Cycle de l’azote dans les écosystèmes naturels ou semi-naturels terrestres

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Cycle de l’azote dans les écosystèmes naturels ou semi-naturels terrestres

Transformations microbiennes dans le sol

Dans les écosystèmes terrestres naturels ou semi-naturels, la majeure partie du Nr est présent sous forme organique dans la biomasse et dans la matière organique morte. Seule une faible proportion est disponible sous forme inorganique dans le sol (1-10 kg N ha-1 an-1 ; Butterbach-Bahl and Gundersen, 2011). Les sols sont le principal réservoir d’azote, contenant en moyenne 133-140 Pg N (1 Pg = 1015 g) à l’échelle du globe (Batjes, 1996), contre environ 10 Pg N dans la biomasse végétale et environ 2 Pg N dans la biomasse microbienne (Davidson, 1994). Cependant, ce sont les processus microbiens dans le sol qui déterminent le cycle biogéochimique de l’azote (Seitzinger et al., 2006).
Les microorganismes ont développé des processus métaboliques d’oxydation ou de réduction des composés azotés dont ils tirent une part de leur énergie cellulaire. La décomposition de la matière organique consiste tout d’abord en la dépolymérisation de larges polymères en monomères. Cette transformation est réalisée par des enzymes extracellulaires libérées par des bactéries et des champignons. Les monomères peuvent être immobilisés par les plantes et les microorganismes ou peuvent être dégradés par les microorganismes et libérer de l’ammonium (NH4+ ; ammonification). L’ammonification est un processus peu spécifique réalisé par de nombreux microorganismes hétérotrophes en conditions aérobies ou anaérobies (Jarvis et al., 1996). L’ammonium peut ensuite être converti en nitrite (NO2-, nitrosation) puis en nitrate (NO3-, nitratation) lors de la nitrification. Chacune des étapes de la nitrification est réalisée par un groupe distinct de bactéries (et d’archées pour la nitrosation) autotrophes aérobies, utilisant l’ammonium ou le nitrite comme source d’électrons pour réduire le dioxyde de carbone (Wrage et al., 2001; Costa et al., 2006). Le nitrate (et l’ammonium non nitrifié) du sol sont alors disponibles pour les plantes et les microorganismes qui les assimilent en les reconvertissant en azote organique. Le nitrate peut également être réduit en ammonium par des bactéries fermentaires en conditions anaérobies (DNRA pour Dissimilatory Nitrate Reduction to Ammonium). La DNRA est un processus reconnu comme important dans les milieux humides mais pourrait également être significatif dans les sols prairiaux tempérés (Müller et al., 2004, 2007). Les microorganismes hétérotrophes des sols (bactéries et champignons) assimilent l’azote sous formes organiques et inorganiques. Ils prélèvent l’ammonium, moins coûteux à assimiler que le nitrate (Recous et al., 1990). Cependant, l’assimilation de nitrate par les microorganismes peut également être importante, notamment dans les sols non perturbés (Booth et al., 2005; Myrold & Posavatz, 2007).

