Comprendre le recours aux « coupeurs de feu » après radiothérapie

La médecine conventionnelle actuelle se base sur les preuves scientifiques, c’est l‟Evidence Based Medicine (EBM). Malgré l’absence de preuves de leur efficacité, les « coupeurs de feu » sont sollicités en contexte de radiothérapie. Ces derniers sont supposés soulager la douleur due aux brûlures et améliorer la cicatrisation. Les « coupeurs de feu » portent différents noms : « barreurs de feu », « leveurs de maux», « panseurs de secrets » (1), (2). Parmi ces termes équivalents, le terme de «coupeur de feu » a été choisi pour ce travail de recherche et sera le seul terme utilisé pour les désigner.

En amont de ce travail de recherche, un état de l’art de la pratique des coupeurs de feu dans le soin, a été mené en juillet 2019. Dans un premier temps, de nombreux centres de traitement des brûlés ont été contactés, et ils apparaissaient être beaucoup moins confrontés à la question des coupeurs de feu que ce qui était attendu par l’investigatrice, pour différentes raisons (notamment le contexte aigu d’urgence autour du grand brulé avec mesures réanimatoires précoces, qui ne laisse pas la place à l’intervention d’un coupeur de feu). Dans un deuxième temps, 31 centres de radiothérapie répartis sur le territoire français ont été contatés par téléphone (Toulouse, Marseille, Lyon, Aix-en-Provence, Nice, Bordeaux, Lille, Nantes, Rennes, Strasbourg, Paris, Annecy, Grenoble, Avignon, Toulon, Plérin…). Les centres des grandes métropoles ont été contactés, ainsi que ceux des plus petites villes adjacentes, afin d’avoir une idée globale des pratiques. La sollicitation des coupeurs de feu en contexte de radiothérapie s’est ainsi avérée : sur les 31 centres de radiothérapie contactés, 15 confiaient avoir des contacts de coupeurs de feu, et cela concernait les villes de toutes tailles. Sur les 15 centres ayant des contacts de coupeurs de feu, 10 rapportaient avoir une liste essentiellement tenue par les secréaires médicales, élaborée via les retours des patients. L’étude s’est donc focalisée sur le contexte de la radiothérapie.

METHODE

TYPE D‟ETUDE

Il s’agit d’une étude qualitative, menée via des entretiens individuels semidirigés. Cette étude se base sur le concept méthodologique qualitatif de phénoménologie, concept permettant de comprendre l’essence de l’expérience des gens et des phénomènes. Par son approche compréhensive, la recherche qualitative permet d’explorer le lien entre la « vraie vie » du clinicien et la « science dure », et ainsi de s’intéresser au décalage pouvant exister entre référentiels et pratiques médicales.

CREATION DU GUIDE D‟ENTRETIEN

Contenu du guide d’entretien

Un guide d’entretien a été élaboré en guise de support au déroulement des entrevues. Ce guide se déroulait en trois temps : Premièrement, le sujet de l’étude était introduit et les modalités pratiques de l’entretien expliquées. Deuxièmement, un court questionnaire quantitatif était posé, afin de caractériser l’échantillon de la population interrogée. La personne était caractérisée par sa spécialité médicale (médecin généraliste ou onco-radiothérapeute), son sexe, sa tranche d’âge, sa structure et ville d’exercice, et sa capacité personnelle éventuelle à « couper le feu ». Cette dernière question sur la capacité personnelle à « couper le feu » était systématiquement posée en début d’entretien, afin de ne pas ignorer une forme de conflit d’intérêt entre la personne interrogée et le sujet de l’étude. Un tableau récapitulatif des principales caractéristiques des médecins participants à ce travail a été intégré dans la partie « Résultats » . Enfin, la troisième partie du guide se composait d’une trame de questions ouvertes, basées sur différents thèmes, lesquels ont été choisis d’après les données de la littérature. Quatre thèmes ont été retenus pour l’élaboration du guide d’entretien : la définition et représentation de ce qu’est un coupeur de feu, les enjeux de l’approche de cette question en consultation, les motifs du recours à un coupeur de feu, et le vécu personnel du médecin à ce sujet ainsi que les axes d’amélioration envisagés. Dans un premier temps, les compétences attendues chez un coupeur de feu étaient abordées, ainsi que les connaissances du médecin sur les modalités de l’intervention en pratique. Dans un deuxième temps, l’approche de cette question en consultation étaient discutée, car au vu de la littérature il était important d’évoquer l’aspect relationnel et l’influence de cette question sur le rapport médecin-malade. Puis les motifs du recours à cette pratique étaient explorés, ainsi que son rapport avec la médecine conventionnelle. Dans un dernier temps les médecins interrogés pouvaient exprimer leur vécu et leur ressenti personnel vis-à-vis de l’impact de cette pratique, et ainsi proposer des axes d’amélioration concernant le recours aux coupeurs de feu après radiothérapie.

Test du guide d’entretien

Le guide d’entretien a été testé préalablement auprès d’un médecin répondant aux critères d’inclusion de l’étude, afin de garantir au mieux sa pertinence et l’intelligibilité des questions posées. Cet entretien test n’a pas été retranscrit ni inclus dans les résultats de l’étude.

Evolution du guide d’entretien

Le guide d’entretien était identique pour chaque personne interrogée et n’a pas évolué au cours de l’étude. Cependant, certaines questions supplémentaires spécifiques ont été posées aux médecins déclarant avoir une capacité à « couper le feu », en plus de la trame de questions identique aux autres participants. Deux interrogations sont apparues :
– Comment êtes-vous devenu coupeur de feu ?
– Comment associez ou séparez-vous vos deux activités ?

L’ordre des questions était souple, l’investigatrice s’adaptant aux thématiques spontanément évoquées par la personne interrogée, afin de privilégier la fluidité et la spontanéité de l’entretien.

CONSTITUTION DE L‟ECHANTILLON DE POPULATION A INTERROGER

Sélection et recrutement

Le choix de la population à étudier s’est porté sur les médecins généralistes et les oncologues-radiothérapeutes, ayant déjà évoqué la question des coupeurs de feu en contexte de radiothérapie avec leurs patients. En effet, les praticiens de ces deux spécialités étaient les plus susceptibles d’être confrontés à cette problématique : les médecins généralistes, en première ligne des soins primaires et coordonnateurs de la prise en charge autour du patient ; et les onco-radiothérapeutes, spécialistes de la prise en charge par radiothérapie. S’agissant du recrutement de la population, l’échantillon a été élaboré en « recherche de variation maximale ». C’est-à-dire que le but était de faire émerger les divergences d’opinions et de vécu au sein de la population cible au sujet de la question de recherche, et non à être représentatif de la population générale (15). Le recrutement a essentiellement été fait par « effet boule-de-neige » (16). Si cette méthode a fonctionné pour les médecins généralistes, elle n’a pas été concluante pour les onco-radiothérapeutes. Les médecins généralistes ont donc été sélectionnés à partir de personnes qui ont indiqué d’autres personnes susceptibles de rentrer dans les critères d’inclusion de l’étude (3 personnes), ainsi que via un réseau social (2 personnes). Concernant les onco radiothérapeutes, les personnes indiquées par les interviewés n’ont pas répondu ou n’étaient pas intéressées pour participer à l’étude. Ainsi, les onco-radiothérapeutes ont été sélectionnés en rappelant les centres de radiothérapie joints lors de l’exploration préalable (5 personnes), en favorisant néanmoins la variation maximale des caractéristiques de ces derniers. Les caractéristiques choisies pour la « recherche de variation maximale » de l’échantillon de population étaient :
– Le sexe : féminin ou masculin
– La tranche d’âge : inférieure ou supérieure à 45 ans. Cette limite a été choisie car elle correspond au milieu de carrière pour un médecin, traduisant ainsi grossièrement les années d’expérience professionnelle.
– La structure d’exercice : pour les médecins généralistes, le critère choisi était le nombre d’habitants de la ville d’exercice inférieur ou supérieur à 50 000 habitants, qui correspond d’après l’INSEE à la limite définie entre une ville petite à moyenne et une grande ville (17) ; pour les onco-radiothérapeutes, le critère choisi était l’exercice en centre hospitalo-universitaire ou en centre hospitalier plus périphérique.
– Le département géographique d’exercice

La première prise de contact était faite par téléphone, par mail, ou via les réseaux sociaux, en vue de proposer la participation à l’étude et de vérifier la présence des critères d’inclusion. Après accord pour participation, une fiche d’information et de consentement était envoyée par mail (en annexe N°2) précisant l’intérêt de l’étude, le déroulé de celle-ci, l’utilisation des données verbales, l’anonymisation des entretiens et les droits des interviewés. Au total, l’échantillon de population initial était composé de 12 médecins aux caractéristiques variées et répondant aux critères d’inclusion de l’étude.

La pratique des coupeurs de feu 

Absence de définition universelle

De manière générale, il ne ressort pas des entretiens une définition unique de la pratique des coupeurs de feu. Néanmoins, elle est largement décrite comme une pratique permettant d’arrêter la douleur liée à une brûlure, notamment en cours de radiothérapie. Aussi, il n’y a pas de communauté et de formation reconnues menant à cette pratique « Y‟a pas d‟évaluation, y‟a pas de diplôme (E3) », « il n‟y a pas une certification (E8) ». Certains médecins la classent ainsi comme « thérapeutique un peu naturelle (E4) » appartenant à « une autre médecine (E2) ». En l’absence de consensus, il existe une terminologie variée pour désigner les personnes capables de « couper le feu » : « barreurs de feu (E8) » « magnétiseurs (E3) » « guérisseur (E7) » « marabouts (E9) ». Certains médecins nuancent : « magiciens peut-être pas (E2) » « il faut pas tout confondre, je pense (E9) ». D’autres considèrent que ces termes sont équivalents « c‟est pareil hein ! (E4) ». Dans tous les cas, l’appellation est subjective « je le vois un peu comme ça (E4) » voire affective « guérisseur ça me plaît pas du tout (E4) » « j‟aime pas trop les appeler « coupeurs de feu » (E4) ».

La capacité à « couper le feu »

La capacité à « couper le feu » reposerait sur « une sorte de de fluide […] une sorte de de de d‟énergie au niveau des mains (E6) », ou sur « une formule … une recette de cuisine (E9) ». Cette capacité serait innée « c‟est pas un talent qu‟on qu‟on qu‟on fructifie […] c‟est pas une technique qu‟on acquiert, c‟est un don qu‟on a ou qu‟on a pas (E3) » ou au contraire acquise, par transmission familiale, ou bien par apprentissage méthodique. En effet, ce don peut provenir de la famille proche ou éloignée, ce sont « des gens qui euh qui tiennent ça de leur père ou de leur mère ou de leur grand-père […] et qui perpétuent la tradition familiale (E4) », ou bien ce peut être une « une technique (E8) » apprise via un « mode d‟emploi (E9) ». Dans tous les cas, cette capacité apparaît être un sujet « assez confidentiel (E3) », on parle d’ailleurs de « donner le secret (E9) ». Il existe l’idée qu’« un bon coupeur de feu […] est très discret, il le dit pas (E9) ».

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. MATERIEL & METHODE
A. METHODE
1. Type d‟étude
2. Création du guide d‟entretien
a. Contenu du guide d’entretien
b. Test du guide d’entretien
c. Evolution du guide d’entretien
3. Constitution de l‟échantillon de population à interroger
a. Sélection et recrutement
b. Critères d’inclusion
c. Critères d’exclusion
4. Recueil des données et journal de bord
5. Réalisation des entretiens
6. Retranscription et analyse des entretiens
7. Aspects éthiques et réglementaires
a. Réglementation
b. Conflit d’intérêts
c. Archivage des données
B. MATERIEL
III. RESULTATS
A. DESCRIPTION DE LA POPULATION ETUDIEE ET DES ENTRETIENS
1. Description de l‟échantillon de population étudiée
2. Description des entretiens
B. ANALYSE DE CONTENU
1. Définitions
a. La pratique des coupeurs de feu
(1) Absence de définition universelle
(2) La capacité à « couper le feu »
(3) Les compétences attendues d’un coupeur de feu
(4) Profession et rapport à l’argent
(5) L’intervention du coupeur de feu en pratique
a) Description par des propos rapportés
b) La temporalité
c) Le lieu d‟intervention
d) L‟action physique du coupeur de feu
b. Les effets secondaires en radiothérapie
2. Point de vue des médecins sur le rapport triangulaire : médecin – patient – coupeur de feu
a. Point de vue des médecins sur le rapport : médecin – coupeur de feu
(1) Contexte de la rencontre
(2) Carnet d’adresses du médecin
(3) Pseudo-médicalisation de la pratique
b. Point de vue des médecins sur le rapport : médecin – patient
(1) Le sujet des coupeurs de feu en consultation
a) Approche du sujet par les patients
b) Approche du sujet par le médecin ou l‟équipe médicale
(2) Les différentes postures adoptées par les médecins
a) Refus franc et mépris
b) Indifférence
c) Ecoute bienveillante
d) Paternalisme
e) Acceptation
f) Le cas particulier des médecins-coupeurs de feu
(3) Impact de la discussion au sujet des coupeurs de feu
3. Ressenti des médecins sur la contribution de cette « thérapeutique »
a. Indications et bénéfices attendus
b. Les motifs de recours aux coupeurs de feu
(1) Les représentations populaires de la radiothérapie et les traditions
(2) Des profils de patients spécifiques
(3) Un phénomène « à la mode »
(4) Optimiser ses chances de guérison
(5) Le besoin d’une approche différente
(6) Les déficiences de la médecine conventionnelle
c. Les risques éventuels du recours aux coupeurs de feu
(1) Le déni de tout risque
(2) L’absence de transparence et la manipulation
(3) Le risque financier
(4) Le risque d’interférence avec la médecine conventionnelle
4. La nécessité d‟un cadre et de recherches scientifiques
a. Encadrement de la pratique des coupeurs de feu
(1) Normer la pratique
(2) Répertorier les coupeurs de feu
(3) Créer du lien avec les médecins
(4) Intégrer les coupeurs de feu au parcours de soins en radiothérapie
b. Nécessité de recherches scientifiques
(1) La demande des médecins face à une littérature scientifique pauvre
(2) L’avis des médecins éloigné de l’EBM : déductions à partir d’observations cliniques
(3) L’obligation de moyens
c. Facteurs limitant la réalisation d’études
IV. DISCUSSION
A. DISCUSSION DE LA METHODE
1. Equipe de recherche et de réflexion
a. Caractéristiques personnelles
b. Relations avec les participants
2. Conception de l‟étude
a. Cadre théorique
b. Sélection des participants
c. Contexte
d. Recueil des données
3. Analyse et Résultats
B. DISCUSSION DES RESULTATS : ANALYSE DES DONNEES CONFRONTEES A LA LITTERATURE
V. CONCLUSION

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