Démarche réflexive des enseignants et alternance des postures du chercheur/formateur/enseignant 

Pratique réflexive « en action » des enseignants

« Connaissez-vous des enseignants qui ne réfléchissent pas ? » Paquay, De Cock, et Wibault (2004) montrent que cette boutade est illustrative d’une mécompréhension de ce qu’est une démarche réflexive. Les auteurs précisent que le point de départ de la réflexion est toujours une pratique de l’acteur lui-même, nous tenterons d’en définir ses contours.

Le praticien réflexif

D’après Perrenoud (2008), la figure du praticien réflexif est une figure ancienne de la réflexion sur l’éducation et on peut identifier les bases chez Dewey notamment dans la notion de reflective action. Schön n’a fait que revitaliser et conceptualiser plus explicitement cette figure en proposant une épistémologie de la pratique, de la réflexion et de la connaissance dans l’action. Il rappelle que Schön a développé le paradigme du praticien réflexif dans les années 1970-1980 pour combattre l’illusion que la science offrait des connaissances suffisantes pour une action rationnelle. Cette forme de réalisme et d’humilité voulait montrer que le savoir établi par la recherche est nécessaire mais pas suffisant : une démarche réflexive explicite les savoir-faire et les fonctionnements mentaux requis par des situations complexes. Il souligne que :
(…) pour aller vers une véritable pratique réflexive, il faut que cette posture devienne quasi permanente, s’inscrive dans un rapport analytique à l’action qui devienne relativement indépendant des obstacles ou de déceptions. Une pratique réflexive suppose une posture, une forme d’identité, un habitus.(2008, p. 14)
Développer la posture réflexive c’est donc former l’habitus, l’installation de schèmes réflexifs. Perrenoud reprend le terme habitus de Bourdieu pour désigner notre système de pensée, de perception, d’évaluation et d’action « la grammaire génératrice » de nos pratiques.
L’action est donc au coeur de l’analyse et ce, pour une transformation ou du moins une modification des postures. C’est bien l’action qui est au coeur de l’analyse : ce paradigme est repris par Ria (2019) qui propose des clés d’intelligibilité du travail enseignant pour mieux le décrire, le déchiffrer et le comprendre. L’analyse de situations réelles de travail peut permettre tout à la fois une réflexion productive et constructive à partir de traces, jouant « le jeu de miroirs réfléchissants des situations scolaires » (2019, p. 10).

Le répertoire didactique des enseignants : une notion complexe

En didactique des langues, Causa (2012a) part de la notion de répertoire verbal introduite par Gumpertz (1989), reprend la notion d’habitus développé par Perrenoud (2008) et y joint les apports de Cicurel (2002) sur « les répertoires » répertoire linguistique, répertoire didactique et répertoire interactionnel. Elle va donc plus loin en amplifiant et complexifiant la notion de « répertoire didactique » en y incluant le statut sociolinguistique de l’enseignant ainsi que son système de RSC (Représentations, Croyances, Savoirs) selon la formule de Cambra Giné (2003) ainsi que ses modèles. Selon la définition de Causa et Cadet, le répertoire didactique c’est :
(…) l’ensemble des savoirs et des savoir-faire pédagogiques dont dispose l’enseignant pour transmettre la langue cible dans une situation d’enseignement/apprentissage donnée : il se forge à partir de modèles intériorisés et à partir de modèles proposés durant la formation et il se modifie tout au long de l’expérience enseignante. Nous pouvons en conséquence dire que le répertoire didactique se situe à mi-chemin entre les modèles et la pratique de classe « en temps réel » ; ces deux pôles interagissent constamment entre eux. En effet, si l’application d’un modèle théorique expérimenté en classe donne de bons résultats, il sera intégré dans le répertoire didactique. De même, si une activité non planifiée mise en place pour répondre aux besoins immédiats de la classe est jugée efficace par l’enseignant, elle sera retenue dans le répertoire didactique, et ainsi de suite. (Causa & Cadet, 2006, p. 56)
C’est bien dans tous les éléments de son répertoire didactique que l’enseignant va « piocher » pour mettre en place de manière consciente ou inconsciente ses actions. La construction de ce répertoire en formation est aussi complexe car elle demande d’articuler théorie et pratique et parallèlement donner les moyens pour une analyse de la pratique enseignante et sa verbalisation (Causa, 2012a). La biographie formative participe à la construction de ce répertoire didactique comme le soulignent Causa et Cadet (2006)

