De l’apparition des mallsaux États-Unis à leur implantation en Iran

Apparition des Centres Commerciaux en Iran

Si aux États-Unis, l’heure de gloire des mallssemble achevée, dans d’autres pays du monde ceux-ci sont en plein essor. L’Europe et les pays industrialisés où la consommation de masse est apparue rapidement n’ont pas tardé à adopter ce lieu de consommation, dans les années 1960 ;tandis que pour des pays dits « en voie de développement » les premiers mallssont apparus aux alentours des années 1970-1980 et connaissent aujourd’hui un développement accéléré. Les centres commerciaux se répandent plus ou moins rapidement sur le globe, en fonction de l’histoire et de la situation économique et politique de chaque pays et région. Au Moyen-Orient, les cas diffèrent selon les endroits, dans une région du monde marquée par l’importance des ressources pétrolières ou gazières. Les crises économiques survenues depuis la fin du Xxème siècle, dont font partie les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, ont entraîné d’importantes conséquences pour les économies nationales de ces pays. Certains ont été submergés par les dettes (Dupont, 2016 : 292), qu’ils ont tenté de diminuer en appliquant les recommandations d’organisations internationales comme le FMI. Les politiques d’austérité, le développement du secteur privé, l’ouverture à des marchés extérieurs et plus largement la mondialisation, ont engendré des restructurations économiques dans cette région depuis les années 1980. L’ensemble de réformes qui interviennent alors dans la majorité du globe suivent une orientation libérale ou « néolibérale », pour reprendre un terme quelque peu connoté dans le champ politique et intellectuel. Ce terme renvoie à une multiplicité de dimensions qui peuvent constituer une idéologie dans le sens qu’en donne Alain Bihr : « on peut dire qu’une idéologie est un système culturel (au sens anthropologique du mot) dont le noyau est constitué par une conception du monde à la fois englobante et cohérente, qui implique un programme d’action sur le monde et par conséquent aussi une axiologie, et dont la fonction essentielle est de justifier la situation, les intérêts ou les projets d’un groupement social particulier » (Bihr, 2011).
Dans le domaine économique, le néolibéralisme peut s’entendre comme une actualisation des théories libérales classiques, qui passe par une importance majeure accordée à l’individu dans un marché où domine la concurrence. Cette théorie économique s’étend au domaine politique sous la gouvernance de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans le monde anglo-saxon tout d’abord, puis ce « modèle » s’étendra par la suite à un ensemble de pays du Nord comme du Sud. Des pays comme l’Egypte, la Turquie ou encore la Syrie s’engageront progressivement sur la voie néolibérale, tandis qu’au même moment l’Iran se remet d’une guerre de 8 ans contre son voisin irakien (1980-1988). A la mort de Khomeyni en 1989, l’économie iranienne est au plus mal, la guerre et l’isolement relatif du pays sur la scène internationale ayant entraîné d’importantes pertes financières.
De 1989 à 1997, Hachemi Rafsandjani occupe le poste de président de la république islamique. Ce mollah inaugurera le tournant néolibéral dans l’Iran post-révolutionnaire, à travers une série de réformes et d’inclinaisons économiques visant à renforcer le secteur privé. Le passage de propriétés publiques à des propriétés privées ou détenues par des institutions proches du régime, la dérégulation du marché du travail et l’ouverture à des investissements étrangers sont autant de processus déclenchés sous la présidence de Rafsandjani et qui se poursuivront avec son successeur Mohammad Khatami. De là, on peut observer une tendance