Compréhension du rôle morphogénétique de l’apoptose et de son évolution

LA MORT CELLULAIRE 

Historique 

Le premier biologiste à avoir attiré l’attention sur le concept de mort cellulaire est Carl Vogt (1842) (Figure 1), médecin suisse qui remarqua ce phénomène chez le crapaud accoucheur Alytes obstetricans (Laurenti, 1768). Il s’est intéressé en particulier à la disparition de la notochorde et son remplacement par les vertèbres durant la métamorphose. Bien que n’utilisant pas explicitement le terme de « mort cellulaire » (il a employé le terme de « résorption »), il a décrit le phénomène au cours du développement du système nerveux, ainsi que durant la métamorphose du têtard. Deux ans plus tard, Jean-Louis Prévost et Hermann Lebert (1844) ont confirmé les observations de Vogt et ont utilisé le terme d’« absorption » des cellules. August Weisman (1864) a décrit le même phénomène chez les diptères, parlant d’« histolyse» durant la pupaison. Il a remarqué que certains tissus larvaires étaient complètement détruits, en opposition à d’autres profondément modifiés (comme le système nerveux). L’observation de la mort cellulaire dans un tissu qui n’est pas destiné à disparaître, mais qui reste en place malgré l’impact de celle-ci a également été faite par Felix (1889) au niveau des muscles de mammifères. Noetzel (1895) a fait le même constat au niveau du ganglion spinal de la grenouille Rana esculenta (Linnaeus, 1758) (Figure 1). Plus tard, Collin (1906) a mis en évidence de la mort cellulaire (qu’il qualifie, comme Weisman, d’« histolyse ») durant le développement de motoneurones et de cellules du ganglion spinal chez le poulet Gallus gallus (Linnaeus, 1758) (Figure 1). Il suggéra un rôle prépondérant de celle-ci dans la régulation du nombre de cellules dans l’ensemble des tissus, avec une balance entre production et élimination de cellules surnuméraires. Ainsi, au début du 20ème siècle, la mort cellulaire fut décrite dans des processus biologiques aussi divers que l’embryogenèse, la métamorphose ou le maintien homéostatique des tissus. La première description morphologique de la mort cellulaire programmée (Figure 1) fut effectuée par le biologiste allemand Walther Flemming (1885) à partir de cellules ovariennes de lapin Oryctolagus cuniculus (Linnaeus, 1758). Il utilisa alors le terme de « chromatolyse » pour désigner la régression folliculaire au niveau des ovaires de mammifères. Le concept de balance entre « prolifération cellulaire par mitose » et « mort cellulaire » pour maintenir l’homéostasie des tissus a été proposé en 1914 par Gräper dans le cas du cancer du sein. La notion de mort cellulaire programmée signifie alors qu’elle est prédictible au cours du temps dans le programme développemental, soit durant l’embryogenèse, soit durant la métamorphose. Les travaux de Lockshin & Williams (1964) sur le remaniement des muscles inter-segmentaux lors de la métamorphose des pupes de différentes espèces de papillons définissent clairement la mort cellulaire programmée comme prédictible dans le temps et l’espace. Une rupture conceptuelle est apparue avec les travaux sur la métamorphose de la grenouille Rana temporaria (Linnaeus, 1758) par Tata (1966). Celui-ci a montré, grâce à des inhibiteurs de la transcription et de la traduction, que les ARNs et les protéines produites par la cellule étaient nécessaires à la mort cellulaire de cette dernière au cours de la régression de la queue du têtard. Ainsi, l’intervention d’informations génétiques a fait basculer le concept de mort cellulaire programmée, et le terme « programmé » ne faisait plus référence au « programme » développemental mais au « programme » génétique. Cette rupture par rapport à la vision précédente est confirmée par les travaux de Lockshin & Williams (1965) et Lockshin (1969) par l’étude d’un papillon (ver à soie). Le développement de la microscopie électronique a permis de caractériser et différencier plusieurs types de mort cellulaire à partir de critères morphologiques identifiables au niveau cellulaire. Une classification basée sur des morphotypes a abouti à la différenciation de trois classes de morts cellulaires, respectivement nommées : type-I (apoptose), -II (autophagie) et -III (nécrose). L’autophagie (Figure 2.B) a été mise en évidence chez Drosophila melanogaster (Meigen, 1830) in vivo durant le développement, et intervient notamment au niveau du tube digestif (Denton et al., 2009) ou lors de l’ovogenèse (Nezis et al., 2009). Elle est caractérisée par l’isolement des organites du cytoplasme à l’intérieur d’autophagosomes (vacuoles à double membrane). Ces derniers fusionnent avec des lysosomes contenant des hydrolases acides. Cette fusion forme un autolysosome dans lequel les hydrolases vont dégrader le contenu initial de l’autophagosome (Kroemer et al., 2009). Par conséquent, cette mort cellulaire est caractérisée par une accumulation importante de vacuoles autophagiques dans le cytoplasme de la cellule.