Outil de pratique réflexive : les biographies langagières

Il existe de nombreux outils qui accompagnent la mise en place d’une posture réflexive en formation : journaux de bord, observations de classes, stages pratiques, mémoires professionnels, bilans personnels, portfolios, entretiens d’explicitation …. À la fin des années 1970, avec les travaux de Pineau, les recherches sur les récits de vie ont émergé en France (Pineau & Le Grand, 2019). Elles visaient alors à articuler histoire de vie et formation des adultes. Les problématiques s’élargissent aujourd’hui aux questions des langues avec la biographie langagière (désormais BL) qui permet d’articuler « parcours de vie » et « parcours d’apprentissage ». La définition du Dictionnaire de didactique du français langue étrangère précise que :
(…) la biographie langagière d’une personne est l’ensemble des chemins linguistiques, plus ou moins longs et plus ou moins nombreux, qu’elle a parcourus et qui forment désormais son capital langagier ; elle est un être historique ayant traversé une ou plusieurs langues, maternelles ou étrangères, qui constituent un capital langagier sans cesse changeant. Ce sont, au total, les expériences linguistiques vécues et accumulées dans un ordre aléatoire, qui différencient chacun de chacun (Cuq, 2003, p. 36‑37)
Selon Bertaux (1997) le récit de vie est une forme narrative dans laquelle s’inscrivent d’autres formes de discours (descriptions, argumentations …). D’après Thamin et Simon (2009), les BL constituent un genre nouveau et prennent en compte l’environnement sociohistorique du biographe. Elles sont fortement liées en sociolinguistique à la notion de dynamique du répertoire verbal et constituent un lieu d’observation des usages des langues, perceptibles dans les discours.
En didactique des langues, l’approche biographique apparait comme un support d’une réflexivité formative et permet la conscientisation de sa compétence plurilingue. Galligani nous dit que « c’est un outil susceptible de produire et de modifier des schèmes de représentations en termes de manières d’être attenantes aux compétences professionnelles » (2014, p. 211). Elle ajoute que le travail biographique doit être accompagné d’une analyse des représentations et croyances, des pratiques données à voir sur et avec les langues. Perregaux (2006) précise qu’en milieu universitaire, les étudiants « les plus monolingues » ont pu réfléchir à leurs rapports aux langues/aux personnes qui les parlent et ont mis en évidence des ressources qu’ils voulaient ignorer ou qu’ils ne considéraient pas comme des connaissances linguistiques (jugées pas assez « normatives » ou « acceptables socialement » pour en faire état).
Les BL peuvent se faire sous différentes formes : l’écriture est la pratique la plus courante notamment en formation initiale. Il existe aussi les récits de vie oraux et on peut aussi se raconter à travers le théâtre ou même à partir de dessins. Par exemple, Bemporad et Vorger partent de dessins pour arriver à des entretiens permettant la mise en mot du travail réflexif :
(…) le dessin consiste à adopter une forme symbolico-iconique et métaphorique pouvant permettre aux individus de trouver un moyen de thématiser leurs rapports aux langues par le biais d’un détournement, en leur laissant plus de liberté pour dévoiler ce qu’ils veulent à travers une symbolisation choisie. (2014, p. 123)
Clerc-Conan (2018) approfondit la notion et définit la BL comme un levier de contre-transfert. Le décentrage opéré par l’objectivation de sa relation aux langues associé à la prise de conscience des rapports de domination qui se jouent avec les langues pourrait favoriser la prise de conscience de réactions transférentielles liées à son histoire personnelle. Cette histoire peut inclure des renoncements de transmission linguistique et l’acceptation de normes linguistiques dominantes. Cette conscientisation les amène à réinterroger les normes linguistiques et leurs réactions face à la diversité linguistique de leurs élèves.

Le travail réflexif sur les représentations

Cambra Giné définit la notion de représentation comme « un savoir qui est socioculturellement construit et qui tout à la fois a une fonction dans la construction de la réalité sociale » (2003, p. 211). Elle souligne son caractère social, son aspect à la fois éclectique et dynamique, sa nature inconsciente mais aussi des éléments conscients préélaborés et le lien entre les représentations des enseignants et leurs comportements. Causa souligne l’importance de faire prendre conscience aux enseignants de (…) la pluralité des langues, des répertoires plurilingues et de leur complexité – de prendre en compte les variations inter et intra culturelles liées aux différents usages et aux différents statuts de chaque langue – d’intégrer l’idée de « compétence partielle et plurielle. (Causa, 2012b, p. 65)

