De la Commune de Paris au Panthéon (1871-2013)

PROLOGUE. L’IRRUPTION DU PANTHEON

En mai 2013, ma thèse est déjà commencée depuis deux ans et demi. Le président de la République François Hollande lance une campagne de panthéonisation , marquée par une volonté de faire entrer dans le « temple républicain » des femmes célèbres qui se sont distinguées dans l’histoire nationale. En mai 2013, il demande à Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux , de lui faire part de ses réflexions et de ses propositions relatives au rôle dévolu au Panthéon « d’élaboration et de promotion des principes de la République » et, par conséquent, de suggérer certaines personnalités susceptibles d’y entrer en tenant compte « de la parité et de la diversité, propres à rendre sensible au plus grand nombre la portée de ces entrées » . Le rapport de Philippe Bélaval, rendu en septembre, fait état de vingt propositions réparties en trois axes : « rendre son attractivité au Panthéon », « utiliser davantage le monument dans la vie de la République », « continuer de décerner les honneurs du Panthéon à des personnalités importantes » . La dernière de ces propositions fait explicitement référence à la nécessité de « rendre hommage à des femmes du XXe siècle incarnant un message fort d’engagement républicain ». Pour Philipe Bélaval, le Panthéon doit être un espace mixte s’il veut devenir un espace qui incarne les valeurs de la République. Pour construire son rapport, Philippe Bélaval s’est appuyé sur trois méthodes de collecte d’information : des entretiens avec des personnalités considérées comme spécialistes de la question (une méthode classique dans l’élaboration de rapports par les institutions gouvernementales), une étude de publics et une consultation publique via internet.

En juin 2013, une cinquantaine d’associations , rassemblées sous le nom de « Collectif pour des femmes au Panthéon » lancent une campagne en faveur de l’entrée de femmes au Panthéon. Cinq noms sont proposés par le collectif : Olympe de Gouges, Solitude, Louise Michel, Germaine Tillion et Simone de Beauvoir. Ce collectif a assuré un travail de diffusion de l’information efficace et visible, notamment sur les réseaux sociaux. Une pétition intitulée « François Hollande : panthéonisez des femmes ! » est diffusée via la plateforme de pétitions en ligne change.org. Elle a reçu 4884 signatures.

Le 26 août 2013, elles organisent une manifestation place du Panthéon. Le jour du 26 août est volontairement choisi pour faire écho à une date symbolique et importante dans la mémoire féministe : le 26 août 1970, où quelques femmes ont déposé une gerbe sous l’arc de triomphe en hommage à la femme du soldat inconnu, est considéré comme l’acte fondateur du Mouvement de libération des femmes. Lors de cette manifestation, cinq grands portraits des femmes proposées par le Collectif sont brandis par les militantes. De composition identique, ces affiches présentent en quelques lignes les cinq figures, et se terminent par une phrase-choc : « Elle n’est toujours pas au Panthéon ».

A l’issue de cette manifestation, les militantes d’Osez le féminisme peignent sur les trottoirs du quartier latin les noms des cinq femmes proposées par le Collectif. Cette association, qui fonctionne principalement à travers l’usage des réseaux sociaux et par la réalisation de campagnes, de performances ou de happenings, diversifie ainsi la visibilité de leurs revendications.

La consultation en ligne est mise en place sur le site du Centre des monuments nationaux le 2 septembre 2013, pendant vingt jours. 30 715 personnes ont entièrement répondu au questionnaire, parmi lesquelles 46% sont des femmes et 41% ont entre 26 et 49 ans. Les personnalités les plus fréquemment proposées correspondent aux recommandations du Collectif pour des femmes au Panthéon. Même si tous les noms suggérés par le collectif n’apparaissent pas dans le palmarès de la consultation (Solitude en est exclue), les quatre personnalités qui ont récolté le plus de votes sont des femmes, et elles représentent la moitié des vingt noms les plus cités . Louise Michel arrive en troisième position.

Pendant toute la période, des personnalités politiques ou universitaires donnent leur avis sur les personnalités à faire (ou à ne pas faire) entrer au Panthéon. Je découvrirai plus tard que certaines des associations engagées en faveur de l’entrée de femmes au Panthéon comptent parmi leurs membres des actrices engagées par ailleurs dans la mémoire de Louise Michel. Ainsi, Claudine Rey, alors co-présidente de l’Association des Amis de la Commune de Paris 1871, est aussi membre de l’association féministe Femmes solidaires, qui propose une liste de soixante-dix noms de femmes panthéonisables, envoyée au Centre des monuments nationaux mais restée sans réponse . Des historiens universitaires prennent également position en faveur de la panthéonisation de Louise Michel. C’est le cas de Christian Chevandier, professeur d’histoire contemporaine à l’Université du Havre, spécialiste de l’histoire du travail, qui publie une tribune dans le Monde le 26 novembre 2013. Dans ce texte, intitulé « Louise Michel au Panthéon ! », Christian Chevandier affirme que la défense de la candidature de Louise Michel, une femme, une anarchiste, l’institutrice des plus démunis, s’inscrit dans une volonté de représentativité de l’hommage républicain. Alors que le Panthéon est une institution républicaine censée représenter les valeurs et les principes du régime il faut, affirme Christian Chevandier, « rendre hommage non aux ‘grands hommes’ mais au peuple de France en faisant entrer la dépouille d’une sans-grade de la Commune dans le monument néoclassique de la Montagne Sainte-Geneviève dont le frontispice proclamerait désormais : A celles et ceux qui ont fait son histoire, la patrie reconnaissante . » De même, parmi les personnalités spécialistes reçues en entretien par Philippe Bélaval, certaines se sont exprimées en faveur de Louise Michel. Outre le Collectif pour des femmes au Panthéon, on y trouve par exemple Jean-Noël Jeanneney, professeur d’histoire à l’IEP de Paris et ancien secrétaire d’Etat pendant la présidence de Mitterrand, qui déclare sur France Culture soutenir la candidature de Louise Michel à la panthéonisation .

Cette apparition du nom de Louise Michel au cœur d’un processus d’intégration et de normalisation républicaine des personnalités de l’histoire vient confirmer mes premières hypothèses. Comment expliquer qu’une personnalité historique, que j’ai connue comme une figure de révolutionnaire anarchiste, déportée et emprisonnée par le pouvoir politique de la Troisième République, soit devenue une figure de l’histoire républicaine ? Cette interrogation, initialement apparue face au large usage toponymique de son nom, aux apparitions de sa référence dans des discours du personnel politique républicain (du Parti socialiste au NPA), à son intégration dans les manuels scolaires, est en 2013 nourrie par la surprise de voir Louise Michel devenir une figure légitime à la panthéonisation.

Le 21 février 2014, François Hollande annonce la panthéonisation de deux femmes : les résistantes Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Seule Germaine Tillion fait partie de la liste proposée par le Collectif pour des femmes au Panthéon, et des noms les plus fréquemment proposés lors de la consultation en ligne organisée par le Centre des monuments nationaux. Les choix de François Hollande se sont portés sur des personnalités du 20e siècle (de même pour les hommes, il s’agit de Jean Zay et de Pierre Brossolette), conformément aux préconisations de Philippe Béléval .

En amont de la décision de François Hollande, la proposition de faire entrer Louise Michel au Panthéon ne fait déjà pas l’unanimité. L’inexistence d’un discours unifié et consensuel autour de la panthéonisation de Louise Michel laisse ainsi entrevoir les limites de l’hommage collectif à cette figure historique. Sur toute la période des débats autour de l’entrée de nouvelles personnalités au Panthéon, je suis inscrite sur une liste de diffusion féministe universitaire, où plusieurs commentaires se succèdent au sujet de la place de Louise Michel au Panthéon. S’opposent deux points de vue, l’un favorable à la panthéonisation de Louise Michel, l’autre défavorable. Le premier est défendu par des individues poches d’Osez le féminisme ou du Collectif pour des femmes au Panthéon. Le second regroupe des personnes moins clairement identifiables, dont le positionnement social et politique est plus flou. Leur argumentaire se décline sous trois aspects : la nécessité de supprimer le Panthéon , la volonté de prendre en compte d’autres oubliés de l’histoire, l’interrogation sur les motivations de proposer un nom de militante anarchiste comme Louise Michel.

POURQUOI LOUISE MICHEL ? 

Louise Michel est née en 1830 à Vroncourt, en Haute-Marne. Elle devient institutrice sous l’Empire, mais refuse de prêter serment à l’Empereur Napoléon III. En 1856, elle se rend à Paris, où elle continue d’exercer son métier d’institutrice. Vient la Commune de Paris, à laquelle elle participe, à la fois comme cantinière, infirmière et combattante. Après la semaine sanglante, elle se rend à l’armée versaillaise qui a arrêté sa mère à sa place. Elle est condamnée en décembre par le 6e conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée, et est transportée en Nouvelle Calédonie. Blanquiste avant la Commune, elle devient anarchiste pendant la déportation. En 1880, le gouvernement vote l’amnistie plénière des communards. Louise Michel revient à Paris, où elle enchaîne les tournées de conférences, est invitée à de multiples meetings, rédige de nombreux textes littéraires, politiques, poétiques et théâtraux. Sa célébrité est grandissante : elle est très présente dans la presse (autant dans la presse politique que dans la presse généraliste à grand tirage) qui lui consacre des articles entiers. Cette célébrité est notable pour une femme à cette période (qui plus est anarchiste), en ce qu’elle parvient à se faire connaître dans l’espace politique sans avoir accès aux mandats électifs et sans être intégrée dans la démocratie représentative. En 1883, Louise Michel prend part à une manifestation dite « des ouvriers sans travail » à l’Esplanade des Invalides, lors de laquelle des boulangeries ont été pillées. Pour cela, elle est condamnée à six ans d’emprisonnement. Elle sera libérée en janvier 1886, suite à d’importantes mobilisations en sa faveur et en faveur de la libération des prisonniers politiques. À sa sortie, elle reprend son activité de propagandiste et d’écrivaine. En janvier 1888, lors d’une conférence au Havre, elle est victime d’une tentative d’assassinat par un dénommé Lucas. Une première balle lui traverse l’oreille, la seconde pénètre la boite crânienne et les médecins ne parviennent pas à l’extraire. Louise Michel prend la défense de son agresseur et demande aux tribunaux de ne pas le condamner : il sera finalement acquitté. En mai 1890, après avoir à nouveau été emprisonnée pour appel à la violence à la suite des manifestations du 1e mai à Vienne, un médecin demande son internement pour cause de folie. Elle fuit alors la France et s’exile en Angleterre, où elle reprend son travail d’institutrice et continue d’écrire. Elle fait alors moins l’actualité en France, même si ses retours à Paris sont toujours l’occasion de rassemblements populaires et de longs articles dans la presse. Le 9 janvier 1905, elle meurt à Marseille lors d’une tournée de conférences. Son corps est rapatrié à Paris et ses obsèques ont réuni entre dix mille personnes selon les chiffres de la préfecture de police et plus de cent mille personnes selon le compte-rendu publié dans L’Humanité .

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Table des matières

Introduction
Prologue. L’irruption du Panthéon.
Pourquoi Louise Michel ?
La fabrication d’une figure politique : croiser les perspectives.
Faire une sociologie historique de la carrière d’une figure politique dans une monographie.
Annonce de plan.
PREMIERE PARTIE. Marginalité et célébrité politiques. Se faire un nom en politique quand on est une femme anarchiste dans le dernier tiers du XIXe siècle.
Chapitre 1. Les voies de la célébrité : être connue et reconnue dans le dernier tiers du XIXe siècle.
Section 1. Une reconnaissance par les pairs : la construction de la popularité révolutionnaire.
Section 2. Visibilité et renommée de Louise Michel : les formes d’une célébrité politique dans le dernier tiers du XIXe siècle.
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2. La popularité révolutionnaire de Louise Michel : représentation, incarnation et symbolisation politique.
Section 1. Construire l’exemple et le symbole : les processus de politisation autour de la figure de Louise Michel.
Section 2. Le nom comme modalité d’émergence d’une cause politique commune : le cas de l’Affaire Louise Michel (1883-1886).
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3. Une célébrité politiquement polarisée : investissement des opposants et travail concurrentiel d’imposition de sens.
Section 1. Louise Michel, la pétroleuse : construire la dangerosité morale et politique de la Commune.
Section 2. Les discours sur la violence de Louise Michel : les expressions de l’antisocialisme.
Section 3. Faire face aux propositions féministes de Louise Michel : la constitution d’un proto-masculinisme.
Conclusion du chapitre 3
DEUXIEME PARTIE. Les conditions de production de la postérité d’une personnalité historique. La carrière de la figure de Louise Michel face aux mémoires politiques.
Chapitre 4. « Mourir en politique » : ce que la mort fait à la carrière de la figure de Louise Michel.
Section 1. Entreprises de cadrage et logiques de stabilisation du sens.
Section 2. L’enterrement, ou la production agonistique du souvenir.
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5. Sociologie de la mise en place d’une commémoration : les mémoires politiques de Louise Michel (1905-1971).
Section 1. De la mort à la postérité : les tâtonnements commémoratifs autour du projet avorté d’une statue de Louise Michel.
Section 2. L’instauration d’une célébration partisane : le rôle du Parti communiste dans la postérité de Louise Michel.
Conclusion du chapitre 5
Chapitre 6. La canonisation républicaine de Louise Michel : le tournant des années 1970.
Section 1. Des radicalités politiques au roman national : la pacification des mémoires de la Commune et de Louise Michel.
Section 2. De la marginalité politique au panthéon républicain : Louise Michel face au féminisme.
Section 3. Matérialiser les évolutions symboliques et politiques autour de Louise Michel : les manuels scolaires et la toponymie urbaine.
Conclusion du chapitre 6
Chapitre 7. Sociabilités, concurrences et traditions : les ressorts de la mémoire de Louise Michel aujourd’hui.
Section 1 : L’hydre de la mémoire. Réseau polycéphale et acteurs multipositionnés
Section 2. Dispositifs de transmission et régimes mémoriels autour de Louise Michel.
Conclusion du chapitre 7
Conclusion générale

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