DE LA PROBLEMATIQUE DES RAPPORTS ENTRE RAISON ET FOI A LA QUESTION DU DIEU CACHE CHEZ BLAISE PASCAL

Épictète et Montaigne

      Il est difficile de saisir avec exactitude le sens de la théorie pascalienne de la foi sans se référer à Épictète, Montaigne et à saint Augustin. Pascal leur doit beaucoup. Pour plus de précisions, partons d’abord de son entretien avec M. de Saci. Cet entretien nous donne une parfaite orientation sur sa réflexion philosophique au début de 1655. Il y rejette le modèle de conversion préconisé par la philosophie. Elle propose le plus souvent un salut immanent à l’homme c’est à dire qui n’est pas transcendant à l’existence. Et cette tentative ne peut la mener nulle part. C’est pourquoi il n’hésite pas à réduire l’histoire de la philosophie au Stoïcisme et au Scepticisme autrement dit à Épictète et à Montaigne. Épictète avait établi la certitude et la grandeur de l’homme. La conséquence pratique de cette conception stoïcienne est une morale qui repose sur l’acceptation et la compréhension de l’univers. L’homme doit suivre la nature c’est à dire sa raison. Pour vivre heureux, il est obligé d’acquiescer librement et spontanément à tous les événements de sa vie y compris sa mort comme à son véritable bien. Le bonheur consiste donc à vivre de façon raisonnable et harmonieuse avec la nature. Ainsi cette attitude du sage stoïcien à l’égard de la nature a sans doute poussé Pascal à faire d’Épictète «Un des philosophes du monde qui aient mieux connu les devoirs de l’homme» L’homme est le maître de ses passions et désirs car ils dépendent de lui. Il est soumis aussi à la volonté de Dieu puisque le hasard est exclu du monde où tout arrive selon le destin pour le plus grand bien du tout. Mais Épictète ignore le fait que l’homme par les seules forces de sa nature est incapable de devenir ce qu’il doit être : « orgueilleux », « Superbe et Diabolique». Selon Pascal, il n’a vu que la grandeur de l’homme malgré tous ses efforts. Épictète n’a pu découvrir notre faiblesse sinon affirme Pascal : « J’ose dire qu’il mériterait d’être adoré, s’il avait aussi bien connu son impuissance, puisqu’il fallait être Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. Aussi comme il était terre et cendre, après avoir si bien compris ce qu’on doit, voici comment il se perd dans la présomption de ce qu’on peut » Avec cette philosophie, nous nous approchons de plus en plus de la réalité humaine. Elle nous a fait découvrir un aspect de cette réalité. C’est pourquoi Pascal nous invite à ne pas nous enfermer dans cet aspect. Nous devons essayer de découvrir l’autre puisque Épictète n’a atteint qu’une demi vérité, c’est à dire une erreur. Ainsi l’autre aspect de la nature de l’homme sera établi par Montaigne. Son intention est de nous faire sentir l’incertitude et la fragilité de toute chose. Pour cela il va renouveler le scepticisme de l’antiquité, en opposant les opinions et les coutumes les unes aux autres. Il relève les contradictions entre les conceptions de la justice, de la morale tout en soulignant la faiblesse de la raison, la puissance de l’imagination, du préjugé et de la croyance. Partout il montrera l’inconstance et la folie des hommes. C’est pourquoi comme le dit Pascal : « Montaigne met toutes choses dans un doute universel et si général, que ce doute s’emporte soi-même, c’est à dire s’il doute, et doutant même de cette dernière supposition son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos; s’opposant également à ceux qui assurent que tout est incertain, et à ceux qui assurent que tout ne l’est pas, parce qu’il ne veut rien assurer » Montaigne remet en cause la capacité humaine d’atteindre dans ce monde une certitude inébranlable, ferme et solide comme le roc. Il se moque de toutes les assurances et voit l’homme tel qu’il est sans illusion sur son pouvoir. C’est la raison pour laquelle il pose la relativité des sciences, l’incertitude de la métaphysique et la diversité des mœurs d’un pays à un autre. Le scepticisme est donc le signe manifeste du déclin de la pensée en Grèce antique. L’homme est incapable d’après cette doctrine de parvenir à une connaissance certaine quelle qu’elle soit. Cette conception philosophique nous renvoie à l’état de celui qui doute, qui refuse d’affirmer ou de nier, de se prononcer en matière de connaissance. Au sens courant, le sceptique est celui qui refuse des adhésions à des croyances généralement admises. Il se contente de voir, en écartant tout jugement, affirmation ou négation en ce qui concerne l’existence d’objets correspondants à ces représentations. Il est aussi question dans cette doctrine d’aller en guerre contre tout dogmatisme. En effet, cette intention peut être ressentie à travers ces lignes : « C’est dans cette assiette, toute flottante et chancelante qu’elle est, qu’il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps, sur ce qu’ils s’assuraient de connaître seuls le véritable sens de l’Écriture ; et c’est de là encore qu’il foudroie plus vigoureusement l’impiété horrible de ceux qui osent assurer que Dieu n’est point » Cette affirmation démontre encore une fois de plus l’incapacité dans laquelle se trouve l’homme d’accéder à la vérité et au bonheur. Cette attitude du sage sceptique se justifie du fait qu’il n’existe pas de vérité absolue. C’est pourquoi selon ce dernier, aucune position n’est défendable. Le scepticisme n’encourage donc pas la recherche de la vérité. Il se contente de mettre tout dans un doute universel et définitif, en suspendant le jugement.

Pascal et saint Augustin

      Si nous avons jugé nécessaire dans ce premier chapitre de notre travail de parler des antécédents philosophiques de Pascal, c’est parce qu’il n’a fréquenté aucune école. En d’autres termes on ne peut s’empêcher de se demander à quelle tradition il se rattache. Mais signalons tout de même que notre intention n’est pas de faire dépendre sa philosophie exclusivement de certains modèles ou de certaines écoles. Néanmoins il reste incontestable qu’il a utilisé librement des idées, des thèmes et des suggestions importantes issues de certains courants comme le stoïcisme et le scepticisme que nous avons vu tantôt et celui de saint Augustin. Plus généralement, Pascal se sent proche de saint Augustin. Cet homme d’abord si mondain, ce penseur d’une intensité prodigieuse à la dialectique subtile, psychologue remarquable, styliste brillant et, pardessus tout, croyant passionnément engagé. Quoiqu’il soit très contesté de son vivant, ce seul génie véritable parmi les Pères latins était devenu le docteur de l’occident chrétien. Avant saint thomas il avait crée la synthèse la plus remarquable de la foi chrétienne et de la pensée grecque (néo- platonicienne). A travers lui, la théologie patristique a atteint son apogée. Ainsi dans la problématique raison et foi qui nous préoccupe ici saint Augustin exerça une grande influence sur Pascal. Plusieurs textes de ses Pensées confirment cette parenté entre les deux auteurs. L’Évêque d’Hippone avait commencé à rendre d’abord hommage aux penseurs grecs comme Platon et Aristote. Les Grecs avaient examiné les grands problèmes que rencontre l’humanité. Ces philosophes partaient de leur raison pour apporter une solution aux problèmes de l’origine du monde, de la place de l’homme et à la question de Dieu. Mais les réponses qu’ils donnaient portaient encore la marque de l’imperfection humaine. C’est pourquoi selon lui la sagesse philosophique de l’antiquité grecque était imparfaite. La véritable sagesse est divine et elle doit être comprise comme une source inépuisable. Elle peut être communiquée à l’homme si celui-ci se comporte selon les préceptes de la foi. C’est donc la Bible parole de Dieu qui constitue la source de cette sagesse. Elle est inattaquable et c’est à partir d’elle que commence toute réflexion philosophique. C’est pour cette raison que « Le Croire pour comprendre précède le Comprendre pour croire » chez Pascal comme chez saint Augustin. La foi se résume en une soumission de la raison à une autorité, Dieu, l’Écriture et l’Église pour eux. Le salut ne se trouve pas dans une méthode universelle et rationnelle, mais dans une ouverture de l’homme entier à la réalité entière. Il n’est pas question de douter ici comme Descartes de l’incertitude du savoir humain, car le doute surgit d’une profonde détresse existentielle. C’est justement sous cet aspect important que Pascal se réclame expressément d’Augustin. Ils représentent l’unité globale et cohérente où raison et foi, philosophie et théologie s’entrelacent. La rationalité et la crédibilité se conditionnent mutuellement. On ne peut loger la raison et la foi à deux étages différents car ce qui est su est inséparable de ce qui est cru. Encore une fois de plus c’est la leçon de saint Augustin qui nous guide dans cette conviction : « Même croire n’est pas autre chose que penser en donnant son assentiment [….]. Quiconque croit pense et en croyant-il pense et en pensant-il croit […]. Si elle n’est pas pensée la foi n’est rien. » Selon saint Augustin, on doit essayer de confronter les vérités philosophiques des vérités religieuses puisque l’une n’est connaissable sans l’autre. Il veut surtout montrer que la religion n’est pas contraire à la raison. En d’autres termes croire ne s’oppose pas à la pensée. Ils vont de paire. Dans ce cas il nous met en garde contre une philosophie qui s’oppose d’emblée aux vérités religieuses. Autrement dit à ses yeux est vraie une philosophie imbibée dans la foi. La préséance de la foi importe d’abord, en dépit de l’importance reconnue à la raison. Mais cette prééminence posée est loin d’être un désaccord entre raison et foi bien que l’une soit au-dessus de l’autre. C’est pourquoi certains n’hésitent pas à parler de « Christo centrisme » qui détermine toute réalité chez les deux auteurs. Ainsi plusieurs sentences de Pascal sur la place centrale de la foi ou de Jésus Christ pourraient se trouver chez saint Augustin et s’inspirent de lui. Il existe presque une similitude entre les deux penseurs dans leur manière de poser les rapports entre raison et foi. saint Augustin s’en explique même dans une lettre adressée à Consentius : « Si donc il paraît raisonnable, que la foi précède la raison, fût-elle grande au point qu’on ne puisse jamais en prendre la mesure, je doute tout à fait que la raison, quelle qu’elle soit qui nous persuade de cela, précède elle-même la foi. » En se basant sur ces propos de saint Augustin, on comprend maintenant pourquoi « Le croire pour comprendre » se tient au premier rang. Mais cette perspective unitaire de la raison et de la foi ne peut manquer de poser un problème philosophique fondamental. C’est celui de l’existence d’une pensée libre et examinatrice par elle-même. En effet, pour contourner cette difficulté, Augustin soutient que toute réflexion philosophique s’appuie d’abord sur les instructions du philosophe, ses principes premiers à partir desquels il doit mener sa réflexion. Dans le cas de cette philosophie chrétienne, la foi en Dieu donne à l’homme les principes premiers et axiomes fondamentaux à partir desquels la raison peut analyser les problèmes de l’existence et que Dieu est soumis à notre discussion. En fait, ce lien étroit entre les deux penseurs dépasse ce cadre restreint des Pensées. Pascal n’en finit pas de réclamer son appartenance à la doctrine augustinienne. Dans la lutte sans merci sur la grâce entre Janséniste et Jésuites, il était convaincu d’avoir derrière soi cet Augustin qui avait résolu le problème de la grâce, et de la volonté libre ( ou non libre) d’une manière décisive. A cet effet, il affirme : « Dieu conduit bien son Église de l’avoir (Augustin ) envoyé devant avec autorité »

La foi comme soumission et usage de la raison

    La théorie pascalienne de la foi est caractérisée par la soumission et l’usage de la raison. Cela est lié comme nous venons de le voir au fait qu’il se réclame de saint Augustin. Ainsi, fort de cette conviction, il était persuadé que les prétentions des philosophes d’expliquer l’Écriture par la seule raison étaient inutiles. Partant de ce constat, il ressent douloureusement les contradictions de ces derniers au sujet de la question de Dieu. Cependant Pascal est un adepte passionné du raisonnement le plus strict. Il est loin d’être un contempteur de la raison. La raison bien conduite porte à la foi. C’est pourquoi son rationalisme est marqué par la critique de la raison qui met l’accent sur ses limites, son utilité et son pouvoir. Justement parce qu’il était plus critique, il ne pouvait se convaincre qu’avec la certitude rationnelle de soi l’individu peut arriver tout seul à la certitude de Dieu. Pascal comme saint Augustin était contraint de mettre la raison en présence de ses échecs : « Deux excès, exclure la raison, n’admettre que la raison » Il est de notre intérêt de nous méfier des excès de la raison en se situant entre ces deux extrêmes. Pascal reste fidèle à sa conception du juste milieu. La foi vient d’abord au premier rang. L’autorité précède la raison ou le retour obsédant du verset d’Isaïe « Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez pas … » L’acte de foi nécessite une soumission intelligente de la raison à une autorité reconnue comme transcendante. C’est parce que dans le contexte pascalien la raison n’est pas capable à elle seule de nous dévoiler les raisons cachées de l’être puisqu’elle est corrompue. Ce qui l’avait poussé à défendre le principe augustinien selon lequel, la raison elle-même conclut à son incapacité que ce soit dans l’ordre religieux ou moral. Mais Pascal ne cherche nullement à détruire notre certitude comme il l’affirme : « saint Augustin. La raison ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait qu’il y a des occasions où elle se doit soumettre. » Il s’agit de convaincre d’impuissance d’abord, toute raison qui ne reconnaît pas que sa force réside dans son désaveu. La raison est contrainte à regarder en face son infirmité pour se préparer à se soumettre. Sans ce traitement, elle ne renoncera jamais à son enflure. Il est encore question de lutter ici contre le défaut de raison que traduit la protestation de la raison contre la soumission de la raison. A cet effet écrit Pascal : « il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison… » A la lumière de ce propos, nous constatons que la croyance est désignée au sens restreint par le terme de soumission. On assure s’il s’agit d’une vérité que la raison démontre, et on se soumet dans le cas d’une vérité à recevoir par l’enseignement d’une autorité. Il n’existe pas de soumission sans le plus rigoureux des examens critiques. Pascal plaide pour une foi que la raison peut assumer, tout en refusant un croire irrationnel. En effet, nous pouvons nous poser la question de savoir jusqu’où s’exercera cette soumission de la raison. Il est manifeste: « Croire que des propositions sont dans un livre bien qu’on ne les y voie pas, c’est avoir une soumission superstitieuse ; car c’est se soumettre « manque de savoir où il faut juger » manque de connaître cette nature des choses de fait dont parle la 18e provinciale » Il est clair que ce n’est pas par superstition que Pascal nous force à renoncer à l’activité de notre raison pour nous soumettre. Mais en ce point extrême où notre raison manifeste son impuissance, c’est pour nous élever à une plus haute raison. Elle doit se soumettre et jamais se démettre définitivement. La raison prépare l’individu à recevoir les intuitions du cœur tout en les vivifiant. C’est pourquoi nous devons éviter deux écueils, l’arrogance et la démission de la raison. La soumission n’est recommandée qu’en face d’une autorité dûment contrôlée et accréditée par la raison. C’est pourquoi Pascal en partant de cette exclusion ou soumission préliminaire de la raison va attribuer au corps un rôle important dans le cheminement de l’homme vers la foi. Cependant le problème qui se pose maintenant c’est de savoir comment faire intervenir le corps dans cette rencontre cœur à cœur qui s’appelle la foi. Pour résoudre cela, Pascal commence par détruire les mécanismes crées par la coutume. L’incroyant doit briser en lui- même les mécanismes que sa vie païenne a montés puisque la coutume est une force qui contraint l’individu à se plier systématiquement. Ce dynamisme de la coutume qu’avait vu saint Augustin dans le domaine moral sera ici entrevu dans la vie religieuse par Pascal. Ainsi, frappé par sa puissance, il décide de l’utiliser au service de la foi. C’est la raison pour laquelle, en réfléchissant sur l’accès à la foi du libertin, il verra aussi « Qu’ il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l’inspiration… »15 L’importance de la coutume dans la foi est mise en exergue à travers cette pensée. La coutume est un moyen parfois indispensable de croire, un instrument de l’inspiration divine. Preuve et machine ou raison et coutume sont les deux facteurs humains de la croyance. C’est pourquoi Pascal dans son énumération des trois