Prélèvement et utilisation de l’azote par les plantes

Les plantes prélèvent l’azote dans le sol sous forme inorganique (nitrate et ammonium) et, possiblement en plus faible quantité, sous forme organique (acides aminés et autres monomères) via leur système racinaire. L’intensité du prélèvement et la forme de l’azote prélevée dépendent de la quantité et de la forme de l’azote disponible dans le sol, des caractéristiques du sol, de la phénologie de la plante et du groupe fonctionnel voire de l’espèce. En effet, la coexistence d’un grand nombre d’espèces dans des milieux à ressource en azote limitée peut s’expliquer par une utilisation de formes différentes de l’azote (Chapin et al., 1993; George et al., 1999; McKane et al., 2002; Pornon et al., 2007), un prélèvement à différentes profondeurs du sol (Casper & Jackson, 1997) et à des périodes différentes (Theodose et al., 1996; Hooper, 1998; McKane et al., 2002; Pornon et al., 2007). Par ailleurs, les plantes prélèvent majoritairement l’azote sous forme de nitrate dans les sols à pH élevé et bien oxygénés et sous forme d’ammonium dans les sols à faible pH et réducteurs, en raison de l’abondance relative des deux formes minérales (Maathuis, 2009). L’azote prélevé par les racines est assimilé et/ou transporté vers les feuilles. Le nitrate est réduit en nitrite dans le cytoplasme par la nitrate-réductase, puis en ammonium dans les plastes par la nitrite-réductase. Ces étapes ont lieu dans les feuilles et/ou dans les racines en fonction des espèces (Gojon et al., 1991). L’ammonium est assimilé en glutamine et glutamate au niveau des racines et des feuilles par la voie GS-GOGAT (Glutamine Synthétase – Glutamate Synthase). Le glutamate est un acide aminé central du métabolisme azoté des plantes vasculaires, à l’origine (avec la glutamine dans une moindre mesure) de la synthèse de la plupart des autres acides aminés par le jeu des aminotransferases.
Dans la plante, l’azote est très mobile et de nombreux échanges existent entre les compartiments. Par exemple, l’azote des organes en sénescence est en partie résorbé pour être réalloué à d’autres organes en croissance (nouvelles feuilles, fleurs, graines…). L’azote résorbé lors de la sénescence des organes (généralement les feuilles) peut également être stocké avant d’être réalloué, lors d’une nouvelle période de croissance végétative par exemple (Millard, 1988).

Gains et pertes d’azote à l’échelle de l’écosystème

Les deux voies d’entrées d’azote dans les écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels sont la fixation biologique de N2 et les dépôts atmosphériques de Nr. La fixation biologique de N2, qu’elle soit réalisée par des symbioses ou des microorganismes libres dans le sol, représente des flux de l’ordre de 1,7 kg N ha-1 an-1 dans les forêts boréales à 36,5 kg N ha-1 an-1 dans les plaines inondables tropicales, représentant 2,70 kg N ha-1 an-1 dans les prairies naturelles (Cleveland et al., 1999). Avant la période industrielle, la fixation biologique de N2 était la source majeure d’entrée d’azote dans les écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels. Actuellement, les dépôts atmosphériques azotés représentent une source équivalente voire supérieure dans ces milieux avec des flux de l’ordre de 5 à 50 kg N ha-1 an-1 (Vitousek et al., 1997; Galloway et al., 2008).
A l’échelle de l’écosystème, des pertes d’azote ont lieu sous forme gazeuse (Nr ou N2 émis dans l’atmosphère) ou sous forme d’azote inorganique ou organique dissous dans les eaux de lessivage. Les pertes d’azote par lessivage concernent principalement le nitrate, très mobile dans les sols. A l’inverse, l’ammonium fixé par le complexe argilo-humique des sols contribue généralement pour moins de 5% de l’azote total dissous dans la solution du sol, excepté dans les sols particulièrement chargés en ammonium (de Vries et al., 2007; Dise et al., 2009). Les formes d’azote organique dissous contribueraient également pour une part importante de l’azote lessivé, notamment dans les écosystèmes non, ou peu, impactés par les activités humaines (Perakis & Hedin, 2002). Lors d’incendies, la combustion de la matière organique libère dans l’atmosphère des oxydes d’azote (principalement NO et NO2). Les processus microbiens de dénitrification libèrent également de l’azote gazeux (N2O et N2). Les pertes globales d’azote par dénitrification dans les écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels sont relativement faibles en comparaison des flux de dénitrifications dans les océans ou encore sur les sols cultivés (Butterbach-Bahl et al., 2011). Les pertes par dénitrification sont très variables d’un écosystème à un autre. Butterbach-Bahl et al. (2013) ont compilé des mesures en milieux terrestres semi-naturels allant de 0,17 à 1,6 – 6,6 kg N-N2O ha-1 an-1 et de 0,51 à 73,8 kg N-N2 ha-1 an-1. Enfin, des pertes par volatilisation de l’ammonium (NH4+) en ammoniac (NH3) peuvent également avoir lieu. Cependant, la volatilisation intervient généralement dans le cas de fortes concentrations d’ammonium en surface du sol, conditions peu fréquentes dans les écosystèmes naturels mais répandues dans les milieux agricoles fertilisés.