forte qui est la poursuite de la libéralisation de l’économie iranienne malgré les orientations politiques des différents présidents qui se succèdent depuis 1989. Plus récemment, la levée des sanctions relatives au programme nucléaire iranien a permis une plus grande ouverture du pays aux entreprises étrangères et le président Rohani (élu en 2013) ne cache pas son intention d’amplifier la libéralisation de l’économie iranienne (Hossein-Zadeh, 2014). L’ouverture économique du pays aux flux internationaux peut encourager l’implantation de firmes étrangères à travers les centres commerciaux. Comme le relèvent Teresa Barata-Salgueiro et Bernadette Mérenne-Schoumaker, « beaucoup d’enseignes internationales arrivent dans un nouveau marché […] dans le cadre de grands projets immobiliers nouveaux articulés autour d’un centre commercial » (Barata-Salgueiro, Mérenne-Schoumaker, 2014). L’Iran post-révolutionnaire, dans son isolement relatif vis-à-vis des puissances étrangères et surtout occidentales, n’aura pas échappé à la tournure néolibérale qui guidera l’économie mondiale à partir des années 1980 jusqu’à nos jours. Si le néolibéralisme n’explique pas à lui tout seul l’expansion des centres commerciaux dans une région moyen-orientale dont l’Iran fait partie, il constitue un cadre favorable à leur apparition, en impulsant des changements économiques, politiques et urbains allant dans le sens d’une privatisation et d’une marchandisation des espaces publiques.
L’un des premiers centres commerciaux modernes qui apparaît en Iran est le Golestan Shopping Center dont la construction s’achève aux alentours de 1979 (Shalchi, 2013 : 181). Situé au Nord-Ouest de Téhéran ce centre commercial fait partie, avec deux autres malls (Iran Zamin Shopping Center et Milad-e Nour Shopping Center), du complexe résidentiel de Shahrak-e Gharb. Construit peu de temps avant la chute de la monarchie Pahlavi, Shahrak-e Gharb se voulait être le reflet d’une modernité occidentale rêvée par le Shah. De grands immeubles et des villas luxueuses représentent la majorité des bâtiments de ce quartier de Téhéran. Destiné à une population riche désireuse de s’intégrer au « village global » (McLuhan, 1967), ce quartier a été conçu comme une ville nouvelle, c’est-à-dire comme une « ville créée à proximité d’une agglomération urbaine importante et où est prévu le développement simultané des fonctions économiques et résidentielles » . Alors que les villes iraniennes comme Téhéran sont le résultat d’un processus historique qui s’étale sur des dizaines d’années ou des siècles ; les projets qui ont permis la création de villes nouvelles sont avant tout des projets planifiés qui font simultanément sortir de terre tout un ensemble urbain doté de ses différentes fonctions. Le Golestan Shopping Center répondait initialement aux besoins de consommation des résidents de Shahrak-e Gharb, tout en constituant dans le même temps un « centre-ville » de substitution, à la manière des premiers malls apparus dans les banlieues Nord-américaines. La notoriété de ce centre commercial s’est par la suite étendue à l’extérieur de Shahrak-e Gharb « en raison de ses enseignes célèbres et de son atmosphère » agréable pour les visiteurs qui peuvent « y rester, marcher ou s’asseoir pendant qu’ils font leurs courses » (Shalchi, 2013 : 181). Ce mallincorpore un certain nombre d’éléments de l’architecture iranienne traditionnelle telle que les murs en briques ou encore une fontaine centrale où les gens s’assoient, flânent et discutent. La description qu’en fait Marzieh Shalchi rappelle le rôle d’espace public endossé par le centre commercial chez les classes moyennes blanches états uniennes avant que cette fonction ne soit évacuée au profit des impératifs marchands.

