Correspondance architecture et dramaturgie

Présentation des théâtres

A travers la description de ces théâtres il s’agit de poser les données récoltées pour les analyser ensuite à travers les notions définies précédemment. Ces notions : temps, espace, réalité, fiction, pérennité et « éphémèrité » sont donc présentes sous différents aspects dans les théâtres étudiés. Le temps et l’espace apparaissent de manière pérenne et réelle dans l’architecture de ces lieux mais ils sont éphémères et fictifs lorsque l’on parle de la représentation.

Les théâtres de Český Krumlov

Český Krumlov, Bohême Sud en République Tchèque. Le centre ancien de Český Krumlov ainsi que son château sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco ce qui attire la foule touristique. Les théâtres auxquels je m’intéresse pour cette étude sont tous les deux situés dans l’enceinte du château. Le théâtre Baroque correspond à un des bâtiments du château. Il participe, par son authenticité, à la renommée de la ville. L’auditorium tournant en plein air est quant à lui installé à quelques mètres du théâtre baroque dans le jardin du château. La proximité entre ces deux théâtres, malgré un contraste évident, est étonnante.
L’un et l’autre attirent de nombreux touristes et participent ainsi au dynamisme de la ville. Le premier se visite pour sa rareté et son authenticité. Quant au second il propose une expérience unique, novatrice et extraordinaire.
Le théâtre baroque du château de Český Krumlov. Le théâtre baroque de Český Krumlov est avec le théâtre suédois de Drottningholm le théâtre d’époque baroque le mieux préservé d’Europe et de la manière la plus authentique. Il fut édifié au XVIIe siècle par la famille Eggenberg, et reconstruit plus tard par les Schwarzenberg. Au XXe siècle il subira une longue période de restauration. Ce bâtiment date donc du XVIIe siècle, ce qui lui confère une grande fragilité, c’est pourquoi les représentations faites à l’intérieur du théâtre sont aujourd’hui très rares.
Encore aujourd’hui, l’édifice est régulièrement fermé pour effectuer des rénovations. L’entrée dans le théâtre ne se fait qu’avec un guide et elle est payante contrairement à l’auditorium en plein air qui est en accès libre. La rareté du théâtre et sa popularité attirent énormément de visiteurs. Il faut traverser l’enfilade des cours intérieures du château pour parvenir au bâtiment dans lequel se trouve le théâtre. Ce dernier est relié au château par un pont appelé « Na Plášti » (Le Pont Manteau). Son aspect extérieur s’accorde avec celui du château et n’informe donc pas sur la fonction intérieure particulière du bâtiment.
A l’intérieur, les responsables de la restauration ont tenté de conserver de la manière le plus juste possible, l’atmosphère du théâtre baroque. Par exemple, la sensation lumineuse de l’éclairage à la bougie est recréée par des ampoules spéciales et le mobilier ainsi que la machinerie de scène sont conservés.
Aujourd’hui le théâtre n’accueille que de très rares représentations. On y joue une dramaturgie baroque, en tentant de recréer l’atmosphère d’une représentation baroque. Or Vladimir Adamczyk s’interroge sur notre capacité à reproduire cela. « Est-on capable d’évoquer l’atmosphère authentique de l’expérience d’une représentation Baroque et d’avoir une réponse à la question : comment un spectateur percevait au 18e siècle son théâtre ? ». Il décrit ainsi la représentation baroque comme une « salle à moitié noire » éclairée seulement par « une douzaine de lampes à huile qui brulent, » et dont « les plus petits mouvements d’air pouvaient faire bouger les flammes et donc la lumière, […] elles brulaient inégalement. » « Changer la longueur de la mèche amplifiait, intensifiait la lumière. » Pour des raisons de sécurité, il est interdit d’utiliser aujourd’hui des lampes à huile. On reproduit donc l’ambiance lumineuse au moyen d’ampoules qui imitent l’intensité et le mouvement d’une flamme.
Ce premier théâtre pose la question de la conservation d’un lieu théâtral. Il est conservé et restauré au plus proche de ce qu’il était à l’origine et pourtant il n’est que très peu utilisé en tant que lieu de représentation car trop fragile. Au contraire, il témoigne d’une époque et prend la fonction d’un musée. Un autre questionnement apparait,celui de la capacité de l’époque actuelle à pouvoir recréer une atmosphère baroque dans toute sa justesse. Mais la richesse de cet exemple tient avant tout dans son rapport avec le théâtre de plein air.
Le théâtre de plein air et son auditorium tournant de Český Krumlov. L’auditorium tournant se trouve dans le jardin baroque du château de Český Krumlov. Sa situation, au croisement des axes de cheminements principaux, et son imposante structure d’esthétique moderne le rendent visuellement immanquable.
Cette architecture est la dernière proposition d’une série de recherches construites sur le sujet. Plusieurs auditoriums tournants se sont succédés, intégrant à chaque fois de nouvelles évolutions. La première version date de 1958. Elle était en bois et pouvait accueillir soixante personnes. Des hommes la mettaient en mouvement. Un an plus tard, une seconde version de quatre cents places lui a succédé, quarante personnes étaient nécessaires pour sa mise en mouvement. Puis en 1960, apparaît la première version électrique de cinq cents places. La version actuelle qui fonctionne toujours date de 1994. Elle peut accueillir six cent cinquante huit spectateurs. Elle pèse six cent cinquante tonnes et est actionnée par quatre moteurs électriques. Joan Brehms (1907-1995), architecte de théâtre et scénographe, et Otto Haas, directeur du Théâtre de Bohême du Sud, ont été à l’origine du projet. Pour Brehms «le lieu théâtral doit être dramatique et dynamique, pas décoratif, mais un seul et même espace compact. Il doit permettre de multiples opportunités interchangeables et variations pendant un spectacle ». Une seule autre structure du genre existe en Finlande.
Cette architecture de théâtre apparait pendant les mouvements de remise en question du lieu théâtral au XXe siècle. En effet, elle propose une nouvelle conception du théâtre et un schéma salle-scène, spectateurs-acteurs original. Le théâtre est ouvert, en plein air et devient théâtre par la représentation. Lorsqu’il n’est pas un lieu scénique, il est jardin. De plus pendant la représentation le socle accueillant le public peut effectuer une rotation de trois cent soixante degrés. Le public se retrouve au centre de l’action et mobile. Cette structure réinterprète ainsi le mécanisme classique de changement de décors. Le décor n’est pas mobile. Au contraire, la mobilité intervient dans la structure accueillant le public. Par ce mécanisme on oriente le spectateur vers ce que l’on veut lui montrer. Enfin, le décor fixe s’appuie sur la réalité, celle du jardin baroque et du pavillon d’été Bellarie. La représentation se déroule donc dans un cadre réel.
Pendant la performance, l’auditorium tournant accompagne l’ensemble de la représentation. Il s’agit bien d’un accompagnement car le public est manipulé, baladé par cette machine tournante. Le mouvement de l’auditorium génère à la fois ce que l’on pourrait assimiler au lever et à la tombée du rideau mais aussi au changement de décor. Quant au noir, on peut l’assimiler au temps durant lequel l’auditorium est en mouvement pour emmener le public face à un nouveau décor.
Le théâtre étant en plein air, les représentations se font de juin à septembre. Le 23 juin 2011 j’ai pu assister à une représentation. Il s’agissait de Jak se vám líbí (As you like it) de William Shakespeare, jouée en tchèque. En dehors des représentations, l’auditorium est tourné vers la maison Bellarie. Or au début de la représentation à laquelle j’ai assistée, il était tourné vers l’axe principal du jardin, comme une gueule ouverte qui engloutit les spectateurs. Lorsque chacun est installé, le personnel du théâtre attache la chaine fermant l’accès à l’escalier, un peu comme dans un manège. L’auditorium commence lentement à tourner pour s’arrêter face au pavillon d’été. La première scène commence dans ce décor. La représentation enchainera plusieurs tableaux, chacun imposant une orientation de l’auditorium différente. On crée ainsi mentalement des repères spatiaux liés à cette orientation, on associe une orientation à un lieu, identifiant par ce biais le lieu de l’action. Parfois même, le mouvement des gradins peut accompagner et suivre le déplacement d’un comédien. La dernière scène se passe dans un décor éclairé par des centaines de bougies placées dans des récipients en verre éparpillés tous les mètres dans toute la partie du jardin face au public. L’auditorium tourne à nouveau face à la maison Bellarie pour le salut et revient à la position du début pour faire descendre le public des gradins.