Conséquences d’une augmentation des dépôts atmosphériques d’azote pour les écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels

L’augmentation des dépôts azotés peut impacter les écosystèmes terrestres et leur diversité végétale à travers différents processus aux effets plus ou moins directs. L’occurrence de concentrations très élevées dans l’air de NO, NO2, NH3 ou NH4+ peut avoir des effets toxiques directs sur les parties aériennes des végétaux causant nécroses, modifications physiologiques et réductions de la croissance (Pearson & Stewart, 1993; Krupa, 2003). Ce risque est cependant limité pour les plantes en conditions naturelles, hormis chez certains lichens et bryophytes qui semblent particulièrement sensibles à cette toxicité (Cape et al., 2009). De façon moins directe, l’augmentation des dépôts azotés peut modifier la sensibilité des plantes aux stress ou aux perturbations (sècheresse, gel, pathogènes, herbivores) à travers des modifications de leur teneur en composés secondaires et de leur vitalité (Sheppard et al., 2008). L’azote étant le principal élément limitant (ou co-limitant avec le phosphore, P) la plupart des milieux terrestres (Vitousek & Howarth, 1991; Elser et al., 2007), l’enrichissement en azote d’un écosystème, ou eutrophisation, sous l’effet des dépôts azotés conduit généralement à une augmentation de la productivité et de la teneur en azote de la végétation. Sous l’effet de l’augmentation de la quantité et de la qualité de la litière, la minéralisation de l’N est favorisée, renforçant avec le temps l’augmentation de la disponibilité de l’N dans le milieu. Ce changement peut modifier les interactions biotiques interspécifiques en augmentant la compétition pour la lumière ou d’autres ressources (eau, P,… suivant les caractéristiques du milieu) et conduire à l’exclusion compétitive de certaines espèces (Smith et al., 1998; Hautier et al., 2009).
Enfin, les dépôts azotés peuvent avoir un effet acidifiant sur les sols. En effet, la nitrification et le prélèvement racinaire de NH4+ conduisent à la libération de protons (H+) dans le sol. Les H+ libérés démobilisent les cations basiques qui peuvent ensuite être entraînés par lessivage, contribuant à la diminution du pouvoir tampon des sols et favorisant leur acidification (Marschner et al., 1991; Horswill et al., 2008). L’acidification du sol réduit la nitrification et le prélèvement par les plantes, favorisant une accumulation du NH4+ (Roelofs et al., 1985). La diminution du pH peut également entrainer la libération de métaux présents dans les sols, et notamment l’aluminium réactif (Aln+). L’accumulation de NH4+, Aln+ et autres métaux (Fe, Mn…) a des effets toxiques sur les plantes. Aussi, les divers changements dans les sols accompagnant leur acidification peuvent conduire à une perte d’espèces (Bowman et al., 2008). La réponse des espèces ou des communautés à ces processus dépend fortement de la durée d’exposition, de la quantité et de la forme physico-chimique de l’azote déposé, de la sensibilité intrinsèque de la (ou des) espèce(s), des conditions abiotiques locales (climat, caractéristiques du sol) et des pratiques de gestions (passées et présentes). Ainsi, différents écosystèmes et communautés n’auront pas la même sensibilité aux dépôts azotés. Afin de quantifier cette sensibilité et de l’intégrer dans les politiques de conservation de la biodiversité et de limitation des émissions de polluants, le concept de charge critique a été développé. La charge critique est définie comme une estimation quantitative de l’exposition à un ou plusieurs polluants au-dessous de laquelle aucun effet nuisible sur des éléments sensibles de l’environnement n’est observé, dans l’état actuel des connaissances (Nilsson, 1988). Les charges critiques sont actuellement définies à 5 – 10 kg N ha-1 an-1 pour les milieux les plus sensibles (toundra, forêts boréales, pelouses alpines et subalpines, communautés de mousses et lichens des sommets, tourbières) et à 30 – 40 kg N ha-1 an-1 pour les milieux les moins sensibles (marais pionniers et à faible ou moyenne salinité ; Bobbink et al., 2010). Ainsi, à l’échelle mondiale, les dépôts azotés devraient être la troisième cause de perte de biodiversité d’ici 2100 après les changements d’usage des terres et le changement climatique. A l’échelle des écosystèmes alpins, il s’agirait de la deuxième cause, juste derrière le changement climatique (Sala et al., 2000).