La nécrose (Figure 2.C) est classiquement considérée comme une mort cellulaire accidentelle (sur un site de blessure par exemple), non programmée, et donc un processus passif. Cependant il paraît judicieux de l’évoquer brièvement étant donné qu’elle est couramment observée. Une cellule en nécrose est caractérisée par une augmentation de son volume et une fragmentation de ses organites. En opposition avec les autres types de morts cellulaires, la membrane plasmique d’une cellule nécrotique cède, ce qui conduit à un déversement de son contenu dans le milieu extra-cellulaire et peux provoquer une réponse inflammatoire. L’apoptose (Figure 2.D) a été définie en opposition à la nécrose et fut caractérisée grâce à la microscopie électronique par Kerr, Wyllie & Curie (1972). Le terme apoptose, alors utilisé pour la première fois, fait référence au mot grec désignant la chute des feuilles des arbres, processus programmé et prédictible.

Plus tard, les études de Horvitz, Brenner et Sulston sur le nématode Caenorhabditis elegans (Maupas, 1900) ont permis une première description exhaustive de la voie de signalisation apoptotique intervenant au cours de son développement. La transparence de cet organisme a facilité les observations au microscope à contraste interférentiel et a permis de suivre le lignage cellulaire durant son développement. Les cellules en apoptose ont pu être clairement identifiées (Sulston & Horvitz, 1977 ; Hellis & Horvitz, 1986), permettant d’observer facilement les effets de pertes ou de gains de fonction sur ces dernières. Ainsi, les principaux gènes apoptotiques du nématode ont pu être identifiés, leurs fonctions caractérisées et une voie de signalisation apoptotique a été proposée (Sulston, 2003). Ces travaux ont valu le prix Nobel 2002 à ses trois chercheurs pour la généralisation du modèle « nématode » et la première description de la machinerie apoptotique au niveau moléculaire. Par la suite, l’identification de nouveaux facteurs moléculaires ainsi que de nouvelles voies de régulation, couplées à des descriptions de morts cellulaires ne semblant pas correspondre aux trois types « historiques » (autophagie, nécrose, apoptose), ont nécessité de réviser régulièrement nomenclature et concept. Pour cela, un Comité sur la Nomenclature de la Mort Cellulaires (NCCD – Nomenclature Committee on Cell Death) a été créé en 2005 (Kroemer et al., 2005) et se réunit régulièrement. Ce  comité suggère, au fur et à mesure des études sur la mort cellulaire, de nouvelles définitions et de nouveaux critères. La création du NCCD résulte de confusions qui ont été soulignées dans la littérature dans la terminologie liée à la mort cellulaire et par le fait que la catégorisation en type-I, -II et -III ne semblait plus suffisante à la lumière des nouvelles observations. En 2015, le NCCD a défini la mort cellulaire comme la « dégénération permanente » des fonctions vitales de la cellule. En raison des difficultés pour évaluer ces critères, une cellule est considérée comme « morte » si elle présente une perméabilisation irréversible de sa membrane et/ou se retrouve fragmentée. La notion de mort cellulaire régulée (RCD – Regulated Cell Death), en opposition aux morts cellulaires accidentelles, implique une machinerie moléculaire génétiquement codée. Le fait qu’elle soit régulée par des acteurs génétiques implique qu’il est possible de la moduler, grâce à des inhibiteurs, ou en jouant sur l’expression des gènes impliqués. La RCD résulte de perturbations de l’environnement cellulaire mais intervient aussi dans des conditions physiologiques normales. Dans ce dernier cas, on parle plus particulièrement de mort cellulaire programmée (PCD – Programmed Cell death). Elle peut intervenir lors de l’embryogenèse, de la métamorphose, du maintien homéostatique ou au niveau du système immunitaire. Dans la suite de ce manuscrit, j’utiliserai le terme PCD car c’est le terme et l’abréviation les plus usuels. En raison de l’intervention de facteurs moléculaires, les définitions élaborées par le NCCD ciblent les voies de régulation impliquées, ce qui est particulièrement flagrant dans les derniers rapports du comité (notamment de 2015 – 2018) (voir : Cell Death Diff., 2018 Mar;25(3):486-541. doi: 10.1038/s41418-017-0012-4. Epub 2018 Jan 23).

