Contexte géopolitique et militaire d’avant-guerre en France et au Royaume-Uni et conduite des opérations au début du mois d’août 1914 

L’entente cordiale ​entre en guerre – premiers jours de conflit

Alors même que le Royaume-Uni a déclaré la guerre à l’Allemagne le 4 août, les responsables militaires britanniques trépignent face à leur gouvernement toujours hésitant quant à une intervention continentale. Quelques jours à peine avant le début des hostilités, le premier ministre Asquith commente (le 2 août !) : «l’envoi de la force expéditionnaire pour aider la France est pour l’instant hors de question et ne servirait à aucun but.» En effet, le fougueux Sir French et les autres responsables militaires, après des années de préparation de la BEF conjointement à la France, ressentent le devoir d’honorer leur collaboration effective depuis une décennie déjà. On constate un engagement réfréné par l’indécision du corps politique, un désir de se battre et soutenir leurs camarades français, en témoigne Huguet qui quitte Londres, le 7 août 1914, avant de rejoindre Joffre en France :
Avant de partir je rendis visite au maréchal Sir John French et me rencontrai aussi avec divers officiers du War Office que je connaissais déjà de longue date ; tous avaient la figure rayonnante. Ils me dirent l’anxiété dans laquelle ils avaient vécu pendant plusieurs jours, quand ils s’étaient demandé si l’armée anglaise ne restait pas en dehors du conflit ; la pensée que leur pays pourrait ne pas remplir ses engagements moraux vis-à-vis de nous les avait remplis d’inquiétude ; ils étaient bien décidés, si cette éventualité se réalisait, à ne plus jamais mettre les pieds en France pour ne plus avoir à affronter nos regards. Aujourd’hui, toute crainte de ce genre avait disparu ; la joie et la fierté brillaient dans leurs yeux.
Les officiers en poste au War Office​, et Sir French le premier, à l’annonce du soutien à la France, jubilent et selon Huguet sont même libérés de l’angoisse qui pesait sur eux. Le sentiment de devoir envers la France vis-à-vis de l’engagement moral (autrement dit, sans accord officiel) semble donc bien réel en ces premiers jours d’août 1914. Au-delà de déployer la BEF, le but de Sir French est aussi de peser de toutes ses forces sur les événements, aux côtés de l’allié : «Il était généralement ressenti que nous devions à la France l’obligation d’envoyer une armée aussi puissante que possible, […] il était unanimement convenu que nous devions faire tout ce que nous pouvions» .
Une fois l’intervention britannique assurée et le déploiement de la BEF certaine, les généraux respectifs se rencontrent, non pas dans le cadre de visites ou de manoeuvres mais bien pour la guerre. Là encore, les premiers sentiments sont très positifs et les relations semblent aussi bonnes qu’en temps de paix. En témoignent les souvenirs des premières rencontres.
Pour leur première entrevue, les deux commandants-en-chef de l’entente montrent une admiration réciproque et se réjouissent l’un et l’autre de collaborer avec celui que «L’histoire le retiendra comme l’un des grands chefs de guerre» selon Sir French à-propos de Joffre. Au sujet de leur rencontre, il raconte :
Nous quittâmes Paris par voiture le matin du 16 [août 1914], et arrivâmes au quartier-général de Joffre à Vitry-le-François à midi. […] J’entendais parler du commandant-en-chef français depuis des années, mais ne l’avais jamais vu. Il m’apparut immédiatement comme un homme de grande volonté et déterminé, très courtois et délicat, mais ferme et inébranlable dans ses idées et résolutions, et difficile à détourner de son but ou convaincre. Il me sembla capable d’exercer une forte influence sur les troupes qu’il commandait et tout aussi capable de jouir de leur confiance.
Son stoïcisme et sa détermination, son courage et sa patience, furent mis à l’épreuve autant que possible et ne furent jamais défaillants.

Wilson, allié et coordinateur parfait

C’est en ces mots que Sir French (cité par Huguet) évoque Wilson. Il mentionne non seulement les fruits de son travail mais aussi ses deux missions. Déjà depuis son poste de commandant du Staff College (école d’état-major) à Camberley qu’il occupe de 1907 à 1910, il prépare en quelque sorte la BEF à une guerre aux côtés de la France.
Dans une période d’évolution des doctrines de guerre, principalement suite à la Guerre des Boers pour le Royaume-Uni, Wilson a notamment la lourde tâche de former le fleuron de l’armée britannique ; de jeunes soldats destinés à garnir les états-majors de la future force expéditionnaire. Dans ce but, son successeur, William Robertson, et lui «ont à eux deux révolutionné la question de l’instruction et ses méthodes» selon Paul Harris. Bien sûr, son rôle dans la préparation des troupes britanniques à la guerre est plus indirect que celui qu’il tient ensuite au War Office ; mais il transmet et laisse infuser dans les jeunes têtes de ses étudiants – on peut seulement l’imaginer – ses idées francophiles. Il emmène notamment ses étudiants dans des staff tours​, des visites de reconnaissance du terrain, en vue de se familiariser avec les équipements et le terrain, et obtenir une expérience plus concrète pour ces jeunes soldats encore inexpérimentés.
Wilson et ses élèves se rendent donc sur les champs de bataille du nord-est de la France, qui ont vu lors du siècle précédent les guerres napoléoniennes et la guerre franco-prussienne de 1870.
Que ce soit en tant que directeur du Staff College ​ou surtout en tant que directeur des opérations militaires, il s’efforce de rapprocher les deux états-majors et leurs généraux – et de se rapprocher lui-même des cadres de l’armée française. Bien sûr, cela fait partie des exigences de son poste, exigences qui ne sont pas pour lui déplaire, tant «son amour pour toutes les choses françaises» est unanimement décrit. Le rôle de Wilson et son importance, depuis l’imposante bâtisse de Whitehall & Horse Guards Avenue​sont décrits par son biographe, Bernard Ash : il allait devenir le directeur des opérations militaires au ministère de la guerre à un moment où l’imminence du conflit en Europe était telle que cela en faisait peut-être le poste-clé dans l’armée britannique. Il portait la responsabilité des opérations en-dehors du Royaume-Uni et, ainsi, de préparer le rôle des six divisions qui avaient été convenues d’une manière quelque peu nébuleuse, dans les discussions entre états-majors durant les cinq années précédentes entre le colonel Huguet et le général Grierson, comme base d’une force expéditionnaire britannique.
À cette occasion comme à d’autres avant et durant la guerre, Henry Wilson agit comme un lien entre les deux alliés, en particulier quand leurs vues et les évènements les éloignent. Ce 29 août 1914, Wilson ne réussit pas à convaincre Sir French de maintenir la ligne avec la Ve armée en arrêtant sa retraite, mais porte néanmoins le message français en tant que conseiller de Sir French. Il permet donc – avec plus ou moins de succès – la collaboration de la BEF de Sir John avec l’armée française de Joffre ; collaboration à une action jointe qui aura d’heureux résultats une semaine plus tard, lors de la Bataille de la Marne. Cette position particulière et les actions qu’elle impliquait sont expliqués par Huguet : Wilson, en tant que sous-chef d’état-major – le poste le plus haut qu’il pouvait
occuper à son âge, et pour lequel il était indispensable pour sa connaissance, et depuis lequel il pouvait continuer à influencer French, maintenir sa liaison avec de Castelnau et Joffre et mettre en pratique les plans d’actions sur lesquels il s’était entendu avec l’état-major français. Huguet illustre Wilson presque comme un soldat acquis à la cause des Français (mettant en pratique les plans français et non britanniques, donc) et dont le but est d’y infuser les idées dans l’état-major de la BEF, et de profiter de sa proximité (due à son poste) avec Sir French. À ce propos, quand Sir French demande l’opinion de Haig sur Wilson, en décembre 1914, ce dernier va jusqu’à répondre «que Wilson est un intrigant et a, jusqu’ici subordonné les intérêts de l’armée britannique à ceux des Français.»
Haig semble néanmoins avoir entretenu des relations plutôt bonnes de manière générale avec ses alliés, que ce soit avant ou après qu’il remplace Sir French. Même Lanrezac qui est connu pour ses relations houleuses avec les Britanniques se souvient de Haig comme d’un «vrai gentleman et excellent militaire.» Il a pu d’ailleurs avoir affaire avec tous les commandants-en-chef français s’étant succédés durant la Grande Guerre (Joffre, Nivelle, Pétain, Foch), et ses relations avec furent inégales et inconstantes, il semble cependant avoir entretenu de bons liens avec Joffre puisqu’en décembre 1916, quelques jours avant le limogeage du chef français, il déplore dans son
journal : «J’ai déjà déclaré catégoriquement à M. Briand que le changement de Joffre était une erreur. Pourtant il s’en ira.» Huguet le décrit même comme «un des plus sympathisants et bien disposés envers notre pays» .
Toujours est-il que si Wilson en arrive à se faire décrire comme un soldat à la solde des généraux français infiltré auprès de Sir French, cela découle de son amour pour la France, des relations avec les membres de l’état-major français qu’il a tissées ainsi qu’une certaine influençabilité (décrite par plusieurs) qui lui ont fait adopter les doctrines militaires françaises sans vraiment jamais les remettre en cause ; son admiration pour l’armée française en est sans doute un autre facteur.
Cette citation montre d’une part que Wilson saisit chaque opportunité à sa portée pour se familiariser avec le futur terrain d’opération de la BEF mais aussi avec les chefs militaires français ; à ces occasions trois noms ressortent, trois généraux que Wilson rencontre plus que les autres. Parmi ces derniers, il y a bien sûr Joseph Joffre, alors à la tête de l’armée française, chargé de préparer la guerre future face à l’Allemagne, et ainsi prendre en compte l’Entente Cordiale – bien que lui-même admette en avril 1913 que «Nous agirons donc prudemment en ne faisant pas état des forces anglaises dans nos projets d’opérations». Le second nom qui revient est celui de Ferdinand Foch, dont l’amitié et la communion d’idées sur la guerre avec Wilson sont parmi les causes de leurs nombreuses rencontres. Enfin, Edouard De Castelnau, qui s’avère être un des généraux français les plus aux faits de l’armée britannique et de ses officiers généraux à l’ouverture de la guerre ; cela s’explique par plusieurs voyages outre-Manche ainsi que plusieurs rencontres avec Wilson, Sir French ou Grierson, notamment, avant la guerre, en France ou en Grande-Bretagne.
Bien sûr, tous ces rapprochements de Wilson n’auraient jamais pu avoir lieu sans sa maîtrise du français, qu’il pratique depuis son enfance («M et Mme Wilson s’attachèrent les services d’une succession de gouvernantes françaises pour leurs enfants […]. Henry fut depuis le début particulièrement épris du français» ). À ce propos, Jeffery explique «l’importance que cela eut pour consolider les relations anglo-françaises» , d’autant qu’aucun des généraux français cités précédemment ne parle la langue de Shakespeare. La maîtrise du français étant une des différences principales entre Wilson et le reste du corps des généraux britanniques (à part Grierson et Kitchener), puisque pas d’autre officier général britannique ne maîtrise la langue de l’allié avant la guerre ; seul Haig montrera de vrais progrès durant le conflit. Forcément, une communication d’une part dans la même langue et d’autre part directement, d’homme à homme, ne peut être que bénéfique aux relations entre deux officiers alliés ; et en cela Wilson se distingue encore puisque lui plus qu’aucun autre Britannique n’a été plus en contact avec les Français avant la guerre. Sans intermédiaire (comme un traducteur, un officier de liaison, voire même indirectement via Huguet ou l’ambassadeur de France au Royaume-Uni ) une relation personnelle cordiale est  naturellement plus simple à créer et l’échange est plus rapide (que si il doit être traduit ou par correspondance).
Quoi qu’il en soit, Wilson a forcément été influencé par l’état-major général français, avec lequel il avait des affinités ; seule demeure la question du degré d’influence que le commandement français a sur Wilson et donc indirectement, sur les idées et décisions prises par les responsables militaires britanniques par la suite. Sans être forcément une mauvaise chose pour l’entente (en théorie), cela peut permettre une communion d’idées et de doctrines militaires, élément sans aucun doute profitable à la bonne tenue de relations personnelles dans une alliance ; ce à quoi Wilson s’est toujours employé, dès sa nomination comme D.M.O​en 1910.
Avant cela, Wilson n’est pas impliqué dans les relations franco-britanniques. Les premiers contacts en 1904-1905 sont secrets et timides – rappelons que selon Callwell l’état-major général britannique n’est autorisé à échanger avec son homologue français qu’en janvier 1906. Ces contacts, d’abord officieux et menés en partie par Grierson, tout en prenant en compte le temps quasiment perdu par Spencer Ewart entre 1906 et 1910 en tant que directeur des opérations militaires, les débuts de l’entente sont progressifs mais assez lents et par conséquent les relations entre généraux sont cordiales mais pas forcément solides. Bien sûr, les contacts entre généraux de l’entente et la préparation de la BEF se poursuivent durant les quatre ans sous Ewart, mais on peut considérer (avec l’appui de Huguet ) qu’il s’agit néanmoins d’un ralentissement dans la préparation conjointe de la guerre. À partir de 1910, Wilson reprend le poste et «Dès lors, sous son active impulsion, les travaux reprirent avec une sûreté, une rapidité et un esprit de décision qu’ils n’avaient jamais eus» et accomplit bien plus que ses deux prédécesseurs pour la coalition. Ainsi entre les généraux, au gré des visites et voyages, les contacts s’accentuent, les relations se nouent, si bien que ces bonnes relations donnent lieu à de bonnes opinions sur les généraux et les armées respectives. Bien sûr, comme il a été dit, en temps de paix la cordialité et les sourires sont de mise et les antagonismes sont chassés par les besoins de la diplomatie.
Toujours est-il qu’à l’ouverture de la guerre, ces bons sentiments demeurent intacts et du côté britannique, on assiste même un un désir de rejoindre l’allié dans la guerre, d’aller au bout de la logique d’alliance mise en place par les rapprochements clairs des dix années précédentes. Durant la Crise de Juillet, l’intervention reste en effet très incertaine et l’attitude du gouvernement de H.H Asquith, ambiguë. Et bien que Sir French assure d’un côté qu’«Il était maintenant connu de tous que les états-majors généraux du Royaume-Uni et de France avaient, depuis longtemps, tenu des conférences, et qu’une entente mutuelle totale prévoyant une action conjointe dans certaines éventualités existait» , Spears, lui rappelle qu’ «il avait toujours été spécifié de la façon la plus claire que ces conversations ne liaient en aucune façon la Grande-Bretagne en l’obligeant à une action quelle qu’elle soit.» Bien qu’en quelque sorte, le désir d’intervenir de Sir French transparaisse à travers ses lignes, Spears exprime mieux la position dans laquelle le Royaume-Uni se trouve, et comment le gouvernement perçoit la question. Il s’agit en effet bien d’une ‘entente’ et pas d’une alliance à proprement parler, où deux pays sont complètement liés militairement et diplomatiquement en cas de guerre. En France, bien conscients de ces réalités, les responsables militaires (mais aussi le reste des Français) espèrent fébrilement l’intervention britannique. Une fois celle-ci décidée, et une fois la BEF débarquée de l’autre côté de la Manche, l’optimisme et la réjouissance marquent les généraux qui se rencontrent pour la première fois en étant en guerre (voire pour la première fois tout court). C’est le cas les 16 et 17 août quand l’ambivalent Sir French rencontre pour la première fois, consécutivement Joffre et Lanrezac ; c’est quasiment ce jour, ce 17 août à Rethel que les bonnes relations (fragiles) se dégradent.
On constate en outre, au fil des analyses et des citations jusqu’ici, qu’il existe un noyau de collaboration et de bonne relation au sein de l’entente, qui se compose autour de Wilson, de Huguet, son plus proche collaborateur, dévoué à une tâche similaire à la sienne, et souvent à Londres ; et Foch et De Castelnau, les généraux français avec qui il communique le plus. Les contacts de Wilson avec Foch ont déjà été vus mais pas ceux avec De Castelnau. Ce dernier, surnommé «le capucin botté» ou «le général de la jésuitière» en raison de son catholicisme très affirmé (trait qu’il partage d’ailleurs avec Foch), fait aussi partie de la plus haute sphère militaire française au cours de la décennie précédant la guerre. Il est décrit par Gamelin comme «D’intelligence brillante, l’esprit vif, non sans adresse, il était un chef séduisant, avec, parfois des allures de militaire ‘Second Empire’. […] Chef séduisant, il était très populaire dans l’ensemble de l’Armée.» Très proche collaborateur de Joffre, il suit le sillon du nouveau général-en-chef puisqu’il est nommé chef d’état-major en 1912 (en remplacement de Dubail) et est lui aussi au Conseil de la guerre. La IIème armée lui est assignée, il se bat en août 1914 aux alentours de Nancy avec sous ses ordres le général Foch qui commande un des trois corps d’armée (le XXème) qui composent l’armée de De Castelnau. Par ailleurs, le général est un des français qui est le plus en contact avec Wilson dans la période précédent la guerre : rien que dans la biographie de Callwell, on compte au moins dix rencontres entre les deux. Il est difficile d’expliquer les raisons de ce lien plutôt méconnu, ni même d’expliquer pourquoi le général De Castelnau (hormis Foch et Huguet) a plus collaboré avec Wilson qu’aucun autre général français avant la guerre, d’autant qu’aucune amitié particulière n’est apportée. Toutefois, dès le début de la guerre, il n’est plus vraiment fait état de rencontres entre eux.

Mauvaise Entente

Malheureusement, la méfiance est loin d’être la seule cause de mauvaises relations entre généraux français et britanniques. Après avoir exposé les arguments montrant les bonnes relations qui ont pu exister, avec des exemples, ainsi que les conditions nécessaires à celles-ci, notamment à travers le personnage de Wilson, il est temps dans cette seconde partie de faire le travail inverse.
Toujours avec l’objectif d’analyser les faits et facteurs qui peuvent traduire, cette fois des mauvaises relations et/ou opinions, nous procéderons en trois temps, comme lors de la première partie. Seront d’abord exposés les facteurs exogènes à la guerre qui ont nourri des inimitiés ; car, comme nous le verrons, puisque ce travail concerne les hommes eux-mêmes, leurs idées ne sont pas forcément issues de leur personnalité de soldat, ni des évènements propres à la guerre, mais aussi par leur personnalité d’homme, leur caractère, leur époque, ou même leur nationalité. Ensuite, forcément, seront scrutées les divergences engendrées elles-mêmes par le contexte particulier qu’est la préparation et l’engagement dans un conflit continental ; les circonstances auxquelles les protagonistes déjà vus font face, la pression et la violence de la guerre, mais aussi la tension et la nervosité de la préparation du conflit avec le partenaire de l’entente​, peut produire de mauvaises relations, à différents égards, que nous étudierons. Enfin, comme avec Henry Wilson (et Huguet, dans une moindre mesure) lors de la première partie, Lanrezac et plus particulièrement sa relation avec Sir French durant un peu moins d’un mois seront utilisés comme exemples des éléments qui créent une mauvaise relation entre alliés. Là aussi, ce sera l’occasion de voir en quoi ces éléments peuvent être appliqués (ou non) aux autres protagonistes de l’entente​.

Facteurs exogènes à la guerre

Alors que les armées de Sir French et Lanrezac entament la guerre côte à côte en août 1914, à proximité de Mons et Charleroi, il faut se souvenir que cent ans plus tôt, les armées des deux pays sillonnaient déjà la campagne belge ; elles allaient s’affronter à la Bataille de Waterloo, le 18 juin 1815. En effet, en 1904, lorsque l’entente cordiale naît, le Royaume-Uni et la France ne partagent pas une longue histoire de paix et à beaucoup d’égards, le rapprochement de 1904 ne tombe pas sous le sens. Et comme Philippe Chassaigne le rappelle, bien que «les deux pays ne furent plus en guerre l’un avec l’autre [après 1815]. Il y eut, certes, des tensions : la question de l’indépendance belge en 1831, la crise de Syrie en 1840 ou encore la complexe affaire des mariages espagnols en 1846 et les récurrentes « invasion scares » (psychoses de l’invasion)». Même si l’on peut distinguer, de manière générale, une amélioration des relations au cours du 19e siècle, les deux pays furent ennemis (ou au moins rivaux) de manière presque ininterrompue depuis la Guerre de Cent Ans jusqu’à Napoléon. En fait, l’Angleterre mérite au moins autant que l’Allemagne son titre d’ennemi héréditaire de la France, rien que du fait de leur longue histoire commune d’ennemis. En 1904, ni même en 1914, ces cinq cent ans ne sont pas effacés de la mémoire des Français ou des Britanniques.
Naturellement, ces sentiments ambigus nés d’une ambivalence entre un rapprochement récent et une rivalité ancestrale créent des freins à une collaboration puis une alliance pérenne. Qu’il s’agisse de méfiance, d’idées préconçues s’appuyant sur des préjugés raciaux qui finalement opposent les deux nations, ou encore des problèmes de
langue, ces différents problèmes à gérer pour l’entente se révèlent en particulier à l’aube et au début de la guerre. Bien qu’ils ne concernent pas directement les combats et bien qu’ils n’en sont pas non plus issus, ces facteurs de mauvaises relations apparaissent principalement à partir d’août 1914.
