De la préoccupation du commerce urbain au métier de manager de centre-ville 

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Les town center manager : impliquer les élus pour améliorer la commercialité de l’espace urbain

Bayonne se dispute la paternité du concept de gestion de centre-ville à la française avec Lille. En 1998, la ville de Lille recrute aussi son premier manager de centre-ville. La position géographique de la cité lilloise a facilité les échanges avec l’Angleterre, déjà engagée dans le Town Centre Management (TCM) depuis la fin des années 1980. Au Royaume-Uni, le profil-type du town centre manager est un cadre de grande enseigne commerciale, détaché de sa fonction par ses supérieurs pour jouer le rôle de coordinateur entre les acteurs publics et privés dans l’optique d’améliorer l’attractivité des centres-villes. À l’aube des années 2000, il existe près de 200 town center managers en Angleterre, réunis dans une association nationale : l’Association of Town Centre Management (ATCM). Forte de son expérience, l’ATCM va entamer des actions pour promouvoir le concept de TCM en France. L’enseigne Marks & Spencer va jouer un rôle particulier dans le transfert de cette initiative. L’enseigne anglaise, qui possède près d’une vingtaine de boutiques en France, décide de charger l’un de ses directeurs, Michel Tapia, de diffuser le concept dans l’Hexagone, en priorité dans les villes où l’enseigne est implantée. C’est à ce titre que M. Tapia accompagnera la ville de Lille dans la mise en place d’une démarche de gestion de centre-ville à la demande des grandes enseignes de la ville, dont Marks & Spencer et Le Printemps. Un groupement d’acteurs économiques est créé pour l’occasion. Il se compose de la CCI, de la Ville et des associations de commerçants, mais la démarche est initiée et portée par les grandes enseignes commerciales (inspirée du modèle anglais), moins par le corps politique comme à Bayonne. Un ancien cadre de la distribution assure le rôle de directeur de cette nouvelle structure chargée de contribuer aux réflexions municipales sur la circulation, le stationnement et la signalétique.
Cette initiative sera dupliquée à Biarritz et à Bordeaux sous l’impulsion de M. Tapia et l’Union du Grand Commerce de centre-ville (UCV) qui y voit une opportunité de rallier les décideurs locaux à sa cause. Cette union regroupe une vingtaine d’enseignes de centre-ville telles que Marks et Spencer, les Galeries Lafayettes, Le Printemps, C&A et Monoprix. Dans la capitale, ces enseignes avaient déjà expérimenté le recrutement de stewards urbains sur le boulevard Haussmann. Ces nouveaux métiers étaient financés par des emplois-jeunes et avaient pour missions d’assurer un service aux chalands (information, portage, etc.) et d’alerter la municipalité en cas de dysfonctionnements urbains. À Bordeaux, c’est le directeur de l’association des grandes enseignes de Bordeaux qui prend la fonction de town center manager, preuve que sur ces territoires, la démarche émane de la volonté des grandes enseignes de faire entendre leurs préoccupations aux élus. Et pour cause, la loi Raffarin est encore dans les esprits et impose aux projets commerciaux dont la surface de vente dépasse 300 m² d’obtenir une autorisation de la CDEC pour s’implanter. Cette contrainte pousse les enseignes spécialisées à élaborer de nouvelles stratégies pour se développer. En parallèle, les progrès réalisés dans la logistique ouvrent la voie à l’ouverture de surfaces commerciales plus petites et par extension, au retour des enseignes vers le centre-ville — tout ça est paradoxalement encouragé par la loi Raffarin censée freiner le développement de la grande distribution. Le centre-ville fut alors perçu par les enseignes comme une nouvelle niche de marché, un espace peu investi hébergeant des consommateurs à hauts revenus. Dans leur quête des espaces centraux, les enseignes recherchent la collaboration avec les élus locaux et voient la fonction de town center manager comme une opportunité d’obtenir leur concours. Après la loi Royer, les arbitrages en termes d’implantations commerciales reposaient autant sur des critères économiques que sur leur facilité administrative. Les centres-villes avaient été délaissés au profit des périphéries en partie à cause des contraintes administratives qu’ils représentaient et de la complexité des opérations sur ces territoires. Dans l’optique de conquérir ces nouvelles niches de marché, les enseignes cherchent à faciliter les échanges avec les administrations locales pour faire entendre leurs doléances et obtenir le soutien des pouvoirs publics. Pour les grands magasins de centre-ville, c’est aussi l’opportunité de défendre leur territoire face à la croissance du commerce périphérique toujours menaçante180.

