Construction sociale d’une esthétique artificielle

Anthropomorphisme

   Etudier le rapport à l’autre est central dans de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales. L’altérité est un concept fondamental, notamment en anthropologie. Ce concept caractérise ce qui est extérieur à soi, ce qui est différent par rapport à un référentiel. Dans les relations sociales, l’altérité s’exprime de plusieurs façons. Elle peut être une relation de coopération (hospes) ou de compétition (hosties). Elle est aussi de nature à mettre une hiérarchie entre les sociétés, ou spécifier la différence de l’autre par rapport à un soi (Angelo Turco dans Lussault and Lévy [2003]). Néanmoins, les réflexions au sujet de l’altérité ne s’intéressent pas uniquement aux êtres vivants. Ce concept apparaît aussi, dans le domaine de l’animisme (Descola [2015]), où les humains prêtent des facultés mystiques aux animaux, objets, ou éléments naturels. Un concept qui peut être étendu aux machines et aux robots. La démocratisation des machines, de plus en plus sophistiquées, et l’apparition des robots humanoïdes, ouvrent un nouveau champ d’exploration, pour étudier comment nous nous représentons ces robots dans leur altérité. Denis Vidal, s’intéresse à ces nouvelles interactions homme-robot du point de vue de l’anthropomorphisme (Vidal [2007, 2011b]) en présentant une nouvelle approche qu’il appelle le pacte antropomorphique (Vidal [2012a]). L’anthropomorphisme n’a pas toujours été bien vu dans la culture occidentale. Au début, il était fortement associé à la nécessité qu’a l’être humain de se représenter les objets sous forme humaine, guidé par de fausses croyances, des erreurs d’interprétation, ou une absence d’éducation. Par la suite, l’anthropomorphisme commença à être vu comme une forme d’immaturité cognitive et rationnelle. Le rôle de l’anthropomorphisme dans les sociétés de la préhistoire est mis en parallèle avec celui qu’il joue dans les sociétés dites « primitives », témoignant avant tout du stade de développement peu avancé d’un individu ou d’une société. Cette hiérarchie est retrouvée dans les travaux de Piaget dans le cadre d’une théorie évolutionniste de l’anthropomorphisme. Piaget établissait une différence fondamentale entre la pensée de l’enfant et celle de l’adulte. Jusqu’à l’âge de quatre ans les enfants ont tendance à anthropomorphiser leur environnement et ont du mal à distinguer entre ce qui relève du domaine physique et du domaine mental. L’enfant est un animiste qui attribue aux phénomènes physiques des états mentaux : « […] faute d’une prise de conscience de la subjectivité de la pensée, de l’intentionnalité, de l’effort, etc., ces éléments intérieurs sont attribués à n’importe quel tableau externe susceptible de correspondre aux mouvements et à l’activité propres, par une analogie immédiate et non pas conceptuelle. » (Piaget [1964]). Cette situation est largement remise en cause par les expériences en psychologie de l’enfant. Nous ne citerons pas ici toutes ces expériences, Airenti et al. [2012] en fait une excellente présentation. Ces différentes recherches montrent que les enfants, même au plus jeune âge (12 mois voire 4 mois dans certaines), sont capable de discriminer les êtres animés des êtres innanimés, d’identifier des objets physiques en tant que tels et de distinguer un mouvement biologique d’un mouvement mécanique. Les résultats de Piaget ne permettent donc pas de conclure que les enfants qu’il a interrogés avaient des difficultés à distinguer des phénomènes de nature ontologique différente (physique ou mentale), mais plutôt qu’ils avaient du mal à définir dans un langage approprié des concepts particulièrement complexes.

Neuro-esthétique

   Le terme neuro-esthétique est utilisé largement comme un domaine qui a quelque chose à voir avec les propriétés du cerveau lorsqu’il est soumis à de l’esthétique (Chatterjee [2011]). La neuro-esthétique gagne en popularité aujourd’hui (Cela-Conde et al. [2011]; Chatterjee [2011]; Nadal and Pearce [2011]; Di Dio and Gallese [2009]; Skov and Vartanian [2009]) et englobe en son sein les travaux en neuro-histoire-de-l’art, le darwinisme, les travaux sur la vision et la neurobiologie de l’art. Nous préférons une présentation plus classique qui ne considère comme relevant de la neuro-esthétique, hors les travaux sur la vision, que les travaux qui s’intéressent aux substrats neuronaux de la préférence esthétique. Les neuro-scientifiques cherchent à donner les réponses pour faire de la neuro-esthétique une science à part entière, particulièrement une science expérimentale. Zeki and Nash [2000] avancent qu’aucune théorie de l’esthétique n’est complète sans en comprendre les bases neurales. Zeki [1999] effectue même un parallèle entre les propriétés de l’art et les principes d’organisation du cerveau. Selon Zeki, le rôle de l’artiste et celui du cerveau sont les mêmes. Tous les deux cherchent à comprendre les attributs visuels essentiels du monde. Pour lui, l’artiste est un neuroscientifique qui s’ignore. Le système nerveux décompose l’information visuelle en caractéristiques comme la couleur, la luminance et le mouvement. De la même manière, plusieurs artistes, particulièrement ceux du dernier siècle, isolent et renforcent différents attributs visuels. Par exemple, Matisse renforce la couleur et Calder renforce le mouvement. Cavanagh [2005] a montré que les images en peinture, violent souvent les lois physiques sur les ombres, réfléchissement, couleurs et contours. Plutôt que de suivre les propriétés physiques du monde, ces peintres reflètent les raccourcis perceptuels utilisés par notre cerveau. Les artistes, par expérimentation, ont découvert ce que les psychologues et les neuro-scientifiques identifient aujourd’hui comme des principes de la perception. Ramachandran and Hirstein [1999] proposent que les structures neuronales qui s’activent pour répondre à certains stimuli visuels répondent plus vigoureusement (un shift dans leur réponse pic) pour les primitives de ce type même lorsque l’observateur n’est pas conscient de l’existence de la primitive. Selon eux, les artistes produisant des œuvres abstraites utilisent ce genre de primitives visuelles pour évoquer une réponse esthétique chez l’observateur.

Esthétique empirique 

   Les premières tentatives d’expliquer l’art en termes scientifiques remontent à Fechner [1876].Fechner est connu comme la figure fondatrice de la psychologie expérimentale et de la psychophysique. Néanmoins en fin de carrière, Fechner apporta des contributions significatives au domaine de l’esthétique empirique. Ses travaux sur la « Golden Section » (Fechner [1871, 1876]) et son rôle dans la détermination de l’authenticité de la Madone de Dresde de Holbein (Fechner [1876]) sont considérés comme les prémices d’une étude empirique de l’esthétique et de l’art. Si les questionnements sur la beauté et l’esthétique peuvent remonter aussi loin que dans les travaux de Platon et Aristote, Fechner reste le premier à paramétrer les éléments de la beauté. Contrairement à une approche « philosophique » qui s’intéresse tout d’abord à des concepts évolués (Von Oben), Fechner cherchait à développer une approche « empirique » de l’esthétique, une approche bottom-up (Von Unten chez Fechner, ou encore Aesthetics from below chez Berlyne [1971]) qui cherche les mécanismes sous-jacents à la base de l’expérience de l’esthétique, partant de concepts empiriques tel que l’agréable et le désagréable, le plaisir et le déplaisir que l’ont ressent face aux objets. Pour autant, Fechner n’exclut pas le rôle de l’esthétique philosophique dans l’explication des théories de l’art. Il considère l’approche empirique comme une condition nécessaire à la mise en place d’une approche philosophique. Il écrit :  » Des esthéticiens et des juges en matière d’art, on n’apprend toujours que ce qui doit plaire ; cependant, le fait de ce qui plaît effectivement a aussi sa valeur, particulièrement lorsqu’on le relie à des faits concernant à qui et dans quelles conditions cela plaît. Il n’y aurait pas d’esthétique en l’absence de ces faits – et par là, je ne dis pas qu’elle n’existe que grâce à eux … Je ne prétends pas que l’on puisse établir les buts de l’esthétique au moyen d’expériences. » (Fechner [1872])

Esthétique entre l’inné et l’acquis

   Les approches évolutionnistes de l’esthétique partent du postulat suivant : les réponses émotionnelles, qui sont des éléments de motivation puissants pour le comportement humain, ne peuvent avoir évolué que si le comportement qu’elles suggèrent contribue de manière positive, en moyenne, au succès de la reproduction et de la survie. Ceci expliquerait que le sucre soit doux et les rapports sexuels soient plaisants (Orians and Heerwagen [1992]). Cela ne veut pas dire que les comportements dirigés par ce type d’émotions soient toujours utiles. La curiosité permet aux chats d’en apprendre plus sur leur environnement, mais elle leur est parfois fatale. Les études en esthétique darwinienne identifient et décrivent les préférences des humains pour les attributs qui ont affecté la survie ou la reproduction de nos ancêtres du Pléistocène. L’étude des réponses des humains face aux paysages est une des méthodes classiques utilisées pour étudier l’évolution des préférences esthétiques. L’esthétique darwinienne se nomme alors « esthétique environnementale » lorsqu’elle est appliquée aux paysages. Orians and Heerwagen [1992] suggèrent que les préférences des chasseurs-cueilleurs est une arène profitable pour étudier l’évolution des goûts esthétiques dans l’art. La sélection et l’organisation des lieux de vie sont des données communes à tout le règne animal, où les mécanismes comportementaux impliqués émergent d’une sélection plusieurs fois millénaire. Les données empiriques montrent une certaine préférence pour des environnements proches de la savane avec quelques variations dans le nombre et la densité des zones arboricoles (Falk and Balling [2009]). Orians and Heerwagen [1992] ont demandé à des sujets de trois pays différents de noter les parties arborées de paysages qu’ils trouvaient les plus attirants. Ils ont montré que les sujets préféraient les arbres avec une canopée dense et des troncs courts. Une caractéristique retrouvée dans les arbres de la savane. Summit and Sommer [1999] ont conduit une expérience similaire en comparant différentes espèces d’arbres, eucalyptus, conifères, palmiers et chênes. Ils ont montré une préférence des sujets questionnés pour les arbres ayant une forme proche des Acacias, un arbre typique de la savane africaine. Dutton [2003] remarque que les paysages peints sur les calendriers partagent les mêmes thèmes à travers le monde, et que ces thèmes là sont précisément ceux que l’on peut prédire par l’hypothèse de la préférence des paysages de la savane.

Les réseaux de neurones

   Le but de ce chapitre est de présenter les outils nécessaires pour comprendre les méthodes etmodèles utilisés tout au long de ces travaux. Ce chapitre s’adresse aux lecteurs non-initiés. Il présente différents « outils » nécessaires à la compréhension des modèles et architectures de contrôle développés tout au long de cette thèse. Les outils présentés se situent à différents niveaux d’abstraction que nous présenterons du plus élémentaire au plus complexe. Nous allons décrire, dans un premier temps, le substrat utilisé dans les architectures développées : le neurone formel inspiré des neurones biologiques et des réseaux de neurones. Lorsque plusieurs neurones partagent les mêmes caractéristiques, ils sont regroupés en population de neurones. Nous appellerons parfois ces populations de neurones « Groupe de neurone » ou plus simplement « Groupe ». Ces mêmes neurones, grâce à la plasticité synaptique sont capable de modifier leur comportement suivant leurs entrées. Nous appellerons apprentissage cette capacité. Nous verrons quelques exemples d’architecture qui mettent en place l’apprentissage d’associations et de conditionnement. Ensuite, nous introduirons les mécanismes de compétitions entre neurones et plus particulièrement le mécanisme de Winner Takes All (noté WTA). Puis nous verrons comment, par l’utilisation de l’apprentissage et de la compétition, les réseaux neurones effectuent des classifications. Enfin en mettant ensemble ces différents mécanismes (classification, association, compétition) nous présenterons des architectures neuronales plus complexes pour l’apprentissage et le contrôle. Les systèmes dynamiques nous apparaissent essentiels à détailler. La description de ces systèmes sera focalisée sur les champs de neurones dynamiques qui nous permettent de fusionner les données et de contrôler les robots. A la fin, nous présenterons un formalisme pour les systèmes cognitifs qui a été développé au laboratoire pour décrire les architectures de contrôle, et ayant pour vocation, à terme, de mettre en relief les briques élémentaires nécessaires à la perception et de manière plus générale à la cognition. Nous suivrons dans notre cadre théorique une approche connexionniste. Cette approche présente un certain nombre d’avantages utiles à nos développements. Tout d’abord, d’un point de vue computationnel l’approche connexionniste répond aux problèmes des calculs distribués Matthieu et al. [2008]. Les calculs étant locaux il est plus facile de les répartir sur des graphes. De plus, l’aspect local oblige à une compréhension détaillée des relations à mettre en place entre les différentes briques. Enfin, les non linéarités mises en jeu garantissent une robustesse face au bruit Rumelhart et al. [1988].

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Table des matières

Introduction
1 Esthétique empirique et contextualisme historique 
1.1 Approche psychologique 
1.1.1 Neuro-esthétique
1.1.2 Esthétique empirique
1.2 Esthétique entre l’inné et l’acquis
1.3 Contextualisme historique 
1.4 Cadre psycho-historique 
1.5 Conclusion et discussion
2 Réseaux de neurones et systèmes dynamiques 
2.1 Les réseaux de neurones
2.1.1 Neurone biologique et neurone formel
2.1.2 Conditionnement et association
2.1.3 Compétition : le Winner Takes all
2.1.4 Classification
2.2 Les architectures neuronales 
2.3 Champs de neurones dynamiques
2.3.1 Le modèle d’Amari
2.3.2 Contrôle moteur par champs de neurones dynamiques
2.4 Formalisme des systèmes cognitifs 
2.4.1 Représentation graphique
2.4.2 Ecriture formelle
2.5 Conclusion
3 Berenson le robot amateur d’art 
3.1 Introduction 
3.2 Le robot Berenson 
3.3 Les expérimentations au musée 
3.4 Comportements du robot 
3.4.1 Outils d’interaction homme-robot
3.4.2 Retour au nid et ronde autour de la zone
3.5 Berenson dans la presse
3.6 Conclusion et Discussion
4 Régulation basée sur les préférences 
4.1 Apprendre la forme de l’objet : La voie What 
4.1.1 Extraction des caractéristiques visuelles
4.1.2 Catégorisation
4.1.3 Association à une Valence
4.2 Estimer la position de l’objet : La voie WHERE 
4.2.1 Recalage visuelle
4.3 Reconstruction de l’objet : Fusion What x Where 
4.3.1 Modulation par la valence
4.3.2 Normalisation et compétition inter-cartes
4.4 Evaluation du modèle 
4.5 Évaluation du système de vision
4.5.1 Des œuvres plus intéressantes
4.6 Evaluation comportementale 
4.6.1 Evaluation par les concepteurs
4.6.2 Evaluation par les visiteurs
4.7 Discussion et Conclusion 
5 Le conditionnement du second ordre pour la référenciation sociale 
5.1 Expressions faciales – Interaction di-adique
5.2 Référenciation sociale – interaction tri-adique
5.3 Chaîne de conditionnement 
5.4 Conditionnement Pavlovien 
5.5 Modèle computationnel 
5.6 Expérience et résultat 
5.6.1 Sur base de donnée
5.6.2 Expérience sur robot
5.7 Conclusion et Discussion 
Conclusion

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