De la révolte à la découverte de la sagesse populaire

Les Amours jaunes, unique recueil de Tristan Corbière, révèle une remise en question de la création poétique et littéraire. L’ironie permet au poète de dénoncer certains excès du Romantisme et de l’école parnassienne. Il s’attaque de manière comparable à ses contemporains à la poésie de Hugo et de Lamartine. La révolte de Corbière s’inscrit dans le sillage de la contestation de Leconte de Lisle initiée en 1852 dans la préface aux Poèmes antiques :

[…] Ô Poëtes que diriez-vous, qu’enseigneriez-vous ? Qui vous a conféré le caractère et le langage de l’autorité ? Quel dogme sanctionne votre apostolat ? Allez! vous vous épuisez dans le vide, et votre heure est venue.

Les origines

L’évocation des principaux événements qui ont marqué la vie de Tristan éclaire le sens de cette révolte. Édouard-Joachim, alias Tristan Corbière, naît le dixhuit juillet 1845 à Coat-Congar, un village breton non loin de Morlaix. Son père, Édouard Antoine Corbière connut une illustre vie de marin et d’aventurier des mers. Il eut également une carrière journalistique qui lui permit de dénoncer les torts politiques et sociaux de la monarchie de juillet ainsi que les travers de ses compatriotes bretons. Édouard Corbière fort de sa réputation de premier romancier maritime en France, jouit d’une importante notoriété au sein de la ville de Morlaix. En 1844, il épouse Marie-Angélique-Aspasie Puyo, la fille de l’un de ses meilleurs amis. Édouard-Joachim sera le premier enfant de ce couple peu ordinaire que composent un quinquagénaire et une jeune fille âgée seulement de dix-huit ans. Lors de sa dixseptième année le jeune Édouard-Joachim décide de se baptiser Tristan afin de se différencier de l’identité paternelle. Il adopte le nom de l’illustre et tragique héros du roman Tristan et Iseult, œuvre de Béroul, conteur du XIIe siècle. Tristan, le héros de la légende celtique a peut-être également inspiré Corbière. En effet, les destinées du « léger peigneur de comètes » et celle du héros de La Folie Tristan, poème anglonormand du XIIe siècle, manifestent d’importantes similarités ainsi que le remarque Michel Dansel . Le chant premier de ce poème illustre ces ressemblances:
Tristan séjourne en son pays Dolent, morne, triste, pensif. Il ne sait plus ce qu’il doit faire, Car rien ne lui est réconfort. Mieux vaut d’un seul élan mourir Que toujours en peine languir. La mort est bonne aux douloureux ; La mélancolie navre l’homme. Peine, douleur, mélancolie, Toutes les trois navrent Tristan. Il voit bien qu’il ne peut guérir Puisqu’il perd son amour, sa joie Oh, puisqu’il perd la reine Iseult !

Jean Rousselot voit en ce nom un patronyme romantique, marin et breton à l’image de celui de Tristan de Léonois qui fut selon les termes de Charles Le Goffic « la première et la plus illustre victime des fatalités de la passion » . Le poète s’approprie une identité littéraire qui lui permet de se détacher de l’univers paternel et de son écrasante notoriété. L’auteur du Négrier, célèbre roman d’aventures maritimes, a certainement influencé Tristan dans le choix de son mode d’expression artistique. Le fait que Tristan ait privilégié la poésie au détriment de l’écriture romanesque témoigne de manière indirecte de l’influence paternelle. On constate que l’ironie du sort a servi Tristan qui n’aspirait qu’à égaler la carrière littéraire d’Édouard Corbière ainsi que l’affirme Robert L. Mitchell : « si notre poète vécut dans l’ombre du romancier maritime, Tristan ne saura jamais à quel point il aura surpassé l’écrivain qu’il souhaitait, dans son jeune âge, ardemment égaler. » .

Trajectoire et réception des Amours jaunes

Le recueil est publié en août 1873 et ne suscite pas l’attention des journalistes littéraires au moment de sa parution malgré des exceptions. La Renaissance littéraire et artistique présente le 28 octobre 1873 le premier article consacré au recueil ainsi que Benoît Houzé le relève. Cet article est suivi de deux autres qui paraissent dans L’Artiste et L’Art Universel du 1er novembre 1873. La Chronique parisienne publie un nouvel article dédié aux Amours jaunes et met ainsi un terme à un silence qui aura duré huit ans. L’insuccès s’explique d’abord par le décès prématuré de Corbière en mars 1875. Le choix de la maison d’édition des frères Glady, jeunes éditeurs méconnus du grand public, contribue à la méconnaissance du recueil. D’autre part, la faillite et la rapide disparition de cette maison d’édition favorise l’oubli du recueil.

Jules Chenantais garde en mémoire le séjour de Tristan dans la demeure paternelle à l’époque où son cousin poursuivait ses études secondaires à Nantes. Sous le pseudonyme de Pol Kalig, il publie en 1890 Amour de chic, un recueil de poésies fortement inspiré des Amours jaunes et confie à Léo Trézenik l’admiration qu’il voue à Corbière. Celui-ci, rédacteur en chef de la revue Lutèce, fait part de son engouement à Charles Morice. Le jeune corédacteur de Lutèce s’enthousiasme pour cette œuvre et en fait lecture à Paul Verlaine qui est immédiatement charmé par Les Amours jaunes. Il rédige alors une monographie sur Corbière constituant le premier volet des Poètes maudits qui paraît en 1883 dans la revue de Trézenik et comprend une étude sur Rimbaud et sur Mallarmé. Une année plus tard, suite à ce succès, Verlaine publie en volume sa série de portraits qu’il augmente de trois articles. Les deux premiers sont consacrés respectivement à Marceline Desbordes Valmore et Lautréamont, tandis que le dernier est son autoportrait qu’il intitule « Pauvre Lélian », anagramme de son nom.

Les Amours Jaunes devront attendre le succès de À rebours de Huysmans publié en 1884 pour voir se porter vers eux l’attention d’un plus grand nombre de lecteurs. Certes, Huysmans tire de l’oubli le recueil mais il le désigne de manière péjorative « volume des plus excentriques ». Il déclare également à propos de son écriture poétique : « C’était à peine français ; l’auteur parlait nègre, procédait par un langage de télégramme ». Cependant au-delà de la dérision, À rebours constitue l’une des plus importantes tentatives pour faire connaître Les Amours jaunes du grand public.

En dépit de ces différentes circonstances littéraires qui pouvaient offrir à l’unique recueil de Corbière la possibilité d’être découvert par un lectorat plus important, Les Amours jaunes ne suscitent pas un grand enthousiasme. Patrick Besnier établit un parallèle entre la réception du recueil de Corbière et Les chants de Maldoror de Lautréamont :

« La publication de leur livre unique ne souleva guère d’échos : Les chants de Maldoror (1869) et Les Amours jaunes (1873) ne connaissent qu’un très petit nombre d’articles dans la presse, en partie parce que les auteurs ne semblent guère avoir fréquenté les milieux littéraires parisiens, en partie en raison d’une diffusion inexistante. » .

Cependant il faut remarquer que le recueil de Corbière retient l’attention de la critique anglo-saxonne du fait que le jeune T.S Eliot s’en soit inspiré au cours des années 1915- 1920 ainsi que Sonnenfeld l’affirme : « Dans ses premiers poèmes, surtout « Prufrock and Other Observations » (1917) et « Poems » ( 1920). Eliot adopte l’attitude antiromantique de Laforgue et Corbière ».

Ezra Pound porte son attention aux Amours jaunes et son engouement transparaît dans « Blast », recueil de poésies qui paraît en 1914. À la suite de Pound et de T.S Eliot, les poètes surréalistes vont s’intéresser à la poésie de Corbière. André Breton lui consacre en 1940 un article dans son Anthologie de l’humour noir et lui accorde le rôle de précurseur de l’écriture automatique même si cette attribution semble inappropriée. Toutefois, il parvient à saisir le lien entre l’autodérision et l’image que Tristan a de luimême : « le contraste entre la disgrâce physique et les dons sensibles de premier ordre ne peut manquer, dans l’œuvre de Corbière, de susciter l’humour comme réflexe de défense ».

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1. Les origines
2. Trajectoire et réception des Amours jaunes
3. Signification du titre du recueil
4. Identités imaginaires
I. Influences, sources d’inspiration et intertextualité
A. Auteurs du passé
1. Les Amours jaunes et le théâtre de Shakespeare
2. Corbière et les Fables de la Fontaine
3. L’inspiration villonnesque
4. Corbière et Du Bellay
B. Les Modernes
1. Le rôle d’Édouard Corbière
a. L’initiation à la littérature
b. Les références aux romans paternels
c. La figure paternelle
d. L’influence idéologique
2. L’interaction avec l’œuvre de Victor Hugo
a. La parodie de la poésie hugolienne
b. Un dialogue au-delà de la satire et de la parodie
c. Corbière et la poésie hugolienne
d. Une intertextualité problématique
e. La mosaïque de l’intertextualité
3. L’intertextualité issue de Scènes de la vie de Bohême
4. L’inspiration baudelairienne
5. L’influence de Gautier
6. L’hommage à Vigny
7. Traduction et réécriture
8. Une remise en question de l’idéalisation littéraire
II. Les Amours jaunes et l’art de la caricature
1. L’art de la dérision ou la philosophie cynique
2. Les évocations de l’art de la caricature
3. L’Espagne littéraire
a. Corbière et l’Espagne littéraire
b. Néologisme et violence
4. L’Italie romantique
a. La caricature de l’Italie
b. La Naples romantique
c. Naples : une remise en question littéraire
d. Le farniente
5. Le désir d’avilissement
6. La thématique du portrait
7. Caricature et marginalité
III. Poétique et art du mimétisme
1. La recherche d’une poétique
a. La poétique de la négativité
b. Une œuvre de l’éternel recommencement
c. La poétique du sommeil
d. Le jeu de la polyphonie
2. Respect et contestation des règles poétiques
a. La versification
b. Les figures de style dans Les Amours jaunes
c. La poétique de l’écho
3. Une quête d’innovations poétiques
a. Une révolution poétique
b. Le poète-voyant
c. « trouver une langue »
d. La liberté et la création
e. « Le chant sous le texte »
f. La traversée
g. L’esthétique du roulis
4. L’esthétique de la rupture
a. La notion de frontière dans Les Amours jaunes
b. La métapoétique de la rupture
c. La philosophie de l’arrêt
d. La remise en question des valeurs sociales
e. Le figement et la décomposition
f. La dialectique du voyage
Conclusion

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *