du latin cauma, (forte chaleur) et s’utilise dans le monde rural.
L’évolution sémantique s’oriente sur les motifs de non-travail : jour férié, détérioration de matériel, dysfonctionnement empêchant l’activité, pour se fixer assez tardivement, au treizième siècle, sur l’acception contemporaine, « ne pas avoir de travail ». Le substantif « chômage » épouse l’évolution du verbe.
Yves Zoberman évoque le premier jour chômé, le septième jour de la création : « chômage frictionnel », qui apparaît dans la Genèse, puisque le lendemain, Dieu se remet à l’œuvre, précise-t-il. Néanmoins, c’est dans L’exode qu’apparaît vraisemblablement l’appellation : « Que chacun demeure à sa place, et que personne ne sorte de chez lui, au septième jour. Alors le peuple chôme le septième jour ». Si ces deux occurrences bibliques témoignent d’une situation plutôt confortable – un temps calme, un repos hebdomadaire – très vite, le rapport au chômage va s’inverser, notamment dans l’ombre du péché originel. Il faut désormais travailler sans relâche et combattre l’oisiveté.
Le chômage est « un témoin de l’histoire sociale ». Car il s’agit d’un concept sociologique récent tel qu’on le comprend aujourd’hui, lié à l’histoire du salariat. Avant cette forme de relative stabilité du travail, un jour chômé, est un jour sans travail, donc sans ressources. Peu importe les raisons : grève, maladie, jour férié, baisse d’activité, fin d’activité saisonnière…
Un travailleur enchaîne jusque-là, jours travaillés et chômés. La forme nominale regroupe indistinctement et de manière générique toute une population de misérables d’autant plus stigmatisée et miséreuse, qu’elle doit vivre momentanément sans ressource. Elle est nécessiteuse et a besoin d’assistanat. Le terme prend toute son ampleur fin dix-neuvième siècle pour basculer dans les disciplines économiques et politiques. Jusqu’en 1791, Loi le Chapelier, le salariat reste minoritaire, excepté pour ce qui relève des corporatismes de métiers. C’en est fini, il commence à se propager lentement, pour s’imposer comme une référence. La salarisation engage alors le travail dans une continuité inédite, une « relation de travail dans la durée [assortie d’]un lien de subordination entre un individu et une entité collective, l’entreprise ». C’est le licenciement qui l’en expulse. De surcroît, la forme juridique du contrat de travail contraint les travailleurs à un cadre qui affecte, discipline voire lisse les comportements des travailleurs pour « assurer une main-d’œuvre stable et performante à une industrie en plein essor ». Car simultanément, l’avènement et l’expansion de l’industrialisation impactent les techniques et modèles organisationnels, qui viennent réguler le travail, le mesurer et le contrôler. C’est le rythme des machines qui prend le dessus. Exunt les jours chômés : le chômage correspond désormais à une rupture définitive du contrat de travail. L’essor de l’industrialisation et l’ouverture d’un marché du travail laissent de côté une main d’œuvre potentielle, écartée de cette nouvelle relation au travail.

Le chômage professionnel, une « promotion » sociale ?

Ce travail de reconstitution historique jusqu’à l’avènement du chômage moderne, ouvre une brèche : il contextualise la genèse du chômage dans le cadre d’un nouveau rapport au travail, marqué par la salarisation, c’est-à-dire une nouvelle relation de travail, subordonnée et continue. Le chômage constitue donc son pendant, sa privation, qui ne concerne plus seulement une main d’œuvre disponible et vacante, mais des professionnels, écartés de cette relation, victimes involontaires d’une interruption subie. Ainsi ne sont pas considérés chômeurs tous les travailleurs privés d’un contrat de travail. En effet, cette nouvelle conception émane d’une tendance générale à réprimer l’oisiveté, qui menace l’ordre et la société. L’enjeu consiste donc à distinguer les oisifs volontaires, les individus inaptes au travail, qui nécessitent une assistance, et les actifs occasionnellement privés de travail. C’est cette dernière catégorie que souhaite appréhender la qualification de « chômeurs » lors du recensement de 1896, des individus relativement stabilisés dans une profession, confrontés à des conjonctures économiques indépendantes de leur volonté « momentanément sans place ou sans emploi ». Le chômage constitue donc, une « construction historique et institutionnelle », qui recense, discrimine et codifie des situations comme relevant ou non du chômage. Il est « un objet pragmatique et opérationnel de gestion, de traitement et de contrôle social » appréhendé par de nouvelles institutions, notamment le Conseil Supérieur du travail, l’ancêtre du Ministère du Travail, et l’Office du travail qui préfigurent des institutions et organisations actuelles. En ce sens, le chômage professionnel s’apparente à ce que Mansfield nomme « une promotion sociale » pour ceux qui en sont privés et les plus méritants. Cette codification est assortie de protections statutaires : « [c]es derniers vont, à partir du début du xxe siècle, faire l’objet d’aides spécifiques (caisses de secours et actions de placement dans de nouveaux emplois) qui les constitueront comme chômeurs, involontaires et méritants». Néanmoins données statistiques et interprétations des réalités divergent et témoignent d’écarts importants. Ce n’est qu’entre la crise de 1930 et l’après seconde guerre mondiale, que le « chômage devient une catégorie pertinente pour interpréter et nommer la privation d’emploi, à mesure que le salariat se développe et que les politiques sociales se spécialisent . Leurs missions se concentrent sur la gestion administrative, la production de statistiques et le placement.
Cette rétrospective pointe d’ors et déjà, les ambivalences actuelles. La conception du chômage comme invention d’un phénomène oscille entre des pôles extrêmes, imprégnés de connotations et valeurs subjectives, qui ciblent davantage le comportement des chômeurs que les conjonctions économiques : promotion sociale, certes, pour les plus méritants, et ceux qui subissent une interruption de travail. Sa définition et sa gestion répondent à des enjeux économiques et sociétaux indépendants des individus.

Le chômage contemporain, trois définitions officielles

Le chômage bénéficie d’une définition pour tous les états membres de l’Organisation Internationale du Travail depuis 1954 : « Le chômage représente l’ensemble des personnes de 15 ans et plus, privées d’emploi et en recherchant un ». Cette définition permet donc d’appréhender le chômage dans son acception la plus simple : « il suffit de compter ceux qui « ne travaillent pas » alors qu’ils « veulent travailler ». Néanmoins, si cette définition existe, elle pose différents problèmes d’interprétation.
En France actuellement, trois organismes se proposent de dénombrer et mesurer le chômage, qu’il soit « spontané » dans le cadre du recensement de la population, « déduit » par le Bureau International du Travail, ou « enregistré » au sens du Pôle Emploi. Regardons de quoi il retourne pour chacun et les définitions sur lesquelles il s’entendent :

