Contre-culture et avant-garde à la recherche de voies nouvelles

« Tape-loop » et « acid trip » : Mescalin Mix (1960 – 1961)

Alors que La Monte Young part à New-York en septembre 1960, Terry Riley reste sur la Côte Ouest et poursuit sa collaboration avec Anna Halprin. Entre la fin de l’année 1960 et le printemps 1961, elle lui demande de composer la musique pour sa pièce The Three-Legged Stool, devenue The Four-Legged Stool en cours de travail. Terry Riley travaille alors à partir du répertoire de sons qu’il a collectés au Dancer’s Workshop depuis son arrivée, qu’il mixe dans son studio d’enregistrement dans le quartier de Potrero Hill à San Francisco [éc. 7]. Après avoir coupé au hasard les bandes magnétiques, il assemble les fragments en boucles de différentes longueurs : « À San Francisco, j’avais un petit studio avec des portes-fenêtres qui donnaient sur la baie, dans un petit jardin en haut de la colline. Je faisais passer des boucles de bande magnétique en dehors du studio, autour du col de bouteilles de vin que j’avais disposées dans le jardin, et je les faisais revenir sur mon vieux magnétophone à l’intérieur du studio. Ça me permettait de faire des boucles très longues, à peu près 40 à 50 pieds de long».
Il reprend ici une technique utilisée par les compositeurs de musique concrète. C’est le français Pierre Schaeffer qui, à la fin des années 1940 et avant l’arrivée du magnétophone à bande, invente ce procédé qui repose sur la « fermeture » d’un sillon de disque 78 tours. Le son isolé répété rappelle alors l’effet de blocage obtenu lorsqu’un disque est rayé. Et pour accentuer ce principe de déstabilisation, Terry Riley passe les bandes magnétiques à l’envers, et ralentit et accélère les sons, les transformant ainsi en des sonorités méconnaissables par-dessus lesquelles il en réintroduit de nouvelles. Il rejoint ici le travail effectué par Richard Maxfield pour sa pièce Cough Music qu’il découvre lors du « Noon Concert » du 2 décembre 1959 à Berkeley. Ainsi, les voix et les rires des danseurs Lynne Palmer et John Graham, les bruits tirés de la nature et les morceaux de piano enregistrés lors des répétitions du Dancer’s Workshop forment un agrégat de sons étranges, étiré dans le temps. Les boucles sonores qu’il met en place plongent l’auditeur dans une nouvelle forme d’écoute, différente de celle découverte avec les sons tenus de La Monte Young. « Je pense que j’étais en train de comprendre que les choses sonnaient différemment quand on les écoutait plus d’une fois. Et plus on les écoutait, plus elles sonnaient différemment. Bien que quelque chose restait le même, cela bougeait […]. Je réalisais que c’était statique – ce dont nous avions beaucoup discuté avec La Monte à propos de ses sons tenus – mais c’était statique d’une autre manière».
Avec la répétition, Terry Riley s’ouvre donc à une nouvelle forme de temps qui modifie la perception de l’auditeur. L’atmosphère musicale qu’il crée se rapproche ainsi des états modifiés de la conscience dus à la prise de drogue. Et bien qu’il rappelle le travail effectué par John Cage pour ses pièces William Mix (1951 – 1953) et Fontana Mix (1958), le titre de sa pièce, Mescalin Mix, fait avant tout référence à sa propre expérience sous l’emprise de mescaline, cet alcaloïde hallucinogène présent à l’état naturel dans différents cactus.
