Contributions de l’Economie industrielle à la stratégie d’entreprise

L’« Industry Cost Curve » comme outil d’analyse stratégique 

Dans les années 1980, le cabinet de conseil McKinsey développe, avec un certain succès, des analyses mobilisant l’ « Industry Cost Curve » (ICC) comme outil de réflexion lors de la prise de décisions stratégiques dans les industries de commodité à forte intensité capitalistique. Les justifications théoriques font référence à la programmation linéaire et à la concurrence parfaite.

En particulier, ces analyses sont utilisées pour des décisions irréversibles d’investissement dans de nouvelles capacités de production, de rationalisation des ventes et de pricing stratégique. L’analyse proposée est la suivante : dans ces types d’industrie, la demande est quasi constante et le marché n’a pas d’autre critère que le prix pour le choix de ses fournisseurs. En outre, la production est caractérisée par des contraintes de capacité très rigides et des coûts variables de production déterminés par la technologie et le dimensionnement de l’outil industriel aboutissant à des coûts rendus au marché différenciés (souvent accentués par des coûts de transport relativement importants).

Dans ce cadre, les parts de marchés, les prix et donc les profits sont directement déterminés par trois facteurs : les capacités, les coûts et la taille du marché. Reprenons ici l’exemple proposé par D.C. Watters (1981) sur la base de la figure 1. Supposons ainsi que la demande annuelle pour un bien homogène soit 75kt indépendamment du prix. En abscisse et en ordonnée sont indiqués respectivement les capacités et coûts de production des différents joueurs potentiels par ordre croissant.

L’analyse proposée est la suivante : le leader en coût produira jusqu’à saturation de sa capacité et laissera à son concurrent suivant l’opportunité de faire de même. Et ce, ainsi de suite jusqu’à la satisfaction de l’ensemble de la demande, suggérant alors une fixation du prix proche du coût du premier non entrant. Ainsi, dans cet exemple, trois joueurs sont présents sur le marché (Alpha 1, Bravo 1 et Alpha 2), le prix étant déterminé par l’exclusion de Romeo. La vue des coûts est ici déterminante. Par exemple, le coût à considérer pour Bravo 2, premier non entrant (usine à l’état de projet), doit inclure le coût de production prévisionnel, le transport (en supposant qu’il soit effectué par le producteur), mais aussi le coût d’opportunité de la construction de l’usine, par comparaison avec une autre décision d’investissement de risque identique garantissant à la compagnie Bravo un retour sur capitaux investis acceptable.

Programmation linéaire et concurrence parfaite

Les développements, déjà anciens, de la recherche opérationnelle ont fourni, au travers de la programmation linéaire, un cadre de référence théorique permettant d’intégrer des contraintes de capacité de production au sein de l’équilibre de concurrence parfaite. Des logiciels, utilisant des algorithmes de programmation linéaire, ont ainsi été mobilisés pour tenter de mettre en oeuvre le type d’analyse issu de l’étude de l’ICC, en particulier lorsque plusieurs marchés et plusieurs unités de production contraintes en capacité sont à considérer. L’exemple le plus classique étant celui du problème de transport.

Le « problème du transport » : 

Le « problème du transport » est un cas simple de programmation linéaire qui présente un intérêt, à la fois en raison de ses applications économiques et de sa simplicité de calcul. Il a été posé et résolu en 1941, par F.L. Hitchcock plusieurs années avant la formulation du concept de programmation linéaire. L’essence même de ce problème suggère une analogie évidente avec celui issu de l’ICC. En effet, il considère m unités de production de capacité Ki pouvant approvisionner n marchés de demande Dj données, respectivement aux coûts d’expédition Cij. Le problème dit « du transport » consiste à déterminer un réseau de livraison Xij qui permette de satisfaire simultanément les contraintes de capacité et les demandes de marché tout en assurant que le coût global soit minimum. Une caractéristique importante de nombre de problèmes de transport est l’égalité supposée entre la capacité totale des usines et la demande totale des consommateurs, ce qui joue un rôle important dans la simplicité particulière de leur résolution. Notons que cette formulation peut être adaptée facilement aux cas de capacité excédentaire. Il suffit d’introduire une destination fictive pour laquelle la demande est égale à l’excédent de capacité et de supposer que les joueurs y accèdent à coût de transport nul. L’optimum de ce problème sera également celui du problème initial, les affectations sur le marché fictif étant considérées comme des liquidations de surplus.

