De l’écologie des communautés à l’écologie fonctionnelle

Contexte théorique : de l’écologie des communautés à l’écologie fonctionnelle 

De l’écologie des communautés

L’écologie compte de nombreuses sous-disciplines et parmi celles-ci figure l’écologie des communautés (Cody & Diamond, 1975). Elle définit son objet d’étude comme un ensemble de populations d’espèces différentes (on parle aussi d’un « assemblage d’espèces »), plus ou moins proches d’un point de vue taxonomique, et occupant un même habitat ou une même entité géographique. L’écologie des communautés s’attache entre-autres à identifier les processus qui déterminent la structure et la composition d’un assemblage d’espèces donné dans son environnement. La structure fait classiquement référence à la diversité (ex., nombre d’espèces ou richesse spécifique) tandis que la composition détaille l’identité des espèces présentes et leur abondance relative. Une communauté observée sur un site donné résulte d’un ensemble de facteurs liés à la niche écologique (filtrage environnemental, incluant les processus anthropiques), aux interactions biotiques et à des processus neutres (dispersion, spéciation, extinctions) (Cody & Diamond, 1975; Hubbell, 2001; Kraft et al., 2015a). Les influences relatives de ces processus sur les communautés s’observent à différentes échelles spatiales et temporelles (Ricklefs, 1987; Rosenzweig, 1995). Par exemple, les facteurs climatiques prévalent à échelle régionale et continentale (Woodward & Diament, 1991). Plus localement, la structure physique de l’environnement et l’hétérogénéité des habitats conditionnent la disponibilité des ressources et la diversité des conditions microclimatiques, affectant directement la répartition spatiale des populations et la diversité des assemblages (Suggitt et al., 2011; Stein et al., 2014). Interviennent également les interactions biotiques, telles que la compétition pour la ressource ou l’espace, et de manière générale l’ensemble des interactions interspécifiques et intraspécifiques (Cody & Diamond, 1975) . De nos jours, les dynamiques et les structures paysagères sont largement façonnées par l’utilisation croissante des terres par l’homme pour l’agriculture et l’urbanisation (Ellis, 2015). Ces deux modes d’usage de l’espace peuvent conduire localement à une diminution, fragmentation et / ou homogénéisation des ressources et des habitats disponibles (McLaughlin & Mineau, 1995; Grimm et al., 2008). Aujourd’hui, pour comprendre la façon dont les communautés biologiques sont structurées dans l’espace et le temps, l’écologue ne peut soustraire l’impact des activités humaines de son équation.

Diversité des espèces, diversité des traits

Pour étudier les réponses de communautés à divers gradients, l’approche classique consiste à mesurer la diversité taxonomique des assemblages, basée sur l’identité des espèces, et à observer sa variation. Il existe divers indices de diversité taxonomique qui, en plus du simple dénombrement des espèces (richesse spécifique), peuvent prendre en compte leur abondance relative. Ceux-ci permettent notamment d’évaluer si un assemblage est dominé par un faible nombre d’espèces ou, au contraire, si les différentes espèces sont présentes en abondances similaires (pour plus d’informations voir Maurer & McGill (2011)). Le premier cas illustrerait, par exemple, un contexte de ressources particulièrement limitées où les espèces les plus compétitives (ayant la capacité d’atteindre et d’exploiter rapidement des ressources peu abondantes ou peu diversifiées) seraient les plus abondantes. Cependant, les indices de diversité taxonomique constituent des indicateurs limités car ils ne tiennent pas compte des différences biologiques et écologiques entre les espèces qui constituent un assemblage (Swenson, 2011). Pour ce faire, une autre approche consiste à quantifier la composition et la richesse en groupes fonctionnels au sein des communautés. La définition d’un groupe fonctionnel est très proche du concept de « guilde » proposé pour la première fois par Root (1967). Sont ainsi classées au sein d’un même groupe les espèces similaires en termes de caractéristiques morphologiques (ex., taille similaire), comportementales (ex., même mode de déplacement), phénologiques (ex., même période d’activité journalière) et écologiques (ex., même stratégie d’utilisation des ressources) (Cummins, 1974; Körner, 1993; Lavorel et al., 1997; Wilson, 1999). Chez les animaux, un exemple bien connu est celui des lombrics, habituellement classés en quatre groupes fonctionnels – endogés, épigés, anéciques, et hydrophiles – selon leur taille, la strate du sol dans laquelle ils évoluent, la profondeur de leurs galeries et enfin leur alimentation (Bouché, 1971; Lavelle, 1983). La composition en groupes fonctionnels est basée sur l’identité des groupes présents (ex., Quels groupes sont dominants dans un assemblage donné ?), tandis que la richesse détermine le nombre de groupes distincts au sein d’une communauté. Cette approche a cependant plusieurs limites (notamment résumées par Petchey et al. (2009)). Entre autres, l’assignation d’une espèce à un groupe donné ne prend pas en compte la variabilité des organismes au sein de ce groupe. Parce-que les stratégies écologiques au sein d’une communauté forment des continuums, cela complique la délimitation de groupes bien délimités (McGill et al., 2006). Au sein d’un même groupe fonctionnel, les espèces sont également considérées comme identiques en dépit des différences écologiques interspécifiques. Et enfin, la richesse en groupes fonctionnels d’un assemblage dépendra du nombre de groupes que l’on aura défini a priori de façon arbitraire (Petchey et al., 2009). Malgré ces limites, les groupes fonctionnels apportent une information écologique pertinente et ceux-ci sont souvent utilisés, en complément de l’approche taxonomique, afin de préciser les mécanismes structurant les communautés (Jankielsohn et al., 2001; Sattler et al., 2010; Ford et al., 2013; Barton et al., 2019).