Les coulisses du spectacle se trouvent dans la maison Bellarie. Sous les gradins de l’auditorium il y a un bar ouvert en journée. La régie est installée dans une sorte d’excroissance innée à l’auditorium et suspendue tout en haut des gradins. Pour l’éclairage et la sonorisation, des mats fixes sont directement installés dans le jardin. Ils ne sont pas démontés à l’issue des représentations, seul le matériel vient s’y attacher ou s’en détacher.
Malgré ces qualités extraordinaires, ce théâtre de plein air avec auditorium tournant soulève de vives polémiques. En effet, grâce à son patrimoine remarquable, la ville de Český Krumlov est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992. Or elle est aujourd’hui menacée d’en être rayée en raison de l’emplacement, au coeur du jardin baroque du théâtre à ciel ouvert. « En inscrivant Český Krumlov sur sa liste du Patrimoine mondial, l’UNESCO tenait compte de l’information selon laquelle le théâtre tournant n’était qu’une construction provisoire et des recherches étaient en cours pour trouver un autre endroit où il serait définitivement installé. »6 En effet les spécialistes de la protection des monuments historiques et les représentants de l’Unesco considèrent que l’architecture « jugée trop moderne » du théâtre jure avec le jardin et la maison Bellarie de style baroque. Dans l’article « Conflit autour d’une «scène de théâtre socialiste» au sein d’un jardin baroque » posté sur un blog internet, l’auteur explique que « le conflit, lui, tourne autour de la valeur patrimoniale des deux monuments [le théâtre extérieur et le jardin baroque] dont chacun témoigne à sa façon de sa période. […] Pour les Tchèques, la scène tournante anime de manière originale la vie culturelle du pays pendant la saison estivale. […] L’Unesco estime au contraire que la présence de cette «attraction commerciale» perturbe l’authenticité du jardin.»  Ce qui est extraordinaire c’est l’expérience à laquelle il permet de participer, tant du point de vue de l’acteur que du spectateur. Mais les critiques faites sur ses qualités architecturales et esthétiques sont sans doute justifiées.
Depuis une dizaine d’années, des solutions ont été proposées pour dissoudre cette polémique mais aucune n’a encore été adoptée. L’affaire est très politisée, les prises de décisions et les solutions retenues changent donc avec les gouvernements. Tout d’abord la construction d’un nouveau théâtre du même type mais localisé ailleurs dans la ville est proposée; ensuite une fois cette nouvelle structure construite, le théâtre actuel est démoli (2002, ministre de la culture : Pavel Dostal).8 Puis un changement de ministre de la culture amène l’idée de transformer le théâtre en une scène démontable restant dans le parc mais montée seulement pour la saison estivale (2005 ministre de la culture : Vitezslav Jandak).9 Aujourd’hui, l’Unesco exige une prise de décision rapide et surtout ses représentants imposent le retrait du théâtre en dehors du jardin en dépit de quoi, la ville ne sera plus inscrite au patrimoine de l’Unesco.10 Dans cette controverse ce n’est pas l’idée d’un auditorium de plein air tournant qui dérange mais seulement son emplacement privilégié. Or c’est ce cadre qui, selon les utilisateurs, participe aussi à la magie de l’évènement.
A travers ces deux exemples de théâtres présentant chacun des caractéristiques propres, on mesure leurs raretés respectives. Pourtant l’un est protégé et pas l’autre. La scène moderne dérange car elle nuit à une harmonie baroque alors que le théâtre baroque y participe. En effet l’auditorium de plein air est en opposition avec le théâtre baroque affirmant un esthétisme moderne face à la tradition conservatrice du théâtre baroque. Par la juxtaposition de deux théâtres d’époques différentes, cet exemple met en place un premier décalage. Il met également en parallèle un lieu théâtral qui tend à se cristalliser et un lieu théâtral vivant grâce à la représentation théâtrale. Cela pose un questionnement : est-ce qu’un lieu théâtral peut exister sans projet dramaturgique ? Le même décalage est présent dans le théâtre de Sagunto mais sous une forme différente.