Interactions entre centres commerciaux et commerces « traditionnels »

Si les centres commerciaux se multiplient en Iran et dans d’autres pays du Moyen-Orient, qu’en est-il des formes de commerce plus anciennes qui doivent désormais coexister avec eux ? Liés à une économie mondialisée, les mallsabritent des grandes enseignes, des firmes internationales, des produits importés depuis des régions ou des pays lointains. Ils privilégient donc la grande distribution et les circuits commerciaux de grande distance qui permettent de réaliser des économies d’échelle sur des marchandises produites à bas prix. Les petits producteurs locaux ou régionaux, les produits manufacturés issus de l’artisanat se retrouvent quant à eux bien souvent écartés de ces espaces commerciaux où la consommation répond à des standards globalisés. Si la mondialisation favorise aujourd’hui certaines marchandises au détriment d’autres, le processus de circulation de biens et de produits n’est pas nouveau au Moyen-Orient, région marquée par une histoire plurimillénaire où les échanges entre villes et les routes commerciales ont contribué à l’enrichissement des royaumes et des empires. La fameuse route de la soie traversait l’Iran d’Ouest en Est, attirant sur son sol aride de nombreux voyageurs et marchands chargés de richesses exotiques ou à la recherche de celles-ci. Avant même de rayonner par leur influence politique, religieuse ou culturelle, les villes qui parsemaient cette route étaient des pôles commerciaux importants, où se retrouvaient les marchandises venues d’ailleurs comme les productions locales. De grands bazarsfurent construits progressivement ou plus rapidement dans le cadre de projets initiés par les dignitaires politiques de l’époque, et ils permettaient de concentrer dans quelques axes urbains la majorité des richesses destinées à être vendues et achetées. Reliés aux édifices religieux et politiques comme la Mosquée et le Palais royal, ils formaient le cœur de la ville. Les centres historiques d’Ispahan (Palais Ali Qapu, Mosquée du Shah et Grand Bazar, qui bordent ensemble la grande place Naghsh-e Jahan) ou de Tabriz (Maison de la Constitution, Grande Mosquée, Grand Bazar) pour ne prendre que ceux-ci en témoignent. Le terme « bazar » trouve son origine étymologique dans l’Iran ancien, où l’on assiste assez tôt à la formation de marchés couverts caractéristiques de la région moyen-orientale. Pour l’historienne de l’art Marianne Baruccand, le bazar« désigne, de manière générale, le centre commercial et artisanal traditionnel de toute ville ou localité en pays d’islam ; il peut être utilisé pour les foires annuelles et pour les marchés ruraux hebdomadaires ; en tout cas, il s’agit d’un lieu public où s’exercent, dans un espace restreint, des activités masculines multiples, par opposition à la zone d’habitat, réservée à la vie privée, et aux zones de culture et d’élevage, où l’activité est uniforme et dispersée. Cet élément essentiel de la vie urbaine médiévale, dont certains traits se sont perpétués jusqu’à la période moderne, a également contribué à modeler la physionomie architecturale des cités au milieu desquelles il s’est développé et où il occupe encore souvent aujourd’hui une place de premier plan ». La place importante qu’occupe le bazardans la ville iranienne a traversé les époques et les générations. S’il peut être perçu comme un espace de traditions, où se transmet une partie de la culture et de l’identité collective iranienne, on ne peut faire abstraction de sa capacité à changer et à s’adapter au contexte économique plus large.
On trouve au bazardifférents types de produits, répartis dans des magasins plus ou moins spécialisés. On peut par exemple citer des grandes catégories de marchandises telles que les textiles, les épices, les métaux et objets précieux, les vaisselles ou encore les denrées alimentaires. Ces catégories de produits se répartissent différemment dans l’espace du bazar , selon des secteurs où la présence d’un type de marchandise sera proéminente. La répartition spatiale des marchandises peut obéir à un ordre clairement définissable ou plus hétérogène. Souvent situé à proximité d’une ou de plusieurs mosquées, le bazar peut être organisé selon une division entre pur et impur, comme j’ai pu l’observer en me rendant en Iran : les objets à vocation religieuse se trouvent dans des magasins situés à la bordure d’une mosquée, à l’entrée ou à la sortie qui communique avec le lieu saint ; tandis que les marchandises à caractère plus profane en seront éloignées. Au sein même des magasins où l’on vend des marchandises liées au religieux, les objets se répartissent entre sacré et profane (Starrett, 2009). La religion joue donc un rôle dans la répartition spatiale des commerces qui constituent le bazar.Selon Sepideh Parsapajouh, elle peut même favoriser ou non l’attractivité de ces commerces (Parsapajouh, 2016). La clientèle sera plus facilement attirée par les produits des commerçants jugés les plus pieux, qui peuvent mobiliser le facteur religieux pour fidéliser les acheteurs. Si des grandes entreprises, dont on retrouve les produits dans les malls, revendiquent une attache religieuse et se rendent ainsi attractives auprès de certains consommateurs (c’est par exemple le cas de la marque turque Ulker, liée au MUSIAD et à la génération d’entrepreneurs islamiques qui se constitue aux alentours des années 1990 ) (Maigre, 2005), les marchands du bazarou les petits commerçants doivent compter sur leur réputation et les liens interpersonnels pour conserver leur clientèle et attirer de nouveaux acheteurs. De ce fait, à la différence de la grande distribution où la relation de confiance ou d’affinité entre le vendeur et le client s’établit sur l’image d’une marque ou d’une enseigne, la relation qui lie le « bazari » , l’épicier, le marchand ou le petit commerçant à son client est une relation personnelle, qui prend sens sur un temps long. Cette relation nécessite un certain investissement et la maîtrise de codes permettant d’acquérir une bonne connaissance des prix.