Les représentations liées à la compétence plurilingue

Comme nous l’avons vu plus haut, les variations de langues sont peu prises en compte dans les systèmes scolaires et notamment dans le contexte REP où les langues présentes sont méconnues et non valorisées voire pour certaines langues minorées. Auger nous dit que « le flou représentationnel qui recouvre le lien entre le nom, par exemple de la langue et la réalité linguistique même de ces langues enracine encore ce manque de légitimité et de sécurité linguistique » (2020, p. 136). Elle insiste sur le rôle des représentations qui peuvent être des freins à cette inclusion : elles peuvent être partagées par les élèves et leurs parents ainsi que par les enseignants. Considérer ces élèves issus de minorités linguistiques comme des « semi-lingues » participe à une conception restrictive du bi-plurilinguisme comme nous le précise Billiez (2011). Elle ajoute : « une telle conception rejoint des représentations très courantes sur les bilinguismes acquis en contextes de migration, considérés alors plutôt comme sources de handicaps linguistiques, et donc sociaux, que comme des atouts » (2011, p. 145).
Ces représentations sont liées aux idéologies du langage et des langues (désormais ILL). Ces ILL regroupent l’articulation entre les discours et les pratiques liées aux langues et à toute variété linguistique mais aussi aux pratiques langagières communicatives et interactionnelles (Costa et al., 2012). Elles tendent à minorer ou stigmatiser des variations inter et intralinguistiques et ne reconnaissent pas les compétences partielles de ces élèves. Elles peuvent aussi percevoir les alternances codiques comme des erreurs de langue d’où l’intérêt de didactiser ces alternances codiques comme le suggère Causa (2012a). Blanchet évoque l’idéologie de « la maîtrise de la langue » dans l’Éducation nationale qui fait référence à un français standardisé, scolaire et normalisé qui « engendre un appauvrissement de la langue, un amoindrissement des pratiques, des ressources et des potentiels linguistiques et des capacités relationnelles par l’école » (2016, p. 57).

Les croyances sur les langues

Les croyances sont des représentations subjectives (Cambra Giné, 2003), elles sont situées au niveau des individus elles ne sont pas soumises au consensus général contrairement aux représentations sociales. Behra et Macaire (2018) recensent plusieurs croyances des enseignants en formation initiale et notamment une vision additive des langues : les interactions sont négligées, la vision additive sépare les langues en les caractérisant chacune pour elle-même. Cette vision est en contradiction avec une vision compréhensive des langues qui organise dans un système dynamique et fluctuant comme nous l’avons plus haut.
Le mythe du locuteur idéal « natif » versus « non-natif » fait aussi partie des croyances des enseignants de langue. Behra (2019) fait une synthèse de ce qui a été écrit sur le sujet. Le mythe selon lequel le natif serait le modèle de la langue cible présente plusieurs écueils : on oublie que le locuteur est toujours natif d’une variété de langue, le locuteur-expert peut être pris dans une norme monolingue avec une position de domination. On retrouve ce mythe essentiellement dans l’enseignement d’une LVE mais concerne aussi les langues des élèves plurilingues. Causa (2012a) précise que le fait d’être spécialiste dans les langues étrangères signifie avant tout s’identifier en tant que « plurilingues » et accepter le « plurilinguisme » comme un phénomène courant et non exceptionnel. Cela signifie également accepter l’idée de compétence plurielle, partielle et fonctionnelle.

Les savoirs et les modèles

Au niveau des savoirs, Cambra Giné (2003) distingue les savoirs d’enseignement (perspective du professeur sur la matière à enseigner), des savoirs savants (élaborés par l’activité académique), des savoirs ordinaires (élaborés à partir des pratiques d’enseignement et d’apprentissage). Causa (2012a) ajoute que ces savoirs, qui sont élaborés au sein d’une communauté/profession/culture particulières sont soumis à une certaine interprétation. Tout en restant des connaissances scientifiques, ils ne sont pas complètement « neutres ».
Causa (2012a) développe l’idée de modèles en partant des modèles d’enseignement et des modèles d’apprentissage. Elle distingue les modèles de référence socioculturel aux modèles de référence scolaire. Les modèles socioculturels sont partagés par les membres d’une société, entre autres, les différentes branches professionnelles et donc aussi le métier d’enseignant. Les modèles de référence scolaire sont plus personnels et sont liés au fonctionnement scolaire auquel un individu a été confronté, ce sont des modèles forts dans la mesure où le métier d’enseignant est le modèle auquel les enseignants ont été le plus exposés au cours de leur vie : en tant qu’élèves, membres d’une société et ensuite en tant qu’enseignants eux-mêmes (Cadet, 2006). Causa montre aussi à quel point les modèles FLM interviennent dans la mise en place d’activités en classe et de la nécessaire conscientisation de ces modèles afin de déplacer et réajuster ses actions dans un contexte d’enseignement à des élèves plurilingues.

Démarches pour la mise en place d’une éducation plurilingue et interculturelle

Causa insiste (2012a) sur la nécessité de proposer une formation des enseignants moins morcelée et plus définie/affichée dans les programmes de formation. Cette formation doit faire le lien entre la notion de « plurilinguisme » et la modification des représentations sociales qui entravent/retardent son développement. Elle doit travailler sur trois niveaux : aller d’une appropriation globale de la notion (savoir et savoir-comprendre) à la transmission située en classe (savoir-faire) en passant par un travail de réflexion sur soi-même (savoir-être).

