Débat sur la question des êtres de là-bas de l’Antiquité à aujourd’hui

DÉBAT SUR LA QUESTION DES ÊTRES DE LA-BAS DE L’ANTIQUITÉ A AUJOURD’HUI

Comprendre qui sont « les êtres de là-bas », trancher entre l’hypothèse de leur transcendance et celle de leur identité astrale, ce serait un peu parvenir à déterminer si la cosmologie du DC recouvre parfaitement l’ensemble du réel ou bien si elle laisse ouverte la possibilité qu’il existe certaines réalités hypercosmiques.

L’article de Fabienne Baghdassarian intitulé « Aristote, De Caelo I, 9 : l’identité des «êtres de là-bas » s’intéresse à la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I, 9, (279a18) . Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie « les de là-bas » ou encore « les êtres, les choses de là-bas ». Fabienne Baghdassarian affirme qu’il existe peu de textes dans le corpus aristotélicien à propos de réalités qui se situeraient au-delà du ciel. La question qui l’intéresse dés lors est la suivante: ce passage du De Caelo I, 9 est-il l’un de ceux qui attestent l’existence de réalités qui transcenderaient l’ordre céleste ? Les takei renverraient-ils à ces réalités extra-mondaines ? Fabienne Baghdassarian s’emploie alors à analyser le texte et à examiner les différentes positions dans l’intérêt de faire l’état des lieux des interprétations concernant la question des êtres de là-bas. De plus, elle expose en quelques lignes l’importance du problème particulier qui nous intéresse, à savoir celui de la référence aux « êtres de là-bas », et l’importance décisive qu’il a, au regard de la cosmologie du De Caelo. En effet, le ciel est défini de trois manières par Aristote , et l’une de ces manières est la suivante : « nous avons coutume d’appeler « ciel » la totalité ou le Tout ». S’il n’y a rien en dehors du ciel, cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas référence à quelque chose en dehors du ciel, et dans un second temps, que la cosmologie aristotélicienne englobe la totalité du réel et de ce qui existe, puisque le ciel est compris comme ce qui enveloppe la totalité et que la cosmologie est l’étude du ciel. En d’autres termes, si le takei ne renvoie pas à quelque chose de transcendant au ciel, alors rien n’échappe à celui-ci et la cosmologie aristotélicienne, comme étude du Tout, couvre l’ensemble du réel.

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la théorie de la transcendance du takei. Il lui semble tout naturel, à la lecture des indices textuelles selon lesquels les takei se trouvent au-delà de la translation la plus extérieure, de le comprendre comme étant une référence à des êtres transcendant l’ordre cosmique. Néanmoins, cette impression peut être atténuée aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons, tel que ceux d’Alexandre d’Aphrodise, de Moraux ou encore de Mugnier, dans le développement de notre propos. L’atténuation de cette première impression – c’est-à-dire naturelle d’une référence à un être se trouvant au-delà du ciel – permet à Fabienne Baghdassarian de rendre compte d’un problème complexe qui oppose la lettre même du texte à la structure argumentative du texte. C’est en ce sens qu’elle affirme que l’étude approfondie de ce texte met dos à dos le contenu du texte avec sa structure générale sans réussir à les accorder. Elle affirme que si d’un côté, à la lecture de ce passage, il y a une inclinaison première et naturelle en faveur de la théorie de la transcendance du takei, la structure générale du texte laisse à penser que cette théorie n’est pas si évidente dans la mesure où il est finalement question, après l‘énoncé de l’existence d’êtres se situant au-delà du ciel, du mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle. Ces deux objets différents du De Caelo I, 9, nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interprétatives possibles dans laquelle est emportée l’interprétation de la notion de takei. En effet, il existe deux lignes interprétatives qui s’opposent sur la question de l’identité des êtres de là-bas. D’un côté, en faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius, Pellegrin, Solmsen ; ceux-ci ont tendance à reconnaître la théorie du Premier Moteur Immobile dans ce texte. D’un autre coté, en faveur de la référence céleste, nous trouvons Alexandre d’Aphrodise, Moraux, Mugnier. Nous avons choisi de traiter des deux auteurs antiques qui sont à l’origine des deux grandes interprétations qui s’affrontent et de quatre auteurs d’aujourd’hui pour les opposer de manière thématique sur les questions suivantes : la discontinuité du passage et l’argument du lieu. Mais nous ne nous arrêterons pas à ces oppositions thématiques et proposerons des alternatives à cette logique binaire, notamment avec l’interprétation originale de Pépin et sa théorie de l’éther hypercosmique.