La question est donc de trouver une mesure de la diversité des stratégies écologiques des espèces, tout en prenant en compte la variabilité entre les différentes espèces d’une communauté. Les caractéristiques morphologiques, comportementales, phénologiques et écologiques utilisées pour définir des groupes fonctionnels forment un ensemble de traits. Ces traits, quantités à l’échelle d’un individu, sont dits « fonctionnels » lorsqu’il affectent sa performance (« fitness ») ( Violle et al., 2007; Pey et al., 2014). L’hypothèse dominante est que la capacité des individus d’une espèce à s’établir et à persister sous l’effet de divers processus dépend de leurs combinaisons de traits (Keddy, 1992) (Figure 1). La caractérisation de ces traits permet de décrire les différences entre individus en termes de stratégie démographique, d’exploitation des ressources, ainsi que leur place au sein des réseaux écologiques. Parce qu’ils représentent un ensemble de fonctions pour les organismes, mais aussi leurs réponses aux facteurs environnementaux et une estimation de leur degré de compétitivité, les traits fonctionnels peuvent être utilisés comme un indicateur de la niche des espèces (Ricklefs & Travis, 1980; Kraft et al., 2008; Kraft et al., 2015b; Blonder, 2018).

L’utilisation des traits fonctionnels pour comprendre les mécanismes qui structurent les assemblages biologiques constitue aujourd’hui un des fondements de l’écologie des communautés (Kearney & Porter, 2006; McGill et al., 2006; Mouillot et al., 2013). En pratique, une première approche consiste à mesurer la distribution des valeurs de différents traits dans les communautés (Díaz et al., 2001) : on parle de composition fonctionnelle. Pour un trait donné, le calcul de sa moyenne dans une communauté permet de mettre en évidence les valeurs de ce trait qui dominent l’assemblage et donc les stratégies écologiques sélectionnées le long de gradients environnementaux (Lavorel et al., 2008) (Figure 2). Par exemple, le passage d’une communauté dominée par des espèces animales de petite taille à des espèces de grande taille peut indiquer un changement dans les stratégies démographiques sélectionnées, les espèces de petite taille étant généralement plus fécondes et colonisatrices que les grandes (Kalinkat et al., 2015; Famoso et al., 2018). La variance d’un trait apporte une information complémentaire : il quantifie sa variabilité au sein d’un assemblage. Théoriquement, un filtrage environnemental (ex., pression anthropique élevée) sélectionnera une amplitude réduite des valeurs de traits qui permettent aux organismes de persister.