Le théâtre romain de Sagunto reconstruit

Sagunto, au Nord de Valence en Espagne. Le théâtre romain de Sagunto, situé sur une colline bordant la ville, a été le premier monument inscrit sur la liste des monuments nationaux en Espagne en 1896. Etant considéré comme « un des plus beaux théâtres romains de la péninsule », il représente donc une grande fierté pour le pays. Or une reconstruction partielle faite dans les années 1990, semble nuire à cette fierté.
L’édifice original fut construit au Ier siècle avant J.-C. sous le gouvernement de Tibère. A la manière de nombreux théâtres antiques, il utilise la pente, la morphologie du terrain pour y adosser, intégrer ses gradins. Il subira au cours du XXe siècle, plusieurs interventions dont en 1930 une opération de consolidation par Jeroni Martorell et dans les années 1970, une restauration effectuée par Alejendro Ferrant. En 1990, des travaux de reconstruction sont entrepris, changeant complètement l’apparence de ruine du théâtre de Sagunto et entrainant une polémique encore présente aujourd’hui. Cette reconstruction fut réalisée par Giorgio Grassi et Manuel Portaceli et achevée en 1993.
En l’état de ruine, le théâtre était inutilisable, c’est pourquoi, dans le but d’inverser cela, le gouvernement régional décide en 1988, l’édification d’un mur de scène. Un concours est lancé et la proposition des architectes Giorgio Grassi (architecte milanais) et Manuel Portaceli (architecte à Valence) est alors retenue. La reconstruction effectuée donne aujourd’hui une image complètement différente de celle de ruine d’auparavant. Il semble important de préciser que la reconstruction a été partielle laissant les ruines apparentes à certains endroits. Les architectes ne voulaient pas reconstituer l’édifice à l’identique, ils ont donc pris le parti d’épurer les lignes du théâtre d’origine. Ainsi les gradins sont partiellement reconstitués et le mur de scène reconstruit.
Certains habitants de Sagunto regrettent la vue des gradins depuis la ville, existant avant la reconstruction. Désormais le mur de scène reconstruit vient les occulter. Pourtant, depuis l’achèvement des travaux, le théâtre est à nouveau utilisé comme lieu de spectacle. Il est ainsi tel que cela devait être le cas à l’époque antique, redevenu un « équipement culturel » pour la ville de Sagunto puisqu’il accueillait encore cet été le festival Sagunt a escena 2011 (Sagonte en scène).
L’aspect radical de cette reconstruction n’est pas apprécié de tous et ce, depuis le début des travaux. Un avocat de Valence, Juan Marco Molines mena dès 1990 un combat contre ce projet. Pour lui « les monuments historiques comme le théâtre de Sagunto devraient être préservés, mais jamais restaurés à leur état d’origine ou modernisés au-delà de les reconnaitre.»12 Le Tribunal Suprême confirme en 2000 que le projet viole effectivement la loi espagnole sur les monuments historiques (25 juin 1985) « au motif qu’il consistait en une reconstruction du théâtre, occultant en partie le monument et sans recourir à des matériaux d’époque. »13 En effet les architectes ont utilisé des matériaux modernes ne prenant pas en compte l’aspect esthétique original du projet. Il leurs est de plus reproché de ne pas s’être appuyés sur les données historiques du bâtiment pour concevoir cette reconstruction. « […] en premier lieu, qu’il n’a pas été effectué de fouilles archéologiques préalables avec la complétude et la rigueur qui sont toujours exigées, en particulier pour un monument d’une signification historique et documentaire telle que le théâtre de Sagunto. Et en deuxième lieu, qu’aucun choix conceptuel n’a pris en compte les quelques données disponibles et, quand cela a été fait (comme pour les commandes/ordres de la scène), ils ont été à l’opposé de la conception. »14 Enfin pour Antonio Almagro, (spécialiste de la préservation des monuments) la restauration « doit respecter la nature essentielle d’un monument, même si cela signifie de le maintenir dans un état de ruine qui est l’expression de son histoire. »15 Depuis 2002, la démolition de la reconstruction est annoncée mais il semble que rien n’ait encore été fait.
