Conditions d’oxygénation et processus de dégradation de la matière organique

Conditions d’oxygénation et processus de dégradation de la matière organique 

D’une manière générale, l’enfouissement de la matière organique (OM) est contrôlée par trois facteurs : (1) la productivité primaire dans la zone photique, principalement dépendante de la disponibilité en nutriments, (2) le taux de sédimentation, participant à une dilution plus ou moins forte de la MO au sein des sédiments et (3) sa décomposition dans la colonne d’eau et dans les sédiments, dépendante des conditions d’oxygénation et de l’activité microbienne de ces milieux. En effet, le taux de reminéralisation de la MO par oxydation est fortement contrôlé par le régime biogéochimique et les conditions d’oxygénation de la colonne d’eau et des sédiments. Ce processus diagénétique de reminéralisation de la MO par des réactions oxydo-réductives suivent majoritairement une évolution verticale depuis le sommet de la colonne d’eau jusqu’au sein des sédiments, depuis des milieux les plus oxygénés (quantité de O2 libre dans le milieu) vers les moins oxygénés. Il est souvent proposé une terminologie du régime oxydant et des conditions d’oxygénation rencontrées suivant la quantité d’O2 libre (Tab. 1.1), définissant des conditions oxiques (O2 > 2.0 ml O2. l-1 H2O), suboxiques (0 < O2 < 2.0 ml O2. l-1 H2O) et anoxiques (O2 = 0 ml O2. l-1 H2O). Lorsque que la colonne est anoxique et riche en H2S libre, les conditions sont dites euxiniques.

Selon la quantité d’oxygène libre dans le milieu, définissant les conditions d’oxygénation, la dégradation de la MO, par des bactéries hétérotrophes, est plus ou moins efficace et est effectuée à l’aide de l’agent oxydant présent dans le milieu offrant une réaction la plus favorable thermodynamiquement. Dans un environnement marin caractérisé par une désoxygénation verticale, la dégradation de la matière organique produite en surface va être caractérisée par une succession de réactions d’oxydation dépendante de l’agent oxydant le plus disponible et thermodynamiquement avantageux (Fig. 1.1).  En conditions oxiques, les bactéries aérobies dégradent la MO en utilisant l’O2 libre du milieu comme agent oxydant. En conditions suboxiques, la quantité d’O2 libre dans le milieu devient trop faible pour la respiration aérobie, supportant le développement de bactéries anaérobies utilisant d’autres agents d’oxydation que l’O2. Ainsi, en conditions suboxiques les nitrates (NO3-) deviennent l’agent principal de dégradation de la MO. Cette réaction de réduction des nitrates (NO3- ) est appelé « dénitrification » s.s. et produit du N2 gazeux. Ce terme regroupe aussi le processus d’« anammox », qui correspond au processus bactérien d’oxydation anaérobie de l’ammonium (NH4+ ) en présence de nitrite (NO2- ), produisant également du N2 gazeux en conditions anoxiques (Kuypers et al., 2003). Ces deux processus, convertissant l’azote fixé sur la matière organique en N2 s’échappant dans l’atmosphère, peuvent conduire à une diminution nette d’azote fixé (Ward et al., 2009). Par ailleurs, la croissance de bactéries « dénitrifiantes » sous ces conditions suboxiques produit du NH4+ par « ammonification » des composés organiques. Ce NH4 + peut être oxydé si celui-ci diffuse au sein d’une zone oxique et être converti en NO2 – puis en NO3- . Ce processus d’oxydation du NH4+ est appelé « nitrification ». Dans les milieux présentant un fort gradient de désoxygénation, le NH4+ , formé par dénitrification dans la zone suboxique située à la limite entre une zone oxique et anoxique (i.e. au niveau de la chemocline), peut s’accumuler dans cette zone anoxique où la nitrification n’est plus possible.

Ces processus de dénitrification conduisent en la diminution de la quantité de nitrates (et nitrites) dans le milieu, et à l’utilisation des oxyhydroxides de Mn comme agent oxydant. Cette réaction de réduction des oxyhydroxides de Mn entraine la libération de Mn2+ pouvant s’accumuler sous ces conditions ou de nouveau s’oxyder en présence d’O2 si celui-ci diffuse dans la zone oxique. De même, cette réaction est suivie de la réduction des oxyhydroxides de Fe entraine la libération de Fe2+. Ce Fe2+ peut également s’accumuler dans la zone de réduction du Fe, mais peut aussi de nouveau s’oxyder de manière biologique ou abiologique en présence d’O2, mais aussi en présence de NO3- (Straub et al., 2004) ou d’oxydes de Mn (Postma et Appelo, 2000). Ainsi, le Fe2+ à tendance à s’accumuler sous la zone de réduction du Mn.

En conditions anoxiques, la MO est oxydée par des bactéries sulfato-réductrices (BSR) utilisant donc les sulfates (SO4 2- ) comme agent oxydant. Cette réaction produit des sulfures dissous (H2S) qui réagissent rapidement avec le fer réduit, ou induit directement une réduction des phases réactives du fer (principalement les oxyhydroxides de Fe) pour formes des sulfures de Fe (principalement de la pyrite). Ainsi, des conditions euxinques marqués par une accumulation de H2S dans la colonne d’eau ne peut être atteinte que si le réservoir Fe réactif a été converti complètement en sulfures de Fe. Les sulfures produits peuvent également s’oxyder de manière biologique ou abiologique en présence d’O2, de NO3 – , d’oxydes de Mn ou d’oxydes de Fe (c.f. Fike et al., 2015). Enfin, sous la zone à sulfato-réduction, la MO est dégradée par fermentation en produisant du méthane (CH4 ; i.e. méthanogenèse).

Les Evènements Anoxiques Océaniques (OAEs)

Décrits pour la première fois il y a quarante ans (Schlanger et Jenkyns, 1976), les évènements anoxiques océaniques (OAEs) furent caractérisés par la présence de dépôts sédimentaires pélagiques riches en matière organiques d’étendue quasi-globale de manière simultanée, notamment au Crétacé à la limite Albien-Aptien (~113 Ma) et Cénomanien-Turonien (~94 Ma). La raison invoquée initialement pour expliquer ces évènements ponctuels était alors une intensification et une expansion importante de la Zone à Minimum d’Oxygène (OMZ) dans les océans mondiaux. Depuis ces premiers travaux, six OAEs ont été identifiés durant le Crétacé (Arthur et al., 1990) et ont été décrits à l’Aptien inférieur (OAE 1a ou Selli Event, ~120 Ma, Erba et al., 1999), à l’Albien inférieur (OAE 1b ou Paquier Event, ~112 Ma, Herrle et al., 2004), à l’Albien supérieur (OAE 1c ou Toolbuc Event, ~102 Ma, Arthur et at al., 1990 ; OAE 1d ou Breistroffer Event, ~99 Ma, Arthur et al., 1990), à la limite Cénomanien-Turonien (OAE 2 ou Bonarelli Event ou C/T OAE) et à la limite Coniacien-Santonien (OAE 3, ~86Ma, Arthur et al., 1990). A cette liste s’ajoute le seul OAE identifié à ce jour dans le Jurassique : celui du Toarcien (T-OAE ou Posidonienschiefer Event, ~183 Ma, Jenkyns, 1985, 1988). La notion d’OAE peut toutefois être débattue du fait du caractère plus régional que mondial de certains de ces évènements. Ainsi, seuls le T-OAE, l’OAE 1a et l’OAE 2 sont des évènements majeurs présents de manière quasi globale. L’OAE 1b et 1c ne semblent ainsi n’être enregistrés que dans certains bassins téthysiens dont le caractère restreint favorise la stagnation et la stratification des eaux (Tiraboschi et al., 2009). De même, l’OAE 3 n’est décrit que dans les séries sédimentaires atlantiques tropicales et équatoriales ainsi que dans certains bassins épicontinentaux de la marge ouest-atlantique (Wagreich, 2012). Par ailleurs, d’autres épisodes d’enfouissement de matière organique comme le Faraoni Event (Hauterivien supérieur) (Baudin, 2005 ; Baudin et Riquier, 2014) ou le Weissert Event (Valanginien) (Erba et al., 2004) peuvent également être considérés comme des OAEs, tout comme le PETM à la limite Paléocène-Eocène (Jenkyns, 2010) (Fig. 1.3).

Bien que chaque OAE soit initié par une combinaison de mécanismes qui lui est propre, plusieurs définitions peuvent être données, basées sur des critères purement lithologiques ou géochimiques, ou en lien avec les changements biologiques dans les communautés planctoniques associées à ces évènements.

OAEs et perturbations du cycle du carbone

Les OAEs du Mésozoïque sont définis principalement par des enfouissements massifs de matières organiques (MO) dans les sédiments (Schlanger et Jenkyns, 1976; Arthur et al., 1987; Schlanger et al., 1987). D’un point de vue lithologique, les OAEs sont donc représentés par des intervalles de dépôts pélagiques de marnes sombres laminées, appelées black shales, dont les teneurs en carbone organique total (TOC) sont généralement supérieurs à 1% et pouvant atteindre plusieurs dizaines de pourcents. Cet enfouissement massif de MO a pour conséquence de perturber le cycle biogéochimique du carbone, ce qui se reflète dans la composition isotopique des deux puits majeurs de carbone que sont les carbonates – relié au pôle de carbone inorganique dissous dans l’eau (DIC) – et la matière organique. En effet, les OAEs sont marqués par des excursions positives des rapports 13C/12C des carbonates et de la matière organique reflétées par les signaux δ 13Ccarb (augmentation jusqu’à +3‰) et δ 13Corg (augmentation jusqu’à +6‰) (Schlanger et Jenkyns, 1976; Arthur et Schlanger, 1979; Jenkyns, 1980) (Fig. 1.6). Seuls les OAEs du Toarcien (T-OAE) et à la limite Aptien-Albien (OAE 1b) présentent également des anomalies négatives (diminution d’environ -7‰) encadrés par des excursions positives (Jenkyns, 2003). Celles-ci ont été attribuées à la déstabilisation de clathrates de méthane, caractérisées par des rapports isotopiques extrêmement faibles (δ 13C~-60‰), au niveau des marges continentales.

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Table des matières

Introduction
1. Problématiques de recherche
1.1. L’oxygénation des océans à travers le temps
1.2. Motivations et problématiques de recherche sur l’OAE 2
1.3. Objectifs de la thèse et approches
2. Organisation du mémoire
Partie A – Contexte général
I. État de l’art
1. Conditions d’oxygénation et processus de dégradation de la matière organique
2. Les Evènements Anoxiques Océaniques (OAEs)
2.1. OAEs et perturbations du cycle du carbone
2.2. Augmentation de la productivité primaire
2.3. Climat et paléogéographie
2.4. Volcanisme
2.5. Productivité ou préservation ?
3. L’OAE 2
3.1. Caractérisations des dépôts de matière organique
3.2. Biostratigraphie et évolution faunistique
3.3. Cycle du carbone et marqueurs organiques
3.4. Marqueurs inorganiques
3.5. Mécanismes à l’origine de l’OAE 2
3.5.1. Volcanisme
3.5.2. Climat
3.5.3. Perturbation du cycle hydrologique et configuration des bassins
II. Zone d’étude : Le Bassin Vocontien
1. Contexte géodynamique et paléogéographique régional
2. Cadre temporel et calages stratigraphiques
2.1. Cadre lithostratigraphique du Niveau Thomel
2.2. Cadre biostratigraphique du Niveau Thomel
2.3. Cadre chimiostratigraphique du Niveau Thomel
III. Matériels et Méthodes
1. Matériels : les coupes de Pont d’Issole et de Lambruisse
1.1. La coupe de Pont d’Issole
1.2. La coupe de Lambruisse
2. Méthodes et protocoles
2.1. Pyrolyse Rock-Eval
2.2. Analyses des compositions isotopiques en carbone et en oxygène des fractions carbonatées
2.2.1. Préparation des échantillons
2.2.2.Analyse par IRMS
2.3.Analyses des compositions isotopiques et des concentrations élémentaires en carbone et en azote de la fraction décarbonatée
2.3.1. Préparation des échantillons
2.3.2. Analyse des compositions isotopiques en carbone et en azote et des concentrations élémentaires en carbone et en azote
2.4. Analyses des compositions isotopiques en soufre des sulfures et quantification de la fraction de pyrite
2.4.1. Extraction des sulfures
2.4.2. Analyse isotopique
2.5. Analyses en éléments majeurs et traces
2.5.1. Préparation et analyse des échantillons
2.5.1.1. Protocole de préparation et d’analyse des échantillons à l’ISTeP
2.5.1.2. Protocole de préparation et d’analyse des échantillons au SARM
2.5.1.3. Intercalibration entre les deux protocoles
2.5.2. Normalisation et calcul des facteurs d’enrichissement
2.6. Spéciation du fer
2.6.1. Principe
2.6.2. Extractions chimiques
2.6.2.1. Extraction du fer contenu dans les carbonates
2.6.2.2. Extraction du fer des oxydes
2.6.2.3. Extraction du fer de la magnétite
2.6.2.4. Extraction du fer peu réactif
2.6.2.5. Extraction du fer total
2.6.3. Spectrophotométrie
2.6.4. Comparaison des concentrations en FeT déterminés par spectrophotométrie et par ICP-OES
2.6.5. Utilisation des mesures de spéciation du fer
Partie B – Résultats
Préambule aux résultats
1. Contrôle de l’effet de la diagenèse d’enfouissement et météorique sur les carbonates
2. Analyse de l’évolution du signal de δ13C
2.1. Pont d’Issole
2.2. Lambruisse
3. Analyse de l’évolution du signal de δ18O
3.1. Pont d’Issole
3.2. Lambruisse
4. Analyse de l’évolution des signaux du TOC et du CaCO3
5. Compilation des données
IV. Conditions d’oxygénation oscillantes dans le Bassin Vocontien (SE France) au cours de l’Évènement Océanique Anoxique 2 (OAE 2)
Résumé
Oscillating redox conditions in the Vocontian Basin (SE France) during Oceanic Anoxic Event 2 (OAE 2)
Abstract
1. Introduction
2. Geological setting
3. The Pont d’Issole section
4. Materials and Methods
4.1. Rock-Eval pyrolysis
4.2. Sulfur isotopes
4.3. Major and trace-element concentration
4.4. Iron speciation
5. Results
5.1. Organic Matter
5.2. Iron mineral speciation
5.3. Sulfur isotopes
5.4. Major and trace-elements
6. Interpretations
6.1. Iron mineral speciation
6.2. Redox sensitive elements
6.2.1. Molybdenum
6.2.2. Vanadium
6.2.3. Zinc
6.2.4. Uranium
6.2.5. Manganese and Iron
6.2.6. Phosphorus
6.3. Significance of the elements behavior and evolution of the redox conditions
7. Discussion
7.1. Record of distant volcanic influences throughout the Niveau Thomel
7.2. Establishment and expansion of oxygen-depleted conditions during the Niveau Thomel
7.3. An episode of reoxygenated conditions associated with the Plenus Cold Event
8. Conclusions
V. Perturbations des cycles de l’azote et du carbone à travers l’Évènement Océanique Anoxique 2 de la limite Cénomanien-Turonien (~94 Ma) dans le Bassin Vocontien (SE France)
Résumé
Nitrogen and carbon cycle perturbations through the Cenomanian-Turonian Oceanic Anoxic Event 2 (~94 Ma) in the Vocontian Basin (SE France)
Abstract
1. Introduction
2. Geological setting
2.1. The Vocontian Basin through the CTB
2.2. The litho-biostratigraphy of the Lambruisse section
3. Methods
3.1. Rock-Eval pyrolysis
3.2. Carbon and oxygen isotopes compositions of carbonate
3.3. Carbon isotope composition of organic matter
3.4. Nitrogen isotope composition of bulk rock
3.5. Major and trace-element concentrations
4. Results
4.1. Organic geochemistry
4.2. Stable carbon isotopes
4.2.1. Stable carbon isotopes of carbonates
4.2.2. Stable carbon isotopes of organic matter
4.2.3. Paired carbon isotopes signal (Δ13C)
4.3. Stable oxygen isotopes
4.4. Nitrogen isotopes, N concentrations and C/N molar ratio
4.5. Major and trace elements geochemistry
4.5.1. Redox-sensitive elements with minimal detrital influence
4.5.2. Redox-sensitive elements influenced by productivity
4.6. Terrigenous inputs and chemical weathering
5. Interpretations and discussion
5.1. Preservation of the organic matter
5.1.1. Characterization of the organic matter
5.1.2. Redox conditions and basin configuration
5.1.3. Productivity conditions
5.2. Evidences of denitrification processes and N2 fixation
5.3. Integration of the Vocontian Basin in the regional N cycle
5.4. Paired carbon isotopes constraints on the carbon cycle
5.5. Paleotemperatures variations inferred form the carbonate δ18O
5.6. Weathering conditions and hydrological cycle
5.7. Global vs. local forcing mechanisms
6. Conclusions
Conclusion

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