Dépôts atmosphériques azotés et pelouses subalpines

Présentation et particularités des pelouses subalpines

La définition de l’étage subalpin peut varier d’un auteur à l’autre. Ici, nous considérons qu’il s’étend de la limite supérieure de la forêt continue à la limite supérieure de répartition des arbres (pins à crochets) et arbustes (rhododendrons, genévriers, callunes, myrtilles…). L’étage subalpin est donc une zone de transition, caractérisée par une mosaïque de pelouses, de landes arbustives et d’îlots de pins à crochets. Les pelouses sont des formations végétales herbacées de hauteur limitée, dominées par des Poacées. Les pelouses subalpines sont essentiellement composées de graminoïdes (Poacées, Cypéracées, Joncacées…) souvent en touffes denses, d’herbacées pérennes (souvent en rosettes), de géophytes et de végétaux non vasculaires (mousses et lichens), avec parfois la présence de quelques petits arbustes et plantes en coussins. Les milieux subalpins, bien que dans une moindre mesure que les habitats des étages supérieurs (alpin et nival), sont associés à des caractéristiques climatiques particulières du fait de leur altitude : augmentation du flux de radiation solaire, de la fraction d’UV et de la fréquence de couverture nuageuse, et réduction de la durée de la saison de végétation (en climat tempéré). Le relief (pente et exposition) et la microtopographie influencent fortement les conditions climatiques et édaphiques locales (durée d’enneigement, ensoleillement, vent…), conférant à la végétation un agencement en mosaïque d’habitats et de communautés. Les sols subalpins sont riches en matière organique mais pauvres en nutriments en raison des faibles températures qui limitent les processus biologiques. Ceci est particulièrement vrai pour l’azote dont la disponibilité dépend presque uniquement (hors contexte de dépôts d’origine anthropique) de processus biologiques (fixation de N2 et minéralisation). Aussi, l’azote est très souvent le nutriment limitant la productivité des plantes dans ces milieux (Körner, 1999). Par ailleurs, l’accumulation de matière organique d’origine végétale dans ces sols froids est à l’origine d’un processus d’acidification prononcé (Körner, 1999). Aussi, il est fréquent d’observer dans ces milieux des sols aux pH particulièrement faibles.

Problématique

Les pelouses subalpines, écosystèmes oligotrophes et acidiphiles, sont potentiellement très sensibles aux dépôts azotés, soit par acidification (du fait du pH déjà très bas et du faible pouvoir tampon des sols ; Moncoulon et al., 2004) soit par eutrophisation (Clark et al., 2007). De tels impacts sont susceptibles de réduire leur biodiversité. En effet, de nombreuses espèces caractéristiques de ces milieux ont développé des stratégies de tolérance à une faible disponibilité en azote et sont donc potentiellement menacées d’exclusion par des espèces plus compétitrices en cas d’augmentation de la disponibilité en cet élément (Grime, 1977). Par ailleurs, les espèces rares sont généralement les premières menacées par l’augmentation des dépôts azotés du fait de leur amplitude écologique réduite et d’une sensibilité accrue aux concentrations élevées de NH4+ (Clark & Tilman, 2008; Kleijn et al., 2008).
En Europe, les écosystèmes d’altitude sont en moyenne plus éloignés des principales sources anthropiques d’azote atmosphérique que la plupart des écosystèmes semi-naturels de plaine (rarement très éloignés de zones urbaines ou agricoles). Ainsi, ils sont moins exposés aux dépôts azotés que les forêts, landes et prairies de basse altitude, notamment dans le Nord Ouest de l’Europe (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne…). L’urgence d’étudier les impacts environnementaux dans les zones les plus touchées explique en partie le nombre relativement faible de travaux portant sur les dépôts azotés dans les milieux d’altitude. Cependant, les dépôts atmosphériques actuels peuvent représenter une source d’azote assimilable quantitativement importante dans ces milieux où les taux de fixation biologique et de recyclage de l’azote organique sont réduits. D’autant que les phénomènes d’accroissement orographique des précipitations et d’effets « seeder-feeder » (un nuage bas chargé en polluants, « feeder », est lessivé par les précipitations d’un nuage haut, « seeder ») peuvent contribuer à augmenter les quantités de dépôts humides en zones de montagne (Hertel et al., 2011). Enfin, des études récentes ont souligné l’importance de l’accumulation à long-terme des dépôts chroniques de faible intensité et la sensibilité accrue des écosystèmes recevant ces faibles quantités de dépôts à la perte de diversité (Clark & Tilman, 2008; Stevens et al., 2010).

Objectifs de la thèse

Les pelouses subalpines sont des milieux a priori sensibles, i.e. susceptibles de répondre à une augmentation des dépôts azotés par des changements importants de fonctionnement de l’écosystème et potentiellement une perte de diversité. Elles ont été peu étudiées dans ce contexte, comparativement aux nombreuses études ayant porté sur le changement climatique. Ces dernières ayant montré des effets importants du changement climatique, nous avons appréhendé la réponse des pelouses subalpines aux dépôts azotés dans un contexte de changement climatique. Cette thèse a pour objectif principal de caractériser et de quantifier la vulnérabilité (i.e. les dépôts azotés auxquels le milieu est exposé) et la sensibilité aux dépôts atmosphériques azotés de ces milieux. Dans ce cadre, les questions de recherche abordées sont les suivantes : Quels sont les niveaux actuels de dépôts azotés sur ces milieux? Est-il possible de développer une méthode de biosurveillance de ces dépôts à l’échelle d’un massif ?
Ces questions sont abordées dans le Chapitre 2 à travers deux articles en anglais. Le premier présente les résultats d’une année de mesure des dépôts azotés sur 8 sites subalpins des Pyrénées et leur comparaison avec les estimations fournies par les deux modèles de chimie-transport les plus fréquemment utilisés en Europe (EMEP et CHIMERE). Le second article présente un essai de calibration d’une méthode de biosurveillance basée sur la teneur en azote de lichens de ces 8 sites.
Comment changent la diversité et la composition des communautés végétales des pelouses subalpines le long de gradients climatiques et d’augmentation du cumul de dépôts azotés ? Des changements dans ces communautés ont-ils eu lieu ces dernières décennies ? Ces changements, s’ils existent, sont-ils une réponse à l’augmentation du cumul de dépôts azotés et/ou à d’autres facteurs tels que les changements climatiques ? Ces questions sont abordées dans le troisième chapitre à travers un troisième article en anglais. Dans ce travail nous combinons deux approches basées sur l’étude de relevés floristiques couvrant le massif pyrénéen au cours des 60 dernières années : une approche par l’étude de 553 communautés réparties le long de gradients environnementaux d’origines spatiale et temporelle et une approche temporelle basée sur le ré-échantillonnage de 40 relevés historiques. Dans quels compartiments de l’écosystème (biomasse aérienne, racines, sol) se retrouve l’azote réactif provenant de l’atmosphère et dans quelles proportions? Quelles sont les différences de prélèvement, de conservation et d’utilisation de cet azote entre les différentes espèces? Quels sont les effets de la quantité et de la forme (NO3- vs NH4+) de cet azote sur l’écosystème (de la chimie du sol et des tissus végétaux à la structure et la composition de la communauté) ? Existe-t-il des interactions avec le changement climatique ? Ces questions sont l’objet du quatrième chapitre. Nous tenterons d’y répondre à travers une expérimentation in situ d’apports d’azote par pulvérisations à des doses réalistes en comparaison aux dépôts reçus par ces milieux et de simulation du changement climatique, couplée au traçage isotopique de l’azote apporté.