Des mallsdans les villes iraniennes

La grande ville et ses habitants

La densité du trafic automobile rend parfois les déplacements très longs et difficiles dans la capitale iranienne. Comme d’autres grandes métropoles à travers le monde, Téhéran connaît d’importants problèmes de pollution et de circulation en raison des milliers de voitures qui parcourent les routes de cette agglomération d’un peu moins de 14 millions d’habitants. Tandis que certains utilisent leur véhicule pour se rendre au travail, rencontrer des amis ou trouver un peu de calme dans un parc, d’autres profitent de leur temps libre en allant au centre commercial. En seulement quelques décennies l’apparition de l’automobile a bouleversé la structure des métropoles du Nord comme du Sud. Cette innovation technique est à mettre en lien avec d’autres changements qui ont affecté la manière dont se constitue le phénomène urbain. Avant de nous pencher plus précisément sur le rapport qu’entretiennent les mallsavec la ville, nous allons donc nous pencher rapidement sur le concept même de ville, sur ses rapports au marché et à la consommation. Qu’estce qu’une ville, et comment les métropoles contemporaines constituent-elles le contexte favorable à l’apparition des centres commerciaux ? Pour qu’un centre commercial fonctionne, il faut que des consommateurs le fréquentent, qui sont-ils ?
Au cours du dernier siècle le passage d’une économie agraire à une économie industrielle, la répartition d’un mode de production capitaliste à travers le monde et la division internationale du travail correspondent à un exode rural massif qui s’est opéré en différentes étapes selon les lieux. En Iran le déplacement massif des populations rurales vers les centres urbaines se déclenche à partir de la deuxième moitié du Xxème siècle. La population urbaine passe ainsi de 33,7 % à 70,6 % de la population totale du pays entre 1960 et 2010 . Ce sont de nouveaux habitants qui viennent peupler des villes anciennes ou plus récentes, entraînant dans le même temps une extension impressionnante des métropoles. Les anthropologues ont déjà pu se pencher de près sur ce phénomène, notamment ceux de l’école de Chiago qui, comme son nom l’indique, basèrent leurs travaux sur la ville de Chicago. Entre la fin du XIXème siècle et le début du Xxème siècle, cette métropole nordaméricaine connaît un accroissement démographique phénoménal. De nombreux immigrés venus du reste des états-unis ou d’Europe viennent grossir ce centre industriel majeur. Les chercheurs de l’Ecole de Chicago dont les observations se font dans les années 1920 établissent un modèle capable de décrire l’agglomération qu’ils ont sous les yeux. Ce modèle se divise en quatre cercles concentriques principaux avec, au milieu, le centre d’affaires où se trouvent les pôles économiques et politiques. Ensuite vient la « zone de transition » à la fois colonisée par le centre qui s’étend et évitée par les couches sociales situées en périphérie. C’est dans la « zone de transition » que l’on trouve les immigrés récemment arrivés, les milieux populaires ainsi que certaines industries. Le troisième cercle est constitué des milieux ouvriers et de leurs logements. Quant au dernier cercle, il s’agit des quartiers résidentiels où vivent les classes moyennes et aisées, en bordure de la ville (Hannerz, 1983 : 47). Ce modèle mis au point par le sociologue Robert Ezra Park semble surtout correspondre à Chicago et à d’autres villes nord-américaines. Mais l’étude de cette agglomération amènera chez son auteur une réflexion plus générale sur ce qu’est la ville. Comme tout autre milieu social complexe, la ville est traversée par des relations multiples d’interdépendances et d’influences.
Pour Park l’un des critères fondamentaux de la vie urbaine est « la compétition pour l’espace » qui oppose les différents groupes. De cette compétition résulte une hiérarchie spatiale où « les populations qui se trouvent en situation de domination dans un environnement urbain sont également celles qui s’octroient les sites les plus avantageux, les autres se contentant de se plier à leurs exigences » (Hannerz, 1983 : 46). Un autre trait caractéristique de la ville selon Park est la « superficialité des relations sociales médiatisées par l’argent » (Hannerz, 1983 : 44). C’est-à-dire que dans la ville, les relations qui lient les individus aux autres reposent le plus souvent sur une valeur monétaire.