C’est La Monte Young qui, le premier, va l’initier à la prise de drogue dès qu’ils se rencontrent à la fin des années 1950. À cette époque, la marijuana et la mescaline sont très présentes à San Francisco chez les artistes et poètes Beat. La Monte Young, très proche de ce milieu, lui fait ainsi découvrir leurs effets et la nouvelle perception musicale qu’elles peuvent apporter. Lorsqu’il prend du peyotl pour la première fois, Terry Riley aperçoit « le côté sacré de la musique ». Il se souvient ainsi d’un concert de John Coltrane auquel il assiste sous peyotl avec La Monte Young : « Il y a cette chose indéniable dans la musique qu’il produit, mais en prenant une drogue comme le peyotl qui incorpore beaucoup d’autres parties de l’univers dans ce qu’il est en train de se passer, vous le voyez comme un reflet de lui-même dans le temps. La chose la plus frappante qui s’est produite est la disparition du club de jazz. Coltrane était le grand prêtre, et il a transmis la vérité à travers sa musique. Et c’était incontestablement vrai car il l’a tempéré à travers son âme».
Les études scientifiques le prouvent, la prise de drogue amplifie les sens et transforme les repères spatio-temporels. Et pour comprendre ce qu’a tenté de reproduire Terry Riley dans sa pièce Mescalin Mix, il est nécessaire de revenir sur les changements de conscience que produit la mescaline. C’est le pharmacologiste allemand Ludwig Lewin qui, dès 1886, est le premier à publier une étude sur le cactus auquel on donna ultérieurement son nom, l’Anhalonium Lewinii. Bien qu’il soit très connu chez les Indiens du Mexique et du sud-ouest Américain, qu’ils vénéraient comme une divinité, ce cactus est une nouveauté pour la science. Quelques années plus tard, les psychologues Erick Jaensch, Havelock Ellis et Weir Mitchell commencent des expériences sur la mescaline en elle-même, principe actif du cactus également appelé peyotl. Ils sont tous d’accord pour lui assigner une distinction suprême parmi les drogues car elle « modifie la qualité du conscient d’une façon plus profonde, tout en étant moins toxique, que toute autre substance figurant au répertoire du pharmacologiste ». Par la suite, les recherches continuent et les chimistes réussissent à isoler l’alcaloïde et à en effectuer la synthèse. Des aliénistes en absorbent, espérant comprendre les processus mentaux de leurs patients, ainsi que des philosophes qui cherchent à résoudre des mystères anciens. Mais c’est au début des années 1950 que les choses évoluent, lorsque le jeune psychiatre anglais Humphry Osmond établit une filiation entre la composition chimique de la mescaline et celle de l’adrénaline. Grâce à lui, on découvre ensuite que l’adrénochrome, produit de décomposition de l’adrénaline qui se produit de façon spontanée dans le corps humain, peut produire les mêmes effets que ceux dus à l’intoxication par la mescaline. On comprend ainsi que chacun de nous est probablement capable de fabriquer naturellement un produit chimique qui cause des modifications profondes de la conscience, analogues à celles qui se produisent pour la schizophrénie. Mais à cette époque, la question reste ouverte et les biochimistes, les psychiatres et les psychologues poursuivent les recherches sur ce sujet. Et c’est à l’un d’eux que l’écrivain Aldous Huxley sert de cobaye lorsqu’ils se croisent en Californie au printemps 1953. Les matériaux psychologiques étant encore relativement insuffisants à ce moment, le psychiatre Humphrey Osmond cherche en effet à les accroître en étudiant les effets produits par la mescaline sur une personne volontaire. Dans son recueil Les Portes de la Perception, publié en 1954, Aldous Huxley relate ainsi cette première expérience sous contrôle médical. Comme il l’explique, le cerveau humain est muni d’un certain nombre de systèmes d’enzymes, dont certains régulent l’arrivée du glucose. Et lorsque la mescaline réduit la ration normale de sucre pour le cerveau, plusieurs changements s’opèrent chez le consommateur.

Du studio de Potrero Hill au Conservatoire de San Francisco

Après la représentation de septembre 1961, Ramon Sender propose à Terry Riley de remixer Mescalin Mix dans son nouveau studio de musique électronique, construit provisoirement dans le grenier du Conservatoire de San Francisco avec Pauline Oliveros. Et bien qu’il n’en prenne pas encore le nom à cette époque, le futur San Francisco Tape Music Center lui permet d’améliorer son travail sur bande magnétique et de réaliser des manipulations qu’il ne pouvait faire dans son propre studio d’enregistrement à Potrero Hill. Après avoir travaillé à partir de deux magnétophones Wollensack, où l’un passait les bandes magnétiques des sons enregistrés au Dancer’s Workshop pendant que l’autre enregistrait des nouveaux sons par-dessus, il travaille désormais avec l’Echoplex de Ramon Sender, nouvelle machine permettant de créer des échos. Ils réalisent ensemble plusieurs versions de Mescalin Mix, pour lesquelles la combinaison des bandes diffère à chaque fois.
L’une de ces versions est présentée le 18 décembre 1961, à la première soirée de la série de concerts intitulée « Sonics », organisée par Pauline Oliveros et Ramon Sender pour présenter les nouvelles recherches du Conservatoire de San Francisco. La programmation [fig. 25] inclut également Traversals (1961) de Ramon Sender, Time Perspectives (1961) de Pauline Oliveros, Sound Study I (1961) de Philip Winsor, et Improvisation for Mixed Instruments and Tape par Pauline Oliveros, Ramon Sender, Philip Winsor et Laurel Johnson. Ces pièces, en partie composées dans le studio du Conservatoire, ont été réalisées à partir du peu d’équipement dont les compositeurs disposaient. C’est pourquoi, dans le programme qui annonce le concert, les organisateurs font un appel aux dons pour améliorer le studio : « Nous sommes heureux de vous convier à la première d’une série de concerts de musique électronique au Conservatoire. Il y a huit semaines, les travaux de construction d’un laboratoire électronique commençaient pour la production et l’enregistrement de compositions électroniques.
Le droit d’admission aidera à l’amélioration de ces installations. Les dons de compétences techniques, d’équipement électronique ou d’argent seront acceptés volontiers». Selon un communiqué de presse daté du 14 décembre 1961, ce concert était accompagné d’un projet de projections lumineuses de Milton Cohen, membre du Once Group (Ann Arbor, Michigan), un collectif d’artistes, de musiciens, d’architectes et de réalisateurs ayant pour but de créer un environnement pour développer et partager les idées et les techniques de chacun. Avec l’aide de l’architecte Harold Borkin, ce dernier transforme un loft en théâtre d’intérieur en 1957, appelé dès lors « Space Theater » [fig. 26]. Ce dispositif consiste en un espace environnemental avec des miroirs en rotation et des prismes pour des projections lumineuses. Sur ce même schéma, le concert du 18 décembre 1961 dans l’auditorium du Conservatoire aurait donc été un concert « spacialisé », où les projections lumineuses de Milton Cohen se seraient superposées aux sons émis par les haut-parleurs dispersés dans toute la pièce. Cependant, ni Ramon Sender ni Pauline Oliveros ne se souviennent de cette collaboration. Et le nom de Milton Cohen n’est indiqué ni dans le programme de la soirée, ni dans l’article du critique Alfred Frankenstein, publié deux jours après le concert dans The San Francisco Chronicle . Quoi qu’il en soit, le concert est un véritable succès et la série reprend en mars 1962, lorsque le Conservatoire a assez d’agent pour lancer une deuxième saison. La série des « Sonics », et le premier concert de décembre 1961 en particulier, donne ainsi naissance à un nouveau laboratoire de musique électronique, plus tard appelé le San Francisco Tape Music Center.
À l’époque, les dispositifs électroniques comme outils de composition musicale se répandent de plus en plus. Et en réponse à cette effervescence, de nombreux studios se créent dans plusieurs villes. Aux États-Unis, le Columbia-Princeton Electronic Music Center [fig. 27] est le plus important et le mieux équipé au début des années 1960. Initialement connu sous le nom de Columbia Tape Music Center lorsqu’il est créé en 1951 par Otto Luening et Vladimir Ussachevsky, le studio est installé à l’Université Columbia de New -York après plusieurs mois de nomadisme. N’ayant d’abord ni oscillateur ni générateur de signal, les deux amis composent essentiellement leurs premières pièces à partir de bandes magnétiques qu’ils manipulent (changement de vitesse, sons inversés, épissure, etc.), et à l’aide du circuit de réverbération réalisé par le jeune ingénieur de l’Université Peter Mauzey. En 1958, grâce à la Fondation Rockfeller, le Columbia-Princeton Electronic Music Center est créé avec Vladimir Ussachevsky à la direction et Otto Luening dans son comité. Plusieurs compositeurs sont invités, et l’équipement est désormais plus important.