Modèle d’étude : les nardaies subalpines pyrénéennes

Du fait de leur position biogéographique (domaines atlantique et méditerranéen) et de leur proximité avec des zones refuges durant les épisodes pléniglaciaires du quaternaire, les Pyrénées sont particulièrement riches en espèces (4500 espèces végétales recensées dont 180 endémiques). Les pelouses occupent de vastes surfaces dans le paysage subalpin pyrénéen. Leur origine et leur maintien proviennent à la fois des conditions climatiques particulières à cette altitude et de la gestion de ces milieux par l’homme (défrichage, notamment pour la production de charbon, et pastoralisme). Ce sont aujourd’hui des habitats semi-naturels à fort intérêt patrimonial.
Parmi ces pelouses, les nardaies sont dominées ou co-dominées par la Poacée Nardus stricta L. (Nard). Elles sont rattachées à l’alliance du Nardion strictae Br.-Bl. 1926. Leur végétation est assez basse (souvent < 20 cm), relativement dense et fermée (recouvrement généralement proche des 100%). Bien que parfois localement relativement pauvres du point de vue floristique, elles constituent un ensemble diversifié de communautés et sont une composante paysagère majeure de l’étage subalpin pyrénéen sur substrats siliceux ou décalcifiés (Figure 1.3), justifiant leur classement en habitat prioritaire de la directive Natura2000 « Habitats – Faune – Flore » (habitat 6230). Malgré une valeur pastorale relativement faible (notamment en raison de la faible qualité fourragère du Nard), elles constituent la majeure partie des pâturages d’altitude dans les Pyrénées du fait de l’importance des surfaces qu’elles occupent. Leur répartition altitudinale est centrée entre 1500 et 2500 m, mais peut s’étendre de 1300 à 2800 m en fonction des conditions locales. Elles sont relativement proches floristiquement des communautés du Violion caninae Schwick. 1944, une alliance présente en plaine et bien étudiée en Europe dans le contexte des dépôts atmosphériques azotés (Stevens et al., 2004, 2010, 2011; Duprè et al., 2010; Gaudnik et al., 2011).

Mesure des dépôts atmosphériques azotés et confrontation aux modèles de chimie-transport

Contexte et résumé

Les émissions d’azote réactif d’origine anthropique ont modifié la composition de notre atmosphère, avec différentes répercussions allant de la santé humaine aux impacts environnementaux (Galloway et al., 2008). Même de faibles niveaux de dépôts azotés peuvent conduire sur le long-terme à des impacts sur les communautés végétales (Clark & Tilman, 2008; Stevens et al., 2010; Phoenix et al., 2012; Payne et al., 2013). De nombreux points chauds de biodiversité et zones prioritaires pour la conservation sont ainsi potentiellement menacés par ces dépôts chroniques (Phoenix et al., 2006). Caractériser cette menace requiert des estimations spatialisées fiables et relativement précises de la quantité et de la forme des dépôts azotés. Suite à la création de la convention sur la pollution de l’air transfrontalière à longue distance (CLRTAP) en 1979, des outils de modélisation du transport et des dépôts des polluants atmosphériques ont été développés, dont les modèles de chimie-transport EMEP (Simpson et al., 2012) et CHIMERE (Menut et al., 2013). Ces modèles sont validés grâce à des réseaux de stations de mesure. Cependant, en raison de leur isolement, les régions montagneuses sont généralement exclues de ces réseaux et les mesures locales, même à court terme, y restent rares (Lovett & Kinsman, 1990). Nous avons mesuré les dépôts azotés durant une année sur huit sites de l’étage subalpin des Pyrénées (entre 1500 et 2000 m d’altitude) et avons confronté ces observations aux estimations des modèles EMEP et CHIMERE. Nos mesures révèlent des dépôts azotés compris entre 8 et 15 kg N ha-1 an-1, dominés par les dépôts d’azote oxydé, et des concentrations dans l’air comprises entre 0,50 et 1,32 μg N-NH3 m-3 et 0,29 et 1,02 μg N-NO2 m-3 (en période estivale). Les concentrations dans l’air en NH3 et NO2 sont très proches, voire légèrement inférieures aux valeurs prédites par les modèles. En revanche, les mesures rapportent des dépôts azotés plus importants qu’estimé par les modèles : de 295 mg N m-2 an-1 en moyenne pour EMEP et de 763 mg N m-2 an-1 en moyenne pour CHIMERE. Notamment, les dépôts d’azote oxydé mesurés correspondent à 2,6 fois ceux estimés par EMEP et 3,6 fois ceux estimés par CHIMERE.
L’estimation des dépôts azotés, que ce soit par modélisation ou par des mesures in situ, est relativement complexe, particulièrement en montagne. En effet, les modèles à grande échelle tels qu’EMEP et CHIMERE ne peuvent que difficilement intégrer les variabilités topographiques et climatiques des zones de montagne. En termes de mesures, les dispositifs et protocoles de mesures développés dans les réseaux européens sont difficilement transposables aux contraintes du terrain en montagne. Cette étude ne remet pas en cause la qualité générale et l’utilité des modèles, mais souligne l’intérêt de réaliser des mesures, même ponctuelles, dans les zones dépourvues de stations de mesure et de les confronter aux estimations provenant de ces modèles. Les dépôts azotés mesurés sur ces huit sites sont de l’ordre de, ou excèdent, la charge critique actuellement admise pour les pelouses subalpines (5 – 10 kg N ha-1 an-1 ; Bobbink et al., 2010). Les pelouses subalpines pyrénéennes sont donc susceptibles de subir, ou d’avoir subi, une eutrophisation et/ou une acidification ainsi qu’une perte de biodiversité, effets généralement observés en réponse à des dépôts azotés excédant la charge critique du milieu.

Traitements expérimentaux

Apports d’azote

Quatre niveaux d’azote ont été apportés : 0 kg N ha-1 an-1 (contrôle, N0), 5 kg N ha-1 an-1 (apport considéré comme faible, N5), 10 kg N ha-1 an-1 (apport modéré, N10) et 30 kg N ha-1 an-1 (apport élevé, N30, Figure 4.3). Les apports ont été réalisés entre Juin et Octobre, via 3 applications en 2012, 5 applications en 2013 et 4 applications en 2014. Chaque placette de 1 m² est pulvérisée avec 1 L de solution par application. Les contrôles ont reçu un volume équivalent d’eau déionisée. Les placettes sont pulvérisées dans un ordre différent (et donc à heure de la journée différente) à chaque application. Les solutions apportées contiennent ⅓ d’azote sous forme nitrate (NO3-, provenant de NH4NO3) et ⅔ d’azote sous forme ammonium (NH4+, provenant de NH4NO3 et NH4Cl).
Un traitement « apport modéré » (10 kg N ha-1 an-1) a été réalisé avec un ratio inversé entre azote réduit et oxydé (N10IR): ⅓ d’azote sous forme NH4+, provenant de NH4NO3 et ⅔ d’azote sous forme de nitrate (NO3-, provenant de NH4NO3 et KNO3) (Figure 4.3). Cette proportion est un compromis entre le ratio observé dans les dépôts atmosphériques réels et une différence suffisamment marquée par rapport au ratio N oxydé et N réduit des autres apports de notre étude.

Changement climatique

Les traitements 0N, 5N et 30N ont été combinés factoriellement à deux traitements : sans changement climatique (contrôles, N0 C, N5 C et N30 C) et avec changement climatique (N0 W, N5 W et N30 W). L’expérimentation comporte donc un total de 8 combinaisons de traitements différentes répétées sur 6 blocs (Figure 4.3).

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Table des matières

Chapitre 1 Introduction générale
1.1. Cycle de l’azote et dépôts atmosphériques azotés
1.1.1. Flux entre diazote atmosphérique (N2) et azote réactif (Nr) à l’échelle de la biosphère
a – Flux naturels
b – Perturbations anthropiques
1.1.2. Azote réactif atmosphérique et processus de dépôts
1.1.3. Cycle de l’azote dans les écosystèmes naturels ou semi-naturels terrestres
a – Transformations microbiennes dans le sol
b – Prélèvement et utilisation de l’azote par les plantes
c – Gains et pertes d’azote à l’échelle de l’écosystème
1.1.4. Conséquences d’une augmentation des dépôts atmosphériques d’azote pour les écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels
1.2. Dépôts atmosphériques azotés et pelouses subalpines
1.2.1. Présentation et particularités des pelouses subalpines
1.2.2. Problématique
1.2.3. Objectifs de la thèse
1.2.4. Modèle d’étude : les nardaies subalpines pyrénéennes
Chapitre 2 Dépôts atmosphériques azotés à l’étage subalpin dans les Pyrénées
2.1. Mesure des dépôts atmosphériques azotés et confrontation aux modèles de chimie-transport
2.1.1. Contexte et résumé
2.1.2. Article: Subalpine Pyrenees received higher nitrogen deposition than predicted by EMEP and CHIMERE chemistry-transport models
2.2. Test d’une méthode de biosurveillance des dépôts atmosphériques azotés par la teneur en azote de lichens
2.2.1. Contexte et résumé
2.2.2. Article : Can lichens be suitable biomonitors of low-level nitrogen deposition at the scale of a mountainous region?
Chapitre 3 Réponses de la végétation des pelouses subalpines pyrénéennes aux dépôts azotés et au changement climatique au cours des 60 dernières années
3.1. Contexte et résumé
3.2. Article: Nitrogen deposition and climate change increased vascular species richness and altered the composition of subalpine grasslands
Chapitre 4 Effets d’apports d’azote et de modifications microclimatiques sur le fonctionnement d’une pelouse subalpine pyrénéenne
4.1. Introduction
4.2. Matériel & Méthodes
4.2.1. Description du site
4.2.2. Traitements expérimentaux
a – Apports d’azote
b – Changement climatique
c – Marquage 15N
4.2.3. Echantillonnage et analyse de la végétation
a – Relevés floristiques par la méthode des points-contact
b – Prélèvements des parties aériennes
c – Prélèvements des parties racinaires
d – Préparation et analyses élémentaires
4.2.4. Echantillonnage et analyse du sol
4.2.5. Analyse des données
a – Biomasses, recouvrements et hauteur de la végétation
b – Traçage isotopique
c – Analyses statistiques
4.3. Résultats et discussion
4.3.1. Répartition et conservation de l’azote des apports dans l’écosystème
a – Validation du protocole de marquage
b – Devenir de l’azote apporté dans l’écosystème
c – Effet de la quantité d’azote et des serres sur ce devenir
4.3.2. Effets des apports d’azote et des serres sur la végétation et le sol
a – Caractéristiques biochimiques et biomasse de la végétation
b – Composition et structure de la communauté végétale
c – Caractéristiques biochimiques du sol
4.4. Conclusion
4.5. Perspectives de recherche
Chapitre 5 Conclusion générale et perspectives
5.1. Dépôts azotés dans les Pyrénées
5.2. Impacts sur les pelouses subalpines
5.2.1. Cohérence des effets observés à court et moyen terme
5.2.2. Perspectives
Références bibliographiques

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