CÔTOYER ET ÉLUCIDER LA MORT

CÔTOYER ET ÉLUCIDER LA MORT

Une population exposée à des risques mortels

Le concept de risque, selon les auteurs et les domaines, est envisagé de multiples façons. On lui confère tantôt une définition objective, tantôt utilitariste ou même normative . Le risque peut être vu comme un mode de traitement du danger : un événement fortuit qui doit faire l’objet d’un recul réflexif pour devenir « risque ».
Partant, les risques ne sont en fait que des constructions sociales de réalités dont on peut se protéger ou tirer partil . Le risque peut aussi être considéré comme un rapport au temps puisqu’on peut prédire le futur à partir des expériences du passé afin d’agir dans le présent. De plus, le risque relevant toujours du domaine de la probabilité, les décisions prises et les actions mises en œuvre dans le présent y trouvent là leur justification. De surcroît, la construction de risques est représentative des normes qui régissent une société et permet, selon l’anthropologue Mary Douglas, de tisser et de resserrer le lien social. Robert Castel parle ainsi, pour le XIXe siècle, d’un passage de la dangerosité vers le risque, soit d’un réel danger à un potentiel de dangerosité en lien avec certains facteurs de risque

L’ÉVOLUTION DES CAUSES DE DÉCÈS

Maintenant que nous avons dressé un portrait général des principales causes de décès, examiner leur évolution sur le temps long permet d’entrevoir le type de risques  qui guettaient la population, et ce, durant une période donnée. Évidemment, il va sans dire que l’apparition de nouveaux risques et la fluctuation de certains d’entre eux sont liées aux transformations socioéconomiques à l’œuvre dans la région: industrialisation, urbanisation, développement des moyens et des infrastructures de transport, amélioration de l’hygiène publique, etc.
Bien que le coroner n’enquête pas sur l’ensemble des décès et que son mandat se limite aux morts subites ou suspectes, il est tout de même aisé de constater l’évolution de certains types de décès au cours de la période étudiée de même que la stabilité de certains autres.

UN PORTRAIT DES VICTIMES

Tout en tenant compte de certains biais de nos sources, nous avons donc pu livrer un portrait des risques et de leur évolution au fil du temps. Mais qui sont les victimes?
Certaines causes de décès soudain affectent-elles certains groupes sociaux en particulier? Les enquêtes du coroner analysées pour la période allant de 1850 à 1950 font état de 470 défunts, dont 368 hommes et 101 femmes; le sexe de l’un d’entre eux demeurant incertain. Âgés entre 0 et 95 ans, la plupart sont cultivateurs, journaliers ou ouvriers spécialisés70 . Parmi eux, 25 % sont âgés de 12 ans et moins. Sachant que ce sont les accidents et les maladies qui ont fait le plus grand nombre de morts, nous avons réparti les décès qui en relèvent en fonction de l’âge des défunts .

LES TRANSFORMATIONS DU SYSTÈME JUDICIAIRE MODIFICATIONS DU RÔLE DU CORONER AU SEIN DE L’APPAREIL DE JUSTICE

Outre les risques auxquels étaient confrontés les hommes et femmes d’autrefois, les archives du coroner sont aussi révélatrices de l’évolution du mode d’administration de la justice entre 1850 et 1950. Plusieurs traces de ce phénomène sont effectivement visibles au sein même des dossiers d’enquête , telles que le recours plus fréquent aux procédures sommaires, l’implication grandissante de la médecine et de la science médico-légale et l’évolution de l’environnement matériel et technologique dans lequel les coroners œuvraient. Cela, en plus de l’apparition de nouveaux acteurs dont le rôle sera examiné plus en détail dans le chapitre suivant. Cependant, il n’est pas sans intérêt de porter d’abord une attention particulière à l’évolution de la législation qui témoigne de l’affinement du droit positif régissant le travail du coroner.

LE CORONER: ACTEUR DE LA RÉGULATION SOCIALE

Même après l’entrée en vigueur du Code criminel en 1893, le coroner prend effectivement toujours part à cette vaste entreprise de lutte contre la criminalité que mènent l’État et son appareil judiciaire. Par contre, son rôle se situe désormais en amont dans le système de justice puisqu’il n’est plus partie prenante de la procédure criminelle .
Sa tâche se limite à l’enclencher seulement. Or, lorsqu’on analyse le fonctionnement de l’institution du coroner, la mise en œuvre du processus doit passer par deux filtres.
D’une part, le coroner, fort de son savoir médical ou juridique, doit déterminer la nécessité d’une enquête avec jury en fonction de ses soupçons à savoir si un crime ou un acte de négligence a été commis et doit ensuite, à la lumière des éléments obtenus pendant l’enquête, guider les jurés sur la façon la plus juste d’apprécier la preuve qui leur a été offerte. D’autre part, les jurés, ces hommes susceptibles de connaître la victime, de se connaître entre eux et qui résident généralement dans la même localité , ont le dernier mot sur le verdict à rendre. Plusieurs facteurs d’ordre social, moral, médical et même économique entrent alors en jeu dans la manière dont les enquêtes sont conduites et dans la nature des verdicts rendus.