Face à cette polémique, les architectes se défendent affirmant que ce théâtre était « « une ruine artificielle » sur laquelle de nombreuses interventions d’achèvement et de consolidation ont été faites au fil des années » explique Floriana De Rosa dans son article16. Grassi a préféré « restaurer les ruines en un style original improbable » plutôt que de « faire ressortir le problème de la reconstruction impossible. Son objectif était celui de laisser les traces de l’ancien ouvrage intactes, en essayant de mener à bien l’intervention de restructuration avec cohérence.»
Suite à la décision de justice de 2002, approuvant la remise en l’état antérieur du théâtre, Antón Capitel, architecte, professeur et ancien inspecteur général des Monuments historiques espagnols, exprime son point du vue sur cette décision. Tout d’abord il s’étonne du rôle qu’a pu avoir la justice dans cette affaire. Pour lui, la justice n’est pas suffisamment avertie, compétente sur les questions culturelles et ne devrait donc pas traiter ce type d’affaire. «Dans de tels cas, seules les autorités culturelles peuvent légitimement prendre une décision.»
Malgré l’aspect controversant du projet par rapport aux règles de restauration des monuments anciens, « dont le but est la conservation et la consolidation des monuments et non pas leur transformation », les autorités politiques ont accepté cette reconstruction. Cet accord donné par l’inspecteur général des monuments au ministère de la culture espagnol ainsi que par la ville de Valence rendait alors légal le projet. La transformation du théâtre était ainsi juridiquement incontestable puisque officiellement validée.
Enfin il analyse plus précisément la décision qui a été prise au regard de la loi et qui semble finalement en contradiction avec cette dernière. Premièrement en ce qui concerne le projet en lui-même, « […] l’article de la loi de 1985 stipule précisément le contraire de la décision du tribunal. Cet article n’interdit ni la reconstruction ni la transformation des monuments, mais seulement la reconstruction “mimétique”, celle qui, en imitant l’oeuvre originale disparue, en simule l’existence et aboutit ainsi à une falsification archéologique. […] Les oeuvres de reconstruction “analogique” ou moderne et les transformations en général ne sont pas interdites par la loi. » Deuxièmement il remet en cause l’idée d’un retour à l’état précédent. « La loi interdit en effet formellement la démolition des travaux effectués au fil du temps sur le monument d’origine, empêchant ainsi un autre abus sur le passé. La “transformation” du théâtre de Sagonte apporte incontestablement une contribution d’ordre culturel, protégée par la loi et par les faits exposés. […] La restauration a été autorisée et constitue aujourd’hui, par son existence physique, une valeur culturelle tombant également sous la protection de la loi mentionnée. » Pour lui la démolition est trop délicate pour être effectuée. « La nouvelle structure de Sagonte forme un corps physique unique avec la structure antique, et il est très difficile, voire impossible, et de toute manière imprudent, de la détruire sans endommager sérieusement les ruines.» Cette démolition apparait également comme une aberration financière, la reconstruction ayant couté six millions d’euros, le projet de démolition serait estimé au même coût voire le double.
Aujourd’hui il semblerait que cette bataille juridique et politique soit terminée. Le Tribunal Supérieur de Justice de la Communauté Valencienne (TSJCV) aurait admis l’impossibilité de démolir l’édifice.
Avant sa reconstruction le théâtre de Sagunto avait la même fonction que le théâtre baroque de Český Krumlov. Etant dans un état de ruine, il se visitait comme une pièce de patrimoine endormie et inutilisable. Par la reconstruction, il est redevenu un lieu vivant grâce à la représentation théâtrale, à l’image de l’auditorium tournant de Český Krumlov. Il présente donc un paradoxe par la superposition de deux étapes et époques de construction différentes mais aussi de deux conceptions du lieu théâtral. La polémique animée par cet édifice dans son état actuel expose deux idées sur cette superposition : dialogue ou opposition.

Le théâtre mobile de la Compagnie du Hasard

Dans ce cadre d’étude, le théâtre de la compagnie du Hasard apparait différent. Il amène une autre manière de questionner le lieu théâtral qui est également applicable aux deux théâtres précédents. L’intérêt d’une réinterprétation, l’intérêt de l’usage de formes appartenant au passé, et donc une manière de faire évoluer le théâtre actuel, de nos jours.

Hypothèses de travail

Chacun des lieux théâtraux étudiés traitent de ces notions de temps et d’espace, de ce qui existe réellement et de ce qui est laissé à imaginer. La description de chaque élément du corpus nous permet donc de formuler ces différentes notions de temps et d’espace. Plusieurs temporalités sont superposées et mises en parallèle dans chaque cas, développant pour chaque temps une conception différente de l’espace.
« Le théâtre futur doit-il pouvoir assumer les formes du passé ? » est une des problématiques soulevées par Denis Bablet20 au XXe siècle, période de remise en question des lieux scéniques. On cherche un nouveau type de lieu théâtral adapté à une dramaturgie non encore définie. Par ce questionnement, il s’interroge sur le rôle de ce qui a précédé pour une conception future. Il s’agirait ainsi d’envisager les nouveaux théâtres comme des palimpsestes intégrant les acquis du passé. L’assemblage de différentes époques dans les théâtres étudiés n’est cependant pas une simple superposition car elle marque un décalage, comme si chaque nouvelle étape venait questionner l’ancienne en établissant un paradoxe.
Ce paradoxe entraine également une contradiction dans la fonction de ces lieux. En effet la destination première d’un lieu théâtral est d’accueillir des représentations théâtrales. Celles-ci se présentent comme des évènements qui rendent vivant le lieu. Or dans le corpus présenté, on distingue une autre utilisation de ces lieux qui s’oppose à la première. Le théâtre baroque et les anciennes ruines de Sagunto sont ou étaient utilisées comme des lieux à visiter. Ils ne remplissent pas ou très rarement la fonction de lieu répondant aux besoins d’une dramaturgie. Au contraire, ils apparaissent comme des lieux passifs et éteints, cristallisés dans une autre époque. Au fur et à mesure du temps, ces lieux se sont transformés en musée, en un patrimoine témoin du passé. Ce constat définit ainsi le lieu théâtral soit comme un lieu cristallisé, soit comme un lieu vivant. La question est donc de savoir à quelles destinations actuelles doit répondre le patrimoine architectural des lieux scéniques ? Doit-on conserver l’architecture théâtrale comme la mémoire cristallisée d’une dramaturgie passée ? Ou, doit-on reconstruire l’architecture théâtrale comme un lieu vivant à travers un projet dramaturgique ? Peut-on conjuguer les deux ? Doit-on réhabiliter les théâtres anciens, ou doit-on les conserver comme de simples témoins ?
La question de la conception esthétique et formelle ainsi que la vocation du lieu théâtral sont ainsi exposées. Et finalement on s’aperçoit que cela traite, de manière plus générale, de la question du rapport au temps de toute architecture théâtrale. Ephémère et mobile, la dramaturgie se prête facilement au jeu de l’innovation perpétuelle. L’architecture paraît alors ancrée et figée face à cet art de l’éphémère. La dramaturgie est en perpétuelle recherche quand son architecture en est l’aboutissement immuable. L’architecture est ainsi la marque de l’évolution du théâtre car elle laisse des traces réelles contrairement à la dramaturgie. Un lieu théâtral est construit pour correspondre à une dramaturgie, or il est pérenne tandis que ce qui l’engendre est éphémère. Comment un espace dicté par un projet dramaturgique peut-il résister à l’épreuve du temps ? Comment préserver une architecture qui est en décalage avec une dramaturgie actuelle ?
Pour répondre à ces interrogations, il sera d’abord nécessaire d’analyser les empreintes du temps présentes dans chacun des éléments du corpus. L’enjeu sera de comprendre de quelles manières ils s’inscrivent dans le présent par rapport à leur passé, en les considérant tant comme un objet architectural que comme une architecture liée à une fonction. Puis il s’agira d’étudier et de décortiquer la complexité de ces relations temporelles au sein du lieu théâtral. Cela nous permettra ainsi d’appréhender plus clairement le constat d’un paradoxe. Enfin, nous considérerons l’architecture théâtrale comme un patrimoine à part entière qui pose la question de la subsistance. Faisant partie de notre présent, il s’agit de saisir comment ils y sont intégrés.

Trace réelle et complète, un théâtre baroque

Dans les années 1680, sous le règne de la famille Eggenberg, le théâtre baroque de Český Krumlov est construit dans un bâtiment indépendant du château. Puis sous le règne de la famille Schwarzenberg, dû au mauvais état de l’édifice, il est complètement reconstruit (en 1766). Jiri Zahola affirme que cette reconstruction n’a pas « altéré le bâtiment d’un point de vue architectural » et que ainsi on peut effectivement dater le théâtre des années 80 du 17e siècle.22 En 1893, le théâtre cesse son activité pour des questions de sécurité « et devient une pièce de musée ». Joan Brehms note que de 1958 à 1967 des représentations seront faites mais de manière très occasionnelle et pas ouverte au public23. Cette utilisation aurait causé de fortes dégradations de l’édifice (selon Pavel Jerie)24. Ce n’est qu’en septembre 1997, suite à d’importants travaux de restauration que des visites sont officiellement à nouveau autorisées.
Le bâtiment du théâtre est compris dans l’enceinte du château, ce qui lui conférait un caractère privatif, réservé aux nobles du château. C’est sans doute pour cette raison qu’il est de taille relativement modeste. On pénètre dans la salle, face à la scène, l’atmosphère y est très sombre et intime. En effet, contrairement à l’Opéra ou au Théâtre National de Prague le volume de l’espace est considérablement inférieur et donne ce sentiment de proximité. L’éclairage à la bougie propre au théâtre baroque est recréé grâce à des ampoules spéciales. La salle est divisée en deux par une allée centrale. De chaque côté il y a des bancs couplés à des estrades individuelles. Le sol est plat, ce sont ces bancs et ces estrades qui plus on avance vers la scène, plus ils s’abaissent. Entre la salle et la scène il y a l’espace où se trouvaient les musiciens. Un long pupitre illustre cette fonction. La configuration de la salle ne comporte qu’un seul balcon. Il est continu et souligne la forme en « u » de la salle. Les murs et parois sont recouverts de fresques peintes.
L’incroyable collection de costumes et d’accessoires et la remarquable conservation du mécanisme de changement de décor participent à la préciosité et à la rareté du théâtre. Le mécanisme de la machinerie des décors situé sous la scène est entièrement en bois massif, de chaque coté il y a des tambours reliés par des cordes. La rotation de ceux-ci permettait par tension des cordes, le déplacement des châssis supportant le décor sur scène. Un décor disparaissait et dans un même temps un autre apparaissait. Malgré ce dispositif lourd et imposant, les changements de décors étaient rapides et fluides (environ 12 secondes). On constate dans ce théâtre l’importance d’une « machinerie au service d’une esthétique de l’illusion et du merveilleux » (commentaire de Jean Jacquot)25. Les effets spéciaux et la dynamique des décors sur scène destinés à la création d’un monde imaginaire sont un des grands principes du théâtre baroque. L’abondance d’instruments et de mécanismes dédiés à cela et qui ont su être préservés dans le théâtre de Český Krumlov en témoignent.
La particularité de ce théâtre baroque est qu’il a été conservé dans toute son authenticité. En effet le dialogue entre la salle et la scène ainsi que l’atmosphère de l’ensemble, sont recréés le plus fidèlement possible. Mais tout le dispositif scénique participant à la représentation baroque a également été conservé ou restauré de manière identique à l’origine. Cette rénovation offre la possibilité de recréer une représentation baroque au plus juste de ce qu’elle était à l’époque.
Trace cristallisée. Ce théâtre permet de témoigner du dispositif scénique extraordinaire que fut celui des théâtres baroques ainsi que d’un type de théâtre. Contrairement au théâtre de Sagunto qui était en plein air et destiné au peuple, ce théâtre baroque est un théâtre fermé qui était réservé à un petit nombre de privilégiés. Il se différencie également du théâtre romain par son état actuel. On peut en effet parler de traces muséifiées pour ces deux théâtres. Néanmoins, le théâtre de Český Krumlov est comme cristallisé dans une autre époque. Ceci est du à une restauration de l’édifice à l’identique de sa forme d’origine. Les travaux réalisés pour parvenir à cette conservation ont ainsi annulé l’effet du temps et l’ont ramené dans le passé auquel il appartenait. On pourrait donc dire que visiter ce théâtre est identifiable à un voyage rétrospectif. Cette trace interrompt l’action du temps en allant contre ses effets. L’usure du temps qui passe ne transparait pas.