moyens de croire les oppose par le terme de « mais » au moyen surnaturel et seul efficace à savoir l’inspiration divine. La coutume et la raison servent d’instrument à Dieu. La foi est alors habitude et sentiment. Par conséquent nous devons éviter de réduire la foi à cette adhésion mécanique, car comme l’indique Pascal : « On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dés qu’il l’inclinera… » L’inspiration seule peut porter à une foi véritable. Il existe aussi une possibilité pour l’homme de se disposer à la foi par une discipline des gestes. La coutume ne fait que dans ce cas prendre le relais de la raison étant donné que l’homme est corps et esprit. Il est normal d’agir non seulement sur l’esprit, mais sur cette autre pièce qu’est le corps. La coutume s’impose ici avec la force et l’automatisme d’une seconde nature. L’individu est machine dans l’ordre social et religieux en même temps, car comme le dit Pascal : « L’homme est ainsi fait qu’à force de lui dire qu’il est un sot il le croit. Et à force de se le dire à soi-même on se le fait croire, car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler… » En effet, nous ne pouvons perdre de vue le fait que Pascal accorde en même temps une importance capitale à la raison. Malgré cette soumission, ce dressage par la machine préconisé ici, Pascal reconnaît aussi l’utilité de la raison dans la foi. C’est pour cette raison que, sans les mouvements du cœur, rapprochés à ceux de la grâce, la foi ne peut être obtenue. Mais cela veut dire aussi que l’on peut s’en approcher si l’on s’aide de la raison puisqu’elle seule est capable de juger de la valeur de la croyance. A ce sujet Pascal écrit : « C’est le consentement de vous à vous-même et la voix constante de votre raison et non des autres qui vous doit faire croire… » L’accent est mis dans cette pensée sur les droits de la raison et sur l’enquête personnelle. Le consentement universel et l’autorité sont repoussés d’emblée. Il est de notre devoir de soumettre à l’examen de la raison tous nos jugements et croyances. Ainsi compris, nous voyons que la foi doit être étayée par des preuves rationnelles étant donné que la raison informe tout l’homme. Il n’est exigé en aucun moment une soumission aveugle de la raison chez Pascal.

La foi comme sentiment du cœur

     Comme nous venons de l ’indiquer, l’acte de foi ne se résume pas seulement dans la soumission et dans l’usage de la raison. Il est en dehors de cette attitude un sentiment du cœur. Ainsi, Pascal est loin de placer au second plan cette activité du cœur en matière de foi. Dans ce cas, on voit bien que la raison n’intervienne pas la première. La connaissance par le cœur précède de ce fait non seulement dans la saisie des premiers principes, mais aussi dans la connaissance religieuse. A ce propos Pascal écrit : « La raison agit avec lenteur et avec tant de vues sur tant de principes, lesquels il faut qu’ils soient toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit ou s’égare manque d’avoir tous ses principes présents. Le sentiment n’agit pas ainsi; il agit en un instant et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante. » La foi en Dieu n’est pas forcément suscitée par des preuves rationnelles préalables. Mais nous n’ignorons pas non plus que malgré cela, les apologistes en usent souvent pour porter un infidèle à la foi en attendant l’action divine. La preuve n’est qu’un instrument. C’est pourquoi Pascal pense qu’on ne doit pas être surpris en aucun moment de voir des individus croire sans preuves et sans raisonner. Cela est dû, selon lui, à la souveraineté de l’esprit de Dieu qui touche immédiatement les cœurs. Cette foi qu’anime directement ici l’esprit de Dieu est celle même des prophètes qui faisait aussi l’objet de leur annonce. C’est celle que l’esprit de Dieu avait promise de répandre comme marque distinctive de l’avènement de son règne. A cet effet, répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là et qu’il n’est point sur les autres » L’homme ne peut croire sans l’action de la grâce divine. La décision de foi se prend désormais dans son cœur, et non au niveau des preuves rationnelles. Mais le seul problème demeure que cette certitude subjective comme d’ailleurs toutes les intuitions du cœur sont incommunicables. Elle s’exprime de la même manière que la fantaisie. Ainsi on ne saurait manquer de se demander si Pascal n’est pas en train de préconiser une foi aveugle. Une foi considérée comme étant ici un sentiment du cœur a-t-elle un sens ? Autrement dit cette foi des « simples » n’est-elle pas discutable ? Il convient maintenant de voir que si Pascal en définissant la foi comme sentiment du cœur n’énonçait-il pas une théorie en contradiction formelle avec ce besoin de raisonner que nous avons observé en lui. Voir clair et se fier au sentiment s’accordent-ils en fait dans la conception pascalienne de la foi ? En d’autres termes est-il possible de coordonner ce besoin de raisonner et de mettre sa foi dans le sentiment ? Partant de ce constat, nous avons vu que Pascal pose tout autrement le rapport entre foi et raison que Descartes. Il conteste le pouvoir absolu de la raison et de la pensée mathématique, malgré toute l’estime et l’application de l’esprit géométrique dans les sciences exactes. C’est « l’esprit de finesse » qui est donc nécessaire pour les questions religieuses, car il est un acte de l’homme total (cœur ) qui ressent et connaît avec son intuition. Ce ne sont plus les preuves rationnelles qui nous inciteront à croire, mais l’acte de foi émane des profondeurs de l’homme, c’est à dire son cœur là où se jouent les intuitions, les sentiments, les affections et les aversions. C’est là aussi que les passions exercent leur influence voire bloquent la raison dans sa décision de croire. La raison occupe une place limitée dans l’ordre de la vie. C’est pourquoi à côté d’une activité rationnelle, Pascal va distinguer une activité de connaissance où la raison et le cœur sont étroitement liés. On remarque alors une conjonction de deux vocabulaires chez Pascal; celui du cœur ( voir d’une vue, sentir ) et celui de la raison ( esprit, progrès, raisonner ). L’alliance de mots « esprit de finesse » rend assez bien compte d’ailleurs de cet enlacement du cœur et de la raison. Ainsi, l’homme a tendance à développer de par sa nature l’une de ces facultés de sorte qu’il existe deux classes d’esprit : «Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement. Car ils veulent d’abord pénétrer d’une vue et ne sont point accoutumés à chercher les principes et les autres au contraire qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment y cherchant des principes et ne pouvant voir d’une vue. » Il est possible de conclure en se basant sur cette pensée que voir clair rime bel et bien avec le fait de se fier au sentiment. Mais signalons quand même que le sentiment n’a rien à voir avec la sentimentalité et la sensiblerie dont Pascal est totalement dépourvu. Il désigne la capacité d’intuition intellectuelle de l’âme. Mieux encore le mot «cœur» ou «sentiment » résume ce que Pascal oppose à la raison. Ce mot cœur ne vise pas l’irrationnel ou l’émotionnel opposés au rationnel et à la logique. Il renvoie alors au centre personnel de l’homme au point de départ de ses rapports dynamiques et personnels avec autrui. Il est aussi l’organe de la compréhension humaine en sa plénitude. C’est pour cette raison que le cœur ne peut être réduit au sentiment. Cependant il y participe par son caractère intuitif, immédiat, spontané et sans intermédiaire. Il est l’organe de l’amour. Il s’en distingue dans la mesure où Pascal se méfie du sentiment, puisque nous n’avons pas de règle certaine pour distinguer le sentiment de la fantaisie ou de l’imagination.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Genèse de la Théorie Pascalienne de la Foi
Chapitre I: Pascal et ses antécédents philosophiques
1. Épictète et Montaigne
2. Pascal et saint Augustin
Chapitre II : Pascal et la théorie de la foi
1. La foi comme soumission et usage de la raison
2. La foi comme sentiment du cœur
DEUXIEME PARTIE : Pascal et la notion du Dieu cache
Chapitre I: Le Dieu du Mémorial et ses médiations pratiques
1. Pascal et le Mémorial
2. Dieu et ses médiations pratiques
Chapitre II : De l’apologétique de la religion à la question du pari
1. Pascal et les libertins
2. Le pari comme propédeutique de la foi
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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