DES PARTENARIATS POUR UN LOBBYING RENFORCE

La description de trois épicentres du management de centre-ville permet de dresser un portrait-type des premières expériences partenariales de gestion du commerce central. Malgré des appellations différentes, des principes communs structurent ces démarches et poussent les acteurs à les assembler sous le vocable du « management de centre-ville » : construction d’un partenariat institutionnel entre le monde du commerce et le pouvoir local, recrutement de managers pour favoriser le dialogue entre partenaires, métaphore du « centre-commercial à ciel ouvert », adoption de méthodes inspirées du marketing et de la gestion, plaidoyer pour une meilleure prise en compte des besoins du commerce dans les politiques urbaines. Ces initiatives sont principalement lancées par les commerçants, même si comme à Bayonne, la municipalité peut être proactive dans l’accompagnement de telles démarches. La gestion de centre-ville trouve son origine dans la volonté des commerçants de sensibiliser les élus à la question de l’attractivité marchande des centres-villes. Chez les commerçants indépendants, cette préoccupation prend la forme d’une demande de soutien financier aux efforts de modernisation des commerçants de centre-ville. Chez les grandes enseignes de centre-ville, elle se caractérise plutôt par le désir d’infléchir sur les politiques urbaines de façon à améliorer la qualité marchande des espaces urbains (que l’on nomme commercialité). L’activité de la FNCV nous permet aussi de souligner les enjeux sous-jacents à la création d’une entité politique et marchande capable de défendre les intérêts du commerce de centre-ville. Ces trois enjeux forment le coeur des initiatives pionnières de gestion de centre-ville.
Selon les initiateurs de la démarche, les objectifs de la gestion de centre-ville varient sensiblement et tendent à privilégier certaines facettes (tantôt la modernisation, tantôt l’environnement urbain). Dans les discours, le management de centre-ville semble impliquer une double transformation des pratiques du secteur public et celles des commerçants : d’un côté, la gestion urbaine doit prendre en compte les besoins du commerce ; de l’autre côté, les commerçants doivent se moderniser et s’allier pour résister à la concurrence périphérique. L’émergence de ces coalitions ne peut être appréhendée simplement comme le résultat d’une capture de fonds et de politiques publics par les acteurs privés, ni même comme la convergence naturelle des intérêts du public et du privé. L’exemple des outils de fidélisation mis en place par la FNCV a permis de mettre en évidence le fin travail d’agencement des dispositifs techniques et des rhétoriques qui permettent aux différents partenaires de se saisir de ce type d’outils, qui concourent à l’existence et à la consolidation de telles alliances. C’est cette capacité des promoteurs de la gestion de centre-ville à tenir ensemble et à agencer les intérêts publics et privés qui permettra l’adoption du concept. Mais ceci concourt à faire du management de centre-ville, une initiative ambigüe. Par exemple, la restructuration des associations de commerçants peut contribuer à l’empowerment des commerçants mais la constitution d’un interlocuteur unique peut aussi être souhaitée, voire instrumentalisée par la Ville à des fins de gouvernement des groupes privés182. De la même façon, la prise en compte du commerce dans les politiques urbaines peut être perçue comme une amélioration des pratiques d’aménagement du territoire mais elle peut aussi se lire comme une tentative de capture des politiques urbaines par les commerçants. Ces tensions seront présentes tout au long du processus de professionnalisation de ce métier et donneront lieu à des luttes entre acteurs pour peser sur l’orientation de ces démarches.

Les années 2000 : vers l’intégration des managers aux politiques publiques

Contrairement à d’autres pays comme la Belgique, les démarches de management de centre-ville françaises émergent sans le contrôle d’une institution mandatée. Ainsi, au début des années 2000, on comptabilise une cinquantaine de managers de centre-ville en France et presque autant de manières de faire du management de centre-ville. Par exemple, Virginie Cattiaux, manager recrutée à Lille, travaille pour un groupement d’acteurs économiques. Issue de la communication et de la publicité, cette manager a pour mission de faciliter la mise en place d’animations et d’aider les différents acteurs du territoire à communiquer. Son salaire est pris en charge conjointement par l’État, la Ville, la chambre de commerce, les acteurs économiques et la Région dans le cadre d’une expérience pilote. À Paris, Charles Compagnie exerce son métier de manager pour le compte de la Chambre de Commerce. Il accompagne la redynamisation de plusieurs quartiers à la demande d’élus locaux. À Montrouge dans la couronne parisienne, Marcel Valin est employé de la collectivité. Il apporte son expertise pour l’opération d’acquisition de boutiques initiée par la Ville. Dans de plus rares cas, les unions commerciales engagent elles-mêmes un manager pour moderniser leur activité, comme à Nîmes. Le renforcement du FISAC tout au long des années 2000, l’influence de la FNCV, le travail de l’AMCV en Belgique sont autant d’éléments qui ont favorisé l’émergence de partenariats entre les collectivités locales, les chambres consulaires et les associations de commerçants. Quelques structures partenariales voient le jour et emploient des managers de centre-ville pour animer le réseau d’acteurs, mais certaines municipalités et chambres de commerce décident de recruter directement ces professionnels pour elles-mêmes. Plusieurs modèles coexistent, si bien que le métier de manager de centre-ville reste flou (Jeannot, 2005). Le profil, le statut et les missions des managers de centre-ville varient selon les caractéristiques du territoire, le réseau d’acteurs impliqué, la trajectoire professionnelle antérieure des managers, la volonté politique des élus ou encore l’orientation donnée à la démarche : « Selon qu’il exerce à Garges-lès-Gonesse, une ville nouvelle, ou à Enghien-les-Bains, une ville d’eaux, le manager en place devra faire preuve de compétences différentes : plus orientées vers l’urbanisme dans le premier cas, plus tournées vers le tourisme dans le second »
Evelyne Pelletier, responsable du pôle « manager de ville » à la chambre de commerce et d’industrie Val-d’Oise-Yvelines183
Ce flou n’a pas contraint l’émergence de cette figure professionnelle, au contraire, il a certainement permis aux territoires et aux acteurs de s’approprier pleinement ce métier et cette démarche tout en tenant compte de leurs propres spécifités. Ainsi, le manager de centre-ville s’est imposé comme un professionnel de l’attractivité des centres-villes mais certains acteurs perçoivent tout de même le flou du métier comme une entrave à sa professionnalisation. Plusieurs acteurs et structures vont de fait participer à la promotion du concept et tenter par la même occasion de défendre une certaine définition du métier et de la démarche. Outre les enseignes, les chambres de commerce furent parmi les premières à s’investir sur ces questions, dans les mesure où elles ont considéré que le territoire professionnel (Abbott, 1980) des managers de centre-ville venait bouleverser leurs pratiques mais que l’intérêt croissant pour le commerce pouvait jouer en leur faveur. De fait, elles vont tenter de prendre la main sur le concept afin de défendre leur territoire professionnel, voire de saisir l’essor de la gestion de centre-ville comme une opportunité d’étendre leurs prérogatives.