Traits de réponse et traits d’effet

L’ensemble des outils dont nous disposons pour caractériser les assemblages biologiques offre un éventail de méthodes pour étudier l’effet des gradients écologiques et des changements environnementaux. La question est d’évaluer, en retour, les conséquences de ces processus sur le fonctionnement des écosystèmes. Dans ce cadre, les traits fonctionnels constituent à nouveau une approche pertinente. Quelle place les espèces occupent-elles au sein des réseaux trophiques? Comment exploitent-elles les ressources ? Outre leur rôle dans la réponse des espèces aux pressions de l’environnement, les traits fonctionnels peuvent également permettre de lier les communautés au fonctionnement de l’écosystème. C’est sur cette base qu’ont été développés les concepts de traits « de réponse » (Keddy, 1992) et traits « d’effet » (Chapin III et al., 2000) (Figure 4).

Le fonctionnement d’un écosystème donné est théoriquement la résultante de plusieurs filtrages hiérarchiques qui, après avoir sélectionné les individus possédant les traits de réponse appropriés, ont conduit en une communauté d’espèces avec une certaine composition et diversité fonctionnelle (Figure 1). Sur cette base, Lavorel & Garnier (2002) ont émis l’hypothèse que les mêmes traits peuvent simultanément expliquer les réponses des espèces aux facteurs biotiques et abiotiques, ainsi que leurs effets sur l’écosystème (Figure 4). Ce cadre de travail s’est largement appuyé sur les plantes pour lesquelles nous disposons aujourd’hui d’un corpus de connaissances important quant à la signification fonctionnelle de leurs traits, tant du point de vue des traits de réponse que d’effet (Díaz et al., 2016). Chez les animaux, les exemples sont plus rares du fait d’une certaine difficulté pour relier les différents traits d’intérêt aux fonctions qu’ils assument . L’étude conduite par Larsen et al. (2005) chez les coléoptères coprophages d’Amérique tropicale fournit cependant un exemple démonstratif. Ces auteurs ont démontré que les coléoptères coprophages de grande taille sont plus enclins à disparaitre face à la fragmentation forestière. La taille reflète donc ici la capacité de ces insectes à faire face à des changements dans la disponibilité des ressources, celle-ci étant plus faible dans les milieux très fragmentés. Parallèlement, d’autres auteurs ont établi une corrélation positive entre la taille des coléoptères et la quantité de matière fécale dégradée (Nervo et al., 2014). Le changement observé dans la composition fonctionnelle des assemblages n’est donc pas sans conséquence : la quantité de matière fécale dégradée diminue lorsque le niveau de fragmentation augmente. Cette étude permet donc d’établir, à partir d’un même trait (la taille), un lien direct entre un processus (la fragmentation) structurant l’assemblage des coléoptères coprophages et le fonctionnement de l’écosystème (ici, la dégradation des excréments).

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Table des matières

Introduction
1. Contexte théorique : de l’écologie des communautés à l’écologie fonctionnelle
1.1. De l’écologie des communautés
1.2. Diversité des espèces, diversité des traits
1.3. Traits de réponse et traits d’effet
1.4. Diversité et fonctionnement des écosystèmes
2. Contexte appliqué : pastoralisme et biodiversité
2.1. Le pastoralisme : évolution et enjeux
2.2. Influence de la pression de pâturage sur les écosystèmes et les communautés biologiques
3. Les coléoptères coprophages : associés intimes des pâturages
3.1. De l’écologie générale des bousiers
3.2. Rôles fonctionnels des coléoptères coprophages
3.3. Des cortèges européens dépendants de l’élevage
4. Genèse du projet de thèse et problématique
Méthodologie
1. Des aires protégées partenaires
2. Description des zones d’étude
2.1. La Réserve Naturelle Nationale des Coussouls de Crau – RNNCC
2.2. Le Parc National des Cévennes – PNC
2.3. Le Parc National de la Vanoise – PNV
3. Caractériser des transects de pression de pâturage pour mesurer l’effet des pratiques sur les coléoptères coprophages et leurs fonctions
3.1. Dans la steppe de Crau
3.2. Dans le massif de la Vanoise
3.3. Sur le Causse Méjean
3.4. Validation des transects de pression de pâturage
4. Mesurer l’effet de la pression de pâturage sur les communautés de bousiers
5. Mesurer les conséquences de la pression de pâturage sur les fonctions écologiques fournies par les bousiers
5.1. Mesure de la dégradation des excréments
5.2. Mesure de la composition chimique du sol sous-jacent aux excréments
6. Données utilisées dans le cadre de cette thèse
Conclusion

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