Avec Ken Dewey : Paris et le théâtre du non-sens

En février 1962, Terry Riley décide de quitter la Côte Ouest des États-Unis pour voyager en Europe. Après s’être arrêté à New-York pour voir La Monte Young et participer au concert An Anthology II donné au Living Theater le 5 février 1962 , lui et sa famille prennent un bateau pour l’Espagne et s’installent à Algesiras en Andalousie pendant quelques mois. Là-bas, Terry Riley se familiarise avec la musique orientale, que beaucoup de chaînes de radio espagnoles diffusent. Bien qu’il en ait déjà écouté avant même d’arriver à San Francisco en 1955, c’est ici qu’il prend réellement conscience de son pouvoir immersif par l’utilisation de cycles répétitifs dans un temps infini. « […] J’écoutais beaucoup la radio la nuit … C’était probablement un mixe de plusieurs musiques du Moyen-Orient. Je ne souhaitais pas les étudier ou dire de quoi il s’agissait. Je restais simplement posé, écoutant et buvant l’atmosphère. C’était quelque chose que je n’avais jamais entendu », se souvient-il. Plusieurs séjours au Maroc lui donnent directement accès à cette musique, qu’il écoute à longueur de journée dans la rue et lorsque le muezzin appelle à la prière.
Et c’est cette découverte importante, ainsi que celle du jazz et en particulier celui de John Coltrane quelques années auparavant, qui l’éloigne définitivement du groupe Fluxus après avoir participé à plusieurs de leurs événements en Allemagne durant l’été 1962.
Puis Terry Riley s’installe définitivement à Paris avec sa famille. Pour gagner sa vie, il joue avec un groupe de jazz dans des clubs d’officiers situés dans des bases militaires américaines à travers toute la France. Il part également en tournée avec un cirque pour lequel il accompagne en musique les cracheurs de feu et les acrobates. Et grâce à Daevid Allen , avec qui il distribue The New York Herald Tribune du côté de l’Opéra et de Pigalle, il fréquente William Burroughs, Allen Ginsberg et Bryon Gysin, installés dans le même hôtel que son ami, rue Gît-le-Cœur. Dans ce même quartier, il trouve une place de pianiste dans un cabaret et joue toutes les nuits de dix heures à quatre heures du matin pour gagner vingt francs. L’ambiance de Paris le submerge, et il apprécie traîner en compagnie des artistes et poètes Beat, des écrivains et d’autres voyageurs.

Une approche de l’univers sonore d’In C (1964)

En 1964, San Francisco résonne sur toute la scène artistique américaine. Un esprit de contestation commence à se faire sentir, en particulier dans certains quartiers de la ville où les premiers hippies remplacent progressivement les beatniks du début des années 1960. Et le San Francisco Tape Music Center, que Terry Riley avait quitté en 1962 quand il s’agissait encore d’un groupe de recherche au Conservatoire de San Francisco, participe à cette émulsion contreculturelle que connaît la Côte Ouest, en tant que lieu d’expérimentation où musique, théâtre, danse et art visuel se croisent. Avec le San Francisco Actor’s Workshop, le San Francisco Mime Troupe et le Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, il tente de dépasser les frontières artistiques pour penser la création de manière horizontale, et abolir toute forme de hiérarchie.
Terry Riley poursuit ainsi ses recherches musicales dans une ville dynamique, et ses idées sont peut-être mieux comprises qu’en Europe, où son travail avec Ken Dewey a été trop souvent critiqué. Dans ce contexte avant-gardiste, il compose sa pièce In C en 1964, grâce à laquelle il connaît le succès pour la première fois. Et pour comprendre ce qui le hisse sur le devant de la scène new-yorkaise dans la seconde moitié des années 1960, il est important de revenir en détail sur cette œuvre, où il expérimente une nouvelle forme de musique, à la fois auditive et visuelle, faisant du principe de répétition découvert avec Anna Halprin puis Ken Dewey l’identité même de sa musique.