LE MONDE DU COMMERCE EN QUETE DE GESTION PARTENARIALE

Définir une méthodologie : les chambres consulaires proactives

Les Chambres de Commerce et d’Industrie sont restées pendant longtemps les seules organisations compétentes sur la question du commerce urbain à l’échelle locale. Depuis les années 1960, elles ont pris le pari de former et de recruter des assistants techniques au commerce (ATC) chargés d’aider les commerçants indépendants à se moderniser. Créés dans les années 1960, ces ATC avaient pour missions l’information, la formation, le conseil individuel et collectif auprès des associations de commerçants. Ils étaient mis à disposition des institutions « à but non lucratif ayant pour vocation le développement du commerce ». La création de ces conseillers commerce poursuivait les objectifs fixés par le gouvernement de l’époque : il s’agissait de préparer les commerçants indépendants aux transformations commerciales qui se dessinaient alors.
« La révolution culturelle c’était de dire : on va mettre des conseillers commerce en place, qui vont accompagner la modernisation des commerces français de façon à ce que l’arrivée des grandes surfaces ne soit pas une trop grande catastrophe »
Il fallait aussi empêcher l’émergence d’un nouveau mouvement politique de contestation : « Ils avaient eu avant l’expérience Poujadiste, avec 55 députés à la chambre, « les petits contre les gros, sortez les sortants », très beau slogan, mais c’était à peu près le programme. Donc le ministre s’est dit : on a déjà eu ça, les petits contre les gros, cette révolution culturelle, hein et il s’est pas trompé puisqu’il a créé le CEFAC en 1961 et le premier hypermarché c’était en 1963 » Extrait d’entretien, représentant du CEFAC.
Rappelons que le contexte politique de l’époque était tendu, marqué par la colère des petits patrons. L’inquiétude de l’État était d’apaiser les tensions et de pacifier les rapports entre les commerçants et la puissance étatique. La création des ATC émane d’une volonté de l’État d’accompagner et de soutenir le petit commerce.
Depuis les années 1960, les chambres consulaires étaient considérées comme les interlocuteurs légitimes sur la question du commerce et avaient pour charge d’accompagner la modernisation du commerce. Dès lors que le concept de management des centres-villes a commencé à se répandre en Europe, plusieurs acteurs se sont intéressés à ce concept pour l’importer sur le territoire français. Les initiatives de collectives se sont multipliées à la fin des années 1990 sous l’impulsion de l’État, de la Fédération Nationale des Centres-Villes, de l’Union du Commerce de Centre-Ville ou encore de l’Association des Maires de Grandes Villes qui soutient la démarche. Supposant que ces initiatives allaient se multiplier et prendre de l’importance à l’avenir, l’ACFCI (nb. l’organe représentatif des chambres de commerce) a pris le parti d’encourager leur développement en se positionnant comme interlocutrice privilégiée sur ces questions. Pour l’ACFCI, la gestion de centre-ville doit apporter une méthodologie capable de favoriser la mobilisation des acteurs locaux et d’aider ces derniers à formuler et à mettre en oeuvre une stratégie commune de redynamisation économique des centres-villes en se basant sur des règles et des expériences éprouvées et validées. Si plusieurs expériences partenariales existent déjà en France, il n’existe pas encore de méthodologie à proprement parler et c’est sur ce terrain que l’ACFCI va tenter d’étendre ses prérogatives en définissant les principes structurants de ce nouveau modèle de gestion.
C’est ainsi qu’en 1999, l’ACFCI publie en partenariat avec EDF, un ouvrage sur la gestion collective des centres-villes. Celui-ci ouvre la voie à la constitution d’une expertise sur les sujets de redynamisation économique des centres-villes. Au début de cet ouvrage, la rédactrice Bernadette Roussy chargée de mission à l’ACFCI, expose les blocages freinant le développement commercial en centre-ville :
« des actions réduites à de simples politiques d’animation commerciale, n’intégrant pas suffisamment les questions de logement, de circulation, de stationnement, etc.
– des actions reposant trop souvent sur un seul partenaire,
– une mobilisation insuffisante des acteurs du centre-ville (à commencer par les commerçants),
– des moyens financiers insuffisants (et notamment au-delà des 3 années subventionnées par l’Etat) provoquant des difficultés de financement,
– un manque de locomotives,
– un manque de professionnalisme des opérateurs chargés de l’animation des projets de revitalisation (…) » (Roussy, 1999 : 10).
Si la revitalisation des centres-villes est au coeur de l’agenda politique, Bernadette Roussy avance que cette politique « sera d’autant plus efficace qu’elle permettra la mobilisation de tous les acteurs du développement local ». La gestion collective apparaît comme une solution capable de répondre aux enjeux qui se posent mais celle-ci appelle une nouvelle forme d’expertise sur la manière de créer de l’attractivité. C’est ainsi que Bernadette Roussy tente de poser les bases d’une méthode de gestion de centre-ville à la française permettant la valorisation du centre-ville « comme lieu de vie, d’achats, de culture, de tourisme et d’investissement ». Elle y décrit les différentes étapes relatives à l’élaboration d’une démarche collective de gestion de centre-ville puis dépeint les nouveaux métiers censés soutenir et permettre la mise en oeuvre de ces initiatives partenariales. En faisant cela, elle espère esquisser une méthode qui puisse convenir à l’ensemble des acteurs engagés dans ce type de démarche et restreindre la profusion de modèles observée jusqu’alors. C’est donc un premier pas vers une homogénéisation des pratiques. Dans la méthode préconisée par B. Roussy, le partenariat public-privé se constitue originellement autour des élus et du monde du commerce mais peut être étendu à tout acteur du centre-ville : associations culturelles et de loisirs, promoteurs, banquiers, urbanistes, EDF, offices du tourisme, etc. Pour fonctionner, les commerçants doivent être réunis au sein d’une seule fédération rassemblant à la fois les indépendants et les grandes enseignes, dont la représentation sera assurée par une double présidence afin « d’équilibrer les forces entre ces deux types de commerces ». La gestion de centre-ville est assurée par une structure neutre, créée pour l’occasion et financée par ses membres principaux : la Ville, les deux chambres consulaires et la fédération commerçante. La neutralité de la structure doit permettre « d’éviter les tiraillements entre acteurs locaux » et de « gérer ses propres fonds, prendre des décisions importantes ». Elle permet surtout aux commerçants de s’impliquer dans les politiques publiques et de mobiliser les élus locaux. L’objectif d’une telle structure est avant tout de se pérenniser dans le temps, et de s’autonomiser du FISAC. Ce financement doit reposer sur les acteurs concernés, puis à terme sur des investisseurs si les résultats sont probants. Les actions menées par la structure peuvent poursuivre plusieurs objectifs tels que l’amélioration de la gestion de l’espace public et son accessibilité, l’animation du centre-ville, l’accueil et le service à la clientèle, l’amélioration de l’offre commerciale, la valorisation et promotion du site, etc. Ces objectifs doivent être évalués par le biais d’indicateurs (cf. table 2). Ainsi, la gestion de centre-ville doit asseoir l’image du centre-ville comme une « entité cohérente et non plus comme une multiplicité d’acteurs ». Elle doit permettre une meilleure capitalisation des moyens par la mise en commun des ressources et attirer ainsi de nouveaux investisseurs. Ce modèle est proche de celui de l’AMCV, avec qui l’ACFCI échange beaucoup sur ces questions.

La création d’une structure nationale par le privé : l’échec de l’AFMCV

Considérant les assistants techniques au commerce comme des ancêtres des managers de centre-ville, les chambres de commerce ont vu dans la gestion de centre-ville une manière de prolonger leur activité. Elles ont vite pris la main sur le concept en participant à sa structuration et en s’assurant une place dans les démarches futures qui allaient voir le jour. Mais il fallait pour cela convaincre les autres villes et les pousser à adopter ce programme. Suite à la publication d’un guide sur la gestion de centre-ville, l’ACFCI et la FNCV organisent conjointement un colloque national sur le sujet. Ce colloque rassemble des centaines de personnes : des consulaires, des élus locaux, des associations de commerçants, des grands groupes publics (EDF, GDF) et privés (Auchan, Logidis-Promodès, Accor, etc.), la fédération des enseignes Procos, la Caisse des Dépôts, des représentants de ministères (commerce, urbanisme et tourisme), des représentants étrangers et des journalistes. Cet évènement doit convaincre de l’intérêt d’une gestion collective du centre-ville. À cette fin, les témoignages se succèdent184 et un collectif d’acteurs composé de l’ACFCI, la FNCV, la Caisse des Dépôts et la Direction des Entreprises Commerciales, Artisanales et des Services (DECAS) vient présenter aux participants leur modèle de gestion de centre-ville à la française. Cette organisation laisse transparaître le travail d’enrôlement mené en amont auprès de l’État et des représentants du commerce.
Ce colloque doit permettre de former une coalition d’acteurs publics et privés engagée pour la revalorisation des centres-villes. Cette coalition serait à terme incarnée par la création d’une structure nationale de réseau et de lobbying, proche de l’AMCV en Belgique. Il s’agit ici de susciter l’intérêt pour une telle structure et d’anticiper sa création en consolidant les ententes. Malgré une volonté de faire consensus, plusieurs acteurs expriment leur désaccord auprès des organisateurs, leur reprochent d’être trop consensuels, de faire fi de la question de du développement du commerce à la périphérie des villes sur laquelle le gouvernement maintient une position fermée (celle du refus de revoir encore une fois le régime d’urbanisme commercial). Alors que certains acteurs défendent l’idée que centre et périphérie sont complémentaires et que l’opposition entre les deux est dépassée, d’autres écartent de tels arguments en dénoncant les impacts de la croissance périphérique sur le commerce de centre-ville. Ici réside l’une des premières difficultés de la gestion de centre-ville : celle-ci peine à s’extraire de la question de la défense des commerçants de centre-ville, ce qui entrave l’adhésion des enseignes de la grande distribution au mouvement, considérée par certains comme nécessaire à la revalorisation des centres.
C’est certainement une des fractures les plus importantes qui ressort de ces débats et elle entrave fortement l’émergence de coalitions tant aux niveaux local que national. Les échanges laissent globalement transparaître un désir d’impliquer les décideurs dans la cause du commerce de centre-ville : les grands magasins regrettent que les aménagements urbains ne créent pas les conditions nécessaires à leur arrivée (ex : mise en place d’un tramway). Les consulaires évoquent quant à eux un manque de volonté de la part des pouvoirs publics de soutenir le commerce central. L’Association des Maires de France rétorque qu’il est impossible pour les élus locaux de prendre des décisions efficaces en termes d’urbanisme commercial car la commission nationale d’équipement commercial (l’État) donne systématiquement des avis contraires à ceux des commissions départementales (les élus et les représentants du commerce). L’évènement se clôture sous tension par l’allocution du représentant étatique de la Direction des Entreprises (DECAS) qui affirme son soutien à la gestion de centre-ville mais exclut toute possibilité d’entraver plus fortement la croissance périphérique.

