Conception et évaluation d’Evasion

Bref état des lieux des performances en lecture après et pendant la scolarité

L’enjeu premier de l’école est, depuis les Cinq mémoires de l’Instruction Publique (Condorcet, 1791) de former des citoyens dont les disparités d’instruction sont suffisamment réduites pour empêcher la domination des plus éduqués sur les autres. L’action publique avait alors pour mission de leur assurer une égalité d’accès à la loi et à la gestion de leurs biens, garanties respectivement par la maîtrise de la lecture et des mathématiques. Presque deux siècles et demi ont passé, et l’emphase sur ces deux compétences – devenues depuis les « fondamentaux » – reste une priorité de l’Éducation Nationale. Aujourd’hui, plus de 12 millions d’élèves s’asseyent chaque jour sur les bancs de l’école (MENESR, 2017). Au cours des 10 années, maintenant 13, de scolarité obligatoire, ils y passeront environ 8 000 h, et tel est le cas pour tous les élèves scolarisés après 1959 (ordonnance n°59-45 du 6 janvier 1959).

Pourtant, malgré ce temps d’instruction considérable et les moyens publics qui y sont alloués, la bataille de l’alphabétisation est loin d’être gagnée. 23% des jeunes français ayant participé à la Journée d’Appel de Préparation à la Défense en 2017 ont des capacités de lecture jugées non fonctionnelles selon des critères liés à l’automatisation de la lecture, à la compréhension de texte et à la connaissance du vocabulaire (Chabanon, Rivière, De la Haye, & Gombert, 2017). Ce constat est le même quelle que soit l’année de scolarisation concernée :
— 21% des élèves de 15 ans sont « peu performants » en compréhension de l’écrit (OCDE, 2016) ;
— 15% des élèves en fin de collège ne savent pas « prélever une information explicite lorsque celle-ci est facilement accessible et repérable » (Dalibard, Fumel, & Lima, 2016) ;
— 39% des élèves à la fin de l’école primaire sont incapables d’identifier le sujet principal d’un texte (Andreu, Dalibard, & Etève, 2016).

Or, les compétences en lecture prédisent la réussite d’autres matières scolaires (Nunes et al., 2017), ce qui fait de cette compétence un pré-requis essentiel à l’éducation et le creusement actuel des inégalités entre les meilleurs et les moins bons lecteurs renforce la gravité de ce constat (Bianco, 2016). Les chiffres présentés ici sont bien connus et largement utilisés pour justifier bon nombre de projets politiques. Malgré la disparité idéologique de ces derniers, tous s’accordent sur un point : dans une société digitalisée où l’écrit occupe une place importante, ces élèves sont condamnés à devenir des adultes socialement vulnérables. 17% des élèves sortent d’ailleurs du système de formation français avec au plus le brevet des collèges (Le Rhun, 2013), ce qui les place dans des situations professionnelles précaires. Ces jeunes comptent probablement dans leurs rangs bon nombre de faibles lecteurs.

Des lacunes présentes dès la classe de CP peuvent expliquer ces faibles performances en compréhension de texte. Bien qu’il faille attendre leur publication définitive en janvier 2019 (indisponibles à l’heure où nous écrivons), les premiers résultats des évaluations menées par le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale et la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance semblent aller dans ce sens : un communiqué du ministère indique que 23% des élèves de CP ont des difficultés à associer une lettre au son qu’elle produit et que 30% des élèves de CE1 ont une vitesse de lecture de texte inférieure à 30 mots par minutes. Ces résultats sont équivalents à ceux du National Reading Panel mené aux Etats-Unis (Ehri et al., 2001 ; National Institute of Child Health and Human Development, 2000). Bien sûr, l’école n’est pas toute puissante. La situation économique et sociale dans laquelle sont certains élèves explique en partie ce constat. Pour autant, cela ne doit pas conduire à l’immobilisme : l’Éducation Nationale peut trouver de nouvelles réponses aux besoins de ces élèves, et celles-ci peuvent prendre leurs racines dans la recherche scientifique. Des interventions précoces et ciblées, soutenues par des outils dont l’impact sur les compétences en lecture a été vérifié, pourraient accroître la part d’élèves bon lecteurs en fin de scolarité.