La trace par l’acquis et la référence, un théâtre mobile

Le théâtre mobile de la compagnie du hasard fut construit dans les années 90. Dans cette étude, il apporte une troisième conception de la notion de trace. La trace apparait ici comme une référence mentale au temps. Ce qui exprime la trace du passé n’est pas d’origine ancienne mais elle fait référence à un passé. Il est question d’une réinterprétation de formes révolues. Les acquis du passé sont ainsi utilisés de manière évidente et affirmée pour construire dans le présent.
En déplacement, l’ensemble est contenu dans cinq semi-remorques. Il faut trois jours de montage pour installer ce théâtre qui vient se poser sur un espace stabilisé de cinquante mètres par cinquante mètre. La structure est une charpente métallique haubanée latéralement recouverte d’une toile tendue. Dans la salle accueillant le public, trois structures habillées de bois sont situées de chaque côté et dans le fond de la salle. Elles forment un balcon et des baignoires. Ces trois structures ne sont autres que les containers des camions déployés. L’espace central de la salle est construit sur un plancher incliné permettant entre autres le confort visuel du public. Trois cent quatre-vingts fauteuils de velours rouge sont ainsi disposés face à la scène. Une scène d’une centaine de mètres carrés et de cinq mètres de hauteur sous le grill. Les coulisses en fond de scène, d’après les plans, s’insèrent dans le container d’un camion. Le sas d’entrée dans la salle et le haut de la pente du plancher ainsi que la scène et les coulisses s’alignent à la même hauteur, une hauteur correspondant à celle contrainte par les camions comme on peut le voir sur la coupe.

 

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Table des matières

INTRODUCTION
I. EMPREINTE PRESENTE D’UN TEMPS PASSE
1. Diversité de préservation des traces
– Trace évoquée, un théâtre romain
– Trace réelle et complète, un théâtre baroque.
– Trace par l’acquis et la référence, le théâtre mobile
2. Mise en oeuvre d’un palimpseste
– Juxtaposition
– Superposition
– Réinterprétation
3. Rôle des expériences dramaturgiques
– Témoigner, relater
– Confronter les époques, raviver
– Expérimenter, activer
– Faire découvrir, démocratiser
II. CONSTAT D’UN DECALAGE
1. Dramaturgie, architecture et scénographie
– L’évènement : la dramaturgie
– Le monument : l’architecture
– L’espace éphémère : la scénographie
2. Temporalités théâtrales
– Temps architecturaux, temps dramaturgiques
– « Evénement formel », « événement scénique »
3. Correspondance architecture et dramaturgie
– Correspondance formelle
– Correspondance scénique
4. Décalage actuel
III. PLACE D’UN PATRIMOINE THEATRAL DANS LE PRESENT
1. Formes de subsistance du lieu théâtral
– Cristallisation du lieu : préservation et restauration
– Lieu vivant : réhabilitation, réinterprétation et innovation
2. « Spectacularisation » du lieu théâtral
CONCLUSION

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