De la machine à l’instrument : nouvelle esthétique répétitive

Dès son retour à San Francisco, Terry Riley souhaite adapter les effets répétitifs obtenus par la manipulation des bandes magnétiques au studio de l’ORTF à Paris à l’instrumentation. « Je voulais
obtenir les mêmes effets de polyphonie répétitive avec des musiciens jouant en direct, afin de transcender l’effet mécanique des bandes », dit-il. Il cherche ainsi à composer une forme simple pour orchestre, dont l’ensemble fait entendre le même chevauchement de fragments. In C lui serait alors apparue comme une sorte de vision au mois de mars 1964, une nuit en rentrant du Gold Street Saloon en bus, sous acide : « C’était comme dans un rêve … Quand je l’ai entendu, j’ai su comment l’écrire. Je pense que j’avais à peu près écrit la pièce le jour suivant». Sa partition [fig. 39, éc. 9] tient sur une seule page, où cinquante-trois modules d’une durée différente se succèdent. Elle peut être interprétée par n’importe quels instruments capables de jouer les notes écrites (y compris la voix), et dans un nombre de pupitres illimité, même si Terry Riley lui-même définit un nombre idéal de trente-cinq musiciens. En réalité, cette partition n’est qu’un support indicatif, à partir duquel chaque musicien s’exprime librement. Car la pièce dépend entièrement du choix des musiciens, de leurs envies personnelles et de leurs ressentis au sein du groupe : ils commencent à jouer quand ils le souhaitent, et répètent chaque module autant de fois qu’ils le veulent, avant de passer au suivant. Dans une édition plus récente de sa partition (2005), Terry Riley l’accompagne d’un certain nombre d’instructions à l’intention des musiciens, écrites après plusieurs représentations de la pièce. Celles-ci nous permettent de comprendre la manière dont fonctionne l’œuvre, et l’effet recherché par Terry Riley. En voici quelques extraits :
« Tous les musiciens jouent à partir de la même page les cinquante-trois modules mélodiques dans
l’ordre. Un groupe d’environ trente-cinq musiciens crée un riche recouvrement, mais des performances intéressantes ont eu lieu avec beaucoup plus ou beaucoup moins. Les modules doivent être joués consécutivement, et chaque musicien a la liberté de déterminer combien de fois il ou elle répétera chaque module avant de passer au suivant. Il n’y a pas de règle fixe sur le no mbre de répétition, cependant, puisque les performances durent environ entre quarante-cinq minutes et une heure et demie, on peut dire que l’on répète chaque module entre quarante-cinq secondes et une minute trente, ou plus. Il très important que les musiciens s’écoutent les uns les autres très attentivement, ce qui veut dire qu’ils peuvent occasionnellement diminuer leur volume pour écouter […]. Chaque module peut être joué à l’unisson ou canoniquement dans n’importe quel alignement avec lui-même ou ses modules voisins. L’un des plaisirs de jouer In C vient de l’interaction entre les musiciens dans leurs combinaisons polyrythmiques qui surgissent spontanément des modules. Certaines formes fantastiques surgissent et se désintègrent au fur et à mesure que la pièce progresse.
Il est important de ne pas se presser d’un module à l’autre, mais de rester sur un module suffisamment longtemps pour qu’il s’entrecroise avec les autres […]. In C se termine généralement de cette manière : quand un musicien arrive au module 53, il ou elle y reste jusqu’à ce que l’ensemble des musiciens y soient arrivés. Le groupe fait alors un large crescendo et decrescendo pendant quelques temps, puis chaque musicien se retire quand il ou elle le souhaite». Mais en réalité, Terry Riley ne pense pas précisément à toutes ces instructions au moment de la création d’In C. Après avoir écrit la partition, il n’a même aucune idée de la manière dont il peut la mettre en place. C’est le percussionniste Steve Reich, voisin et ami, qui l’aide à compléter le processus de création en rassemblant ses amis pour jouer la pièce. Il forme ainsi un groupe avec des membres du San Francisco Mime Troupe, avec Jon Gibson au saxophone soprano et Jeannie Brechan au clavier. Et lors d’une répétition, qui se déroule probablement dans une maison privée de San Francisco, il propose d’instaurer une pulsation afin de souder le groupe. La batterie n’étant pas adaptée, c’est Jeannie Brechan qui donne alors le tempo au clavier. Elle joue deux dos aigus, qu’elle répète à intervalles réguliers du début jusqu’à la fin de la pièce, allant ainsi jusqu’à plus de dix mille répétitions si la performance dure plus d’une heure.