La prise de conscience de la notion générale de plurilinguisme comme valeur positive

Le premier niveau de formation correspond donc à la prise de conscience de la notion de plurilinguisme qui doit mener les enseignants à reconnaître comme positives plusieurs valeurs : la pluralité des langues et des cultures, les répertoires plurilingues et la variété/complexité de ces répertoires et leur caractère évolutif.
Clerc-Conan (2018) constate que les enseignants sont peu conscients des effets de l’imposition de normes linguistiques dominantes sur le développement langagier, la construction identitaire et l’estime de soi de leurs élèves. Ces normes linguistiques sont décrites par Blanchet (2016) et tendent à inculquer que seules les langues standardisées sont légitimes et celles qui n’ont pas de grammaire prescriptive ne sont pas de vraies langues (d’où les termes péjoratifs de « dialecte » ou « patois » pour les désigner). Elles sont liées aux ILL précédemment mentionnées et notamment, dans l’Éducation nationale, à l’idéologie de « la maîtrise de langue » évoquée par l’auteur. Les enjeux liés aux questions de langues sont méconnus et les activités de formation se doivent de développer des attitudes hospitalières envers la diversité linguistique.

Accompagnement et étayage dans cette prise de conscience

L’accompagnement nécessaire à cette démarche réflexive par celui qui accompagne peut être définie comme une interaction de tutelle selon la formule de Bruner (1983), c’est-à-dire une action d’étayage, de guidage, d’accompagnement et de médiation. L’apprentissage demande deux niveaux d’interactions : le rôle facilitateur dans l’apprentissage de la matière et celui de construction conjointe de cet apprentissage. Causa (2012a) précise que le rôle de l’expert est de mener graduellement, à travers la régulation, la correction et l’évaluation, l’enseignant à la construction d’un savoir-faire opérationnel et professionnel – le répertoire didactique.
Causa (2012b) ajoute que pour cette prise de conscience ait lieu, il faut la mise en place de Contextes Potentiellement Formatifs (désormais CPF) selon la formule de Cambra Giné (2007). En formation initiale, la mise en place de ces CPF passe par un travail ciblé, progressif, explicite et explicité – une alternance d’apports théoriques et d’action sur le terrain, des activités autobiographiques, des séances d’observation/réflexion/échange entre les pairs et les experts. Les enseignants doivent être partie prenante et non pas seulement observateurs ou observés pour élaborer des projets de recherche-action.
Cette première partie nous a permis de nous rendre compte de la nécessité d’une connaissance des principes théoriques dans une meilleure prise en compte des problématiques liées au plurilinguisme des élèves allophones. Ces problématiques s’inscrivent dans un cadre institutionnel et historique particulier qu’il faut connaître pour mieux comprendre les réalités et les enjeux dans les écoles. En outre, elles se réfèrent à des cadres notionnels en mouvement liés aux avancées de la recherche en sociolinguistique et didactique des langues. Ces cadres théoriques doivent pas être connus des formateurs et des enseignants, et de manière générale des professionnels de l’Éducation, pour permettre une réelle démarche réflexive et faire évoluer les représentations et les pratiques.
Associer les termes inclusion et Éveil aux langues n’est pas un pari aisé dans le cadre actuel de l’Éducation nationale tant les représentations et les idéologies monolingues sont installées. Cette situation impose une réflexion sur la démarche de recherche à adopter et la manière d’atteindre des objectifs de formation des enseignants. En outre, il a fallu situer cette démarche dans un contexte précis et ce, dans un souci d’efficacité et de prise en compte des besoins des enseignants. Allier démarche de recherche et démarche de formation dans le contexte d’une école dans laquelle je travaille m’a aussi permis d’endosser des postures différentes et un positionnement spécifique comme nous le verrons dans la partie suivante.

Le contexte et le projet Éveil aux langues

Nous avons vu plus haut que la culture du contexte est importante pour comprendre les freins ou au contraire les leviers pour une approche type Éveil aux langues dans une école. En outre, en Ingénierie de la formation, agir dans une organisation suppose de la connaître et de l’investiguer à partir d’un mandat qui s’inscrit généralement dans une dynamique propre à cette organisation. Le mandat est lié, dans ma recherche, aux besoins en formation qui sont apparus dans le cadre de mon accompagnement en tant qu’enseignante UPE2A. Je donnerai quelques éléments de compréhension de ce contexte sans entrer dans une description détaillée.