LE CORONER UN PERSONNAGE EN AMONT DU SYSTÈME JUDICIAIRE

Avant qu’une enquête du coroner soit tenue, un décès soudain ou suspect doit être constaté. Les circonstances dans lesquelles les témoins découvrent ou assistent à la mort sont tout aussi diverses que les causes qui la provoquent. Elle se produit souvent sous les yeux des proches des victimes lorsqu’elles s’effondrent subitement, « tombent raides mortes » ou rendent leur dernier souffle après quelques minutes ou quelques heures de souffrance. « On a appelé le prêtre et le médecin, mais la mort  avait fait son œuvre instantanément » . Des témoins assistent, impuissants, à des accidents de toutes sortes: « … il a appelé à son secours, mais personne n’osait y aller, crainte de se noyer avec lui », raconte un témoin qui a vu son compagnon de 14 ans être emporté par le courant du fleuve alors qu’il s’y baignait. Un collègue bûcheron d’un employé de la compagnie Jean J. Crête Ltée expose : « Je venais d’abattre un arbre. J’ai crié au danger. M. L. était à scier en longueurs l’arbre qu’il venait d’abattre. À mon cri il est parti d’avant et il fut frappé dans la chute de l’arbre que je venais de couper. [ … ]; il a vécu environ trois à quatre minutes » . Deux hommes, quant à eux, se trouvaient sur le Chemin du Roy lorsque « … tout à coup [ils virent] le terrain de Laurent L. s’écrouler et s’abaisser dans la rivière Champlain, emportant la maison du dit Laurent L. avec le monde qui était dedans » . Le témoignage de ce chauffeur d’autobus résume bien les circonstances dans lesquelles la plupart des accidents surviennent et sont vécus par les témoins : « … le tout s’est fait si vite que je n’ai pas eu le temps de voir tout ce qui s’est passé … »

LES ACTEURS SOCIAUX ORDINAIRES

La participation des habitants du district de Trois-Rivières tout au long du déroulement d’une enquête prend de multiples formes. Contrairement aux magistrats qui administrent la justice dans les salles du palais de justice, le coroner, quant à lui, s’imprègne nécessairement, dans une certaine mesure, de l’expérience réelle . des individus. Les résidences des gens ordinaires font souvent office de salle de cour lorsqu’il se rend sur les lieux où un décès a été constaté. En plus de l’avertir dès que la  mort fait son œuvre quelque part, les acteurs sociaux ordinaires agissent aussi comme témoins. La preuve qui détermine le verdict à rendre est fondée , tout au long de la période étudiée, principalement sur leurs allégations, propos tenus sous serment. Les citoyens sont parfois également assignés en tant que jurés lors de la tenue d’une enquête formelle. Ce sont eux, guidés par les précisions et les recommandations du coroner, qui sont chargés de rendre un verdict, décision finale qui peut parfois s’avérer lourde de conséquences. Enfin, les proches des défunts peuvent aussi intervenir de diverses façons.

 

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Table des matières

INTRODUCTION
Bilan de la production scientifique 
Les études sur le coroner
La perspective d ‘histoire du risque
Intermormativités, droit et régulation sociale
Les questions de recherche
Les sources
La méthodologie 
La collecte des données
L’analyse des données
Plan de l’étude 
CHAPITRE 1- UNE POPULATION EXPOSÉE À DES RISQUES MORTELS
1.1. Les causes de décès
1.1.1. Les morts accidentelles
1.1.2. Les maladies
1.1.3. Les décès de cause inconnue
1.1.4. Les lésions auto-infligées
1.1.5. Les autres causes de décès
1.1.6. Les morts par acte criminel
1.2. L’évolution des causes de décès
1.3. Un portrait des victimes 
Conclusion
CHAPITRE 2 – LES CIRCONSTANCES DES DÉCÈS ET LES CONTEXTES FAVORABLES À LA PRÉCARITÉ
2.1. Les morts accidentelles
2.1.1 . Les accidents liés aux transports
2.1.2. Les accidents de travail
2.1 .3. Les accidents survenus dans le cadre de loisirs
2.1.4. Les accidents domestiques et ceux liés à la propriété et à son usage
2.2. Les morts naturelles 
2.2.1. Maladie, présence et longévité des symptômes
2.2.2. Mortalité infantile et facteurs de risque
2.3. Les morts par suicide
2.4. Les morts par acte criminel
Conclusion
CHAPITRE 3 – CÔTOYER ET ÉLUCIDER LA MORT : LE CORONER, ACTEUR DE LA RÉGULATION SOCIALE
3.1. Les transformations du système judiciaire: modifications du rôle du coroner au sein de l’appareil de justice 
3.1.1. La législation et la standardisation des procédures
3.1 .2. L’utilisation croissante des procédures sommaires
3.1.3.. Le développement de l’expertise médico-légale et les transformations de l’environnement matériel et institutionnel des enquêtes
3.2. Le coroner: acteur de la régulation sociale
3.2.1. Le pouvoir et la justice discrétionnaires du coroner
3.2.2. Le coroner: son rôle dans les procès criminels
3.2.3. Normes, recommandations et prise en charge étatique des risques
Conclusion
CHAPITRE 4 – L’INSTITUTION DU CORONER : UNE INTERFACE DES RAPPORTS ENTRE DROIT ET SOCIÉTÉ 
4.1. Le coroner: un personnage en amont du système judiciaire
4.2. Les acteurs sociaux ordinaires 
4.2.1. Les témoins
4.2.2. Les jurés
4.2.3. Les proches des défunts
4.3. Les acteurs en position de pouvoir
4.3.1. Le médecin et le médecin légiste
4.3.2. Les autres acteurs en position de pouvoir
Conclusion
CONCLUSION 

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