Vers une œuvre d’art totale et un monde vibratoire

En 1964, le San Francisco Tape Music Center, établi sous ce nom depuis 1963 – et dont l’origine remonte à la série des concerts « Sonics » au Conservatoire de San Francisco à laquelle Terry Riley participe en décembre 1961 –, devient un lieu incontournable de l’avant-garde artistique de la baie de San Francisco. Le groupe est désormais installé au 321 Divisadero Street [fig. 42], après avoir passé quelques temps au 1537 Jones Street à la suite de la deuxième saison de concerts au printemps 1962. Ramon Sender, Pauline Oliveros et Morton Subotnick, invité à les rejoindre dès 1962, jouissent ensemble d’une reconnaissance nationale pour leur innovation dans le domaine de la musique électronique et leur interaction avec les nouvelles formes d’expérimentations théâtrales. Car en plus de partager leurs locaux avec la radio KPFA, ils sous-louent un auditorium au Dancer’s Workshop d’Anna Halprin avec qui ils collaborent régulièrement dans leurs recherches. Et la série des trois concerts, intitulée « Tudorfest », qu’ils organisent au printemps 1964 pour célébrer le travail du pianiste David Tudor, et pendant laquelle ils présentent également les pièces de George Brecht, de Toshi Ichiyanagi, d’Alvin Lucier et de John Cage, assoit leur réputation dans le développement de la musique nouvelle.
Lorsque le groupe revient à San Francisco à la suite d’une tournée sur la Côte Est et le Mid-Ouest des États-Unis durant l’été 1964, il décide d’organiser de nouveaux concerts pour la saison 1964 – 1965, mais cette fois-ci avec des compositeurs locaux. Ramon Sender, Pauline Oliveros et Morton Subotnick bénéficient alors chacun d’un concert qui leur est entièrement consacré pour présenter leur travail. Puis ils décident de proposer à Terry Riley, revenu depuis quelques mois à San Francisco, et dont le travail n’a encore jamais été montré sur la Côte Ouest. À l’origine, ils lui proposent d’organiser un concert pour le mois de janvier 1965 et de partager la programmation avec le compositeur James Tenney. Mais le projet évolue rapidement et se transforme finalement en un one-man-show prévu pour le début du mois de novembre 1964, intitulé « One Young American ». Et c’est le travail que Terry Riley mène à ce moment sur sa pièce In C avec Steve Reich et ses amis qui l’incite à accepter la proposition, dont il prend rapidement conscience de la réputation qu’elle pourrait lui apporter sur toute la baie de San Francisco.