Des pratiques pédagogiques fondées sur les preuves 

Les interventions pédagogiques ne font sens qu’au regard du contexte dans lequel elles ont lieu. Malgré la liberté pédagogique dont ils bénéficient, les enseignants français évoluent dans un cadre particulièrement ambivalent. Si des programmes nationaux très détaillés spécifient le contenu de leurs cours, rares sont les ressources qui leur présentent des méthodes pédagogiques fondées sur les preuves. Plus grave, il est courant de trouver dans les plans de formation continue des enseignants des modules sur des méthodes dont l’absence d’efficacité a été prouvée. C’est notamment le cas des formations aux « styles d’apprentissages » qui sont parfois encore proposés dans certaines académies alors que la théorie  sur laquelle elles reposent ne sont pas confirmées par l’expérience (Pashler, McDaniel, Rohrer, & Bjork, 2009). Ce manque de ressources de qualité induit une forte prévalence des « neuro-mythes » sur l’apprentissage au sein des communautés enseignantes (Dekker, Lee, Howard-Jones, & Jolles, 2017), ce qui limite la diffusion des pratiques pédagogiques efficaces. Notre propos n’est pas de disqualifier l’expertise des enseignants, reproche que l’on adresse souvent aux chercheurs qui défendent les pratiques fondées sur les preuves (voir par exemple Jarraud, 2018, pour le Café Pédagogique). Au contraire, nous pensons qu’il leur faut les moyens de choisir parmi un ensemble de savoirs et d’outils dont l’efficacité a été prouvée, lesquels conviennent le mieux à la configuration de leur classe.

Pour ce faire, deux leviers sont à notre disposition. Tout d’abord, il convient de diffuser plus largement les connaissances déjà produites sur les pratiques pédagogiques efficaces. A l’heure actuelle, il existe des ressources élaborées au sein de communautés informelles (voir par exemple le groupe Facebook intitulé «Evidence Based Education France – Progrès éducatif et démarche scientifique »  ) ou par des blogs tenus par des chercheurs (voir par exemple « Ramus méninges » ) ou des enseignants (voir par exemple « Par temps clair »  ), mais leur diffusion est moindre comparée à une démarche institutionnelle menée au sein de l’Éducation Nationale.

La place de l’attention visuelle dans la lecture et son apprentissage

La mobilisation des capacités attentionnelles pendant la lecture est un sujet qui a longtemps fait débat. De nombreux auteurs considèrent la lecture comme un processus uniquement linguistique. En citant, par exemple, Goswami (2015, p.43) : «Learning to read is sometimes erroneously considered to be a visual skill, but it is actually a linguistic process. » Si les compétences linguistiques et phonologiques sont effectivement des précurseurs de la lecture, de nombreuses études suggèrent que l’attention visuelle est mobilisée en lecture normale (Franceschini et al., 2012 ; Waechter, Besner, & Stolz, 2011) et pathologique (Hari & Renvall, 2001 ; Vidyasagar & Pammer, 2010).

Identifier les mécanismes attentionnels impliqués en lecture

L’attention visuelle est une ressource cognitive impliquée dans le traitement des stimuli visuels en général. Bien que la plupart de la littérature lui accorde une place mineure en lecture, nous allons voir ici que l’attention visuelle est impliquée dans la lecture à plusieurs égards : dans le traitement séquentiel des mots d’un texte, et dans le traitement parallèle des lettres qui les composent.

Nécessité de l’attention visuelle pour le traitement visuel des mots

Depuis les années 1980, de nombreux modèles théoriques ont supposé que la lecture des mots se déroulait de manière automatique, sans recours à l’attention visuelle (Posner & Snyder, 1975). Pourtant, à la même époque, cette hypothèse a été remise en question par plusieurs études suggérant que l’attention était impliquée dès les premiers stades de traitement visuel des mots. Nous allons en détailler les principaux résultats ici (pour une revue détaillée, voir Besner et al., 2016 ; Waechter et al., 2011).

L’étude qui a eu le plus large écho est celle de McCann, Folk, et Johnston (1992). Les participants ont réalisé une tâche de décision lexicale sur des mots de fréquence variable et des non-mots. L’emplacement auquel ils apparaissaient à l’écran était peu  prévisible par le participant. Les expérimentateurs utilisaient un protocole dit «de Posner » : les stimuli sont précédés d’un indice apparaissant à leur futur emplacement (condition valide) ou qui apparaissait à un autre endroit (condition invalide). L’indice a pour but d’attirer l’attention des sujets vers la région du champ visuel où il était présenté. Si les chaînes de lettres sont analysées sans attention visuelle, la validité de l’indice n’aura aucun effet : quelque soit l’endroit vers lequel l’attention est orientée, le mot sera traité de la même manière. Or, il s’avère qu’en condition valide, les temps de réaction des sujets sont plus courts qu’en condition invalide, et ce, quelle que soit la fréquence des mots présentés. Cela suggère que l’attention visuelle joue bel et bien un rôle dans le traitement visuel des mots, quelle que soit leur difficulté d’accès lexical.

Des résultats émanant d’autres auteurs confirment cette interprétation. Tout d’abord, un effet de l’indiçage a par la suite été retrouvé en reconnaissance de mots (Auclair & Siéroff, 2002). Ensuite, d’autres études ont montré que l’amorçage sémantique d’un mot par un autre n’a lieu que quand l’attention des sujets est orientée dans la régions de l’espace qu’occupera le mot-amorce (Besner, Risko, & Sklair, 2005 ; Waechter et al., 2011). Lorsque l’emplacement d’apparition du mot-amorce est incertain, le sujet doit distribuer son attention visuelle sur la totalité de la scène. La quantité d’attention que reçoit alors le mot-amorce est trop faible, et l’amorçage sémantique n’a pas lieu. À l’inverse, quand le sujet peut prévoir l’apparition du mot amorce et distribuer son attention en conséquence, l’amorçage a lieu.

D’autres études ont utilisé l’effet Stroop, c’est-à-dire l’interférence sémantique entre un mot écrit renvoyant à une couleur (par exemple, les mots ROUGE ou TOMATE) et une autre couleur présente sur la scène, voire, la couleur dans laquelle est écrit le mot, pour étudier le rôle de l’attention. Leurs auteurs ont mesuré l’influence d’un mot dont le sens renvoie à une couleur sur le traitement d’une zone de couleur, lorsque les deux sont présentés simultanément aux sujets. La zone pouvait être indicée ou non. Lorsque la zone est composée d’une couleur unique, son indiçage ne réduit pas l’effet du mot sur son traitement (Lachter, Ruthruff, Lien, & McCann, 2008) : la zone est si simple à traiter que l’attention visuelle peut être mobilisée lors du traitement du mot malgré l’indice qui l’oriente vers une autre position. En revanche, lorsque le traitement de la zone de couleur est suffisamment exigeant (par exemple, une zone composée de deux couleurs et on demande de reporter la couleur dominante), le mot n’a pas d’effet sur le traitement de la zone de couleur : l’attention visuelle est entièrement mobilisée pour analyser celle-ci (Robidoux & Besner, 2015).

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Table des matières

1 Introduction – Le laboratoire au service de l’école
I État de l’art
2 La place de l’attention visuelle dans la lecture et son apprentissage
2.1 Identifier les mécanismes attentionnels impliqués en lecture
2.2 Liens entre l’empan visuo-attentionnel et l’apprentissage la lecture
3 Description mathématique de l’attention visuelle
3.1 Effets généraux de l’attention visuelle sur le traitement perceptif
3.2 Modèle visuo-attentionnel dans le cas 1D
3.3 Généralisation à l’espace 2D : un modèle conceptuel de l’attention
4 Le jeu vidéo d’action : un candidat idéal pour entraîner les dimensions de l’attention visuelle impliquées en lecture
4.1 Les jeux vidéo d’action comme objet d’étude scientifique
4.2 Effet des jeux vidéo d’action sur les ressources attentionnelles
4.3 L’effet de la pratique des jeux vidéo d’action sur les performances en lecture : conséquence de meilleures capacités attentionnelles ?
II Conception du logiciel Evasion
5 Evasion, présentation d’un jeu vidéo d’action éducatif
5.1 Support utilisé
5.2 Choix des tâches
5.3 Présentation de notre espace de difficulté
5.4 Choix des stimuli
6 Parseval, un algorithme d’adaptation de la difficulté inspiré de la psychométrie adaptative
6.1 État de l’art
6.2 Présentation de Parseval
6.3 Objectifs expérimentaux et protocole
IIIÉvaluation et ajustement
7 Évaluation d’Evasion en conditions réelles : Résultats
7.1 Méthodologie expérimentale
7.2 Résultats
8 Évaluation d’Evasion en conditions réelles : Synthèse et discussion des résultats
8.1 Un entraînement qui ne mobilise pas suffisamment l’empan visuo-attentionnel ?
8.2 Fonctionnement de Parseval
8.3 Un protocole qui ne répond pas aux besoins du terrain ?
9 Conclusion – Ajustements et perspectives
9.1 Résumé
9.2 Proposition d’ajustements à envisager pour de futures expérimentations
9.3 Vers des expérimentations écologiques standardisées soutenues par des instances dédiées
Bibliographie
A Matrice de confusion générées pour les lettres romaines minuscules et majuscules
B Règles et exemple de génération des distracteurs en fonction du cran de difficulté sélectionné pour un stimulus-cible
C Tableau des simuli-cible et distracteurs utilisés par Evasion
D Tests utilisés lors des évaluations pré et post-entraînement
E Coefficients des modèles multi-niveaux utilisés pour analyser les données d’entraînement d’Evasion
F Taux de réussite moyen et nombre d’événements observés calculés pour chaque région des espaces de difficulté associés à la Forêt en T, à la Tour des Mots et à l’Omelettre

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