Un accompagnement dans une école de REP

Professeur des écoles depuis 2001, j’ai enseigné dans différents contextes et notamment en REP durant plusieurs années. Depuis 2018, j’enseigne en UPE2A sur deux écoles situées l’une en REP et l’autre en REP+ dans une agglomération de l’Est-lyonnais.

L’école et le dispositif UPE2A

L’école élémentaire dans laquelle a eu lieu cette recherche est une école à effectif élevé (14 classes) et se situe dans un quartier situé à la fois à Lyon et dans l’agglomération dans laquelle je travaille. Ce quartier est situé en REP et bénéficie d’un PRE27 (Projet de réussite Éducative) inscrit dans un projet de territoire. La population vivant dans le quartier est caractérisée par une forte présence de familles, notamment de familles atypiques (monoparentales ou plus de 3 enfants) avec le plus fort taux de Lyon. Par ailleurs, ce territoire concentre une population à faible revenu, fragile au regard des données de santé et principalement constituée de personnes sans diplôme, de niveau CAP/ BEP et de niveau BAC/Brevet professionnel (taux similaires pour ces trois niveaux).28Le projet de territoire de ce quartier souligne sa diversité sociale et culturelle et la nécessité de valoriser la diversité culturelle et promouvoir l’interculturalité.
En outre, le dispositif UPE2A est installé dans cette école depuis septembre 2016 et une enseignante UPE2A occupait le poste jusqu’en 2018 (elle avait une formation FLE et la certification FLS). Aucune formation du pôle allophone du CASNAV n’a été réalisée dans cette école auprès des enseignantes de classe ordinaire faute de temps et de moyens. C’est donc l’enseignante UPE2A qui est intervenue lors de conseils des maîtres pour installer le dispositif. Une première intervention a permis de fixer le cadre général de l’UPE2A et de l’allophonie, et la deuxième intervention de donner des pistes d’adaptation pour le travail en classe ainsi que le recours aux langues premières des élèves. À mon arrivée, j’ai poursuivi le travail d’accompagnement de l’équipe. Ayant le souci d’une prise en charge globale de l’élève allophone, il m’a semblé essentiel d’apporter à l’équipe pédagogique, des éléments culturels, historiques, linguistiques utiles pour l’aider à mieux connaître les EANA ainsi que des outils pédagogiques appropriés aux projets individualisés et faire le lien entre les attentes de l’École et celles des familles des EANA. Cet accompagnement a suscité des questionnements à l’origine de mon projet de recherche.

Observations et naissance du projet

Les élèves EANA fréquentent dans les classes ordinaires des élèves descendants de migrants majoritairement issus de familles arabophones et nés en France. Les relations de collaboration que j’ai pu entretenir avec toutes ces familles plurilingues m’ont permis de constater que les usages de la langue familiale varient beaucoup d’une famille à l’autre. Les langues de ces élèves plurilingues se côtoient mais sont rarement visibles à l’école, elles sont exclues des moments d’apprentissage. La non prise en compte des langues des élèves (EANA et descendants de migrants) dans l’espace scolaire peut s’expliquer par le statut de ces langues dans la société lié aux Idéologies du Langage et des Langues (Costa et al., 2012) évoquées dans la partie théorique. Pourtant, Moro (2012) nous dit que la reconnaissance des cultures plurielles des élèves descendants de migrants permettrait de résoudre des questions identitaires et de place de ces populations dans la société.

Projet initial

Ayant la volonté de valoriser ces différentes langues et réunir tous les élèves plurilingues autour d’un projet commun, l’Éveil aux langues s’est présenté comme être l’approche la plus appropriée. J’ai donc proposé à deux classes de CM2 de cette école de REP durant l’année scolaire 2018-2019 de réaliser des ateliers d’Éveil aux langues et ce,durant la Semaine des Langues. Les maîtresses ont accepté et nous avons utilisé les ressources tirées pour la plupart du projet québécois ELODIL (voir annexe 1, p 87).
Pour les élèves, cela a été un moment rare durant lequel certains enfants ont pu évoquer leurs compétences plurilingues pour la première fois à l’école ce qui révèle d’une portée symbolique forte. Ils ont été investis dans les ateliers et ont beaucoup appris sur les pratiques langagières des autres élèves. Les enseignantes ont pu vivre une relation positive avec les langues et tout particulièrement avec les langues de leurs élèves. Elles ont mieux cerné le répertoire verbal de leurs élèves et leur ont laissé un espace pour visibiliser leurs langues. Ces apports correspondent au premier niveau de l’éducation au plurilinguisme qu’évoque Causa sur la formation initiale des enseignants « niveau de prise de conscience de la notion générale de « plurilinguisme » – doit mener les futurs enseignants à reconnaître comme des valeurs positives la pluralité des langues/des cultures et les répertoires plurilingues » (2012b, p. 64). Elle évoque deux autres niveaux, le deuxième sera ciblé dans ma recherche.

Limites et perspectives

Certaines représentations qu’ont les enseignantes de la compétence plurilingue m’ont paru être des obstacles à la mise en place du projet. Par exemple, lorsque les compétences partielles des élèves ne sont pas reconnues, l’objectif de valorisation des répertoires plurilingues est compromis. En outre, d’autres représentations sur les élèves allophones et leur inclusion peuvent aussi entraver cette démarche, par exemple, une vision déficitaire des compétences des élèves allophones. Thamin (2015) fait bien la distinction entre difficultés d’apprentissage langagiers et processus normal d’acquisition d’une langue. Cette vision de la compétence plurilingue et interculturelle de leurs élèves est en partie expliquée par l’insécurité que vivent les enseignants et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’inclusion de leurs élèves allophones.
Il m’a paru essentiel de partir de ce que savent/se représentent les enseignantes pour modifier certaines idées reçues ou représentations. Thamin (2015) marque bien la nécessité d’intégrer à la formation initiale et continue des connaissances issues de la recherche et ajoute qu’il faut travailler avec les enseignants leurs représentations de ces élèves en situation de développement langagier bi-plurilingue. Dans le cadre de ce projet d’Éveil aux langues, j’ai voulu permettre à mes collègues d’adopter une posture réflexive qui permettrait de transformer leur posture professionnelle et ce, pour une plus grande ouverture au plurilinguisme. J’ai voulu partir de leurs représentations en ayant comme objectif d’atteindre le deuxième niveau de la formation des enseignants au plurilinguisme décrit par Causa :

Les enjeux et objectifs de ce projet

L’école ciblée par la recherche, a pu bénéficier d’un accompagnement des élèves allophones par l’enseignante UPE2A me précédant et moi-même, ce qui a permis une première sensibilisation des enseignantes à la valeur positive des langues de leurs élèves. Il s’agissait donc d’approfondir le travail et de travailler sur leurs représentations notamment sur les représentations obstacles (Forlot, 2009) des enseignantes tout en leur permettant de prendre conscience de leur propre compétence plurilingue.

Problématique et hypothèses

Mes différentes lectures et tâtonnements réflexifs m’ont amenée à formuler cette problématique : en quoi une démarche de formation « Éveil aux langues » à partir des représentations du bi-plurilinguisme d’enseignants du 1er degré en REP peut permettre un travail réflexif sur leur propre compétence plurilingue et par conséquent sur celles de leurs élèves ? Cette problématique de recherche implique deux hypothèses principales :
– Hypothèse 1 : Une démarche réflexive des enseignants est possible grâce à un processus de formation long et en plusieurs étapes : le recueil de données (leurs représentations et leurs biographies langagières) une formation collective, des ateliers d’éveil aux langues et une auto-confrontation.
– Hypothèse 2 : La prise de conscience individuelle d’une « compétence plurilingue » – doit permette aux futurs enseignants de se reconnaître en tant que « plurilingues » et les aider à prendre en compte les variations liées aux différents statuts et usages de la langue ainsi que l’idée d’une compétence partielle et plurielle.

Buts et objectifs du projet

Dans un souci d’efficacité et de planification de ce projet, il semblait important d’utiliser des outils en didactique des langues et en Ingénierie de la formation comme la définition de buts, objectifs généraux et opérationnels.

Moyens humains et financiers, risques et besoins

Il faut souligner que les moyens dont je disposais pour cette recherche dépendaient de la bonne volonté des enseignants et de l’autorisation de la directrice de l’école ainsi que de l’Inspectrice de circonscription. En effet, au niveau institutionnel, les enseignants disposent d’un temps d’animation pédagogique dans le cadre de leur temps de travail (18 heures) pour se former, ces temps sont fixés dans le PAF (Plan Académique de Formation) ou le PDF (Plan Départemental de Formation) à l’avance, et bien sûr la formation collective ne pouvait pas rentrer dans ce cadre. Tout le temps consacré aux entretiens compréhensifs et au remplissage des questionnaires a été réalisé sur le temps personnel de ces enseignantes. Les risques que le projet n’aboutisse pas était donc important.
Pour ma part, j’ai bénéficié d’un congé de formation durant cette année scolaire ce qui m’a permis de me libérer du temps pour cette recherche. Aucun moyen financier particulier n’a été nécessaire à part l’achat d’un enregistreur-audio pour les entretiens compréhensifs. Mes besoins étaient surtout liés à l’adhésion des enseignantes. En effet, seules des enseignantes convaincues de l’intérêt de ce projet pouvaient accepter d’y participer. J’ai dû donc adapter ma recherche aux contraintes du contexte comme nous le verrons dans les chapitres suivants.

Classes et enseignantes concernées par cette recherche

Ayant la volonté de travailler sur les représentations des enseignants et surtout de de manière qualitative, il semblait nécessaire de restreindre le champ d’action du projet à quelques classes et quelques enseignantes. En outre, dans un souci de faisabilité, je voulais proposer ce projet à des enseignants qui pouvaient l’intégrer dans leur programmation, je me suis donc tout naturellement tournée vers les classes concernées par un projet Tour du Monde.

Classes concernées et profil des enseignants

Le projet que nous avons mené concerne uniquement les CE1, une classe de CE1-CE2 et la classe UPE2A (voir annexe 2, p 89). Il faut souligner que ces classes étaient impliquées dans un projet Tour du monde initié par une des enseignantes avec qui j’avais organisé les ateliers d’Éveil aux langues (L6). Il s’agissait d’une familiarisation à différents pays du monde tout au long de l’année : un continent était mis à l’honneur à chaque période scolaire (voir annexe 3, p 95). Ce projet ne s’attachait donc pas particulièrement aux cultures et langues des élèves mais il a permis une sensibilisation à la diversité culturelle.
L’enseignante UPE2A (L3) est une enseignante de l’école qui a laissé sa classe de CP pour effectuer mon remplacement car, comme je l’ai déjà précisé, j’ai été placée en congé de formation durant l’année scolaire 2019-2020. Ayant comme projet professionnel d’enseigner en UPE2A et préparer la certification FLS, elle s’est proposée pour effectuer ce remplacement et a laissé sa classe de CP à une remplaçante. L’Inspectrice de circonscription a accepté cette proposition dans la mesure où ce type de poste demande une telle spécificité qu’elle préférait y placer une enseignante expérimentée avec un projet professionnel en adéquation avec la fonction. En effet, il n’est pas rare de voir nommés sur des remplacements de postes UPE2A des enseignants entrant dans le métier et qui se retrouvent en difficulté pour gérer la spécificité de ces publics et la nécessaire différenciation.
Deux enseignantes ont entre 20 et 30 ans (L5 et L6) et trois entre 30 et 45 ans (L2, L3, L4). Ces enseignantes ne sont pas de grandes débutantes dans le métier puisqu’elles ont au minimum 3 ans d’ancienneté dans l’Éducation nationale. Deux ont 15 ans d’ancienneté (L3 et L4) une 7 ans (L2) et les deux autres 3 ans d’ancienneté (L5 et L6). Cette répartition est donc assez équilibrée et permet d’avoir un panel intéressant pour notre analyse. Même si les enseignantes qui ont 15 ans d’expérience sont plus âgées que les autres, on ne peut pas toujours corréler l’âge et l’expérience de ces enseignantes. En effet, L5 a 3 ans d’expérience et se situe entre 30 et 40 ans et L2 qui a 7 ans d’expérience se situe entre 20 et 30 ans. Pour les moins expérimentées, il ne s’agit pas non plus d’une entrée dans le métier. Pour ces enseignantes qui exercent en REP, il est important de le souligner car elles ont dépassé le premier stade de familiarisation avec la spécificité du public et elles peuvent aussi compter sur l’aide d’enseignantes expérimentées.

Formation des enseignantes : polyvalence et horizons divers

Tout d’abord, il faut souligner que les enseignants du 1er degré sont polyvalents, non spécialistes des langues comme les enseignants du 2nd degré qui sont dévolus à une discipline voire deux. Ainsi, les profils des enseignantes sont très variés liés à la diversité de leurs formations universitaires. De plus, selon leur date d’entrée dans le métier elles n’ont pas reçu la même formation initiale pour devenir professeur des écoles. La réforme pour la mastérisation des enseignements a eu lieu en 2010 : les ESPE ont remplacé les IUFM (Institut de Formation des Maîtres). Parmi les enseignantes, deux d’entre elles ont obtenu le Master MEEF créé avec cette réforme (L5 et L6). Une d’entre elles (L2) a le Master MEFSC (Master Métiers de l’Enseignement de la Formation Scolaire et de la Culture) qui a été créé au tout début de cette réforme et remplacé ensuite par le master MEEF. Ces trois enseignantes ont obtenu : une Licence de Sciences du Langage, pour une autre un DUT de Techniques de commercialisation (pour cette dernière il s’agit d’une reconversion professionnelle) et la troisième une Licence de Sciences de l’Éducation. Les plus expérimentées (L3 et L4 : 15 ans) sont passées par le circuit des IUFM avec une Licence en psychologie pour L4 et une Licence d’Anglais ainsi qu’une Licence Sciences de l’Éducation pour L3.
En outre, deux enseignantes sur trois (L3 et L6) sont sensibilisées aux questions linguistiques du fait de leur formation. Aucune d’entre elles n’a obtenu la certification FLS mais L3 qui est remplaçante UPE2A est en train de la préparer durant le temps de cette recherche. Seule L6 a suivi une formation en FLE durant sa 1ère année et 2ème année de Licence en Sciences du langage. L3 L6 et L4 indiquent l’habilitation qu’elles ont obtenue en Anglais dans le cadre de l’Éducation nationale (pas L2 et L5). Les motivations des enseignantes à participer à ce projet sont donc aussi diverses et variées. Pour L3, il s’agit d’inscrire les élèves UPE2A dans un projet d’inclusion valorisant leurs langues mais aussi se préparer à la certification FLS. L6 a exprimé le souhait de continuer le travail amorcé l’année précédente avec les ateliers organisés conjointement avec moi. Les trois autres s’inscrivent dans le projet du CE1 et suivent la dynamique du groupe.

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Table des matières

Introduction 
Partie 1 – Cadre théorique 
CHAPITRE 1. LES ÉLÈVES ALLOPHONES NOUVELLEMENT ARRIVÉS ET LE DISPOSITIF UPE2A 
1. LES EANA : UNITÉ ET DIVERSITÉ
2. DES DISPOSITIFS FERMÉS AUX DISPOSITIFS OUVERTS VERS L’INCLUSION
3. L’INCLUSION DES ÉLÈVES ALLOPHONES EN REP
CHAPITRE 2. PLURILINGUISME À L’ÉCOLE FRANÇAISE 
1. LE PARADIGME PLURILINGUE : LE CONTEXTE FRANÇAIS, DÉFINITION ET ÉVOLUTION
2. LES APPROCHES PLURIELLES ET L’ÉVEIL AUX LANGUES DANS L’ENSEIGNEMENT DU 1ER DEGRÉ
3. ÉVEIL AUX LANGUES ET INCLUSION
CHAPITRE 3. RÉFLEXIVITÉ DES ENSEIGNANTS ET ÉDUCATION AU PLURILINGUISME 
1. PRATIQUE RÉFLEXIVE « EN ACTION » DES ENSEIGNANTS
2. LE TRAVAIL RÉFLEXIF SUR LES REPRÉSENTATIONS
3. DÉMARCHES POUR LA MISE EN PLACE D’UNE ÉDUCATION PLURILINGUE ET INTERCULTURELLE
Partie 2 – Le contexte et les modalités de recherche 
CHAPITRE 4. LE CONTEXTE ET LE PROJET ÉVEIL AUX LANGUES 
1. UN ACCOMPAGNEMENT DANS UNE ÉCOLE DE REP
2. LES ENJEUX ET OBJECTIFS DE CE PROJET
3. MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS, RISQUES ET BESOINS
4. CLASSES ET ENSEIGNANTES CONCERNÉES PAR CETTE RECHERCHE
CHAPITRE 5. LES MODALITÉS DE RECHERCHE 
1. DÉMARCHE DE RECHERCHE
2. DÉMARCHE RÉFLEXIVE DES ENSEIGNANTS ET ALTERNANCE DES POSTURES DU CHERCHEUR/FORMATEUR/ENSEIGNANT
3. DONNÉES RECUEILLIES ET MANQUANTES, VISÉE PROSPECTIVE
Partie 3 – Analyse des représentations et de la formation collective 
CHAPITRE 6. ANALYSE DES REPRÉSENTATIONS 
1. DISCORDANCE ENTRE LES DISCOURS ET LES PRATIQUES
2. COMPÉTENCE PLURILINGUE : LES REPRÉSENTATIONS ET CROYANCES
3. LES REPRÉSENTATIONS DES ÉLÈVES ALLOPHONES ET DE LEUR INCLUSION
4. L’INSÉCURITÉ DES ENSEIGNANTES FACE À UNE CERTAINE DIVERSITÉ LINGUISTIQUE
CHAPITRE 7. ANALYSE DE LA FORMATION COLLECTIVE 
1. CONCEPTION DE LA FORMATION
2. DÉROULEMENT DE LA FORMATION
3. ÉVALUATION DE LA FORMATION
CHAPITRE 8. ÉVOLUTION DES REPRÉSENTATIONS ET PERTINENCE DE LA DÉMARCHE RÉFLEXIVE 
1. LA MISE EN RELIEF DU RÉPERTOIRE VERBAL GRÂCE AUX BL
2. LA FORMATION COLLECTIVE : UNE DEUXIÈME ÉTAPE DANS LA MODIFICATION DES REPRÉSENTATIONS
Conclusion 
Bibliographie et sitographie 
Table des annexes
Table des matières 

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