Un succès immédiat : « Music Like None Other on Earth »

Après le succès que connaît le premier concert, Morton Subotnick et Ramon Sender décident d’organiser une seconde soirée, afin de faire venir un plus large public. Et la performance du vendredi 6 novembre, réalisée seulement deux jours après la première, est particulièrement mémorable pour deux raisons. D’abord, l’auditorium du San Francisco Tape Music Center est déclaré fermé le jour même de la performance, à cause du film Notre Dame des Fleurs de Jean Genet que le dramaturge et réalisateur Saul Landau y a précédemment projeté. Diffuser les scènes d’amour homosexuelles du film, dites trop choquantes pour le public de l’époque, n’est pas apprécié par les autorités et place ainsi le nom du San Francisco Tape Music Center sur la liste de la Commission de la Chambre sur les Activités Non-Américaines . Pour que le concert puisse avoir lieu, Morton Subotnick décide alors d’abandonner sa place dans le groupe de musiciens pour surveiller l’entrée de la salle et divertir les autorités si jamais elles arrivaient. Et lorsque le capitaine des pompiers vient pour vérifier les normes techniques, prétexte à la fermeture des lieux, il lui explique qu’un concert est en train d’avoir lieu, et l’invite à écouter In C. « Je crois qu’ils étaient convaincus que nous nous rassemblions pour de la drogue […]. Ils voulaient savoir pourquoi tous ces gens étaient là, pour ce genre de musique », se souvient-il. Mais le concert n’est pas annulé pour autant, et permet à Terry Riley et ses musiciens de mieux jouer qu’à la première du mercredi.
Et dans le public, parmi les premiers hippies de San Francisco, les artistes et les poètes Beat, le critique musical du San Francisco Chronicle Alfred Frankenstein assiste à la performance.

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 / Contre-culture et avant-garde. À la recherche de voies nouvelles 
1 / HAPPENINGS DES PREMIERS TEMPS
1.1. Avec La Monte Young : « Noon concerts » ou la méthode aléatoire
1.2. Le Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, un lieu propice à la créativité
1.3. Terry Riley, un artiste du groupe Fluxus ?
2 / MUSIQUE ÉLECTRONIQUE ET FANTASMES RÉPÉTITIFS : VERS DE NOUVEAUX MODES EXPRESSIFS
2.1. « Tape-loop » et « acid trip » : Mescalin Mix (1960 – 1961)
2.2. Du studio de Potrero Hill au Conservatoire de San Francisco
2.3. Avec Ken Dewey : Paris et le théâtre du non-sens
3 / UNE APPROCHE DE L’UNIVERS SONORE D’IN C (1964)
3.1. De la machine à l’instrument : nouvelle esthétique répétitive
3.2. Vers une œuvre d’art totale et un monde vibratoire
3.3. Un succès immédiat : « Music Like None Other on Earth »
CHAPITRE 2 / Une immersion psychédélique : extase et synesthésie 
1 / LES DÉBUTS DE TERRY RILEY SUR LA SCÈNE NEW -YORKAISE : BROUILLAGE SENSORIEL ET CONSCIENCE ÉLARGIE
1.1. Sames (1965), le spectacle d’un nouveau genre
1.2. Avec La Monte Young dans Le Théâtre de la Musique Éternelle
2 / DANS LE MONDE UTOPIQUE DU RÊVE : UN SUCCÈS POPULAIRE
2.1. L’expérience de toute une nuit : son hypnotique et forme extatique
2.2. Du savant au populaire : In C (1964 – 1968) et la culture psychédélique
2.3. Vers un art du divertissement : Terry Riley et le Mythe S ynesthésique
3 / EXPOSER L’ART PSYCHIQUE : THE MAGIC THEATRE (1968)
3.1. Entre art et technologie : le dialogue d’une société nouvelle
3.2. Le « Théâtre Magique » : d’Hermann Hesse à Ralph Ted Coe
3.3. Vers un labyrinthe du soi : une étude historique des Chambres de Riley
ÉPILOGUE 
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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