Différentes morts cellulaires chez les métazoaires

La nomenclature définie par le comité sur la mort cellulaire (NCCD) 

Historiquement, les morts cellulaires les plus communes, intervenant au cours de processus divers tels que l’embryogenèse, la métamorphose ou le maintien homéostatique des organes sont les type-I (apoptose), -II (autophagie) et -III (nécrose) bien décrits morphologiquement. Cependant, le NCCD ayant choisi de privilégier les critères moléculaires aux dépens des critères morphologiques, la classification en trois types a été abandonnée. C’est préférentiellement à partir de critères moléculaires que les morts cellulaires sont aujourd’hui décrites et catégorisées, conduisant à une expansion de leur nombre avec le temps (Kroemer et al.,2009 ; Galluzzi et al., 2018). Le dernier NCCD (Galluzzi et al., 2018) propose 12 types de morts cellulaires illustrant une certaine diversité (Figure 3), intégrant par exemple la pyroptose*, la catastrophe mitotique* ou encore la ferroptose* (*cf. page 23).

L’importance relative donnée aux critères moléculaires (passant les aspects morphologiques en second plan) (Galluzzi et al., 2018) pose un problème majeur car les synthèses effectuées par le NCCD prennent essentiellement en compte les mammifères, et ne peuvent donc se généraliser à l’échelle des métazoaires. Cela soit parce qu’une mort cellulaire n’est observée que chez les mammifères (mais a-t-on réellement étudié chez d’autres groupes?), soit parce que seules les voies moléculaires de ces derniers sont utilisées en guise de définition (des modèles historiques comme Caenorhabditis elegans ou Drosophila melanogaster (Meigen, 1830) étant de moins en moins cités). Parmi les types de morts cellulaires, l’apoptose est aujourd’hui divisée en deux types (NCCD-2018), à savoir, l’apoptose intrinsèque et l’apoptose extrinsèque, chacune ayant des caractéristiques moléculaires propres mais aussi communes. De plus, elles présentent les mêmes caractéristiques morphologiques (Kerr et al., 1972). Par ailleurs, cette définition est trop restrictive, car focalisée sur les apoptoses observées chez les mammifères. Elle nécessite probablement une révision à la lumière des données existantes dans d’autres modèles biologiques. En revanche, la définition historique (morphologique) présente l’avantage indéniable de s’appliquer à tous les métazoaires, et permet donc une harmonisation lorsque l’on s’intéresse à des modèles non mammaliens.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. LA MORT CELLULAIRE
I.1. Historique
I.2. Différentes morts cellulaires chez les métazoaires
I.2.a. La nomenclature définie par le comité sur la mort cellulaire (NCCD)
I.2.b. L’apoptose, une mort cellulaire bien caractérisée
II. RÔLES CLASSIQUES DE L’APOPTOSE
II.1. Embryogenèse
II.1.a. L’exemple de la digitation chez les vertébrés tétrapodes
II.1.b. Le développement de Caenorhabditis elegans
II.2. Métamorphose
II.2.a. La métamorphose des lissamphibiens anoures
II.2.b. La métamorphose des pupes chez les insectes
II.3. Le maintien homéostatique des tissus
II.4. Synthèse sur le rôle classique de l’apoptose
III. LA FONCTION CONSTRUCTRICE DE L’APOPTOSE
III.1. Le remodelage mécanique (mechanical remodelling)
III.2. La différenciation
III.3. L’induction de survie
III.4. La migration
III.4.a. L’attraction et la migration induites sur des cellules immunitaires
III.4.b. L’attraction par les cellules apoptotiques pour l’engouffrement
III.5. La prolifération
III.5.a. La régénération de la queue du têtard de Xenopus laevis
III.5.b. La régénération du cnidaire Hydra vulgaris dépend des cellules apoptotiques
III.5.c. La régénération du foie de souris est caspase-dépendante
III.6. Synthèse sur le rôle constructif de l’apoptose
IV. BILAN SUR LES RÔLES MORPHOGÉNÉTIQUES DE L’APOPTOSE
V. LA FAMILLE MULTIGÉNIQUE DES CASPASES
V.1 Mode de fonctionnement des caspases
V.1.a. Structure des caspases
V.1.b. L’activation des caspases
V.1.c. L’inhibition des caspases par les inhibiteurs d’apoptose : les IAPs
V.2. Les groupes fonctionnels des caspases
V.2.a. Les caspases inflammatoires
V.2.b. Les caspases apoptotiques
1) La voie de signalisation intrinsèque
2) La voie de signalisation extrinsèque
3) Une voie de signalisation dépendante de la caspase 2
V.2.c. Synthèse sur les voies de signalisation apoptotiques
VI. L’ÉVOLUTION DES CASPASES
VI.1. Les relations qui font consensus dans la littérature
VI.1.a. Les biais dans les analyses
VI.1.b. L’exemple d’une phylogénie des caspases faisant référence
VI.2. Des données émergentes chez des modèles non classiques
VI.3. Synthèse sur l’évolution des acteurs apoptotiques
PROBLÉMATIQUE
MODÈLES BIOLOGIQUES
I. L’ASCIDIE CIONA INTESTINALIS (LINNAEUS, 1767)
I.1. Présentation générale
I.2. Evolution et position phylogénétique
I.2.a. Histoire et caractéristiques des tuniciers
I.2.b. Phylogénie
I.3. Anatomie et cycle de vie de Ciona intestinalis
I.3.a. Anatomie de l’adulte
I.3.b. Embryogenèse et anatomie de la larve
I.4. La métamorphose
I.4.a. Les principales étapes de la métamorphose
I.4.b. Le déroulement de la régression caudale
I.5. Un modèle idéal pour étudier l’apoptose in vivo
II. LE CNIDAIRE CLYTIA HEMISPHAERICA (LINNAEUS, 1767)
I.1. Présentation générale
II.2. Evolution et position phylogénétique
II.2.a. Histoire et caractéristiques des cnidaires
II.2.b. Phylogénie
II.3. Cycle de vie et anatomie
II.3.a. Cycle de vie
II.3.b. Anatomie
II.4. Embryogenèse et métamorphose
CHAPITRE I La métamorphose de Clytia hemisphaerica
I. LES CNIDAIRES, UN MODÈLE À EXPLORER POUR ÉTUDIER LA FCA
I.1. L’apoptose chez les cnidaires
I.1.a. Les acteurs apoptotiques des cnidaires
I.1.b. De l’apoptose au cours de la métamorphose des cnidaires : l’exemple d’Hydractinia echinata
I.2. Coexistence de plusieurs comportements cellulaires
I.2.a. Les cellules souches des cnidaires, entre maintien et différenciation
I.2.b. Les nématocytes et les i-cells migrent au cours de la métamorphose
I.3. Clytia hemisphaerica, un organisme idéal pour étudier la FCA
II. ARTICLE N°1
III. SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES DE L’ARTICLE N°1
III.1. Synthèse
III.2. Perspectives
CHAPITRE II La régression caudale de Ciona intestinalis
I. LE RÔLE DES GÈNES HOX DANS LE DÉVELOPPEMENT
I.1 Les gènes Hox chez Ciona
I.1.a. Caractérisation des gènes Ci-hox
I.1.b. Les rôles des Ci-hox dans l’embryogenèse et la métamorphose
I.2. L’établissement de la polarité de l’épiderme de la nageoire dépend de deux gradients antagonistes
II. ARTICLE N° 2
III. SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES DE L’ARTICLE N°2
III.1. Synthèse
III.2. Des gènes Hox peuvent réguler l’apoptose
III.3. Perspectives
CHAPITRE III L’évolution des voies de signalisation apoptotiques
I. LES ACTEURS APOPTOTIQUES CHEZ CIONA
I.1. Identification des relations d’orthologies entre caspases
I.1.a. Les caspases de Ciona
1) État de l’art sur les caspases de Ciona
2) Résultats des analyses phylogénétiques
I.1.b. Les tuniciers ont perdu la caspase 9
I.1.c. Le répertoire de caspases de Ciona offre des particularités intéressantes
I.2. Les acteurs régulant l’apoptose intrinsèque chez Ciona
I.2.a. La cione possède des gènes de la famille Bcl-2
I.2.b. Apaf-1 n’a pas été mis en évidence chez la cione
I.3. Tentative de définition de la voie mitochondriale
I.4. Un focus sur la voie mitochondriale est nécessaire
II. ARTICLE N°3
III. LA VOIE EXTRINSÈQUE CHEZ CIONA
III.1. Implication de la voie extrinsèque dans la régression caudale
III.2. Implication sur l’évolution de la voie extrinsèque
IV. SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES DE L’ARTICLE N°III
CONCLUSION

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