La méthode de résolution est la même que celle utilisée en programmation linéaire ordinaire. Selon un de ses principes, il existe un programme optimum dans lequel le nombre d’activités à des niveaux positifs (ici les livraisons) n’est pas plus élevé que le nombre d’équations restrictives, soit m+n-1 dans le cas présent. Ainsi, en partant d’une solution de base dans laquelle le nombre de routes est effectivement égal à m+n-1 et en procédant par itérations, on peut obtenir successivement des bases meilleures jusqu’à ce qu’un optimum soit découvert. Le critère d’amélioration est analogue au critère du simplexe ordinaire mais grandement simplifié grâce à la forme triangulaire qu’il est possible de choisir comme base de départ, les coefficients unitaires pondérant par ailleurs toutes les variables de choix . Ainsi, lorsque les capacités et les demandes sont des nombres entiers, les niveaux de productions envisagés au cours de la résolution sont obtenus par simple addition ou soustraction de nombres entiers.

La solution obtenue algorithmiquement (plusieurs solutions peuvent exister) est optimale du point de vue de la minimisation des coûts de transport. La question se pose alors de savoir si cette répartition correspond à un jeu de concurrence et si donc la solution du problème de transport peut être mobilisée pour l’analyse de l’ ICC. Ceci dépend évidemment de la structure du marché. Cependant, l’issue de la résolution de ce programme linéaire fournit une analogie intéressante avec le jeu de la concurrence parfaite. En effet, la notion d’optimalité est un critère présent dans ces deux vues. La concurrence parfaite nous enseigne que la recherche de la maximisation des profits individuels des producteurs, lorsqu’ils n’ont pas conscience de leur influence sur les prix, aboutit à l’annulation des profits et à la maximisation du surplus collectif. La notion d’optimalité rencontrée dans le problème du transport concerne le coût de transport total sans référence aux prix ni aux intérêts individuels de chacun. L’analyse du problème dual, issu du problème de transport, et en particulier l’interprétation des variables duales comme des prix, fournit une vue éclairante sur ses liens avec l’équilibre de concurrence parfaite.

Apport de la programmation linéaire à l’analyse stratégique : 

Lorsque le contexte concurrentiel s’apparente effectivement à la concurrence parfaite, l’utilisation de la programmation linéaire peut donc s’avérer pertinente. En outre, l’intérêt essentiel de ce modèle, et qui en a fait le succès, est qu’il répond assez bien aux besoins de quantification exprimés par l’industrie. Le calcul économique des conséquences de décisions stratégiques devient ainsi possible. L’analyse ne se limite alors pas à la présentation de contextes instantanés, mais l’intègre au sein d’une perspective dynamique dans laquelle les variables, comme les coûts et les capacités des différents joueurs potentiels, peuvent évoluer, de même que la demande et, au final, la compétitivité relative, les taux d’utilisation des capacités et les politiques de prix/volume , Ainsi, la programmation linéaire peut être utilisée comme outil de simulation, permettant d’évaluer les impacts des modifications de certaines variables. Il devient alors possible de tester différentes options et même de les enchaîner en fonction de conjectures envisagées pour les réactions éventuelles des concurrents. L’aspect stratégique absent de l’équilibre est donc intégré dans l’analyse elle-même, de manière exogène.

En outre, la programmation linéaire permet de résoudre très efficacement nombre de problèmes d’optimisation industrielle. En particulier, en déterminant le réseau de vente optimal, répondant à un problème concret, fréquent et complexe dès que le nombre d’usines et de marchés devient important. Des algorithmes puissants et fiables ont fait une percée importante au sein de l’industrie. Si leur mise en œuvre n’est pas sans difficulté pour l’aide à la décision dans l’organisation, leur pertinence n’est pas contestée et connaît même un regain d’intérêt avec le développement des politiques de « supply chain management ».

Limitations de son utilisation 

Lorsque l’on cherche à mobiliser ce genre d’outil dans un contexte opérationnel en s’intéressant aux équilibres effectivement obtenus, plusieurs difficultés apparaissent néanmoins. La principale faiblesse des algorithmes de programmation linéaire est leur manque de robustesse quant aux modifications, même faibles, des variables d’entrée. Or, la structure des coûts, qu’ils soient internes à l’usine ou relatifs au transport, n’est en général pas connue de manière précise et est plus couramment issue d’estimations, en particulier pour ce qui concerne les concurrents. Ainsi la modification marginale d’un coût de production peut engendrer une modification profonde de l’affectation finale. Cette instabilité constitue un frein essentiel à toute tentative d’utilisation à des fins industrielles lorsque les variables ne sont connues qu’imparfaitement et proviennent d’estimations plus ou moins fiables. En outre, et plus fondamentalement, lorsqu’on doit intégrer des interactions concurrentielles entre joueurs stratégiques , l’analyse sort du cadre de la concurrence parfaite. Par exemple, les parts de marchés obtenues par la programmation linéaire tendent à générer des monopoles locaux, en particulier lorsque les capacités sont fortes devant la demande des marchés. Pourtant, force est de constater que la réalité industrielle foisonne d’exemples où plusieurs concurrents coexistent sur un même marché. Ainsi, la question fondamentale sous-jacente à ces difficultés est donc celle de la réalité de l’émergence d’un équilibre de concurrence parfaite dans le contexte des industries de commodités qui nous intéresse ici. Il existe, certes, des situations où les firmes sont « price takers » par exemple au sein de zones à forte croissance encore non structurées où de nombreux joueurs potentiels coexistent sur chaque marché local. Pourtant, comme nous allons le décrire dans le paragraphe suivant, les caractéristiques des industries de commodités déterminent, en général, une réalité industrielle proche de la concurrence oligopolistique. En outre, si les arguments en faveur d’une modélisation en concurrence parfaite ou imparfaite peuvent être débattus, lorsqu’il s’agit de décisions de volumes ou de prix de vente, il est un domaine pour lequel la prise en compte des interactions stratégiques semble claire : l’investissement en capacité de production. La modification du jeu concurrentiel que ces choix entraînent est si profonde, les investissements si lourds et les durées d’engagement si longues, qu’elles échappent indéniablement au cadre de la concurrence parfaite.

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Table des matières

Introduction générale
1 Apport de la théorie des jeux et de l’économie industrielle
à la stratégie d’entreprise
2 L’« Industry Cost Curve » comme outil d’analyse stratégique
3 Programmation linéaire et concurrence parfaite
4 Théorie de l’oligopole et industries de commodité
5 Conclusion
Problématique de la thèse
Introduction aux chapitres
1 Préemption et incertitude (Chapitre 1)
2 Cournot et contraintes de capacité (Chapitre 2)
3 Judo economics et négociation (Chapitre 3 et 4)
Références bibliographie
Chapitre 1 :
How Uncertainty Disciplines Pre-commitment on Risky Markets ?
Chapitre 2 :
Capacity Constrained Cournot-Nash Equilibrium : A Simple Formula
Chapitre 3 :
Equilibre de négociation sous menace de guerre de prix
Chapitre 4 :
The limits of accomodation : an experiment in Judo economics
Conclusion générale

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