La « ville-marchandise » : lieu d’implantation du mall

On peut concevoir le centre commercial comme une simple forme de commerce parmi d’autres. On peut également l’envisager en relation avec le système socio-économique dont il fait partie. Si pour Marc Berdet le centre commercial revêt une importance particulière dans la ville contemporaine, c’est parce qu’il est une « fantasmagorie du capital » (Berdet, 2013). Autrement dit c’est un mirage concret produit par le capitalisme, dont la fonction in fineest de voiler les réalités de l’ordre social : inégalités, aliénation, destruction de l’environnement (Berdet, 2013 : 166) entre autres. Il prend place dans les métropoles où il tente d’offrir aux consommateurs le spectacle de ce qui n’existe pas ou plus, où les utopies sont réhabilitées à travers une logique marchande qui les sépare de leur aspect critique : par exemple la nature y est luxuriante ; la destruction de l’environnement est oubliée. Dans ce sens le centre commercial consacre l’extension de l’économie de marché à des dimensions de la ville qui échappaient encore auparavant à cette logique. Sa construction accompagne le processus qui transforme la ville en « ville-marchandise » (Berdet, 2013 : 166). Comme nous l’avons relevé avec Weber, il peut exister des villes qui tendent à être principalement définies par l’activité marchande qui se déroule en leur sein. C’est l’idéal-type de la ville de marchands ou ville de commerce, où la richesse repose sur des entreprises lucratives basées sur place, dont les capitaux s’écoulent ailleurs et s’insèrent dans un réseau de production et de vente qui dépasse les limites spatiales de la ville.
La tendance qui peut s’observer actuellement avec la mondialisation et l’influence des politiques néolibérales est la suivante : la ville n’est plus seulement une ville marchande où le commerce trouverait une place de premier plan, c’est une ville qui se transforme elle-même en marchandise. C’est à dire que tout comme la marchandise, elle s’insère sur un marché qui détermine sa valeur et son attractivité. On peut faire le parallèle avec la réflexion de Simmel mentionnée plus haut sur le rapport entre grande ville et finance. La grande ville accorde une place prépondérante à l’argent capable de transformer la qualité en quantité, et donc ce qui ne se calcule pas en un calcul rationnel. Ce mécanisme que Simmel met en lien avec l’importance démographique de la grande ville se renforce aujourd’hui avec la taille qu’ont prise les agglomérations : environ 14 millions d’habitants dans l’agglomération de Téhéran, 8 millions pour la ville de New York, 12 millions pour l’aire urbaine parisienne, pour ne citer que celles-ci. En suivant la réflexion de Simmel, on peut supposer que l’accroissement des grandes métropoles permet à la puissance financière de se détacher du cadre de la ville pour opérer le calcul rationnel non plus au sein d’une aire urbaine mais entre les aires urbaines. De ce fait les villes deviennent comparables économiquement, et les flux qu’elles génèrent sont le critère qui détermine leur valeur. Le processus de marchandisation met les villes en compétition. Celles qui occupent les meilleures places sont celles qui attirent le plus de flux financiers. Ces villes s’assurent de ce fait un pouvoir accru dans l’économie mondiale et par extension sur les autres villes. Proche de l’Iran, s’appuyant sur des ressources pétrolières qui ont fait sa richesse, Dubaï symbolise cette transformation de la ville en ville-marchandise. Pour Mike Davis, qui s’y intéresse dans « Le stade Dubaï du Capitalisme » (Davis, 2007), cette cité-Etat reflète de manière exagérée le système capitaliste mondialisé. La question n’est pas, pour les promoteurs immobiliers et les urbanistes qui participent à l’aménagement du lieu, de savoir quelle pourrait être la forme d’une cité qui envisage un nouveau type de vie collective mais plutôt de savoir comment rendre Dubaï la plus attractive sur le marché financier et immobilier mondial. Pour cela, une solution simple a été trouvée : faire plus grand, plus haut, plus luxueux que tout ce qui a pu exister jusqu’ici. On trouve à Dubaï plusieurs des plus grandes tours du monde, les plus grands centres commerciaux ou encore les plus grands parcs d’attraction. Ce qui compte c’est d’apparaître dans le classement mondial, d’établir de nouveaux records en matière d’architecture. L’urbanisme de la ville se déploie comme une réponse à une demande marchande. La création urbaine est avant tout déterminée par un souci de rentabilité, au niveau de la ville comme au niveau mondial. C’est à travers ses constructions que Dubaï se constitue une image capable d’attirer une clientèle mondiale qui assure sa prospérité. Le détour par ce petit émirat nous donne un exemple concret de ce que peut être une ville entière conçue avant tout en tant que marchandise. Les centres commerciaux gigantesques y jouent le rôle de produits connus et reconnus internationalement attestant de la vitalité consumériste du lieu.

Entre espace public et espace privé

Pour quiconque veut se déplacer à pied, parcourir les grandes artères des métropoles comme Téhéran ou Mashhad peut vite s’avérer fatiguant. Le trafic automobile, le bruit, la pollution, la chaleur de l’été ou le froid hivernal rendent la déambulation éprouvante. Les lieux plus calmes, qui échappent aux vrombissements des voitures, sont particulièrement appréciés des iraniens. Pendant les jours de repos ou en fin de journée il n’est pas rare de croiser des familles venues se détendre dans des parcs et jardins publics, ou encore de jeunes amoureux qui échappent aux regards indiscrets de la ville le temps d’une balade. Comme les parcs, les centres commerciaux occupent une fonction spéciale pour celles et ceux qui les fréquentent, à la fois à l’écart de la rue et en dehors du domicile. Peut-on dès lors les qualifier d’ « espaces publics » ? Par espace public on peut comprendre au premier abord un espace ouvert à tous, favorisant la rencontre et l’échange entre différents individus, entre différentes catégories d’individus, où la parole peut s’exercer plus ou moins librement. L’espace public relève de la collectivité, du commun, et non pas d’un intérêt privé.
L’espace privé quant à lui, ce peut être l’espace régit par l’entreprise, par le travail, par la famille, ou tout simplement par l’individu isolé. En bref un espace dominé en principe par des intérêts particulier et non pas par les intérêts de la communauté dans son ensemble. Tandis que l’espace public apparaît comme relevant de la délibération, de l’intérêt général et de l’État (censé représenter cet intérêt général), l’espace privé semble relever d’une organisation hiérarchisée quant il ne désigne pas le seul individu. Si les concepts d’espace public et d’espace privé désignent une certaine réalité dans notre société, dans leur sens restreint ils ne sont pas forcément généralisables à l’ensemble des organisations sociales humaines. Comme le rappelle Laurent Fontaine, des sociétés « traditionnelles » ont mis au point des formes de délibération, d’interaction qui se rapprochent de la notion d’espace public telle que nous la définissons habituellement ; mais qui ne s’y insèrent pas totalement (Fontaine, 2013). En Iran, le type de régime politique contribue à définir la forme de l’espace public et ses rapports avec l’espace privé. A la fois démocratie représentative et théocratie, le régime iranien se caractérise par un certain autoritarisme où certaines idées et paroles n’ont pas leur place dans l’espace public. Cet espace est lui-même public jusqu’à une certaine limite, puisqu’il est également source de contraintes et de censures. L’espace privé quant à lui peut aussi être le lieu de contraintes liées à la famille ou au monde du travail par exemple. Dans ce contexte, quelle est la place du centre commercial ? Relève-t-il de l’espace public ? Ou au contraire de l’espace privé ? Estil une combinaison de ces deux types d’espace ? Ou alors constitue-il une échappatoire ? Autrement dit, les centres commerciaux iraniens permettent-ils d’échapper aux contraintes propres à l’espace public et à l’espace privé ? Pour répondre à ces questions, nous allons d’abord revenir sur les concepts d’espace public et d’espace privé, et ensuite nous verrons comment ils peuvent s’articuler avec les mallsiraniens.

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Table des matières
Introduction
I) De l’apparition des mallsaux États-Unis à leur implantation en Iran
a. Aperçu historique
b. Apparition des Centres Commerciaux en Iran
c. Interactions entre centres commerciaux et commerces « traditionnels »
II) Des mallsdans les villes iraniennes
a. La grande ville et ses habitants
b. La « ville-marchandise » : lieu d’implantation du mall
c. Entre espace public et espace privé
d. Centre commercial et rapports de genres
III) Mallset stratification sociale
a. L’Iran post-révolutionnaire : une société stratifiée et structurée autour de l’Etat
b. Les Malls : projets urbains et inégalités
c. Mallset distinction
Conclusion
Bibliographie

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