Plus encore, beaucoup s’accordent à l’époque à dire que si les deux pays se sont rapprochés dans le cadre de l’entente​, cela est le fait de calculs d’intérêts politiques : la France est consumée par la honte de la défaite de 1870 (pendant laquelle le Royaume-Uni s’était déclaré neutre) face à la puissante Confédération d’Allemagne du Nord (qui devient l’Empire Allemand en 1871, suite à la victoire) et par le désir de vengeance. Dans ce but, la France cherche des alliés pour la revanche qui s’annonce, et en trouve un de poids avec la Russie en 1892. Le Royaume-Uni de son côté, voit= l’Allemagne devenir omnipotente sur le continent et perturber son cher ‘équilibre des pouvoirs’. Joffre le confirme dans ses mémoires : «L’Angleterre est effrayée du développement de la marine et du commerce allemands ; c’est la raison qui l’a rapprochée de la France» , Huguet lui aussi ajoute : «l’Angleterre ne se mettra pas du côté avec lequel elle aura entretenu les relations les plus faciles ou les plus cordiales, mais, sans la moindre hésitation, du côté où elle estimera que se trouve son intérêt, quelles qu’aient pu être jusqu’alors les différences qui l’en aient séparée.» Ces deux citations, sans directement impliquer de relations personnelles mais plutôt des stratégies politiques, montrent néanmoins que si les deux pays ont collaboré dans l’optique d’une guerre face à l’Allemagne, cela est le résultat d’un sentiment de nécessité mais non pas d’un sentiment d’amitié entre deux États. D’ailleurs Foch clame à ce propos que «le Royaume-Uni nous respecte seulement parce que nous avons une grande armée». En plus d’introduire la notion de méfiance et d’idées préconçues que nous reverrons chacune plus tard, on peut en déduire que les trois hommes, tous avec un important rôle dans l’entente​, représentent ici l’état d’esprit d’au moins une part des responsables militaires français, et montrent qu’ils sont bien conscients des raisons qui ont rapproché Royaume-Uni de la France. Cette idée que le pays qui peut devenir un allié, n’est pas un ami est dans les esprits dès 1904 et jusqu’aux heures les plus difficiles de la guerre.
Cette idée présente dans les têtes françaises en particulier, cause une certaine méfiance latente qui caractérise les relations et surtout les opinions que les généraux français, mais aussi britanniques nourrissent réciproquement. Ce manque de confiance est dans certains cas le résultat d’idées préconçues ; par exemple, le spectre de ‘la Perfide d’Albion’ est bien présent dans les têtes des Français quand ils sont confrontés aux Anglais, Foch dit d’ailleurs au sujet des Britanniques qu’ «ils leur demandent beaucoup [aux alliés] et, à l’heure de vérité, ils leur donnent peu». L’idée que l’allié peut les laisser tomber à tout moment est visiblement présente dans les têtes ; avec l’idée générale que tous les Britanniques sont semblables, généralité découlant de la notion de ‘la perfide d’Albion’.
Ces ressentiments français, fruits de l’écart de temps entre la mobilisation française et britannique mais surtout de l’incertitude quant à l’intervention de la BEF permettent à des idées plus ou moins refoulées par une décennie de collaboration de refaire surface. D’ailleurs, même une partie de la population britannique ne comprend pas ces hésitations, comme se souvient Spears : «‘Vous êtes un militaire, vous pouvez me dire si nous allons nous joindre à cette guerre ou non ? Car sinon ces Français voudront nos têtes, et je les comprends, nous l’aurons mérité?’ demanda le portier de l’ambassade britannique». Spears lui-même un des rares Britanniques en France lors du triste dénouement de la Crise de Juillet, raconte : «Nous étions au 2 août 1914, la France mobilisait, et moi, qui appartenais à une armée, dont le pays n’avait pas pris position, j’avais cessé d’être un camarade et étais devenu tout d’un coup un objet de méfiance.» ll suffit donc d’un moindre signe indiquant une possible défaillance du Royaume-Uni pour permettre à ces réserves de reprendre pleinement place dans tous les esprits français. Ces idées généralistes (dont la ‘Perfide d’Albion’ est la plus connue) sont déjà présentes en 1904. Foch explique que bien que la guerre accentue ces mauvaises opinions, elles sont déjà bien implantées en temps de paix et ne demandent qu’à se révéler : «quel soin ne déployait pas Sir Henry Wilson afin d’assurer l’entente dans les combinaisons, et de faire cesser entre les Chefs Alliés des résistances ou divergences, nées souvent d’une éducation particulière des esprits mais que la rudesse de la lutte accentuait grandement.»
Foch, lui-même imbu de ces préjugés raciaux, dit ainsi qu’il s’agit bien d’une question d’éducation, les jeunes têtes du milieu du 19e siècle étant nourries de l’idée que tous les Britanniques sont lents à la décision, conservateurs et qu’on ne doit jamais leur faire confiance ; et que les Français sont un peuple de sans-culottes, instables politiquement et incapables de se comporter en gentlemen​. Par ailleurs, Foch nous informe, qu’en plus d’avoir lui-même tissé de bonnes relations avec les Français avant la guerre, Wilson s’emploie également à resserrer les liens entre alliés pendant la guerre. Toutefois, ces préjugés respectifs sont encore plus pernicieux pour l’entente durant la guerre que lors de la préparation. Spears, attaché à la Ve armée de Lanrezac dont il est au plus près durant presque un mois, Spears donne un élément de réponse quant à ses relations plus que froides avec Sir French.

Facteurs endogènes à la guerre

L’arrivée du conflit pour l’entente est loin d’être le prodrome de relations meilleures ni même de quelques certitudes d’alliance ou d’intervention britannique. Il a déjà été démontré plus tôt que ces tergiversations ne sont pas sans faire (re)monter certains doutes et mauvais sentiments du côté français. Il va ici être montré que le manque d’évolution dans les garanties britannique et l’ambiguïté qu’elle provoque dans les discussions d’avant-guerre font croître les ressentiments des militaires français et ne sont pas sans influer sur les relations et opinions (notamment sur l’armée alliée et ses chefs) que les deux camps vont entretenir dans la bataille. Ensuite, le premier mois de
guerre, qui voit une amère défaite franco-britannique va porter à son paroxysme les mauvaises relations entre alliés, conséquence qui peut sembler naturelle à une crise de cette ampleur (Grande Retraite, Paris menacée) et cela sera d’ailleurs l’occasion d’étudier certains exemples de ces mauvaises relations.
Lorsque Joffre présente ses modifications du Plan XVI, le plan de mobilisation imaginé par son prédécesseur, le général Michel, au Conseil supérieur de la Guerre en 1911, les états-major français et britanniques se rapprochent déjà progressivement. Joffre pense alors naturellement que «selon toutes probabilités l’Angleterre serait à nos côtés dans un conflit contre l’Allemagne» et de même son «état-major considérait […] comme probable que l’Angleterre se joindrait à nous». De fait, la ‘probabilité’ d’un engagement britannique n’évolue pas jusqu’en 1914, les diplomates de Asquith rappelant à chaque occasion qu’en dépit des discussions, leur gouvernement n’était lié ni forcé en aucun cas à quoi que ce soit en cas de guerre contre l’Allemagne. Lanrezac aussi se souvient : «Il n’est pas question des Anglais dont on n’a pas le droit d’escompter l’appui.» Ainsi, cette incertitude perdure jusqu’à la Crise de Juillet où «nous apprenions par une lettre de notre attaché militaire [La Panouse] que le War Office n’avait encore pris aucune mesure à la date du 26 [juillet]» . Le 3 août, alors que l’Allemagne a déclaré la guerre à la France, et quelques heures avant que le Royaume-Uni ne réponde, Joffre écrit que «l’attitude de l’Angleterre ne laissait pas de nous inquiéter.»
Il transparaît donc, à travers des bribes des mémoires de Joffre et Lanrezac que l’incertitude demeure voire empire avec l’anxiété de devoir faire la guerre sans que l’appui britannique n’ait été concrètement exprimé. En outre, il est possible de dire que cette indécision britannique et ses conséquences de l’autre côté de la Manche (que nous avons déjà évoquées) amorcent des relations plus compliquées qu’en temps de paix. La difficulté à cerner les intentions opaques du gouvernement d’Asquith troublent les Français, et notamment les généraux comptant sur la réputée armée du Roi ; d’autant que des échanges diplomatiques et militaires existent depuis dix ans et que ces derniers ont toujours semblé garantir une intervention, et notamment Wilson, davantage dirigé par sa francophilie et son entrain que par ses supérieurs : «Mais en faisant part de ses propres opinions plutôt que de celles de son propre gouvernement, il donna aux Français une image très erronée de l’enthousiasme britannique pour l’intervention.»
En fait, comme il a été dit, l’hésitation du gouvernement et sa conséquence, le retard de la BEF, ont pour conséquence directe chez les militaires une aigreur, un ressentiment, surtout au sein de la Ve armée, dont les renseignements font de plus en plus état de forces allemandes fondant sur sa région. Si bien que dès les premiers échanges, dès les premiers mots, la froideur des relations est de mise, pas généralisée aux deux armées, mais déjà présente ; pas chez n’importe qui puisque c’est le général Hély d’Oissel, le chef d’état-major de la Ve armée, l’homme le plus important du corps après Lanrezac qui s’écrie en voyant Huguet arriver avec la BEF : «Eh bien! vous voici (il voulait dire vous, les Anglais), il n’est que temps! Si nous sommes battus ce sera grâce à vous!» Ainsi, déjà les relations débutent sur le ton des reproches et des accusations.
Il faut dire que, comme l’a prouvé Roy A. Prete, les Français pendant l’avant-guerre et surtout durant la Crise de Juillet se sont basés sur trois illusions : «que les Britanniques entreraient en guerre immédiatement, que la mobilisation britannique serait simultanée à celle des Français, et que le déploiement de la BEF s’en suivrait automatiquement.» Ces illusions, certes issues de l’incapacité britannique à s’engager auprès des Français ni même de définir une politique en cas de conflit continental, et très probablement d’une guerre face à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, ont exercé une tension chez les Français. Ces illusions, comblent ainsi en France, en quelque sorte, une absence de connaissance des plans britanniques, et sont la conséquence d’une part de ce que pense l’état-major français comme à la fois probable mais sont aussi le reflet de ses velléités.
Comme nous l’avons vu, ces premières mésententes ne sont pas sans entraîner des tensions, les clichés s’en trouvant confortés, et les mauvaises opinions aussi. Comme pour les préjugés raciaux, une personne suffit souvent à établir des certitudes pour une généralité, pour sa nation entière. Pour les généraux et l’armée qu’ils commandent, il en est de même : bien souvent, les capacités militaires sont fustigées quand le général ou l’état-major à sa tête est la cible ou la raison des faiblesses décrites. Ainsi parfois, une mauvaise opinion d’un général est clairement formulée, parfois c’est de l’armée alliée qu’il est fait état, tout en incriminant ses dirigeants pour ses failles.
Et ces mauvaises opinions débutent bien avant la guerre, avant même les rapprochements entre les deux pays, à partir de 1906. Il faut dire que l’image militaire des deux puissances ressort impactée par les derniers conflits auxquels elles ont participé : la guerre de 1870 pour la France et les deux Guerre des Boers (1880-1881 et 1899-1902) pour le Royaume-Uni. Ainsi, lorsque Huguet est missionné à Londres comme attaché militaire en décembre 1904, la France regarde avec dédain l’armée de son futur allié.

 

 

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
INTRODUCTION 
Contexte géopolitique et militaire d’avant-guerre en France et au Royaume-Uni et conduite des opérations au début du mois d’août 1914 
PARTIE 1 – Entente amicale 
1 – Voyages outre-Manche
2 – L’entente cordiale entre en guerre – premiers jours de conflit
3 – Wilson, allié et coordinateur parfait
PARTIE 2 – Mauvaise Entente 
1 – Facteurs exogènes à la guerre
2 – Facteurs endogènes à la guerre
3 – Lanrezac – Sir French
CONCLUSION 
ANNEXE 
Carte 
Chronologie 
Sources complémentaires
Recensements des rencontres entre Britanniques et Français
Wilson et la France avant la guerre
Visites de généraux britanniques (hormis Wilson) en France avant la guerre
Rencontres entre Joffre et Sir French
Rencontres entre Sir French et Lanrezac
Glossaire
Illustrations & Crédits Iconographiques
Bibliographie 
Résumé 
Abstract 

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *