Concevoir et habiter un quartier dit durable

Projets de quartiers dits durables et appropriations : construction de la recherche

Les quartiers dits durables : une catégorie de l’action, un objet de recherche 

Lorsque nous commençons notre recherche, à l’automne 2010, les écoquartiers sont au centre des regards médiatiques, opérationnels et scientifiques. Des projets émergent dans toute la France, les résultats des premiers appels à projets commencent à être largement diffusés, les premiers ouvrages sortent, des acteurs ou chercheurs tentent de définir ces nouveaux objets urbains, de les cerner pour mieux les comprendre. Car, si l’ambition du ministère en charge du développement durable, est bien dès 2009 de « réinventer la façon dont on conçoit les villes », la multiplication des projets en France et en Europe suscite de nombreuses interrogations, particulièrement sur les réponses que les porteurs de ces projets entendent apporter à des « enjeux sociaux » qu’ils ont identifiés. Nous reviendrons d’abord sur les conditions de leur émergence et de leur diffusion en Europe puis en France, leurs ambitions techniques, urbaines et politiques, afin de mieux cerner les enjeux particuliers qu’ils posent à l’analyse. Puis nous analyserons la manière dont la recherche s’est emparée de ces objets nouveaux, en pointant les questionnements spécifiques qu’ils posent, les résultats et hypothèses formulés, ou encore les postures adoptées par les chercheurs.

L’émergence des quartiers dits durables

Les quartiers dits durables tels qu’on les connaît actuellement ont une histoire complexe, non linéaire. Deux héritages sont notamment très présents : celui des communautés écologistes ayant vu le jour à partir des années 1970, et celui de l’émergence du développement urbain durable dans les années 1990 et 2000. Ainsi, pour nous, cette histoire plurielle marque les représentations des quartiers dits durables, et explique la diversité des attentes et des réalisations actuelles.

La naissance d’une critique écologiste : les expériences communautaires
Une première influence des quartiers dits durables tels que nous les connaissons aujourd’hui est liée à la multiplication dans les années 1970 d’expériences communautaires autonomes, qui prennent racine dans les mouvements écologistes et libertaires post-68 .

L’émergence des quartiers dits durables n’est pas toujours reliée dans la littérature à la naissance de ces communautés écologistes au cours des années 1970. Seuls quelques auteurs replacent l’émergence de véritables quartiers revendiquant leur prise en compte d’un développement durable, dans une histoire plus longue. Ainsi Vincent Renauld (2011) revient sur l’influence des expériences de communautés nées autour d’un projet politique alternatif. De même, Cyria Emelianoff note l’importance de ces « premiers quartiers écologiques ou écovillages » (2007a, p.12) construits à partir des années 1960. Ces premières expériences ont selon elle «ouvert la voie à l’expérimentation » (2007a, p.12) ; en ce sens les quartiers dits durables ayant vu le jour plus tard en sont les héritiers. D’autres auteurs, comme Taoufik Souami, font débuter l’histoire des quartiers dits durables à la naissance d’initiatives à l’échelle du quartier, c’est-à-dire bien plus tardivement. Il propose ainsi une histoire de ces projets plus institutionnelle, liée à l’émergence et la diffusion du développement durable dans la production urbaine. Or il nous semble que l’influence de ces expériences militantes, au-delà de certaines caractéristiques qui les distinguent des projets de quartiers dits durables plus institutionnels (expérimentations souvent de taille réduite, plutôt localisées en milieu rural (Lacroix, 1981)), témoignent de la place importante que joue la présence de communautés de valeurs dans l’émergence de projets plus institutionnalisés qui naîtront par la suite. Il nous semble donc important de revenir sur la naissance de telles communautés politiques et leurs liens avec les productions actuelles.

A partir des années 1960, des mouvements écologistes naissent suite à la multiplication de catastrophes environnementales (explosion de la raffinerie de Feyzin dans le Rhône, marée noire suite au naufrage du Torrey Canyon, pollution du Rhin…). L’écologie s’implante ainsi à cette période comme un mouvement de contestation face à la société de consommation ou au productivisme, majoritairement dans le monde occidental. En France, on assiste ainsi à la création d’organisations locales ou de branches d’organisations internationales (Nature et Progrès, Survivre et Vivre, les Amis de la Terre), à l’émergence du mouvement écologiste lors des évènements politiques (candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, naissance des Verts en tant que parti politique en 1982) et à la multiplication des manifestations contestataires au cours des années 1970-80 (Fessenheim, Larzac, Plogoff). Durant ces décennies, l’écologie politique se construit ainsi comme un « levier d’une critique radicale de cette civilisation et de cette société» (Gorz, 1978, p.24), à la recherche d’autres modes de penser le monde, au-delà des deux modèles dominants à l’époque, symbolisés par l’affrontement entre le capitalisme « impérialiste » et un communisme « autoritaire ».

Des expériences de lieux alternatifs émergent alors dans toute l’Europe ; ils sont fondés par des communautés sur les bases d’une contestation écologiste parfois radicale de la société de consommation et du capitalisme. Ces groupes cherchent à mettre en œuvre leurs convictions politiques en expérimentant des nouvelles formes de vie collective, autogérée, tant en milieu rural que sur des friches urbaines. Naissent alors des expériences qui se sont pérennisées, telles que le quartier de Christiana à Copenhague1, ou encore les occupations de friches urbaines dans le quartier du Kreuzberg à Berlin. En France, Bernard Lacroix (1981) montre que c’est surtout au début des années 1970 que ces initiatives ont connu leur apogée, avec pas moins de 300 à 500 communautés recensées entre 1971 et 1973 (contre une quinzaine à la fin des années 1960). Marie-Hélène Bacqué et Stéphanie Vermeersch (2007) expliquent à partir de l’expérience « Habitat Différent » regroupant 17 familles dans la région Angevine depuis les années 1980, que cette multiplication des initiatives est liée à l’émergence des « nouvelles classes moyennes » telles qu’a pu les qualifier Catherine Bidou (1984) ou « classe d’alternative » selon Monique Dagnaud (1981). L’expérience angevine serait ainsi fondée sur les valeurs de cette classe sociale émergente (écologie, convivialité, cosmopolitisme), et ferait en quelque sorte figure de « synthèse d’aspiration à la transformation des modes de vie quotidien et à la démonstration que ce vivre autrement […] est possible » (Vermeersch, 2008, p.3). D’autres expériences ont vu apparaître des « néo ruraux » au cours des années 1970-1980, attirés par un « retour à la terre » (Deporcq, Soulié, 1982). Plus récemment, des initiatives ont vu le jour, telle que celle du Hameau des Buis en Ardèche, dans le sillage de la « simplicité volontaire » prônée par le mouvement des Colibris .

Toutes ces initiatives ont en commun un idéal d’autosuffisance, de mise en accord des idées et de leur vie quotidienne, de préservation de l’environnement local, d’invention de modes de coopération ou de participation directe, etc. Ces expériences s’appuient notamment sur des expérimentations d’habitat écologique, avec notamment un retour à des matériaux traditionnel et des systèmes de chauffage privilégiant les ressources renouvelables .

Au cours des années 1990, certaines de ces initiatives marginales s’institutionnalisent et se transforment en projets d’aménagement écologiques menés par des collectifs d’habitants en partenariat avec des collectivités. Des initiatives qui s’affirmaient en marge des institutions se trouvent réintégrées dans des dispositifs de production et de gestion plus classiques, dans lesquelles des compromis entre les groupes et les collectivités locales s’élaborent. L’exemple typique de cette institutionnalisation de telles expérimentations concerne la friche Vauban à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). D’abord un lieu squatté par des groupes alternatifs, le projet s’est structuré, allant jusqu’à la création de l’association « forum Vauban », qui s’est engagée dès 1994 avec la ville de Fribourg pour la réhabilitation des anciennes casernes militaires du site.

Une application locale du développement urbain durable

La genèse du développement durable et son orientation vers l’action territoriale

Comme l’explique Aurélien Boutaud (2005), le développement durable est issu d’une négociation internationale menée notamment au sein des Nations Unies. Son histoire est ponctuée de rapports et de grands évènements qui ont été autant de moments de construction du discours et de sa diffusion. La situation mondiale au cours de la décennie 70 est en effet marquée par de grandes catastrophes environnementales ainsi que par des réflexions sur la croissance démographique et ses limites. La question relayée par de nombreux intellectuels est alors de savoir si l’expansion humaine est compatible avec la préservation des ressources nécessaire à sa survie (Boisvert et Vivien, 2006). A la suite du 1er sommet de la Terre (Stockholm, 1972), la réflexion s’engage autour d’un concept d’écodéveloppement (Sachs, 1971). Il s’agit ici en fait des premières réflexions internationales sur la manière d’apporter des réponses à la fois aux inégalités de développement et de respect de l’environnement. Le développement durable naît dans ce contexte au cours des années 1980, au moment où la communauté internationale cherche à trouver des compromis dans les relations entre les hommes (à la fois dans les dimensions intra et intergénérationnelles) et entre les activités humaines et leur environnement. La notion fait écho à une « réflexion ancienne des sociétés humaines sur les limites de leur développement » (Mancebo, 2006). Le terme de sustainable development (développement durable en français1) sera défini dans un rapport dit « Brundtland » en 1987, énonçant que le développement durable consiste à « s’efforcer de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures ». C’est lors du sommet de la Terre en 1992 à Rio que ce terme se voit consacré, mettant en avant son orientation vers l’action coopérative. Ce sommet débouche sur l’adoption par 173 pays de l’ « Agenda 21 » (pour 21ème siècle) qui ancre pleinement le développement durable comme un programme d’actions devant faire « tenir ensemble la protection de l’environnement, l’efficacité économique et l’équité sociale » (Hamman, 2012), représenté sous la forme de trois « sphères » ou piliers.

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Table des matières

SOMMAIRE
Remerciements
Avant-propos
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PROJETS DE QUARTIERS DITS DURABLES ET APPROPRIATIONS :
CONSTRUCTION DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 1 : LES QUARTIERS DITS DURABLES : UNE CATEGORIE DE L’ACTION, UN OBJET DE RECHERCHE
I. L’émergence des quartiers dits durables
II. Le quartier dit durable comme objet de recherche
Conclusion
CHAPITRE 2 : PROBLEMATIQUE ET DEMARCHE
I. Problématique et hypothèses
II. Démarche de recherche
III. Méthodologie
DEUXIEME PARTIE : LES DIMENSIONS SOCIALES DES PROJETS DE QUARTIERS DITS DURABLES
CHAPITRE 3 : DES APPELS A PROJETS AUX PROJETS : LA CONSTRUCTION D’UN « NOUVEL ART DE VIVRE
ENSEMBLE »
I. La définition des enjeux sociaux dans les appels à projets
II. La mise en œuvre du « vivre ensemble » : ambitions et projets
Conclusion
CHAPITRE 4 : PROJETER LES MODES D’HABITER : LES REPRESENTATIONS DES HABITANTS ET DE LEURS
PRATIQUES
I. Une analyse des récits d’une « journée-type »
II. Des espaces d’incitation à des pratiques durables
Conclusion
CHAPITRE 5 : DES PROJETS DE QUARTIERS DITS DURABLES STANDARDISES
I. La diffusion de « bonnes pratiques » conduit à une homogénéité des projets
II. Les appropriations locales de la norme
Conclusion
CONCLUSION DE PARTIE
TROISIEME PARTIE : PRATIQUES DES HABITANTS ET APPROPRIATIONS AUX BRICHERES ET A BEAUREGARD
CHAPITRE 6 : LES BRICHERES ET BEAUREGARD : PRINCIPES DE CONCEPTION ET PROJECTION DES MODES
D’HABITER
I. Les Brichères, un « écoquartier » en renouvellement urbain
II. Beauregard : un projet précurseur
Conclusion
CHAPITRE 7 : LES BRICHERES : L’IMPOSITION DE L’ « ECOQUARTIER »
I. L’installation aux Brichères, le logement comme facteur principal de choix
II. Formes urbaines et espaces de sociabilités : des conflits d’appropriations
III. L’écologie à domicile : entre contraintes et réappropriations
Conclusion
CHAPITRE 8 : BEAUREGARD : LA CONSTRUCTION D’UN PROJET COLLECTIF
I. Emménager à Beauregard : une aspiration à changer de cadre de vie
II. L’écologie entre recherche de confort et engagements
III. L’émergence d’une vie sociale : les espaces collectifs comme espaces de rencontre
IV. Des pionniers solidaires : la construction d’une « communauté de destin »
V. Le « quartier durable », un creuset d’initiatives
Conclusion
CONCLUSION DE PARTIE
CONCLUSION GENERALE

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