Subir la crise de statut

Si le poids des statistiques et des chiffres pèse économiquement aujourd’hui sur la société, la réalité des chômeurs est marquée par des expériences douloureuses voire dégradantes… En effet, c’est une situation de privation, qu’ils subissent, une « condition par défaut », « en creux », par « négation » a contrario d’autres inactifs, comme les étudiants ou les retraités, comme l’expliquent Didier Demazière et Maria-Térésa Pignoni,: « […] les chômeurs sont privés de statut ou d’identité juridique : ils conservent certes un nom et un sexe, une date et un lieu de naissance […] mais n’ont rien à inscrire à la rubrique « profession ». D’une certaine manière, les sans-emploi se trouvent ainsi hors-la-loi, en tout cas, hors de cette loi commune qui assigne à chacun une fonction dans la vie de la société»
« Le chômage, au fur et à mesure qu’il se pérennise, établit en effet, une cassure profonde dans la trajectoire biographique qui atteint tous les domaines de l’existence. […] « Certains effets produits par l’accoutumance du chômage sont quantifiables, tels que la dégradation sensible de l’état de santé, de l’alimentation, alors que d’autres, plus symboliques, illustrent bien l’état d’anomie engendrée par la privation d’emploi ». En effet, dans notre société contemporaine où le travail s’affirme comme système de valeurs hégémonique, le phénomène du chômage touche par privation les individus dans leur identité et impacte les rapports aux autres. Il atteint profondément l’estime de soi : « […] la position dans le système de production définit en grande partie la valeur sociale de ses membres.
En avoir ou en être privé impliquent des conséquences déterminantes pour la définition de la place occupée par les individus : avoir un emploi, c’est gagné sa vie, c’est occuper son temps, c’est produire des richesses, c’est apporter sa contribution à l’économie, en être privé, c’est voir ses revenus diminués, c’est perdre son temps, c’est être improductif, c’est être inutile. L’emploi procure valeur, reconnaissance, dignité, identité sociale, et le chômage apparaît, en creux, comme sans valeur, négation de toute reconnaissance, frappé d’indignité, destructeur de l’identité».
En effet, ils sont réduits au pseudo-statut de « travailleur virtuel, qui doit obtenir un emploi pour se voir reconnaître une place légitime parmi les membres de la société».
Néanmoins, si difficile et dévalorisante qu’elle soit, la situation de chômage n’est pas censée durer. Elle constitue un état provisoire de transition, un accident temporaire, une « maladie », non une « déficience ». Mais il faut toutefois, que le chômeur guérisse. Et il se « doit [d’] être laborieux parce que la société elle-même est laborieuse ». C’est la recherche d’emploi qui prévaut pour justifier d’un comportement conforme. En tant qu’obligation vis-à-vis des institutions, injonction inconsciente vis-à-vis de la société, mais aussi au cœur de toute relation quotidienne, car c’est aussi un moyen de « mettre à distance ce que la souffrance du chômage [a] de plus personnel », ce que tout un chacun ne veut pas endurer, en se projetant dans l’avenir. Et cette relation témoigne et répète « l’asymétrie des positions entre le détenteur d’un emploi et celui qui en est privé ». Didier Demazière et Maria-Téresa Pignoni l’assimilent à une « épreuve », [expression consacrée auparavant par Dominique Schnapper, qui,] pour être diversifiée, n’en n’est pas moins traumatisante », si totale, qu’ils parlent d’individus en « lambeaux».
Yolande Benarrosh repose ce problème par rapport à la norme sociétale : « C’est donc d’abord une norme qui est pointée à travers la question du travail aujourd’hui » et « […] si les chômeurs se sentent inutiles au monde, ce n’est pas parce que le travail serait une valeur universelle mais bien parce qu’il constitue cette norme, d’autant mieux intériorisée qu’elle conditionne la reconnaissance de soi par autrui et donc de soi par soi ».
Ce sont donc les représentations et individuelles et collectives qui sont à l’œuvre et contribuent à normaliser le travail pour tous et à dénigrer le chômage. Didier Demazière et Maria-Téresa Pignoni font un amer constat : pour étouffer l’angoisse collective du chômage, il revient au chômeur de rester demandeur d’emploi, mais de se démener, le plus silencieusement possible. Ainsi, ils peuvent « efface[r] le chômage, témoigne[r] que l’accès à l’emploi est possible, rassure[r] sur les solutions ». Tous deux analysent les représentations collectives selon deux postures différentes. La première, plutôt empathique et compassionnelle, consiste à disqualifier le demandeur d’emploi, car il nécessite secours. Sa situation de « chômage [qui le] déconnect[e] de l’emploi […] devient exclusion », marginalité et constitue une menace pour la cohésion sociale. La seconde, projette le chômeur comme « agent économique » qui va réunir des stratégies, adopter des comportements individuels pour s’extraire de cette situation. Dans cette perception plus « utilitariste », le chômage est strictement réduit à la cible de l’emploi. Entre le fer et l’enclume, on convient qu’il est difficile de se positionner, de se trouver une place, sa place dans la société, de se construire une identité ou un « itinéraire ». Dans le cas d’un chômage qui perdure, chronique, cette « identité négative », ce « sentiment exacerbé d’inutilité sociale », peut conduire à une forme d’« inertie fataliste », qui installent les individus dans cette situation de chômage, les amenant à revisiter leurs situations, à faire des compromis, ou à s’isoler davantage. En effet, plus le chômage perdure, plus l’identité se fracture, se délite, jusqu’à la crise du statut, ce que Dominique Schnapper appelle le vécu du « chômage total ».

Le vécu du chômage total

Dominique Schnapper s’est intéressée à l’épreuve du chômage dans les années quatre-vingts en France. Elle a identifié des postures, des vécus spécifiques, des paradigmes selon l’âge, le niveau de qualification et la catégorie socio-professionnelle des individus. Ils seront tour à tour utiliser pour analyser les expériences de chômeurs des personnes vulnérables interrogées.
Le chômage total correspond à l’expérience de « tous ceux auxquels un niveau culturel modeste et une faible insertion sociale rendent impossible de tirer parti de la période de chômage, de tous ceux pour lesquels le travail représente le mode privilégié ou unique de l’expression de soi dans la société » ; « [l]a crise de statut créée par le chômage et l’humiliation qui en résultent tiennent en effet à l’identification de l’honneur au travail -l’honneur fonde le système de valeurs des sociétés et des populations pauvres – et à une perception dichotomique qui oppose au monde du travail et des travailleurs celui des fainéants (terme qui revient aussi souvent que celui de « diminués », sans honneur et sans dignité – d’où le sentiment du chômeur d’être exclu et méprisé».
Les entretiens ont fait apparaître des traits spécifiques que décrits Dominique Schnapper, le sentiment d’inutilité, l’ennui et la désocialisation. Elle met l’accent sur « la désorganisation du temps quotidien : c’était le temps du travail qui définissait a contrario le temps libre et qui lui donnait son véritable sens. Depuis le chômage, le temps libre n’est plus libre pour aucune utilisation rationnelle ». Fadil l’évoque : « Une semaine que je suis au chômage et je m’ennuie » et Laurent surenchérit, s’adonnant aux jeux vidéo par désœuvrement, « faute d’avoir autre chose ». C’est aussi ce que Pierre nomme « l’âge sombre ». « La crise de statut et l’humiliation provoquées par le chômage, l’ennui qui en constitue la manifestation constante, la désocialisation, sont aggravées par l’absence d’intégration familiale ». C’est exactement ce qu’exprime Céline, bien qu’entourée par ses parents, et momentanément séparée de son conjoint, en déplacement à l’international : « J’ai bien galéré un moment. J’suis partie en dépression. Là je sortais plus trop de chez moi. […] J’avais des droits ARE mais je me sentais inutile chez moi. J’avais l’impression de servir à rien, d’être inutile.

Favoriser le travail par l’émiettement de l’emploi

L’émiettement de l’emploi ou « l’institutionnalisation du sous-emploi»

S’intéresser au rapport au travail, nécessite de s’entendre sur l’acception retenue et de prendre en compte ses multiples réalités, sa privation d’une part avec le chômage et d’autre part, d’appréhender l’emploi, c’est-à-dire sa « reconnaissance publique […] selon des règles qui garantissent […] un statut et une rémunération tarifée ». Commençons par définir l’emploi. Nous empruntons la définition générique suggérée par L Jacquot et B Balzani, générique : « On peut appeler forme d’emploi, l’ensemble des dispositions légales et conventionnelles et des pratiques plus ou moins réglementées qui donnent forme à la relation entre le salarié et l’employeur».

Le CDI, norme d’emploi ou mythe ?

Le sacre du fordisme a conduit progressivement à ériger le contrat à durée indéterminée comme norme de droit commun, comme archétype de toute forme d’emploi en France. Les dispositions juridiques légifèrent dans ce sens pour faire du CDI ou de l’emploi public, la forme d’emploi normal en juillet 1982. Les dés sont jetés : l’emploi français, c’est donc un contrat à durée indéterminée. Cette évolution n’est pas moindre. Elle tend à homogénéiser l’emploi et donc ses règles sur le territoire national et rompt avec des politiques d’emploi interne aux entreprises, aux secteurs, aux branches d’activités. De manière simplifiée et schématique, on assiste donc à un double phénomène réciproque dans la définition de l’emploi : le recul des entreprises compensé par l’« l’Etat de croissance » et la mise en place d’un système de protections des aléas – retraite, maladie, chômage, famille, accident de travail – par l’obligation des cotisations sociales entre employeurs et salariés.
Quelles spécificités revêt le sésame, le contrat à durée indéterminée ? L Jacquot et B Balzani en relève six, qu’ils synthétisent ainsi : « [e]n résumé, cet emploi typique se caractérise par la fermeté du lien salarial, la stabilité et les possibilités de carrière, l’unicité de l’employeur, le temps plein, la spécificité du lieu de travail, l’origine essentielle des ressources. Cet emploi s’enracine dans le statut de salarié et représente un mode de vie professionnel auquel sont attachés avantages et garanties ». Effectivement, les statistiques corroborent cette forme d’emploi : les contrats à durée indéterminée représente quatre-vingt-cinq pour cent des emplois en France. Ce n’est pas rien. Néanmoins, lorsqu’on considère les flux d’emplois créés, le constat est différent : si le CDI reste l’emploi le plus représentatif, plus de soixantedix pour cent des contrats signés en France sont des contrats à durée déterminée , ce qui correspond à quatre embauches sur cinq.L’INSEE reconnaît cette évolution des formes d’emploi puisqu’il regroupe sous les dénominations de « formes particulières d’emploi » ou « emplois précaires » « […] les statuts d’emploi qui ne sont pas des contrats à durée indéterminée. Ce sont l’intérim, les contrats à durée déterminée, l’apprentissage et les contrats aidés». L’enquête de la DARES sur l’évolution des métiers en France corrobore ce phénomène d’émiettement de l’emploi, par le développement, d’une part, des contrats en durée déterminée et des missions intérimaires et d’autre part, du temps partiel . L Jacquot et B Balzani évoquent deux inflexions, deux « logiques […] contre l’emploi », par des expressions qui se suffisent à elles-mêmes, une « tutélaire » par la définition d’exceptions, de dérogations aux règles, et l’autre « rentière » par la « financiarisation de l’économie ». Elles permettent de circonscrire ce « processus de déconstruction de « l’emploi à la française », cette « institutionnalisation du sous-emploi » qu’évoque Robert Castel.
Force est de constater, qu’il existe un marché du travail à deux vitesses, une majorité d’individus en CDI, et une minorité de personnes, qui passent et repassent a priori, sur des emplois atypiques : CDD, mission intérimaire, contrats aidés, contrats d’insertion… et temps partiel. On peut imaginer dès lors un certain nombre de combinaisons de l’une à l’autre de ces formes d’emploi. Qu’en est-il ? Qui est concerné par ses formes d’emplois ? Françoise Piotet l’affirme : ce sont évidemment les personnes les moins qualifiées, celles qui sont « sujet[te]s au chômage et à la pauvreté». Elle précise que cette précarité de l’emploi est particulièrement discriminante et que c’est tout un ensemble de mesures qui contribuent à favoriser le travail en précarisant l’emploi. C’est ainsi qu’« [u]ne part de plus en plus importante de salariés se trouve privée de la norme d’emploi salarié et des sécurités qui lui sont attachées. La précarité devient leur lot quotidien… Pire, elle n’est plus une situation transitoire pour certains mais la relation d’emploi normale dans la mesure où leur manque de qualification, par rapport aux exigences des organisations contemporaines rendent leur intégration et stabilité dans l’emploi typique, impossible. La flexibilisation de la relation d’emploi serait donc loin d’être créatrice d’emplois, elle semblerait même être un obstacle à la sécurisation… aussi, la flexisécurité à la française resterait-elle à inventer ! » Face à la condition salariale, s’est développée la condition précaire, « entendue comme un registre propre d’existence du salariat. Une précarité qui n’aurait plus rien d’exceptionnel ou de provisoire » analyse Robert Castel. La norme du CDI est donc révolue ; elle est supplantée par le développement de formes atypiques d’emploi. C’est ce qui contribue à institutionnaliser le sous-emploi.
A ce stade, on peut donc s’interroger sur ce que représente les formes d’emploi pour les populations vulnérables : leurs vécus, leurs représentations, mais aussi ce qu’ils projettent.

La projection dans l’emploi visé, comme processus biographique et réflexif : Place versus contrat ?

Si le postulat de Didier Demazière et Marc Zune dénote des pratiques habituelles, il est relativement simple : les incertitudes inhérentes à cette condition, les logiques de recherche d’emploi, les anticipations d’issues possibles, les révisions de ces définitions de situation […].
Les résultats soulignent combien le chômage expose aux incertitudes sur les formes d’emploi et plus largement de travail, et réorganise les rapports aux normes en matière professionnelle, et au delà réaménage ces normes ». Il s’agit donc de saisir au travers des expériences vécues, les « processus de réinterprétation du travail en tant que cible accessible pour les chômeurs ». Ce chapitre se concentre sur la distinction de deux cibles d’emploi, l’emploi typique, le CDI, dénommé « place » et les formes atypiques d’emploi, intitulé « contrat ».
Dans notre société post-moderne, où la précarité s’est installée et a ébranlé la norme d’un emploi fixe et stable que recherchent les chômeurs ?
Didier Demazière et Marc Zune présentent leurs concepts : le contrat, c’est un emploi sous conditions statutaires protectrices, le CDI temps plein. C’est une place sûre qui garantit la sécurité. Rechercher ce contrat, c’est investir le chômage conformément au cadre officiel, en repositionnant au centre des aspirations, la norme d’emploi. Ils estiment que cette recherche d’emploi est active, experte et qu’elle inspire et induit confiance pour les chômeurs. Mais notre échantillonnage déroge à cette perspective. Excepté Céline, qui manifeste effectivement un double enthousiasme, être embauchée en CDI et la perspective de ne plus avoir recherché d’emploi, « J’espère que j’aurai plus rien à rajouter maintenant sur mon curriculum vitae », les autres portent un autre regard sur leurs vécus : l’engagement les effraie. Ils expriment des craintes « l’impression d’être bloqué » (Fadil), « ne pas vouloir être enfermée dehors » (Myriem), ou le rejette : « Sûr. Jamais de CDI dans une boucherie. J’étais gérant dans une boucherie, je touchais bien. Mais j’ai arrêté » (Jaffar). A tel point que Myriem n’a signé son CDI, qu’au terme des délais légaux du code du travail : « Ce qui m’a décidée : plus la possibilité par rapport au temps au terme des dix-huit mois. J’ai signé avec la certitude que je pourrais faire une rupture conventionnelle. C’était temporaire : pas m’engager sur X années.
Au final, c’est le boulot, le plus long de ma vie ». Les personnes portent un regard distancié et critique : « Que des CDI merdiques. Trois heures par ci, trois heures par là. Le CDI, le problème c’est qu’aujourd’hui, il est utilisé comme acceptation de conditions inacceptables. Et si tu pars c’est pas possible t’as droit à rien au Pôle Emploi », explique Myriem. Alice en a fait l’expérience. Elle a signé un CDI dans une entreprise de nettoyage sur un temps de travail hebdomadaire de quatre heures : « Au début, c’était un remplacement et trois jours, après, ils m’appellent, c’était un CDI ». Néanmoins, le rêve du CDI comme garant de droits et d’une protection opère : « Ah bah oui contente, j’ai pensé pour le futur. Pour la retraite ». Si Fadil est plus ambivalent, et hésite entre viser cette cible ou s’en dissuader, Pierre quant à lui relativise et contextualise : « Encore maintenant, on est de moins en moins dans le concept des trente glorieuses du CDI à vie, où tu faisais la même boîte de l’âge jeune adulte à ta retraite ».
Les entretiens réalisés amènent à penser que la norme d’emploi du CDI, tel que définie par L Jacquot et B Balzani, de stabilité, autorisant une carrière, « représent[ant] pour l’individu le lieu le plus significatif de sa participation à la vie collective et de son identité sociale» correspond davantage à un mythe révolu. Peu des individus interrogés sont dupes et le visent. Mais ne s’agit-il pas déjà d’une forme d’internalisation de l’émiettement de l’emploi ? Elle pourrait correspondre à la double équation suivante : si le sous-emploi se « normalise » et constitue la base actuelle des embauches, il faut d’une part s’y habituer et en prendre son parti, en lui accordant coûte que coûte des compensations (primes de précarité, sentiment de liberté…) ; d’autre part, discréditer et suspecter indifféremment toute embauche en CDI, comme le suggère Myriem, c’est-à-dire, un travail dont il faut se méfier, dont l’intérêt se réduit exclusivement à la forme juridique ? Un travail dont on risque de désenchanter en fait ?
Alors si le CDI s’apparente aujourd’hui à une chimère, il semble aussi que sa recherche soit illusoire. Auquel cas que recherchent les personnes vulnérables au chômage ? Comme le CDI n’est pas une cible atteignable, les chômeurs réajustent en accédant à d’autres formes d’emploi : ils recherchent un emploi qui procurent des règles officielles, de la reconnaissance, et de la valorisation. Y correspondent les CDD, les missions intérimaires, les contrats d’insertion, qui constituent des solutions d’attente, dont on s’accommode, pour lesquelles on fait des concessions. C’est ce que Didier Demazière et Marc Zune appellent le contrat. Ils le présentent comme une transition pour améliorer sa situation et s’engager vers la sortie du chômage.

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Table des matières
Sommaire 
Introduction 
Partie 1 Qu’est-ce que le travail aujourd’hui ? Quelles dimensions recoupe-t-il ? 
I Le travail : de l’Antiquité à la société post-moderne
II Les pendants au travail : privation et forme
Partie 2 Dépasser l’aléatoire par les trajectoires individuelles du précariat à l’organisation d’activités au service des besoins et valeurs 
I De la précarité au précariat : D’un passage à un état, entre instabilité et permanence
II Survivre au chômage
III Créer des espaces de stabilité par l’organisation d’activités
Partie 3 L’épreuve de la discontinuité des politiques publiques 
I Les populations vulnérables
Au prisme des enjeux des politiques publiques de l’emploi
II Subir la prédominance d’une logique adaptative d’insertion
Conclusion 
Bibliographie
Table des matières 
Table des annexes 
Annexes

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