Le De Caelo I, 9 : problèmes, lectures et analyses

Aristote et le ciel 

Les trois sens du mot ciel

Le traité Du Ciel d’Aristote est une œuvre emblématique du corpus aristotélicien et occupe la seconde place, après la Physique, dans l’ensemble des ouvrages aristotéliciens de science physique. Ce traité, après la mort d’Aristote, a véhiculé une image particulière du cosmos qui est la sienne jusqu’à l’arrivée des nouvelles théories cosmologiques et scientifiques de la Renaissance. Une réflexion est possible à partir même du titre de cette œuvre. Il est premièrement important de noter que les références au De Caelo sont très peu nombreuses dans le corpus d’Aristote, mais qu’en plus de cela, il ne s’y réfère jamais via cette appellation. Nous sommes alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre individu qu’Aristote. Il apparaît comme évident, à première vue, que le ciel est l’objet de ce traité de physique.

Nous avons donc traité plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres qui sont transportés à l’intérieur de lui, de leurs composantes et de leurs qualités naturelles et, en outre, de leur caractère ingénérable et incorruptible.

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune ; c’est-à-dire le monde céleste et divin. Quant aux deux derniers livres, ils s’intéressent plutôt au monde sublunaire ou monde en dessous de la Lune ; c’est-à-dire le monde physique qui est le nôtre et est explicable par les quatre éléments naturels que sont le feu, l’air, l’eau et la terre qui le constituent. Nous pouvons alors imaginer, grâce à ces informations, que le traité Du ciel tel que nous l’avons entre les mains aujourd’hui, est une recomposition de deux traités distincts ; l’un portant sur le monde supralunaire, l’autre portant sur le monde sublunaire. Ce paragraphe d’introduction permet d’affirmer que les deux premiers livres sont à distinguer des deux derniers. Mais ce problème n’est pas notre priorité. Aussi, nous nous intéresserons principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet. Ce qu’on appellera comme étant la « première partie » du traité du Ciel sera l’ensemble des livres I et II et seront ceux qui feront, en partie, l’objet et le fondement de notre réflexion et de ce mémoire.

Toutefois, nous nous devons d’être précis dans notre lecture de ce début du troisième livre. En effet, il est affirmé ici que la première partie de l’œuvre portait sur « le premier ciel et ses parties… » . Mais qu’est-ce que « le premier ciel » ? Et s’il y a un premier ciel, y en a-til un deuxième ? Un troisième ? Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord souligner la méthode explicative qu’utilise Aristote. En effet, Aristote accorde une importance capitale à la définition des termes ; le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se place quand il parle. Lorsqu’il utilise un terme ambigu, il se doit de lever l’ambiguïté qui règne en définissant les termes de son propos. C’est ainsi que l’on trouve, dans le chapitre 9 du livre I une explication des sens du mot « ciel » comme moment de clarification de ce dont on parle d’une part, et d’autre part comme moment de l’explicitation de la méthode aristotélicienne :

Disons d’abord ce que nous entendons par « ciel » et combien de sens nous donnons à ce mot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair. En un sens, on appelle « ciel » la substance de la dernière circonférence du Tout, c’est-à-dire le corps naturel qui est sur la dernière circonférence du Tout. Car nous avons coutume de nommer « ciel » l’extrémité – ce qui est le plus haut –, dans laquelle réside tout ce qui est divin.

Le corps du ciel : l’élément divin et le mouvement du corps céleste

Maintenant que nous avons vu, par le biais du De Caelo I, 9, les trois sens qu’Aristote accorde au mot « ciel », nous pouvons nous intéresser à l’essence même du ciel et à celle des parties qui le composent. En plus de chercher à comprendre de quoi le ciel est constitué, nous reviendrons sur l’élément qu’est l’éther invoqué plus haut et sur le mouvement naturel des corps célestes.

De Caelo I, 2 est une tentative argumentée de montrer que le corps qui se meut en cercle est différent d’un autre type de corps : le corps dont le mouvement est rectiligne. Aristote, dans ce chapitre du De Caelo affirme premièrement que tous les corps naturels, c’est-à-dire les corps qui sont faits d’éléments naturels, peuvent se mouvoir selon le lieu et que ce mouvement selon le lieu s’appelle le « transport ». Ce transport se fait soit de manière rectiligne, soit de manière circulaire ou alors de ces deux façons à la fois.

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport), est soit rectiligne, soit circulaire, soit un mélange des deux. Car ce sont là les deux formes simples. […]. Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre, le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas.

Il n’existe ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples. Aristote appelle les corps simples les éléments naturels. Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou circulaires. Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit vers le centre, soit à partir du centre. Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui a un mouvement autour du centre. Mais quels sont les arguments précis qui défendent que le corps mû en cercle est simple ? Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle ? Telles sont les questions auxquelles nous allons répondre ici dans le but de comprendre la nature du corps simple mû en cercle puis de saisir sa composition.

Nous l’avons dit, le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature. Le feu aura donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le centre. Selon le cosmos aristotélicien et la physique aristotélicienne, le corps qui est composé de l’élément naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel précis. Il est important de préciser que chaque élément possède un lieu naturel vers lequel il tend naturellement à être et à rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de manière contrenaturelle. La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans l’explication du mouvement chez Aristote ; le corps composé de terre sera le plus pesant et son lieu naturel sera le bas, ainsi, il aura un mouvement rectiligne vers le centre. Le corps composé de feu, quant à lui et parce que le feu est l’élément qui n’a aucune pesanteur, a un mouvement rectiligne qui part du centre et va vers le haut. On comprend alors que ce qui détermine le mouvement du corps simple qui se meut de manière rectiligne est ce qui le compose, c’est-àdire sa nature. Il en va de même pour le corps simple qui se meut en cercle. Mais avant d’y venir, nous nous devons premièrement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un corps simple et qu’il ne saurait être autre chose. Premièrement, il s’agit pour Aristote de montrer que le corps mû en cercle est simple puisque s’il existe un mouvement simple, que le mouvement en cercle soit simple – mouvement simple car les mouvements circulaire et rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples, les autres étant mixtes : rectilignes et circulaires² –, que le mouvement d’un corps simple soit simple et que le mouvement simple soit celui d’un corps simple, alors il est nécessaire que le corps qui est mû en cercle selon la nature soit un corps simple. Il ne s’agit pas ici de prouver d’ores et déjà qu’il existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote, mais simplement de montrer que, théoriquement, si un corps qui se meut en cercle existe, alors il sera nécessairement un corps simple. Cet argument en faveur de l’existence d’un corps qui se meut en cercle n’est pas le seul ; chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en mouvement du fait même de sa nature. Mais s’il a un lieu naturel par nature, cela signifie qu’il a aussi un lieu qui lui est contre-nature. Aristote a montré que s’il existait un corps mû en cercle, celui-ci était nécessairement simple. Si un corps simple a un mouvement en cercle et qu’on postule que ce mouvement circulaire est simple d’une part, mais d’autre part contrenature à ce corps, dans ce cas là, cela signifie qu’il aura un mouvement autre qui lui sera naturel. Dans la conception aristotélicienne de la physique, les corps sont mus en fonction de ce qui les compose, nous l’avons vu, et ce qui compose les corps physiques sont les éléments : le feu, la terre, l’eau et l’air. Si un corps simple est un corps qui est mû par la nature de ce qui le compose, alors le corps sera mû selon qu’il est composé de feu ou de terre. Nous avons vu que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement naturel rectiligne qui va vers le centre ; donc si le feu ou la terre est mû en cercle, ce sera contre nature. Le problème qui se pose est le suivant :

Mais une chose unique a un contraire unique, et les mouvements vers le haut et vers le bas sont contraires l’un de l’autre.

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1 : Le De Caelo I, 9 : problèmes, lectures et analyses
1.1 Aristote et le ciel
1.1.1 Les trois sens du mot ciel
1.1.2 Le corps du ciel : l’élément divin et le mouvement du corps céleste
1.2 Platonisme et aristotélisme : sur l’unicité du monde. Du Timée au De Caelo I, 9
1.2.1 L’unicité du monde dans le Timée de Platon
1.2.2 Aristote en De Caelo I, 9 : analyse des arguments en faveur de la pluralité des cieux pour défendre la théorie platonicienne de l’unicité du monde
1.2.3 Aristote en De Caelo I, 9 : arguments aristotéliciens en faveur de l’unicité du ciel
Chapitre 2 : Débat sur la question des êtres de « là-bas » durant l’Antiquité. Aristote à Simplicius
2.1. Compréhension antique du « τἀκεῖ » ; du De Caelo au commentaire de Simplicius
2.1.1. τἀκεῖ, De Caelo I, 9, 279a15-b3
2.2.2 Le commentaire perdu d’Alexandre : possibles réponses au problème du « τἀκεῖ »
2.1.3. Compréhension et hypothèse de Simplicius sur les êtres de là-bas
Chapitre 3 : Interprétations modernes du De Caelo I, 9. La question du τἀκεῖ : premier moteur, réalités hyper-cosmiques ou sphère des fixes, réalités célestes ?
3.1. Le problème de la continuité argumentative du Livre I, 9
3.1.1. La discontinuité du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
3.1.2. La continuité du sujet en faveur des réalités célestes
3.2. Le lieu des corps célestes ; l’absence de lieu du τἀκεῖ
3.2.1. L’absence de lieu en faveur de la référence céleste
3.2.2. L’absence de lieu comme caractéristique d’un être transcendant le ciel
3.3. Dépassement des deux alternatives traditionnelles de l’interprétation du takei
3.3.1. L’éther hypercosmique de Pépin
3. 3. 2. La théorie des Moteurs Immobiles : une variante originale de la référence au Premier Moteur Immobile
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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