Référentiel métier et formation : homogénéiser les pratiques

Il faut attendre la fin des années 2000 pour que la professionnalisation du métier de manager de centre-ville prenne un nouvel élan. Hervé Novelli, le nouveau secrétaire d’État chargé au commerce, lance en 2008 un plan d’action pour le développement du commerce de proximité. Le management de centre-ville constitue une des pistes d’action envisagées pour favoriser le maintien du commerce central mais le ministre demande à structurer les démarches car celles-ci sont encore trop éparpillées. La création d’outils d’urbanisme commercial a suscité l’implication des élus locaux. Cette dernière a favorisé l’intégration des managers de centre-ville dans les politiques locales, si bien que de plus en plus de professionnels travaillent directement pour le compte des collectivités locales. Ce mouvement de municipalisation s’ajoute aux modèles existants et vient accentuer la profusion de configurations de gestion de centre-ville. L’État veut réduire cette multiplicité d’agencements, de statuts et d’intitulés de postes :
« Dans cette recherche d’une nouvelle dynamique pour leurs centres-villes, les élus réagissent et innovent mais en ordre dispersé :
– certains développent, aujourd’hui, une démarche de gestion partenariale de centre-ville et ont embauché un manager de centre-ville ou de ville,
– d’autres attribuent à leurs animateurs des fonctions d’un manager,
– d’autres ont des managers du commerce.
Certaines villes ont formalisé un vrai partenariat en créant un Office de Commerce (…) ou en développant une structure sous forme associative (…). D’autres utilisent des concepts de partenariats existants (“Les Vitrines de … ”), d’autres encore ont signé des conventions de partenariat liant ainsi des chambres de commerce et d’industrie et des collectivités locales pour la création d’un poste de manager de ville affecté à une commune ou une communauté » (ACFCI, 2009 : 5).
Pour les promoteurs du management de centre-ville, une harmonisation des pratiques est nécessaire pour gagner en reconnaissance et « en lisibilité » auprès des décideurs. Hervé Novelli demande alors à l’ACFCI de rédiger un « référentiel métier » afin de clarifier les missions des managers et le statut de ces professionnels. L’écriture de ce référentiel suscite de nombreux enjeux dans la communauté du management de centre-ville.
D’un côté, les managers de centre-ville sont de plus en plus nombreux, ils organisent petit à petit la représentation de leur profession et commencent à se penser comme un groupe professionnel à part entière (Gadéa, Demazière, 2009), uni autour d’une identité et de problématiques communes. Un « Club des Managers de Centre-Ville » (CMCV) est créé au milieu des années 2000, à l’initiative de quelques managers pour échanger les bonnes pratiques et dénoncer des conditions d’exercice et d’emploi jugées insatisfaisantes : reconnaissance insuffisante de la part des partenaires, manque de légitimité de la profession, turn-over important lié à la précarité contractuelle (managers recrutés en CDD dans les temporalités du FISAC, soit des contrats de 3 ans), salaires insuffisants, absence de formation adaptée, manque de « volonté politique » pour faire vivre ces postes, etc. L’absence de référentiel encourage les dérives au niveau local, en particulier de la part des élus locaux : alors que des managers sont recrutés par opportunité suite à l’obtention d’un FISAC voient leur contrat non renouvelé à la fin des trois années de subvention, d’autres voient leur rôle limité à l’animation commerciale et n’ont aucun moyen d’agir en profondeur sur l’attractivité urbaine, faute de soutien politique et de moyens financiers suffisants pour exercer correctement leur profession. Par ailleurs, les élections municipales fragilisent les partenariats avec les chambres consulaires et les managers recrutés dans le cadre de ces alliances pâtissent de ces changements qui dégradent leurs conditions de travail voire fragilisent leurs emplois. Si une expertise technique se constitue sur le thème du management commercial, elle reste difficile à mettre en oeuvre quand elle se heurte à un manque de volonté politique. De fait, la rédaction d’un référentiel métier constitue une opportunité pour les managers de défendre une définition qualifiée de leur métier et plus généralement de leur activité, de façon à avoir de meilleures conditions d’emploi et de travail. Ainsi, les managers réunis en club, vont s’engager plus fortement dans le processus de professionnalisation de leur métier, notamment pour asseoir la légitimité de leur profession et améliorer leurs conditions d’emploi et de travail.

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Table des matières

Partie I. Le commerce comme objet d’intervention publique
Chapitre 1. L’émergence de la société de consommation : reconfigurations des usages marchands dans la ville
Chapitre 2. Vers la consommation de masse : dynamiques marchandes et mutations urbaines
Chapitre 3. Les prémices de l’urbanisme commercial : une vocation urbaine oubliée
Chapitre 4. Intégrer le commerce dans l’urbanisme, un processus inachevé
Partie II. Le management commercial : métiers
Chapitre 5. De la préoccupation du commerce urbain au métier de manager de centre-ville
Chapitre 6. Profils et trajectoires de managers : du commerce à la ville
Partie III. Le management commercial : pratiques
Chapitre 7. La politique de management commercial à Toulouse soumise aux traductions
Chapitre 8. Le manager de centre-ville, un professionnel du commerce au service de la ville
Partie IV. Commerce Avenir : se positionner comme acteur de l’offre
Chapitre 9. Le choix des quartiers : revaloriser les quartiers « populaires » du centre-ville
Chapitre 10. L’acquisition de locaux commerciaux : entre valuations politique et économique
Chapitre 11. Sélection marchande, sélection sociale : le choix des locataires
Conclusion générale
Bibliographie

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